Des ailes

Eric m’a surpris ce matin. Il m’a demandé si j’allais bien, parce que j’avais l’air un peu déprimé. Déprimé ? Moi ? Bon Dieu non, je ne me suis jamais senti aussi bien ! Ce n’est pas parce que je parle beaucoup et que j’endosse mes habits de samouraï que je suis déprimé, bien au contraire. Si je suis si volubile et bavard, aussi cynique et sans états d’âme, c’est parce que j’écris beaucoup, et quand j’écris beaucoup, j’ai les yeux qui brillent de la couleur de l’acier trempé, et quand j’écris beaucoup, ça signifie que je suis heureux, et si je suis heureux, c’est parce qu’il y a des étoiles dans mes yeux.
Etre cynique est une arme qui permet de ne s’identifier à rien et d’éviter de se complaire dans le quotidien sans fin. Le cynisme (du grec kuon, kunos, du latin canis, le chien) se porte haut, la poitrine gonflée et le regard hautain, et comme tout bon chien qui se respecte, je sais planter mes crocs juste assez profondément pour faire saigner, mais je relâche aussitôt…

Et puis d’abord, je ne suis jamais déprimé. Je porte sur ma peau la cuirasse des guerriers du petit matin…

Un 25 mars

C’était aujourd’hui l’anniversaire de mon grand-père qui, comme tous les ans, a un an de moins que ma grand-mère pendant quinze jours. Encore un bon anniversaire, mon Pep’s.
Un week-end passé sur les genoux, enfin presque, à cause de ce genou que je ne sens plus depuis vendredi matin. Le gauche. Quelque chose d’assez étonnant. Et puis vendredi soir, je me suis retrouvé avec la cage thoracique complètement bloquée, comme enserrée dans un corset, resté sur la moquette de la chambre incapable de respirer normalement pendant deux bonnes minutes. Et encore ce genou que je ne sens plus. Evidemment, je n’ai pu m’empêcher de faire le rapprochement avec le cours de Rogozinski sur la folie du corps. Je me suis souvenu d'Oliver Sacks et de son livre l’homme qui prenait sa femme pour un chapeau dans lequel il fait le point sur ce sixième sens à peine reconnu par la médecine, la proprioception. Ce qui est le plus étrange avec ce genou, c’est que lorsque je le touche, mes doigts ne touchent pas mon corps, j’ai l’impression d’une chair morte ne m’appartenant pas et mon genou lui, n’a pas de sensation lorsque mes doigts appuient dessus. Les nerfs. Tout ceci se passe au niveau des nerfs. Et je ne sais pas quoi faire. Alors je ne fais rien.

Bar à quenelles

Samedi, je me suis senti con. C’était carnaval. Mon fils et ses camarades ont brulé le bonhomme carnaval pour dire au-revoir à l’hiver, mais ça n’a rien changé, il faisait un froid de canard, le vent m’a déchiré les oreilles et m’a filé mal crâne. Tout partout alentour, c’était plein de parents d’élèves qui avaient tous l’air plus con les uns que les autres, des parents d’élèves endimanchés un samedi matin, les mêmes que je vois toute la semaine à l’école mais en bande désorganisée. Là, ils étaient trop nombreux. C’était trop pour moi. Et puis je me suis rendu compte que j’en étais un aussi. Ça m’a fait mal d’être mêlé à ça. Une image que je n’aime pas qu’on me renvoie, surtout quand je ne demande rien à personne.

The Museum of Lost Interactions (MoLI)

Le musée des interactions perdues est un site étrange. Il présente une série de documentaires relatifs à un ensemble d’expositions sur le design interactif préfigurant la technologie numérique. On y découvre notamment des choses étonnantes comme le Pester datant de 1970.
Pour chaque outil, un film. Une réflexion déroutante sur l’évolution sociale des moyens de communication et au bout du compte, l’impression de trouver des similitudes entre les objets du passé et ceux d’aujourd’hui. Passionnant et instructif.

Richophone

Un 24 mars

En remontant le boulevard Saint-Germain dans l’air froid et le chaos bruyant des voitures et des passants, il m’est apparu comme surgi de nulle part du haut de son mètre quatre-vingt dix. Un colosse tout habillé de blanc avec une peau très mate, de très beaux cheveux blancs impeccables qui flottaient à chacun de ses pas et une barbe courte toute aussi blanche. Il se dégageait de lui une impression de calme marmoréen, de sérénité dérangeante et son regard d’Indien me transperça comme un javelot ; je suis resté là à l’admirer tandis qu’il passait à côté de moi. Ses pas amples martelaient le bitume et c’est comme s’il déplaçait dans sa démarche des pans entiers du paysage. Un homme magnifique comme un coup de vent. J’ai été secoué. Et puis en marchant, un peu plus loin, je me suis arrêté un instant pour regarder des dessins accrochés là, sur les grilles de l’église Saint-Germain, sans personne pour les surveiller et tandis que je les regardais distraitement, je me suis aperçu que l’un d’entre eux représentait ce fantôme qui avait déjà disparu dans la foule. Un jour, vous aussi, vous le verrez.

