Torii

Photo © e-chan

Je me trouve devant un symbole shintô ; pour la première fois, je contemple un torii. Comment décrire un torii à ceux qui n’en ont jamais vu, même en gravure ou en photographie ? Deux hautes colonnes comme des piliers de grille supportent horizontalement deux poutres, dont la poutre inférieure, qui est aussi la plus légère, a ses extrémités enchâssées dans les piliers à quelque distance de leur sommet ; tandis que la poutre supérieure, qui est aussi la plus lourde, est posée à plat sur les colonnes, et les dépasse largement à droite et à gauche. Ça, c’est un torii : la construction varie peu de forme, qu’elle soit faite de pierre, de bois ou de métal. Mais cette description ne peut donner une idée correcte de l’aspect majestueux d’un torii, de sa suggestion mystique en tant que portail. La première fois que vous voyez un noble torii, vous vous imaginerez peut-être voir le modèle colossal d’une belle lettre chinoise se dressant contre le ciel ; car toutes ses lignes ont la grâce d’un idéogramme animé, les angles et les courbes hardies de caractères tracés en quatre coups de pinceau magistraux.

Lafcadio Hearn, Ma première journée en Orient

Votre style à l'enjouement trop forcé finit par agacer (idées cadeaux pour le réveillon de Noël)

Photo © Kevin Dooley

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Le réveillon de Noël est l’occasion rêvée pour sortir ses plus beaux atours de leur gangue de plastique à la vague odeur de naphtaline pour aller diner en ville.
Vous avez certainement déjà reçu votre carton d’invitation pour aller réveillonner rue du Faubourg Saint-Honoré chez une cousine éloignée qui a fait fortune dans la vente de foulards de luxe, et comble d’orgueil, elle a tenu à inviter toute la petite famille, et même la grande, dans son triplex de deux cents mètres carrés. Le soir arrivé, vous avez l’intention de briller, de montrer une fois de plus que vous avez progressé cette année encore et que vos cours de culture générale par correspondance n’ont pas été vains.
Le grand soir arrive, et, les bras chargés de sacs que le Père Noël a pris soin de remplir à votre place – les grands magasins à cette période-là de l’année sont bondés et vous ne vous y retrouvez jamais – vous montez l’escalier recouvert d’une moelleuse moquette rouge. Accueilli par l’hôtesse accorte – diantre, ces années d’opulence l’ont desservie – vous passez dans le salon et vous retrouvez le cousin Marcel, qui lui, par contre, n’a pas changé depuis la dernière fois que vous l’avez vu – toujours aussi mal coiffé et l’haleine d’un boyard noyé dans le purin, le malotru tient absolument à vous embrasser comme il le faisait jadis lorsque vous alliez le visiter à Pâques dans son Vercors natal.
C’est bien joli toutes ces retrouvailles, mais ça ne fait pas avancer le schmilblick et pendant ce temps, la dinde rosit patiemment, enroulée dans son collier de marrons. Une coupette (ne dit-on pas une flûte ? – oui ce soir, vous avez décidé de verser dans le raffinement un tantinet pédant) de Champagne à la main, l’atmosphère se détend doucement – certaines personnes qui sont ici revêtent le caractère de l’inconnu – les années sont passées tellement vite et la vie dans la capitale vous a rendu – disons les mots – un peu concon sur les bords.

Tout le monde le sait, avec la famille et les amis, mieux vaut éviter les discussions dirigées sur la politique, la religion et l’argent – on réservera ces vastes notions pour les joutes verbales avec des inconnus dans des bars mal fréquentés – mais en revanche, rien n’empêche de parler de sexe et d’argent – bien que cela ne soit pas de mise un soir de Noël, vous n’avez pas été invité à une partie de poker entre potes de l’armée, alors rangez cela. Ne reste plus que les travaux de réfection de la cheminée de l’oncle Lucien qui attend encore le maçon et les jérémiades de Juliette qui ne s’en sort pas des défauts de conception de sa cuisine aménagée.
Tout ceci est d’une tristesse à mourir. Vous qui depuis votre installation dans les beaux quartiers tentez d’élever les débats auxquels vous participez, vous voilà dans l’embarras.

