Photo © C.P. Storm
Fermeture définitive prévue pour mi-juin.
Prenez ce que vous voulez et sauvez-vous en courant (c’est pas le titre d’une chanson ça ?).
Sayonara.
Coquille vide faite de souvenirs
Photo © C.P. Storm
Fermeture définitive prévue pour mi-juin.
Prenez ce que vous voulez et sauvez-vous en courant (c’est pas le titre d’une chanson ça ?).
Sayonara.
Suite et fin soupçonneuse des Notes triviales prises au fur et à mesure des jours pour tromper l’ennui et faire un peu semblant.
Il n’y a rien, sinon lui-même, qui puisse empêcher un être vivant de noircir du papier. Si vous en avez réellement le désir, vous irez jusqu’au bout. Refus et sarcasmes vous fortifieront. Plus on vous mettra de bâtons dans les roues, plus votre volonté s’endurcira, à l’image de l’eau bouillonnante qui emporte les digues. Quant aux échecs, ne vous en souciez pas ; ils égayeront vos doigts de pieds pendant que vous dormirez ; ils injecteront votre regard et vous permettront de tutoyer la Mort. Vous mourrez en hérétique, et l’on célèbrera votre gloire en enfer. Les mots portent chance. Fréquentez-les, crachez-les. Soyez le bouffon du royaume des Ténèbres. C’est crevant. Vraiment crevant. Et hop, on attaque un autre paragraphe…
Charles Bukowski, Le capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du navire
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C’est sur ces mots qu’à son tour, il a voulu quitter le navire. Sauter par-dessus bord, en se posant la question de savoir ce qu’il allait faire par la suite. Bien. Ça c’est une chose.
Un matin de grève improvisée – le temps froid et venteux d’un hiver qui ne se décide pas à s’installer, ou à repartir, la pluie tombant par rafales comme de minuscules aiguillons sur le quai goudronné – il pouvait y voir le reflet de l’immeuble en construction, derrière l’ancien passage à niveau et les zébrures de lumière dans le petit matin décroissant, la danse des feux des voitures amassées les unes derrières les autres déposant tous les cinq mètres une femme pomponnée et toute fraîche du matin.
Le moniteur qui affiche ordinairement les horaires des trains et les gares desservies est éteint, ou en panne, ça arrive souvent, et il n’y avait personne derrière le guichet – le guichet automatique n’acceptait pas les pièces alors il s’est envolé par dessus les barrières et s’est retrouvé là à attendre avec une foule anormale un train qui ne semblait pas vouloir respecter son horaire.
Lorsqu’enfin celui-ci est arrivé, il était plus court que d’habitude et déjà plein. Tous les sièges étaient occupés, alors il a attendu que tout le monde s’engouffre à l’intérieur et s’est placé dans le petit recoin qui ne laisse la place que pour les pieds, entre la porte et la première marche de l’escalier qui va vers l’étage supérieur – certain dans ce sens de ne pouvoir être acculé dans des endroits farfelus lorsque la foule allait commencer à affluer lors des arrêts aux gares d’après.
Photo © Stuck in Customs
Ah oui ! Et puis il y avait la mer, son irrépressible besoin de mer, de la voir et de la sentir, de la sentir couler entre ses doigts de pieds avec le soleil en face qui se couche sur une petite plage normande. Pas grand chose en somme. Moi je le connais bien et je sais qu’il avait envie que ce soit clair dans son esprit et que s’éloigner un peu de la ville pouvait l’aider à poursuivre, calmement et loin du vacarme de sa vie.
Pas grand-chose hein, pas de quoi s’inquiéter.
Il lisait un livre de Tibor Fischer, un livre froid et cynique, et il n’a pas pu empêcher d’éclater de rire lorsqu’il tomba sur cette phrase :
La mort ne devrait pas être arrogante. Pas élégante. Pas sexy. Pas impressionnante du tout. La mort ne devrait ressembler à ce vétérinaire. À un mec ennuyeux. Ennuyé. Lassé des rôles que jouent les gens, lassés des gens eux-mêmes. Chauve. Gros. Mal habillé. Sans rien à dire. Aucune manière de chevet. Pas de projets d’avenir. Pas d’argent. Aucun caractère. Jamais on ne l’inviterait pour un match de foot. Une bite de la taille d’une cacahuète. La gueule du mec qui tient le guichet de l’ANPE. Du petit éboueur qui ne parle pas. La mort devrait circuler en bus et n’avoir jamais rien à dire d’amusant quand elle faisait le queue.
