Kan an Dour

Etrange titre pour ce billet qui sera le dernier de la journée, de la semaine et du mois aussi – un coup de Google et vous serez fixé sur sa signification. Plusieurs choses, en condensé et sous une forme que certains connaissent déjà puisque par tradition, je m’expose toujours un peu à la veille d’une pause sur mon blog, ce qui n’était pas arrivé depuis le mois de juillet 2006. En effet, je prends des vacances, histoire d’écluser mon solde de congés toujours repoussés à cause d’une charge de travail intense, d’objectifs cruciaux et de délais raccourcis. Pendant toute une semaine, je vous libère de ma présence, je vous laisse respirer et par la même occasion, je pars dans ma retraite le coeur léger, je me dirige toujours à pas de velours vers cet océan qui est le mien, dont j’ai acquis depuis bien longtemps les titres de propriété imaginaires, la saveur et l’odeur, je me suis tout approprié.

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J’emmène avec moi mes carnets, ma colle et mon cutter, mes petits bouts de papier à coller, les livres que j’ai du mal à terminer et d’autres que je n’ai pas encore lu, j’emmène avec moi aussi de quoi écrire, mon cahier de brouillons, mes stylos Pilot V7 et V10, un petit univers en forme de carton cubique, mon appareil photo et quelques fioles pour ramener avec moi du sable, de l’eau de mer, des cailloux, de la terre…

Je pars, je vais me reposer, en pensant à l’intensité de tout ce qui s’est passé ces derniers temps, en me permettant d’y penser très fort, et je serai ici principalement et là aussi pour rêver. Oui, je sais, c’est idyllique…

Je serai de retour dans une France qui aura un nouveau (pas une nouvelle) Président de la République.

Sur ce, je vous tire ma révérence…

Soheil Azzam

Peter Gabor rend un hommage touchant au graphiste suisse Soheil Azzam, multi-instrumentiste de l’image et de la lettre, de la calligraphie et du logo. Un univers riche et serein, emprunt d’une poésie rare, dont on peut apercevoir quelques bribes sur son site, Tchenwang ainsi que sur la galerie créée par Gabor.

Soheil Azzam

Le chant du marin

Les chansons qui parlent de départ, de ports sombres et de pays lointains me rendent nostalgiques et me disent parfois que je ne suis qu’un marin qui aurait manqué le départ, resté à terre à écumer les bars d’un Hambourg crasseux ou d’un Valparai­so moite et puant le pétrole et le poisson mort… L’odeur des ports est sensuelle, elle raconte une histoire, des histoires de gens qui s’en vont et ne reviennent jamais, des histoires de marin perdus qui se battent pour une bouteille de rhum…

Red the port light
Starboard the green
How will she know of the devils I’ve seen
Cross in the sky, star of the sea
Under the moonlight, there she can safely go
Round the Cape Horn to Valparaiso
Valparaiso

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Sting%20-%20Valparaiso.mp3]

Photo © Gonzalo P.

Un "blog hacking" à la sauce Dion

J’en profite que le maître des lieux se dore au soleil cet aprèm pour investir son blog et vous montrer une vidéo surréaliste. Vous vous souvenez de l’ouragan Katrina et de ses effets dévastateurs sur La Nouvelle-Orléans ? La tragédie – humaine – a fait réagir de nombreuses personnalités, notamment à cause de l’incapacité des autorités américaines à réagir correctement et à intervenir au plus vite pour secourir certains habitants (dans les quartiers les plus démunis de la ville, surtout). Cette vidéo, pêchée sur YouTube.com, montre une Céline Dion “surprenante”, interviewée par Larry King (un présentateur de CNN). La pauv’ Céline est en direct depuis Las Vegas et euh… comment dire… elle est très émue (je sais pas à quoi elle carbure, mais c’est fort, son truc).

Vous aurez noté 1. le mouvement gracieux de Céline pour essuyer ses larmes sans faire baver son rimmel et 2. le mouvement moins gracieux pour imiter le kayak…

Le fil de l'horizon, Antonio Tabucchi

Antonio Tabucchi, c’est un peu l’auteur providentiel qu’il faut lire pour voyager et rêver, c’est un auteur splendide et sensuel, malgré l’image froide qu’il donne au premier abord. Lire un livre de Tabucchi est un moment précieux, c’est pour cela que j’ai mis du temps à me décider pour écrire ce billet. Le fil de l’horizon est un petit livre d’une centaine de pages et si le rythme des premières lignes peut laisser un peu sceptique, le peu d’entraînement donner envie de laisser tomber, on se laisse bercer par son écriture poétique et douce, savante et organique. A la lecture de la note s’inscrivant comme une postface[1], on comprend un peu mieux l’ambiance puisque l’auteur avoue lui-même n’avoir pas pris beaucoup de plaisir à écrire ce livre.

GenovaPhoto © Marco Vissani

Nous sommes dans un port, ce n’est pas par hasard. Spino est employé dans une morgue et la présence d’un cadavre anonyme dans ses murs l’intrigue. Comme pour tromper l’ennui, il va décider de découvrir qui est cet homme dont l’identité semble échapper dès qu’on s’en approche. Le fil de l’horizon ce sont ces détails insignifiants auxquels il s’attache pour résoudre cette énigme obsédante.

Il les a regardé dans les yeux avec insistance, comme le font parfois les prêtres. “Pourquoi vous intéressez-vous à lui ?, ” a-t-il demandé.
“Parce qu’il est mort et que je suis vivant”, a répondu Spino.
Il ne sait pas très bien pourquoi il a dit cela, il lui a semblé que c’était la seule réponse plausible, parce qu’en réalité il n’avait aucune réponse.