Ce que je vous propose, ce sont quelques sujets de discussion qui pourront fort bien alimenter vos soirées, tels de succulents rochers en chocolat pendant une soirée chez l’ambassadeur(drice). Sans vouloir flatuler plus haut que mon postérieur, voici des idées – cadeaux – qui feront mouche à tous les coups.

Entre les canapés tartinés de foie gras bien ferme et la bouteille de Sauternes qui descend bien trop vite à votre goût, osez la canaillerie, tentez le Père Noël, ça marche à tous les coups.

Est-ce que le Père Noël ne serait pas finalement qu’une image patriarcale déficitaire ??

Vous avez surpris tout le monde. Marcel et son haleine de chanteur de l’Armée Rouge vous regarde d’un air suspicieux et se demande si vous n’êtes pas devenu gay. Pour le coup, on entend les mâchoires terminer leur travail de mastication et vous attendez que tout le monde ait bien dégluti pour jauger les réactions.

Rien ne vient ? C’est normal car en fait, ils se demandent si vous n’êtes pas saoul, mais vous n’en êtes qu’à deux coupes de Champagne et votre esprit est encore aiguisé. Afin de relancer le débat, vous expliquez tout de même que vous ne connaissez pas de femme dans l’entourage proche du Bonhomme Noël de par l’iconographie classique et que vous vous demandez si finalement il n’aurait pas été victime d’une déchéance de ses droits parentaux. Montrer une telle image à des enfants en plein épanouissement social n’est peut-être pas très habile dans le processus de leur éducation.
Toujours rien ?
N’embrayez surtout pas sur le petit Jésus et la crèche, on vous a déjà prévenu qu’aborder la Religion, même sous cet aspect, était pour le moins risqué. Tante Jacqueline est très soupe-au-lait et menace déjà de quitter la table en sanglotant. Le Père Noël est une réminiscence païenne certes, mais ne lui rappelez-pas ce souvenir douloureux.
Partons sur autre chose. Nous avons fait le tour tout à l’heure des sujets à ne pas aborder. Celui qui ne risque rien, c’est la philosophie. Voici un domaine qui même s’il souffre de querelles d’écoles, risque facilement de recueillir l’unanimité. Choisissez bien votre notion, car dites-vous que le destin de cette soirée faste est entre vos mains. Aborder la métaphysique ou le principe de non-contradiction serait littéralement suicidaire et vous risqueriez d’entendre les douze coups de minuit depuis le trottoir d’en face, sous une pluie battante et glacée.
Prenez plutôt un thème passe-partout… Le désir. Déclamez ainsi ces mots:

Nous ne sommes en quête du plaisir que lorsque nous souffrons de son absence. Or maintenant nous ne sommes plus dans le manque du plaisir.

Dites bien que vous n’en êtes pas l’auteur, mais que c’est Epicure qui a commis cela. Et comme Marcel ne veut pas être en reste – malgré ses remontées gastriques – , si tout se déroule selon vos plans, il déclamera ces mots de Sartre, pour faire bonne mesure:

Le désir est une conduite d’envoûtement. Il s’agit, puisque je ne puis saisir l’Autre que dans sa facticité objective, de faire engluer sa liberté dans cette facticité : il faut faire qu’elle y soit blablabla…

Dans une telle assemblée, il y a toujours quelqu’un pour évoquer, ou invoquer Schopenhauer, qui se trouvera fort aise de tout ce galimatias. Décidément, Marcel n’est plus aussi drôle que dans vos souvenirs d’enfant et il se demande si Sartre, l’auteur de cette assertion, n’était pas le nom de famille de ce type qui était invité l’autre jour dans la méthode Cauet.
Je vous sens désespéré, au comble de la déprime, poussé dans vos derniers retranchements par la mauvaise volonté que votre famille met à apporter un peu de piquant à cette soirée scintillante. Votre coupe de Champagne est vide et vous ne savez plus vers qui vous tourner, vous vous sentez chancelant car vous ne pouvez plus rien faire et votre image de hâbleur vient d’en prendre un sacré coup derrière les oreilles.