Tibor Fischer, Ne lisez pas ce livre si vous êtes stupide
Heureusement, il conservait un peu sur lui, pour toutes les circonstances, une vision heureuse des choses. Une sorte d’arme secrète contre les saletés de la vie, un couteau suisse rempli de blagues autre gaudrioles en tout genre.
Ils reprirent le chemin de la boîte de nuit tandis que Ralph continuait à se plaindre. Il était passé au commissariat et avait demandé s’il y avait à Nice des zones dangereuses qu’un touriste ferait mieux d’éviter. « “Non, monsieur” ; soi-disant, il n’y a aucun problème de drogue dans la région. J’ai bien failli leur dire que moi, j’en avais un de taille ; je n’en trouvais nulle part. J’ai même tenté le vieux truc de m’adresser au premier Noir qui passe, mais il a essayé de me vendre des sculpture africaines. »
Tibor Fischer, Ne lisez pas ce livre si vous êtes stupide
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Alors voilà, c’était une autre ère pour lui. Même s’il passait des putain des journées et des putain de nuits, il avait la chance de pouvoir encore sourire, et tendrement même.
Un matin, il se promenait à Paris, enfin non, il ne se promenait pas vraiment, il était en fait arrivé en avance à son rendez-vous du côté de Barbès, alors il flânait dans le froid vers la rue du Faubourg Poissonnière. Au 90 de la rue Rochechouart il découvrit avec plaisir un cour intérieure pavée bordée de pots larges contenant de petits arbustes aux feuilles vert-tendre, des lauriers-roses et des troènes, quelques clématites aussi, et des lampadaires vissés aux murs, en applique, devaient, le soir tombé, rendre à ce quartier son âme de vieux Paris. Un peu plus bas, il vit passer un troupeau de petites anglaises, qui à neuf heures du matin et dans la froidure d’une matinée d’avril, ne trouvaient rien de mieux à faire que déambuler en shorts, en jupes courtes et jambes nues ou robes d’été, toutes autant qu’elles étaient, avec un bon goût vestimentaire que l’on connait aux Grands-Bretons. Cette vague sensualité débordante, de seins rondelets débordants de leur gangue de tissus peu épais, de lunettes de soleil mangeant les joues, de cuisses tendres au duvet blanc que le soleil rendait argenté, le ramena quelques instant en arrière – parce qu’il avait cette fâcheuse tendance à passer du vulgaire au raffinement -, alors qu’il avait échangé furtivement un sourire avec une femme plus âgée que lui, certainement mariée, vivant dans une belle maison en pierre de meulière. Elle avait un beau visage clair aux yeux noisette lumineux, une bouche aux lèvres fines légèrement maquillées d’un trait de rose parme qu’elle se mordait un peu nerveusement comme le font les enfants lorsqu’ils ne savent pas quoi faire. Il souriait bêtement en repensant à elle et descendit la rue du Delta avec une sérénité affichée sur le visage.
Le lendemain matin, il était pressé, mais malade. Rien à voir, mais il était passablement énervé, fatigué, rompu, mais déterminé à se rendre au travail. Alors il marchait vite. Trop vite.
Pourtant, c’est sur le trottoir d’en face qu’il vit une fille d’à peine seize ans montée sur des talons hauts, trop hauts pour elle comme pour n’importe qui, se tordre la cheville et s’étaler de tout son long en se repliant comme une girafe à qui on aurait brisé les genoux, mais il ne fit rien, détourna le regard et entendit derrière lui une voix de femme s’adresser à l’insecte qui se débattait sur le sol : “Bah alors !”, non pas sur le ton de l’inquiétude, mais quasiment du reproche. Alors il sourit. Par pûre moquerie. Par pûre méchanceté parce qu’il n’avait pas envie de se prendre de pitié pour quelqu’un qui se rend aussi ridicule. La joie lui fit revenir le sang au visage et il y repensa le soir-même sur le chemin du retour, dans le couloir du métro tandis qu’il marchait derrière une fille à l’accoutrement strict, collants et jupe gris sous laquelle dansait une paire de fesses ample et chantante dessinées par les marques d’une culotte qui était peut-être grise aussi ; elle avait dans la main une revue de sudoku et il se demanda si une fille qui faisait des sudoku dans le train était réellement si intéressante que ça, même si ses fesses étaient avenantes et continuait de lui faire envie avec son mouvement de balancier ininterrompu. C’est alors qu’il entendit quelqu’un derrière lui se vautrer comme un vieux sac lourd sur le béton peint. Deux fois ce jour là il était tellement fatigué qu’il a indiqué le mauvais chemin à des passants.
L’enfer ce ne sont pas les autres, mais lui.
