« Une petite idée du temps que ça va prendre ? »
« Non pas vraiment, je dirais… Je sais pas, une bonne demi-heure » Il avait dit ça en se grattant le nez, traduisant un léger malaise face à la situation pour le moins embarrassante. « Il faut dire que j’ai pas vraiment l’habitude de ce genre de cas. Généralement, les gens qu’on déménage sont vivants. »
« Je comprends bien, mais je ne vois pas en quoi ça vous gêne, c’est un déménagement normal. »
« Vous vous foutez de ma gueule ou quoi ? » Son visage prit tout d’un coup une teinte violacée, faisant ressortir les petites veines éclatées sur ses joues, traçant des motifs identiques aux ramifications de racines dans le sol. « Regardez-moi cette merde ! Ça vous plairait vous de devoir soulever un matelas imbibé d’on ne sait même pas quoi ? Ça n’a pas de nom ce que vous me faites faire là, c’est tout simplement immonde. »
« Oui bon OK, j’en conviens, c’est pas super agréable, mais faut bien le faire, on ne va pas laisser ça là ? Il faut bien tout vider avant que l’appartement devienne carrément invendable. »
« Oui, ben honnêtement, avec une odeur pareille, je ne sais pas qui voudrait approcher le quartier, c’est tout simplement horrible. »
« Je sais bien !!! » L’autre homme avec son front luisant et ses cheveux recouvrants obscènement la partie la plus dégarnie et suintante de son crâne commençait à en avoir marre. « Mais je fais quoi moi hein ? Je laisse tout comme ça, j’ouvre les fenêtres et j’attends que ça passe ? »
« Y’a de l’idée là-dedans » dit l’autre avec un sourire narquois. « Allez les gars, on se casse !!! Marre de cette puanteur. »
La chaleur ambiante ne faisait que renforcer l’impression étouffante liée à l’odeur, et les trois déménageurs enlevèrent le chiffon qu’ils avaient placé devant leur bouche et leur nez et le jetèrent chacun dans la pièce à tour de rôle avant de sortir en rang d’oignon. L’autre supposa qu’il n’y avait plus rien à dire.
n° 14 Le Lit
« You see what I mean » comme une affirmation, ou comme une question, une question qui amène une réponse à l’autre bout du monde, ou plutôt deux questions qui interrogent le monde et par lequel on répond avec l’œil du spectateur au travers de l’objectif. C’est le défi auquel nous nous plions Fabienne et moi, une fois par semaine autour d’un thème choisi d’un commun accord. L’orientation choisie, nous nous faisons la surprise de l’image avec notre personnalité, notre regard, notre sensibilité, pour donner naissance à de nouvelles perspectives qui étonneront certainement autant les visiteurs curieux que les auteurs.