Un 23 mars

Pourquoi faut-il toujours qu’il y ait un trouble-fête dans le même wagon que moi ? Je ne comprends pas, je dois les attirer. Celui-ci était imposant, le genre de type qui prend de l’espace par sa simple présence, et puis, il lisait le Figaro. Bon. Il a le droit. Et au bout de quelques minutes, j’ai trouvé qu’il y avait une odeur bizarre. J’ai un très mauvais odorat; parfois je détecte des odeurs très subtiles mais en général, je suis un peu handicapé de l’odorat, surtout le matin, je ne sens rien pendant une bonne heure après m’être levé. Mais là, ça sentait vraiment bizarre. Un type appuyé sur la vitre d’en face se bouchait carrément le nez. Finalement, j’en ai conclu que ça sentait la merde. Ouais, la merde. Alors j’ai essayé de trouver l’origine de l’odeur et je me suis dit que ça devait être les pages du journal. Après tout, les pages roses du Figaro sont parfaites au cas où l’on manque de papier toilettes, alors je ne me suis pas étonné plus que ça, mais le doute persistait et je me suis demandé si ce n’était pas le type qui puait comme ça. Il avait l’air d’un comptable (et je ne dis pas ça parce que mon père est comptable et que je sais à quoi ressemble un comptable) ou d’un huissier, enfin quelque chose de pas sympa, mais il ne faisait pas du tout propre sur lui, et puis il s’est mis à tousser avec un volume sonore qui m’a soutiré un regard abasourdi. Je n’en revenais pas, on se serait crü à l’opéra… Il m’a détruit les deux tympans… Du sang coulait de mes oreilles… Et puis ça sentait la merde encore plus fort, une infection. J’ai fini par changer de wagon…

J’ai fini ma journée en lisant Ulysse coincé dans mes oreillers et je me suis dit qu’il fallait que j’arrête ça. Joyce me fait l’effet d’un café trop fort. Lui et sa mer d’Irlande, son flot de paroles et ses mots valises m’entortillent les neurones.

Et puis il y avait une voix qui me parlait, sur les lignes, je n’arrivais pas à suivre. J’entendais des mots prononcés pour moi… Je ne voulais pas m’endormir et continuer à les écouter.

A l'écoute du monde

J’aime cette photo. Elle me parle, elle me fait comprendre certaines choses à propos de son écriture. Notamment dans les tous premiers mots de Good blonde and others, tandis qu’il énonce les principes de sa prose… Kerouac est le seul auteur qui me parle. Je veux dire réellement. Lorsque je le lis, je peux entendre sa voix, me parler en français avec son accent américain mâtiné de québécois. A chaque fois, c’est lui qui me lit son oeuvre.

Jack Kerouac

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/TELEPHONE%20CALL%20FROM%20ISTANBUL.mp3]

A l'écoute du monde

J’aime cette photo. Elle me parle, elle me fait comprendre certaines choses à propos de son écriture. Notamment dans les tous premiers mots de Good blonde and others, tandis qu’il énonce les principes de sa prose… Kerouac est le seul auteur qui me parle. Je veux dire réellement. Lorsque je le lis, je peux entendre sa voix, me parler en français avec son accent américain mâtiné de québécois. A chaque fois, c’est lui qui me lit son oeuvre.

Jack Kerouac

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/TELEPHONE%20CALL%20FROM%20ISTANBUL.mp3]

Le vent et le sable

Je n’ai jamais eu l’occasion de voir ce genre de phénomène mais très sincèrement, ça ne donne pas envie de rester dans les parages (à moins d’avoir commandé un gommage intégral).

Tempête de sable à Al Asad, Irak. Via Pruned.

Un 22 mars

Encore failli me battre ce matin à la gare. Cet idiot a couru vers moi avec son papier sur lequel j’ai tout de suite reconnu la tête de Sarkozy. Je lui ai fait un sourire forcé pour lui signifier que je n’en voulais pas, que j’avais la collection complète, de Besancenot à Le Pen en passant par Bayrou, mais ce foutu imbécile a insisté en me plaquant son torchon sur la poitrine. J’ai regardé son doigt qui me vrillait le plexus et j’ai senti que la moutarde me montait au nez. Je ne suis pas d’une nature nerveuse mais ce genre de trou du cul a tendance à vite me faire basculer. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui dire qu’il fallait qu’il se calme sans quoi il allait moucher rouge. Il s’est écarté comme s’il venait de s’apercevoir que j’avais une lèpre purulente et je me suis tiré en le remerciant de montrer le vrai visage d’une campagne sournoise. Il a réussi à me faire trembler de rage pendant quelques instants et j’ai serré les mâchoires fort au point de me faire mal… Un peu plus loin, j’ai poussé deux connes qui ne voulaient pas se pousser de devant les tourniquets. Ouais, j’en voulais à tout le monde.

Et puis je me suis calmé en regardant cette fille dans le train, en me disant que définitivement, certaines femmes ne devraient pas se maquiller, parce que ça ne fait qu’empirer les choses.

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Monster%20Men.mp3]

Clin d’oeil…