Encore une fois, il a pris le train mais du côté du Champ de Mars, station qu’il ne connaissait pas et il se demanda s’il était sur le bon quai, alors il a couru pour rejoindre le haut de la station mais il s’est arrêté brusquement pour demander à une jolie fille qui attendait là s’il était sur le bon quai. Il s’attendait à ce qu’elle l’accueille avec un peu d’hostilité, mais elle avait plutôt l’air d’être contente qu’on lui adresse la parole. Ils se sont souri.
Photo © Confused vision
Continue reading “et tout à coup il se retourna et se demanda si toute cette histoire n'était pas… non, rien, en fait c'était tout à fait autre chose”
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Il s’est trouvé que ça c’est trouvé comme ça, c’était pas plus compliqué que ça, juste l’envie de ne pas parler parce que les mots sont chargés d’une sorte de puissance lorsqu’ils sont proférés à la volée dans l’air comme ça quand tu chantes ou que tu parles parfois même un peu trop fort, un peu au-dessus du lot un peu au-dessus de tout. Je me suis tellement perdu dans les mots, dans les histoires du passé dans les méandres du temps, un temps que je ne maîtrisais pas, des circonvolutions spécieuses et sans arrêt en décalage que j’ai fini par tout laisser tomber. Tu sais.
Quand je regarde derrière moi et que je vois la place vacante laissée, tout ce néant qui n’a plus de signifiant, j’essaie de me raccrocher à ce que je peux, et à défaut, j’efface à grands coups de gomme tout ce qui me déplait comme sur un grand carnet de croquis taché de mauvaises esquisses baveuses, je tire des traits, je biffe et caviarde, laisse des trainées de gomme qui s’enroulent autour d’elles-mêmes comme de petits étrons grisâtres lâchés là. J’efface et ce qui n’est pas encore effacé le sera forcément un jour. Je me souviens de tes mots (toi en particulier) lorsque tu m’as dit que je ne laissais pas de trace là où je marchais mais que nécessairement ce que j’écrivais ne pouvait que toucher et ne pas laisser insensible, mais je ne le fais pas exprès, tout ce que je fais, c’est écrire, déposer là quelques mots qui pour moi sont comme ma chair et mon sang et après les gens en font ce qu’ils en veulent, c’est vrai, moi je m’en fous après tout qu’on me lise ou non, qu’on me dise qu’on a lu et qu’on a trouvé ça bien, et puis je m’en fous d’autant plus que pour moi écrire n’est pas un besoin vital, je pourrais très bien m’en abstenir après tout, c’est juste que j’aime ça alors voilà, je te donne tout ça et ça peut très bien ne pas te plaire, ne pas te plaire du tout, mais que veux-tu que j’y fasse, ce n’est pas mon problème. Moi tout ce qui me plait c’est la corporéité de l’écriture lorsqu’elle est en phase avec le corps avec la chair en relation directe avec l’expression de ma pensée comme si elle n’était qu’un corps qui bouge et qui danse, transi d’émotion sensuelle, transporté par l’orgasme et tu ne diras pas le contraire chacun de mes mots contient ça en lui toute la potentialité des carnations tu le sais parfaitement parce que tu le ressens quand tu lis, allez dis-le, tu peux le dire, et puis merde, ce n’est pas bien grave parce que ça ne change rien à ce que je suis. Je m’en contre carre. Avec cette expression qui vient de mon père, je m’en contre carre. Super. J’adore.
Tu vois j’aime bien les dance floors parce qu’ils sont silencieux autant qu’ils sont licencieux lorsqu’ils ne sont plus que mouvements intenses et délibérations de la chair, quintessence de la séduction la plus élémentaire aux sons telluriques – on dit comment maintenant, telurik non ? – des percussions qui résonnent dans la poitrine et les corps qui se démènent dans une gigantesque vague de sueur et d’odeurs ne parlant qu’un seul langage, disant tout bas lorsque la musique assourdit et cache les mots « J’ai juste envie de toi » voilà c’est juste ça et pour moi l’écriture c’est ça c’est dire ça, « J’ai juste envie de toi ».
Bret Easton Ellis disait « il n’y a rien de pire qu’être contredit et défoncé »… Contentons-nous de n’être rien de tout ça. On a besoin d’ouvrir les yeux. Enfin, surtout moi.
