Notes réalistes

Il a neigé toute la nuit. Vingt bons centimètres au réveil, un frisson sur l’échine – tout le corps refroidi et le chauffage au sol qui s’est abstenu. A la radio, j’apprends que Charlton Heston est mort. Et sur Libé.

Dans les coulisses de «Libération» (Heston, on a un problème…)
par Gérard Lefort – lundi 7 avril 2008

Au service Culture de Libération, aucune nécrologie n’est prête à l’avance. Sauf pour Julien Gracq et pour quelqu’un d’autre… Et quand elles existaient, notamment au service Cinéma, elles s’évanouirent dans les limbes de l’informatique suite à une vidange malheureuse. Cette improvisation à chaud donne l’avantage d’une certaine fraîcheur émotive mais expose aussi à quelques approximations («Non, chéri, Jean Vilar n’est pas le père d’Hervé Vilard»), surtout quand le grand mort a la mauvaise idée de disparaître vers 21 h 30, soit une petite heure avant le bouclage du journal. Charlton Heston ayant eu la délicatesse de mourir «dans les temps», dimanche matin (heure de Paris), sa nécrologie est moins précipitée. Mais déclenche les réflexes habituels entre le «Oh non, pas lui !», un début de fou rire à pasticher la scène de la visite aux lépreuses dans Ben-Hur et le décompte inquiet de ceux qui restent : «Quelqu’un a le portable de Kirk Douglas ?» Pour la photo, le dilemme fut bref entre le déluge d’images d’agences et le portrait inspiré que nul autre n’aura, puisqu’il fut commandé par Libération à Richard Dumas en 1997.

Ma première pensée est de me dire qu’il est dommage qu’il n’emporte pas avec lui le bourbier de la NRA.

Let it snow...

[audio:http://theswedishparrot.com/xool/a_a.xol]

Le plus grand de tous les écrivains n’a sans doute jamais écrit une seule ligne.

Hier soir, j’ai passé ma première soirée dehors en terrasse, face aux tours illuminées de la Défense, sans la mer à l’horizon ni le cri des sternes au dessus de la tête, il faisait encore un peu frais mais la journée a été lumineuse ; le vendredi soir arrivé il y avait dans l’air une ambiance de laisser-aller tant attendu, quelque chose qui a fait surface. L’estomac bien rempli, une tasse de café brûlant sur les lèvres, je commençais à ressentir les prémices de la belle saison au milieu de milliers de lucioles carrées tapissant le ciel et illuminant tout autour. Il fallait que je me sente bien ; la fatigue fatigue saine de cette fin de semaine me remplissait comme une cuvette de chiotte bouchée. A l’écart des foules, je me suis trainé le long du tube de lumière et de verre duquel je pouvais voir tout un monde évoluer sous mes pieds à une heure tardive. Imperceptible et discret, planant au-dessus de leur tête, j’éprouvais une puissance infinie de ne plus être vu, ne faire partie d’aucun champ de perception. Ce matin, je suis un peu énervé. Mais vivant et fort.
Ces deux dernières années ont été fort constructives pour moi.

Les gens véhiculent tous les clichés possibles et imaginables à leur insu, creusant un écart entre ce dont ils veulent se détacher et leurs aspirations, ce qui leur confère une lisseur* intime terriblement prégnante. Ceci a valeur de déclaration universelle, il n’y a pas lieu de penser que c’est une question de conjoncture ou une question locale. Le Français n’est pas une exception, du moins l’espérai-je.

* lisseur: ce n’est pas parce qu’un mot n’existe pas qu’il ne faut pas l’inventer.

En sortant du métro bondé, un des boutons de mon caban s’accroche à l’un des passants du trench-coat d’une fille que je bouscule. En forçant un peu, elle finit par m’apostropher.
« Monsieur, vous m’embarquez avec vous… dit-elle sur un ton très maitrisé.
– C’est une question, lui demandé-je ?
– Non.
– Dommage… »

Temps de brûme et de soleil, les verts lumineux des arbres, les roses des fleurs accrochées aux branches, un manteau trois-quarts mandarine, les yeux fatigués pleins de larmes, une joie futile accrochée aux lèvres. Quand je baille, il y a comme une déformation acoustique. Björk change de voix.

Elle porte sur elle le raffinement du noir, des gants aux talons aiguille, une finesse qui confine à la folie du détail. S’asseoit entre deux autres personnes. Est-elle en deuil ? Les yeux tournés vers la noirceur du tunnel, vers l’ombre ténébreuse des rails sur le sol, elle semble d’une tristesse ineffable, une tristesse qui a la vanité de la rendre follement belle.

Un manteau cloche à la Audrey Hepburn, les cheveux ramenés en arrière comme dans les années 50. Elle lit Anna Karenine…
La machine à café me demande sur un ton péremptoire de faire l’appoint, mais têtu, je lui donne quand même une pièce de 50cts à manger, elle me sert mon café et ne me rend pas la monnaie, la chienne. Ici le café est de plus en plus cher, de plus en plus court et de plus en plus dégueulasse.
Quelqu’un a oublié sa paire de bas sur la fontaine à eau. Elle traine là depuis hier. C’est vrai que c’est l’endroit rêvé pour retirer une paire de bas filés.

Mosaïques

Suite des Notes heuristiques et lapidaires.

2 Replies to “Notes réalistes”

  1. “Quand je baille, il y a comme une déformation acoustique. Björk change de voix.”

    beaucoup de légèreté dans ces mots et puis un regard aiguisé qui découpe les instants vécus par d’autres, un regard témoin attentif mais toujours en retrait…

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