Heureusement, Marcel n’a rien perdu de son esprit fêtard et il a pensé – contrairement à vous, piètre noceur – à amener avec lui l’arme fatale en toute circonstance : la bouteille de Champagne explosive qui libère trente kilos de confettis sur plus de 10m² – sur la notice est inscrite la mention “nettoyer la pièce après usage”. Grâce à l’inénarrable ustensile, Marcel surpris en flagrant délit de flagornerie, l’ambiance revient au beau fixe et les visages reprennent leurs couleurs cramoisies et disons-le franchement, vous passez désormais pour celui qui souhaitait de tout coeur plomber la soirée.

Une rumeur gronde au fond de la pièce, Marcel est aussi pâle qu’une paire de fesses, se tient le ventre comme si quelque chose n’allait pas et finit par vomir le foie gras et les huîtres – chacun ira de son hypothèse hasardeuse sur le contenu stomacal – sur le tapis afghan de la cousine éloignée, au mépris de la serviette que lui tendait Jacqueline, qui avait vu le coup venir et espérant opérer une soudaine transmutation du morceau de tissu en sac à vomi. Pendant que se déroule cette scène d’horreur, Rufy, le bichon frisé d’Odette, a entamé la séance d’ouverture des cadeaux sans attendre le coup de feu. Quel cabot ce Rufy…

Sacré Marcel, quel boute-en-train ! Finalement, il aura eu raison de la famille et le rendez-vous pris pour l’année prochaine n’est plus désormais qu’une lointaine chimère, à votre grand soulagement. Votre opus des œuvres complètes de Stevenson dans la poche, vous quittez le somptueux appartement sous la pluie froide en vous disant que rien ne vaut une balade à Paris un soir d’hiver et que les citations c’est bien joli, mais ça ne nourrit pas son homme, ni même les réveillons…

Christmas Tree

Note de bas de page: je n’écrirai certainement rien d’autre avant Noël, ni même avant l’année prochaine, alors pour une fois, faisons simple et concis.
Je vous souhaite à tous un excellent Noël et de joyeuses fêtes de fin d’année.

Terre des lieux

Le prieur

– Toujours pareil. Il ne parlait que damnation, jamais de nous. Vous décoiffez tant soit peu une jeune fille, vous alliez droit comme une flèche en enfer.
Auquel il ne croit pas du tout. Il croit aux “lieux” (Ker en breton). Il connait dans l’île des lieux – bien circonscrits : un roc fendu par la foudre, une souche de cornouiller qu’on a toujours vue là et qui ne veut pas mourir – pleins de force, d’efficace et de bonté. C’est là qu’il faut aller se recueillir, demander, remercier. Ailleurs, à l’église qu’on laisse un peu aux femmes, c’est du temps perdu.

Nicolas Bouvier,
Journal d’Aran et d’autres lieux.*

On sous-estime souvent l’importance des lieux dans les cultures populaires. Qui n’a jamais foulé les terres chargées d’histoires et de légendes ne peut avoir idée de ce qu’ils représentent en terme de charge émotionnelle et religieuse. On se retrouve transporté dans des temps morts, de la veine de ceux dont parle Loti lorsqu’il se perd dans les remparts du monastère Sainte-Catherine, en plein Sinaï.

* Non, désolé, ce livre ne parle pas de poissons.

Moksha, l'ultime récompense

Voici plusieurs semaines que je parcours ce site et ces lignes. Elles s’appellent Yamuna Dasi, Shanti Karuna ou Shaila Wala, elles sont anonymes et hindoues et leur point commun est d’avoir connu les tragédies de la vie, le suicide, le veuvage, la perte d’un enfant ou la misère la plus extrême. Fazal Sheikh, une américaine est partie à la rencontre de ces femmes brisées, de ces femmes voilées souhaitant ne pas montrer leur visage ou au contraire exposant leur figure blessée par la vie et les coups, ou apaisée, et elle en a tiré un livre sombre, rempli d’images fortes et dures, d’ambiances sombres et vaporeuses. Moksha est une oeuvre superbe, imposante et silencieuse.

MokshaMoksha

Sur la page d’accueil, retrouvez les autres livres de Fazal Sheikh.