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1- A la volée un jour de pluie fine et harassante – rencontre au hasard du flux des passants, elle ne me regarde pas, me happe tout de même, un assemblage – quelque chose de connu comme un souvenir récalcitrant, elle est passée devant moi sans m’effleurer en captivant mon regard brillant, apeuré et triste, soutenu par une tendresse factice, déjà elle s’engouffre dans le tunnel du métro à toute vitesse – à une allure qui lui est certainement familière, elle a l’assurance de ces gens qui font le même trajet tous les jours. Les portes du train se ferment net après mon passage furtif et elle s’asseoit à quelques mètres de moi, ne me regarde surtout pas – elle ne regarde rien, pas même devant elle, son regard transperce tout vers un horizon qu’elle est certainement la seule à connaître – et que personne n’a envie de connaître. Je la dévisage.
Elle porte un blouson de peau sur lequel vient se nouer une écharpe de laine épaisse et écrue, un jean serré et des baskets usées – à son bras blanc et fin, une montre dont le bracelet métallique renvoie un éclat argenté – elle lit distraitement en le feuilletant un journal gratuit – son attitude m’attire comme l’aiguille d’une boussole et je m’emballe de la même manière – ses grands yeux bleus contrastant avec le rosé de ses pommettes plates, ses cheveux bruns coupés courts. Je ne me suis pas retenu de regarder ses fesses lorsqu’elle est passée tout à l’heure, rebondies et hautes sur ses jambes longues et fines. Un sac en peau lui aussi, passé sur l’épaule et dans la main une pomme qu’elle a pris la précaution d’envelopper dans un mouchoir en papier blanc.
Quatre stations plus loin, elle sort à toute vitesse – à peine le temps de la suivre, déjà je sors mon appareil photo et je la suis sur la trottoir de l’avenue qu’elle remonte avec prestance – une petite fée trépidante au milieu de la foule, en zigzaguant…
Je la dépasse en courant – la frôle – un parfum ! Je continue sur vingt mètres en la suivant du regard de peur qu’elle ne s’échappe, j’ajuste la focale, mise au point et je l’attends. Une dizaine de pas, huit – sept – six. Une rafale de clichés frontaux fait cliqueter bruyamment l’appareil, je ne m’arrête pas – elle me voit, s’interroge, elle comprend, grimace, son visage se durcit d’un seul coup et oubliant sa douceur qui paraissait si fine, hargneuse me saute dessus et me frappe sur la joue – effrontée qui me déchire la peau.
Un série superbe…
2- Au restaurant, je lui ai demandé de venir – elle est venue – contre toute attente, au grand restaurant orné de tentures couleur de sable tamisé, bien au-dessus de mes moyens – même les appliques murales paraissaient au-delà de mes moyens. Regard terne par-dessus mon épaule, elle a quand même fait l’effort de se maquiller, mais rien ne saurait masquer cette étrange attitude nonchalante et la familière pratique de l’ennui partagé avec sa conscience la plus intime.
Regarde tes photos je lui dis, c’est celles que j’ai prises tout à l’heure. Mais elle ne regarde même pas – n’a pas décroché un mot depuis qu’on est arrivé – la garce.
Qu’est-ce qui se passe ? Si tu ne voulais pas venir, rien ne t’obligeait à accepter mon invitation… Elle pose son menton sur sa main. C’est pas ça, je suis fatiguée. Je crois la voir lever les yeux au ciel.
C’est ça, t’es fatiguée.
Elle ne parle pas beaucoup, l’air d’une tigresse au repos à l’ombre d’un rocher. Elle ne parle pas beaucoup et se fout de moi en fait – je ne sais pas ce qui m’a pris de l’inviter, je n’ai pas grand chose à faire ici avec elle, et inversement. Et moi je continue, je fais défiler les clichés et cette idiote se lève soi-disant pour aller se repoudrer le nez ou je sais pas trop quoi – je reste là comme un imbécile, mon paquet de photos à la main.
Comment veux-tu parler avec une fille qui ne s’intéresse à rien. « J’en ai pas grand chose à foutre de tes photos à la con, qu’elle finit par me dire quand elle revient des toilettes.
– Mais tu t’es pris une ligne de coke ou quoi ? Pourquoi tu me dis ça ? Elles sont bien mes photos non ? Et puis ton expression neutre ! Regarde, tu le fais super bien…
– Ouais c’est ça, je t’emmerde, tu me fais chier avec tes photos, qu’est-ce tu crois, tu penses que tu vas te faire du fric avec ?
– Ow ow ow, tu te calmes, qu’est-ce qui se passe ? In-cro-yable, grossière avec ça…
– Rien, j’ai pas envie d’être avec toi, je te connais pas, je sais pas qui tu es et je sais pas ce que tu veux et je sais même pas pourquoi tu m’as invité au resto ni pourquoi tu m’as prise en photo – t’es juste un gros con qui fantasme sur mon cul, c’est ça ?