L’enquête progresse tout doucement, les scènes se succèdent à un rythme auquel Tabucchi m’a habitué, Spino se rapproche certainement de la réalité, mais au bout du compte, tout lui échappe, plus rien n’a de sens, l’enquête policière patine et se transforme en poème. Le fil de l’horizon, ce sont toutes ces vérités futiles ou subtiles que l’on s’évertue à approfondir, mais qui finalement s’envolent dès qu’on les touche du doigt.

Et le voilà qui erre de nouveau à la recherche de rien, les murs de ces ruelles semblent lui promettre une récompense qu’il ne parvient pas à obtenir, comme si elles dessinaient un parcours de jeu de l’oie fait de cases vides et de pièges dans lequel il déambule en espérant que le dé s’arrête bientôt sur un numéro qui résoudra son énigme. Et pendant ce temps, là-bas, il y a la mer qu’il contemple, les bateaux, les mouettes, les nuages.

Un texte magnifique, indispensable, une rêverie sensuelle à la mode italienne.

Notes:

[1] Je me risque à la reproduire ici, mais ce document est un réel plaisir que je souhaite partager.

Le fil de l'¢horizon, Antonio Tabucchi

Trop peu

Il paraitrait que je ne blogue pas assez en ce moment, même si en fait je blogue à mon rhytme. On me l’a dit deux fois aujourd’hui.
En conséquence de quoi je n’ai pas beaucoup de commentaires, c’est flagrant et arithmétique. Je ne peux pas forcer les gens à laisser des commentaires, ça non, je ne peux pas.
Par contre, je me dis que si vous faîtes la grève des commentaires, je peux très bien faire la grève des billets. Et si…

Pendant ce temps là, à la télévision passe Sur la route de Madison, et je vais encore chialer comme une madeleine…

Shin'yuu

親友

Il était assis l’autre bout de la rame de métro, ce midi tandis que je me rendais au travail, les jambes écartées et les mains tellement serrées l’une contre l’autre que les jointures de ses doigts blanchissaient. Une ombre du passé, un souvenir soudain qui remonte à la surface, un visage familier – je pense que j’ai penché légèrement la tête et froncé les sourcils pour fixer son visage et tenter de mettre un nom sur ces traits rudes, ce nez profilé comme un couteau, ces lèvres fines, de tout petits yeux sombres (verts en fait) profondément enfoncés dans leurs orbites – son crâne rasé – son crâne rasé ? Oui. Rasé. L’air était étouffant. Je suis certain que c’était lui. Christophe.

Lorsque j’étais à la fac, je me suis assis à côté de ce grand type aux cheveux frisés, à la peau luisante lorsque je regardais son profil à la lumière, il transpirait – il faisait chaud dans cette petite salle où nous étions entassés pour écouter les cours passionnants de Jacob Rogozinski – Heidegger, les idiotismes, l’ἀ–λήθεια et les Holzwege. Je me souviendrai toujours de cette tenue qu’il portait ce jour-là – une classe incroyable – de belles chaussures bien cirées, un pantalon cigarette à fines rayures repassé, avec un pli, une chemise blanche impeccable et une veste imperméable à col droit anthracite – autant dire qu’il détonnait un peu dans les couloirs de Saint-Denis – même moi, j’avais l’air d’un paysan à ses côtés.

Nous nous sommes tout de suite plus et le cours à peine terminé, nous sommes allés boire un verre dans un bar du centre. Il ne buvait pas car il avait des problèmes avec l’alcool, il devenait très vite agressif. Nous avons beaucoup parlé – il agitait ses grandes mains en parlant et son visage prenait des expressions démesurées – il me parlait de Jacques Poulain, de Boris Pasternak, mais il avait du mal à saisir les cours d’Alain Badiou. Christophe, l’étudiant sans bac qui avait accédé à la fac avec son expérience professionnelle. Souvent le soir après les cours, nous prenions un verre ensemble et nous parlions toujours énormément, je prenais des notes pour ne pas oublier le flot de nos paroles, je notais tout ça sur mon cahier de cours comme si ce n’était que la continuité des études. Christophe, un garçon fascinant, d’une intelligence rare et fine, somptueuse, il était beau et drôle, nous passions notre temps à faire des joutes verbales et à rire de nos jeux de mots idiots et quatrième degré, à regarder en silence les filles passer et je le voyais gratter son menton toujours mal rasé qui produisait ce bruit caractéristique de poils de barbe – nous étions bien tous les deux – on faisait très intellectuels décadents et nonchalants.

Oui il était beau et doux, Christophe – et puis un jour, je ne l’ai plus revu – il avait disparu – à moins que ce ne fût moi – nous nous sommes perdus de vus – plus rien – du jour au lendemain. Et puis il se trouvait là, devant moi mais un je ne sais quoi de dérangeant. Il avait le crâne rasé, sa peau avait une couleur mate mais il semblait incroyablement nerveux, toujours très bien habillé, mais foncièrement nerveux, agité de soubresauts malsains. Je pense qu’il ma vu et qu’il m’a reconnu. Nous avons plongé notre regard dans celui de l’autre, mais j’ai fini par baisser les yeux, comme accablé par toutes ces années d’absence, loin l’un de l’autre, où nous avons manqué tant de choses ensemble et que nous ne pourrons plus rattraper. J’ai réprimé un sanglot et mes yeux se sont recouverts d’un voile humide.

Je ne l’ai plus regardé. Un dernier regard, juste ce dernier regard lorsque je suis descendu du métro – lui continuait son chemin – nous nous sommes quittés comme ça sans rien – c’était peut-être mieux comme ça – je ne sais pas – il me manque – j’aurais aimé vivre encore tellement de choses avec lui.