Ladybug

La coccinelle est parait-il appelée bête à bon Dieu – erk – parce que soi-disant elle porte bonheur. Voilà *. Toutefois, si Dieu est aussi retors que cette coccinelle-ci, ça ne m’étonne pas que le monde tourne aussi mal. Enfin, je dis ça mais je m’en fous.

* J’adore ce genre d’incohérence qui allie croyances populaires, superstitions et religion, m’enfin bon, on n’est plus à une incohérence près, hein ?

Défaut de transmission

Je me pose souvent des questions, je ne sais pas faire grand-chose d’autre. Mes dix doigts sont peu souvent sollicités pour des activités manuelles et je passe une bonne partie de mon temps à réfléchir, c’est un de mes grands défauts. Le problème, quand on réfléchit, c’est qu’on se pose des questions (ce qui est, j’en conviens, une attitude incompatible avec la religion) et les questions amènent des remises en questions, non pas forcément de soi, mais de ce qu’on pense. Et j’ai longtemps cru que la culture, pour ne citer qu’elle, était destinée à satisfaire de vils instincts d’autosatisfaction, mais je me suis trompé, et il n’est pas exclu que par la suite, je revienne encore sur cette opinion.

J’ai passé samedi soir une soirée horrible. En fait, j’étais invité par mon ami Laurent pour son anniversaire, et nous avons passé une soirée fraîche dans son appartement décoré avec simplicité mais avec beaucoup de goût, ce qui, pour un garçon est suffisamment rare pour être remarqué. Nous avons bien mangé, bien bu, etc. et je me suis rendu compte qu’en plus des sujets de discussion traditionnels sur lesquels il ne faut pas deviser entre amis, c’est à dire la religion, la politique et l’amour – hein ? – il fallait également éviter de parler culture. Etrange, me direz-vous, car que reste t-il ? Le travail, ça va cinq minutes, le cul, ça ne se fait pas…

Dizzie

Tout est parti en vrille – à mon sens – lorsque la copine du frère de Laurent a demandé ce qu’était qu’un bobo ? Toutes les définitions y sont passées, du tout au n’importe quoi, et pour une fois, la discussion prenait un tour étrange, car personne n’avait envie de rire, tout le monde semblait étrangement impliqué et trop sérieux à mon goût. Je n’ai pas pu m’empêcher de réagir lorsque j’ai entendu des inepties du genre “ce sont des gens qui ont des idées de gauche et qui…” ou alors “ce sont des gens qui ont de l’argent et qui…“, voire même “ce sont des gens qui sont dans le milieu de la culture et qui…“… Arghhhhh, VOS GUEULES !!! Silence !! Premièrement, on s’en fout des bobos. “Oui mais moi je suis une bobo et j’assume bien…“. OK, super, sujet suivant. Bref, les bobos, c’est pas le sujet. En l’occurrence, c’est que les deux personnes avec qui je tentais d’avoir une discussion sont deux personnes qui se considèrent comme des bobos, même si l’un des deux s’en est vigoureusement défendu – avec force “Ah mais de quoi on parle là, je ne comprends pas…“, et accessoirement, ce sont deux relations de travail* avec qui nous entretenons une relation de haine cordiale basée sur peu de choses (ils détestent mon humour, ou plutôt ils ne rigolent qu’au leur, faible et basé sur la répétition, et je ne fréquente pas les mêmes lieux – ajouté à cela qu’ils ne connaissent strictement rien à ma vie, ni à ce que je fais en dehors du travail et qu’ils me considèrent comme une sorte d’animal sans vie, mais les apparences sont parfois trompeuses et contrairement à eux, je n’expose pas ma vie privée et sexuelle sur la place du marché). Là où je me suis insurgé, c’est lorsqu’il a été question de culture, puisque selon leurs termes, le bobo est dans le milieu de la culture, sous-entendu que la culture c’est un peu comme la merde, il faut avoir les deux pieds dedans pour la sentir. Mais de quoi parlons nous ? Du dernier vernissage d’untel ? De l’exposition Yves Klein ? Du dernier livre de Houellebecq ? Le problème avec les gens qui ont de l’argent et ne se privent pas, c’est qu’ils ont un peu trop tendance à croire qu’il suffit de s’acheter une cafetière Nespresso (What else ?), d’écouter Mylo (qui n’est par ailleurs qu’un tromblon de sous-culture bruyante), de ne pas s’habiller chez Hennes and Mauritz (H&M pour ceux qui n’auraient pas compris), d’habiter dans le XXè ou dans le Marais et de connaître plein de monde dans le monde de la CULTURE (criez pour vous rendre compte de l’effet) ou de manger dans des lieux branchés pour être un bobo, ou quoi que ce soit d’autre…