– Ouais, c’est ça. » Je me sens dépité, j’ai plus envie de parler, alors je remballe mes photos dans ma sacoche en vrac comme un tas de feuilles de morte saison et je fais un signe au garçon pour qu’il débarrasse tout ça dans le lave-vaisselle, je ramasse pas les couverts, et tu m’apportes l’addition s’il te plait que je me tire, je te laisse t’occuper de mademoiselle je me fous de tout…
Elle est superbe – ses yeux clairs de topaze et sa peau diaphane, je lui jette un dernier coup d’œil à cette jolie que je n’ai pas envie de laisser, mais vraiment elle m’a l’air beaucoup trop conne pour moi, j’ai eu ma dose dans le passé et je préfère m’en débarrasser. Je la laisse avec le dessert qui arrive avec le serveur, je paie tout et je me tire.
Les rues sont déjà sombres, ma sacoche en travers de la poitrine – les mains dans les poches – il tombe de fines gouttes argentées comme des flocons de neige en tourbillonnant, constellant mon manteau de laine noire d’opercules argentées… descends la rue vers la bouche de métro. Envie de disparaître soudain, rattrapé… Continue reading “Belle d'ennui – trois actes”
Voilà. C’est une époque révolue. A Monterey, 17 juin 1967.
Quand je l’écoute, je me dis que personne ne fera jamais rien comme elle…
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Un pull-over rose moulant à col roulé, elle lit une BD ; seins ronds parfaitement soulignés. Seulement des phylactères autour d’elle.
Pantalon gris à fines rayures, des cheveux poivre et sel, un blouson gris qui semble tout droit sorti de l’armée russe pendant la guerre de Crimée.
Chemise noire et cravate rouge, petite moustache bien taillée, trois-quart noir en feutre, il porte avec sa cinquantaine le clinquant du pégriot, ou du maquereau.
Montures de lunettes épaisses, un manteau de velours doublé en fourrure, il semble retranscrire sur son cahier des notes enregistrées sur un lecteur portable.
Assise à côté de moi, une peau mate délicieuse et uniforme, toute de blanc vêtue, odeur sucrée de miel, insupportable et dérangeante.
Jeune fille brune aux cheveux bouclés, visage fin d’ange à la peau blanche, balance la tête en écoutant de la musique. Personne autour, du moins le croit-elle.
Une autre, blonde grande et fine, même attitude, même solitude. Personne autour, du moins le croit-elle. Son image dans la vitre lorsque le métro file à toute vitesse dans les tunnels sombres.
Rue Louis Rouquier, au 15, un immeuble datant de 1891, très fin, avec un encorbellement métallique peint en vert métropolitain finement sculpté, et derrière des stores de marine, un buste tournant le dos à la fenêtre. Au 39, un étrange immeuble mêlant art déco et gothique flamboyant ; au rez-de-chaussée, un studio d’enregistrement.
Un boucher porte cape blanche à capuche.
J’ai beaucoup écrit aujourd’hui. Rempli de sensations intenses, d’images qui m’étranglent de satisfaction, de souvenirs obscènes de ces visions diurnes et harassantes.
Le métro entre dans la station – crissements interminables des freins sur les roues métalliques – le premier wagon de la rame dépasse, il est arrêté et plus un bruit dans la station, silence de mort. Deux petits phares jaunes en guise d’unique signe de vie. Le conducteur ne bouge pas d’un poil derrière sa vitre fumée.
Un baiser interminable et langoureux dont le flux est coupé par les portes qui se ferment, un au-revoir, le train qui part, il court le long du quai pour la suivre du regard et tendre une main fébrile. Un vieux cliché mais qui fonctionne toujours.
Laurent est à Montréal. Moi je reste là.
Nouveaux produits, nouveaux comportements et nouvelles habitudes. Depuis l’arrivée des journaux gratuits, les sièges vides dans les trains et les métros sont truffés de ces feuilles de choux abandonnées, mais ça ne ressemble pas à de la négligence, plutôt à un passage de relais.
Le Siège Social de l’Alliance des Travailleurs a été réhabilité. Rue Anatole France. Jolie seconde vie. Mais elle abritera certainement des bureaux très chics. Anecdotique.
Deux fois aujourd’hui, je me suis montré d’une galanterie soignée, distinguée et discrète, sans ostentation. J’ai reçu en retour deux grands sourires tendres.
Trouvé un jeu très très drôle. J’achète un journal quotidien, Libération, et je le pose sur mon bureau dans la journée. Je lis les nouvelles fraîches deux semaines après.
J’ai failli me faire renverser par une conne qui préférait regarder les maisons du quartier plutôt que de regarder sa route. Elle a ralenti alors j’ai cru qu’elle voulait me laisser passer, mais elle a redémarré tandis que j’étais au milieu de la rue. L’espace d’un instant, je me suis vu mort, propulsé sur le capot, démembré, ou pire, les deux genoux brisés.
Suite des notes réalistes.
Je pris une douche et préparai mon sac. J’y entassai une pile de mes vieux carnets noirs. C’étaient les carnets qui m’avaient servi pour le livre sur les nomades et que j’avais conservés quand j’ai brûlé le manuscrit. Je n’avais pas ouvert certains d’entre eux depuis au moins dix ans. Ils renfermaient un méli-mélo de notations presque indéchiffrables, de « pensées », de citations, de brèves rencontres, de notes de voyage et d’embryons d’histoire… Je les avais apportés en Australie car je comptais bien m’isoler quelque part dans le désert, loin des bibliothèques et du travail des autres hommes, et jeter un regard neuf à leur contenu.
Il a neigé toute la nuit. Vingt bons centimètres au réveil, un frisson sur l’échine – tout le corps refroidi et le chauffage au sol qui s’est abstenu. A la radio, j’apprends que Charlton Heston est mort. Et sur Libé.
Dans les coulisses de «Libération» (Heston, on a un problème…)
par Gérard Lefort – lundi 7 avril 2008
Au service Culture de Libération, aucune nécrologie n’est prête à l’avance. Sauf pour Julien Gracq et pour quelqu’un d’autre… Et quand elles existaient, notamment au service Cinéma, elles s’évanouirent dans les limbes de l’informatique suite à une vidange malheureuse. Cette improvisation à chaud donne l’avantage d’une certaine fraîcheur émotive mais expose aussi à quelques approximations («Non, chéri, Jean Vilar n’est pas le père d’Hervé Vilard»), surtout quand le grand mort a la mauvaise idée de disparaître vers 21 h 30, soit une petite heure avant le bouclage du journal. Charlton Heston ayant eu la délicatesse de mourir «dans les temps», dimanche matin (heure de Paris), sa nécrologie est moins précipitée. Mais déclenche les réflexes habituels entre le «Oh non, pas lui !», un début de fou rire à pasticher la scène de la visite aux lépreuses dans Ben-Hur et le décompte inquiet de ceux qui restent : «Quelqu’un a le portable de Kirk Douglas ?» Pour la photo, le dilemme fut bref entre le déluge d’images d’agences et le portrait inspiré que nul autre n’aura, puisqu’il fut commandé par Libération à Richard Dumas en 1997.
Ma première pensée est de me dire qu’il est dommage qu’il n’emporte pas avec lui le bourbier de la NRA.
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Le plus grand de tous les écrivains n’a sans doute jamais écrit une seule ligne.
Hier soir, j’ai passé ma première soirée dehors en terrasse, face aux tours illuminées de la Défense, sans la mer à l’horizon ni le cri des sternes au dessus de la tête, il faisait encore un peu frais mais la journée a été lumineuse ; le vendredi soir arrivé il y avait dans l’air une ambiance de laisser-aller tant attendu, quelque chose qui a fait surface. L’estomac bien rempli, une tasse de café brûlant sur les lèvres, je commençais à ressentir les prémices de la belle saison au milieu de milliers de lucioles carrées tapissant le ciel et illuminant tout autour. Il fallait que je me sente bien ; la fatigue fatigue saine de cette fin de semaine me remplissait comme une cuvette de chiotte bouchée. A l’écart des foules, je me suis trainé le long du tube de lumière et de verre duquel je pouvais voir tout un monde évoluer sous mes pieds à une heure tardive. Imperceptible et discret, planant au-dessus de leur tête, j’éprouvais une puissance infinie de ne plus être vu, ne faire partie d’aucun champ de perception. Ce matin, je suis un peu énervé. Mais vivant et fort.
Ces deux dernières années ont été fort constructives pour moi.
…
Les gens véhiculent tous les clichés possibles et imaginables à leur insu, creusant un écart entre ce dont ils veulent se détacher et leurs aspirations, ce qui leur confère une lisseur* intime terriblement prégnante. Ceci a valeur de déclaration universelle, il n’y a pas lieu de penser que c’est une question de conjoncture ou une question locale. Le Français n’est pas une exception, du moins l’espérai-je.
* lisseur: ce n’est pas parce qu’un mot n’existe pas qu’il ne faut pas l’inventer.