Bilbliothèque

Je n’ai pas voulu être condescendant, méprisant ou exclusif – je leur laisse ce privilège – mais la culture, c’est un petit peu autre chose que tout ce que je viens d’énumérer, d’une manière non exhaustive et passablement ironique (oui, j’ai réponse à tout), parce que la culture se niche partout et c’est dans sa transmission et dans le partage qu’elle trouve son essence, c’est à dire exactement le contraire que le milieu dans lequel évoluent ces gens. J’ai dit une chose que je pense vraie, à mon corps défendant, j’ai dit que les bobos étaient des opportunistes qui n’évoluaient dans des milieux branchés plus par intérêt que par conviction et opinion, et je le maintiens a fortiori après cette soirée. J’avais envie de leur dire de visiter mon blog, ne serait-ce que pour avoir une autre approche de la culture, moi qui n’en suis qu’un factotum, mais je n’ai pas voulu qu’ils prennent cela pour la prétention.

Sur ces entrefaites, je vais préparer mes lasagnes, parce que la culture c’est aussi comme ça, c’est comme les domestiques, ça passe aussi par la cuisine.

Un 26 mars

Rien de tel qu’un lundi matin pour se replonger dans un quotidien absurde, dans lequel on retrouve tout ce qu’on déteste de pathétique dans les gens qu’on croise. Et que je suis pressé, et que je t’emmerde parce que je dois me dépêcher d’aller au boulot alors tant pis si je t’écrase sur le passage clouté, et que je papote à l’entrée de l’école avec mes copines de bac à sable. Eh ho !! On a changé d’heure ce week-end, il serait peut-être temps de passer à l’heure des étoiles !! Plutôt que d’avancer toutes les horloges d’une heure, j’ai juste avancé l’heure de l’alarme de mon réveil…
Mais ça continue de papoter, et puis j’entends parler de baptême, ah ben moi c’était la semaine dernière, il était drôle le curé, il faisait des blagues et des imitations !!! Et puis comme y’avait plein de gens de couleur dans l’église, il a parlé de toutes les religions. Désolé les filles, mais je vous laisse, il faut que j’aille lire les Mesnevi «. Allez ! Shalom !!! Décidément, on n’appartient pas au même monde, je vous laisse entre vous.
Moi je continue de faire briller les étoiles qui sont dans mes yeux… Dehors ça sent l’herbe coupée des premières tontes dans l’air frais d’un matin sans concession.

Les Etoiles

L'art est mort (ou comment on a tué l'esthétique)

J’ai cessé d’avoir contact avec certaines choses, par dépit ou par ras-le-bol. En ce qui concerne la philosophie, j’ai cessé d’entrer en contact avec elle à partir du moment où, comme le préconisait Deleuze, “il faut savoir sortir de la philosophie par la philosophie”. Je me suis attelé à comprendre certaines choses et puis lorsque je me suis rendu compte que j’arrivais aux limites des possibilités de ma connaissance, j’ai tout arrêté, raison pour laquelle je n’ai pas présenté ma maîtrise. J’avais presque terminé mon travail sur la métaphore, j’avais cerné certaines choses concernant Artaud, Lewis Carroll, Theodor Edward Lawrence et puis je me suis rendu compte que la philosophie ne servait pas à se regarder le nombril et à se masturber l’esprit en essayant de décortiquer les concepts sans cesse et de manière itérative.

Musée d'Art Moderne

C’est dans cette démarche que je me suis intéressé à l’art. L’exposition “le mouvement en images” au Centre Pompidou m’a donné à avoir de très bonnes œuvres majeures de l’art contemporain mais aussi certainement ce qui se fait de pire.