…
En sortant du métro bondé, un des boutons de mon caban s’accroche à l’un des passants du trench-coat d’une fille que je bouscule. En forçant un peu, elle finit par m’apostropher.
« Monsieur, vous m’embarquez avec vous… dit-elle sur un ton très maitrisé.
– C’est une question, lui demandé-je ?
– Non.
– Dommage… »
…
Temps de brûme et de soleil, les verts lumineux des arbres, les roses des fleurs accrochées aux branches, un manteau trois-quarts mandarine, les yeux fatigués pleins de larmes, une joie futile accrochée aux lèvres. Quand je baille, il y a comme une déformation acoustique. Björk change de voix.
…
Elle porte sur elle le raffinement du noir, des gants aux talons aiguille, une finesse qui confine à la folie du détail. S’asseoit entre deux autres personnes. Est-elle en deuil ? Les yeux tournés vers la noirceur du tunnel, vers l’ombre ténébreuse des rails sur le sol, elle semble d’une tristesse ineffable, une tristesse qui a la vanité de la rendre follement belle.
…
Un manteau cloche à la Audrey Hepburn, les cheveux ramenés en arrière comme dans les années 50. Elle lit Anna Karenine…
La machine à café me demande sur un ton péremptoire de faire l’appoint, mais têtu, je lui donne quand même une pièce de 50cts à manger, elle me sert mon café et ne me rend pas la monnaie, la chienne. Ici le café est de plus en plus cher, de plus en plus court et de plus en plus dégueulasse.
Quelqu’un a oublié sa paire de bas sur la fontaine à eau. Elle traine là depuis hier. C’est vrai que c’est l’endroit rêvé pour retirer une paire de bas filés.
Suite des Notes heuristiques et lapidaires.
Un peu inquiet quand à son sort, me voilà rassuré. Mon Grand Cahier Moleskine est bien installé sur le stand Moleskine au London Book Fair. J’ai même des preuves en images puisqu’on peut le voir exposé ici, là à côté des petits gants pour les compulser, et également sur cet autre blog. Même que mon nom apparait au côté des autres Moleskiners. Ben oui je suis fier.
Via Moleskinerie.
Retour au lit. Et à l’insomnie. Cette femme. Comme je l’aimais ! Les sinuosités de son corps, la faim dans son regard traqué, la fourrure de son col, les échelles de son collant, l’oppression dans la poitrine, la couleur de son manteau, l’éclair de son visage, le picotement au bout de mes doigts, la filature élastique dans la rue, la lueur froide des étoiles, le mouvement têtu du croissant de lune, le goût de l’allumette, l’odeur de la mer, la douceur de la nuit, les dockers, le claquement des boules de billard, les notes perlées de musique, les ondulations de son corps, le rythme de ses talons, son pas décidé, le vieux avec son livre, la femme, la femme, la femme.
J’ai eu une idée. J’ai rejeté mes couvertures et bondi hors du lit. Une idée fantastique ! Elle m’a emporté comme un avalanche, une maison qui s’écroule, un vitre qui explose. J’étais fébrile, fou d’excitation. Il y avait des feuilles de papier et des crayons dans un tiroir. Je les ai ramassés avant de foncer à la cuisine. Il faisait froid dans la cuisine. J’ai allumé le four et laissé sa porte ouverte. Assis nu, j’ai commencé à écrire.John Fante, La route de Los Angeles
Raymond Depardon – Voyages
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La langue sur les dents, lisses comme le désespoir. Une question me vient: « Y a-t-il un rapport entre Eros et érosion ? »
Nicolas Bouvier : « Le marxisme me semble vraiment un message venu du froid. Dans les pays chauds, ça ne donne aucun résultat. » Source.
J’ai mis longtemps à comprendre que je pouvais écrire en regardant les gens dans la rue, pas en étant assis derrière mon écran d’ordinateur. Qu’il fallait que j’invente des histoires, que je créé des personnages, que je plante des décors.
Ce matin par la fenêtre le ciel est clair par endroits, immenses draperies de gris métal ondulantes sur quelques rares taches bleues nimbées de lumière de sable, la pluie a décidé de se chasser toute seule. Prêt à partir, j’ai mis dans ma poche intérieure de quoi écrire dans le train. Je sais que je vais avoir froid aux mains en marchant jusqu’à la gare, à moins que je ne réussisse à attraper le bus en cours de route. La radio crache un morceau de Charleston posé sur l’actualité comme une cuiller de miel sur de la pâtée pour chien.
Le bus a des mouvements chaloupés, violents, j’arrive au fond du véhicule et je me vautre sur un de ces fauteuils propres à faire aimer les voyages courts. Une fille vulgaire admire ses lèvres dans un miroir de poche, leur fait faire toutes sortes de contorsions étranges dont je n’arrive pas à saisir le sens. Peut-être a-t-elle les lèvres gercées. J’ai le soleil dans l’œil – je rêve au pays du soleil éternel. Celui qui me met les coudes dans les côtes sur les banquettes du train semble avoir la bougeotte, ses mouvements brusques me dérangent, je déteste ça, j’ai envie de l’interpeler et lui demander se calmer un peu. Les cocaïnomanes dès le matin, très peu pour moi. Le train s’arrête, panne d’électricité, en pleine voie, le silence se fait, un silence lourd et reposant, sans soufflerie, sans bruits de frottements, de rails, de métal pincé, écartelé, un silence qui me donne soudain envie de dormir, répit de quelques secondes avant de repartir; le chauffeur est une brute, il freine comme un sauvage. J’ai pris avec moi le seul livre que je pensais être capable de pouvoir lire aujourd’hui. Fante, encore. Welsh n’est pas passé, Vieuchange est fait pour le soir, avec un bon oreiller sous la tête, et je n’ai pas tellement envie de m’investir à nouveau dans quelque chose qui m’est totalement inconnu. Fante est un peu comme un membre de la famille, suffisamment connu pour ne pas me déplaire, suffisamment profond pour ne pas me laisser sur ma faim. C’est un peu comme la trompette de Miles Davis ou la voix de Tom Waits, un jeu quotidien, une voix qui parle doucement à l’oreille avec familiarité. Le doux confort tranquille des visions sans surprise.
Temps gris neutre, journée gris neutre. Au travers de ma fenêtre, j’ai une soudaine impression de platitude comme dans un tableau de Matisse. Vue sans relief.
Ce midi, je mange seul et en silence, je ne sais pas si c’est bon pour ce que j’ai mais au moins, j’ai la légère sensation de flotter dans une sorte de bulle sans repli dans laquelle je peux me sentir à mon aise. Personne sur le plateau, à ma nouvelle place je domine tout. J’ai toute latitude. Une plage de sable noire, la question récurrente qui se pose “peut-on aimer en dehors de Paris la romantique ?” et l’autre également “Ai-je vraiment l’envergure d’un écrivain ?”. Des questions, du sable, le bruit des voitures cinq étages plus bas qui me parvient parfois comme le bruit du ressac, je me laisse bercer par la douce chaleur qui m’envahit après le repas.
Ce mois de mars n’en finit pas de s’étirer comme un vieux collant filé ou une vieille culotte à l’élastique craqué. Pourtant, parfois, j’aimerais que le temps s’étire de manière différente, avec la grâce corrompue d’une belle femme qui ôte ses sous-vêtements chics après un dîner mondain.
Une femme toute fine, toute en longueur, avec un pantalon court près du corps. J’ai du mal à me concentrer sur mon livre. Ses souliers pointus sur des collants clairs. A la naissance de ses cuisses, cette chair plus opulente et légèrement déformée par l’assise. Quelque chose de terriblement sensuel.
Des cuisses comme ça, des jambes comme ci, une poitrine comme ça, le visage comme ci et des cheveux de telle couleur… Le désir, un impossible carcan.
Le bus m’est passé devant, alors j’attends le prochain comme une feignasse qui se respecte. J’ai le temps d’en voir passer des voitures et des gens, heureux de rentrer chez eux. Soleil de fin de journée, douce caresse d’un printemps encore timide. Mes yeux plissent de fatigue.
John à la mer, John à quatre pattes en train de renifler et de se demander s’il ne pourrait pas écrire un poème sur le bord de l’océan à Pacific Palissages et moi tourmenté des boyaux qui me demande toutes les cinq minutes si je ne vais pas finir par vomir dans le train sur ma voisine d’en face tellement je suis mal et j’ai peur de continuer à me vider comme je me suis vidé cette nuit. A côté, des collants noirs dans des talons hauts. Vision absurde. J’ai encore la nausée, ma lecture glisse en moi tout doucement. Non, là, je voudrais écrire, m’asseoir à ma table de travail et pianoter sur le clavier jusqu’à plus soif. Derrière moi une fille raconte ses vacances en Bretagne, trop de mots en trop peu de temps, je suis noyé – envie de silence qui me replonge dans un cocon de douceur. La conjugaison des odeurs, des bruits et de tous les éléments visuels de mon espace direct finit par m’exaspérer – trop plein d’informations croisées.
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