Que ce soit au travers d’expériences cinétiques, de happenings délirants ou de l’art conceptuel, il me semble que l’art contemporain, contrairement à l’art moderne, a manqué une marche dans le train logique de l’histoire. Avec Hegel, nous avons découvert la fin de l’histoire, avec Kant, la mort de la philosophie (“Kant a envoyé à Dieu ses gardes ontologiques pour le tuer”), avec Nietzsche, la fin de la religion. Alors quoi ? Que nous reste-t-il ? On pourrait dire qu’il nous reste l’Art. Je crois que c’est Camus qui disait que “si le monde était simple, on n’aurait pas besoin d’art”, ce qui signifie bien la vocation pédagogique et révélatrice de l’art. On dit souvent qu’il est l’expression humaine de la nature, qu’il donne à voir ce que la perception ne permet pas de voir de prime abord, dans un mouvement de dé-voilement heideggerien (ἀλήθεια), dans laquelle la vérité se voile lorsqu’on l’approche de trop près.

Musée d'Art Moderne

Aussi, dans cette démarche, on comprend d’emblée presque toute l’histoire de l’art. Des primitifs flamands à l’impressionnisme en passant par la Renaissance, le classique, le baroque et Titien, on voit se dessiner un mouvement au travers de l’art religieux. L’art qui montre, l’art qui apprend, la peinture et la sculpture qui dévoilent les textes religieux ou qui embrigadent. L’art a toujours eu deux niveaux de compréhension ; un niveau immanent et un niveau transcendant. L’immanent est de l’ordre de l’esthétique (αἰσθητικός, la sensation), c’est qui provoque le sentiment de répulsion ou d’excitation. Le transcendant, c’est tout ce qui dans l’art fait partie de l’intellect, la réflexion qu’inspire une œuvre d’art.

Nous y sommes, c’est là que le bât blesse. L’art contemporain ne provoque plus la sensation, il laisse froid et ne permet pas d’être lu sans mode d’emploi. C’est là que tout part en sucette. A quoi sert l’art s’il devient tout à coup réservé à une élite qui pour le coup est obligée de se droguer pour comprendre ce qu’on lui montre. Lorsqu’on arrive au début du vingtième siècle, avec Brancusi, Francis Bacon, Miró, Jackson Pollock, Pierre Soulages, et bien d’autres, on arrive encore à comprendre parce qu’il y a un sens pictural, un sens de l’œuvre, une sémantique élaborée qui fait encore sens, mais lorsqu’on arrive à l’art conceptuel, la monstruosité des happenings de ces gens qui exposent de la merde en boîte de conserve ou qui s’exposent nus en criant des jurons à l’envi, il n’y a plus rien à comprendre, c’est du vent, c’est n’importe quoi. On en a fini avec l’art. Ces gens ont tué l’art, ils n’apportent rien et tuent toute démarche esthétique.

Musée d'Art Moderne

Plus grave encore, ce qui a été perdu dans l’art, c’est le niveau social. Là où l’art avait cette vocation de décorer les églises, lorsque les peintures de Veronese ornaient les Scuole de Venise pour apprendre aux jeunes peintres, où l’on magnifiait la grandeur politique et religieuse, il n’y a aujourd’hui plus rien. Lorsque je vois ce peintre belge qui barbouille ses toiles de ses propres excréments, je ne vois pas ce qu’il y a de social là-dedans. C’est en partie pour cela que je ne m’intéresse plus à l’art contemporain, principalement parce qu’il n’y a rien dedans. Ce n’est pas bien difficile de se défaire du vide. Et si l’on réfléchit bien, les seuls artistes contemporains qui gardent encore cet aspect social des choses, ce sont les architectes. Eux seuls ont encore à l’esprit des préoccupations sociales, leur vision des choses va au-delà de la simple beauté des choses puisqu’ils réfléchissent avec la notion d’espace, d’occupation, de territorialité, c’est là les seules préoccupations qui doivent encore conduire l’art. D’ailleurs, ce sont là des notions philosophiques, que l’on ne trouve presque plus dans la peinture.