Hwang Sok-Yong

La nouvelle est un genre beaucoup plus familier au lecteur coréen qu’à son homologue français. Cette préférence ne tient pas, selon Hwang Sok-Yong, à une différence de goüt, mais bien plutôt aux conditions socio-économiques qui ont été celles de la production littéraire en Corée jusqu’à aujourd’hui. Les écrivains, explique t-il, ne savaient pas se faire payer. Ils écrivaient une nouvelle et se faisaient offrir un repas en paiement par le journal auquel ils la confiaient. Une nouvelle, un repas… Hwang Sok-Yong, lui, s’est battu pour donner à l’écrivain un statut de travailleur qui doit être payé pour sa production.

Introduction à La route de Sampo


La route de Sampo (Sampo kaneunkil)

Herbes folles

Un récit de l’enfance dans la guerre fratricide coréenne. Des paysages surréalistes, des fous qui errent dans les rues et un enfant qui ne comprend pas le sens d’une guerre qui rallonge les données temporelles, dans un monde que plus personne ne comprend. Un récit autobiographique à peine masqué, à peine transformé.

Marchant d’un pas lourd derrière les adultes dans la poussière des chemins, j’ai vu des morts pourrir comme des chiens sous le soleil. Ils dégageaient la même odeur que la sauce de soja quand on la fait bouillir.

Oeils-de-biche

Les soldats coréens reviennent du Viet-Nam, mais chez eux, personnes ne les considère comme des héros et même chez eux ils sont considérés comme des parias, des profiteurs et des abrutis. C’est l’histoire d’une dépression post-guerre qui est racontée ici, aussi sordidement que possible.

J’ai tout juste saisi le mot taihan dans leur bouche – il revenait sans cesse dans leur bouche – qui veut dire Corée dans leur langue. Je ne m’étais pas rendu compte dès le début qu’ils se foutaient de moi, si bien que je m’en voulais de leur avoir acheté des trucs.

Les ambitions d’un champion de ssireum

La campagne coréenne se transforme et avec elle les carrières, les métiers, les parcours. Cette nouvelle raconte l’histoire tourmentée, crasseuse d’un lutteur de ssireum, une lutte traditionnelle coréenne. D’une personne naïve et solide, on comprend les motivations, les espoirs et les désenchantements.

Le grand Ilbong a compris, alors, qu’il n’échapperait pas à la fatalité du bain public. C’était son destin que de récurer la crasse des gens, le nez sur leurs grosses cuisses. Allez frotte ! frotte d’une main, et de l’autre range les couilles de côté, frotte en les contournant, en les maintenant, en les protégeant, frotte, frotte, sseussak, sseussak, ssakssakssak.

La route de Sampo

Le clou du livre. Dans un paysage digne de Dersou Ouzala, on y rencontre trois personnages plus ou moins marginaux. La route de Sampo est l’expression de la désillusion d’un monde qui change trop vite. Un chef-d’oeuvre à elle toute seule, cette nouvelle a fait l’objet en Corée , de films et de chansons. On comprend vite pourquoi.

Des canards sauvages se posaient sur les champs couverts de neige et repartaient. Une maison abandonnée apparut à un détour du chemin. Un pan de ‘mur’ s’était effondré et le toit de chaume avait un large trou. Son propriétaire l’avait sans doute quittée depuis longtemps déjà pour aller vivre ailleurs.

Monsieur Han (Hanssi Yeondaeki)

monsieur Han

Un livre poignant de la part de cet écrivain à fleur de peau que je vous ai déjà présenté avec La Route de Sampo. Monsieur Han est l’histoire d’un homme pris dans la tourmente d’un pays déchiré. Passer du nord au sud, passer pour un traître des deux côtés lorsqu’on ne peut se résoudre à choisir son camp, voici le thème douloureux traîté d’une manière admirable, parfois crue et violente par cet auteur que déjà je considère comme un des plus grands.

Han Yongdok se retournait de temps en temps,. Sa femme qui le suivait à pas menus ressemblait à une frêle figure dans une peinture pointilliste : des flocons s’étaient posés sur ses cheveux ; son visage, toute sa silhouette s’estompaient au fur et à mesure que la couche de neige s’épaississait sur le sol. Lorsqu’il vit cette vaste étendue blanche qui le séparait de sa femme, une angoisse soudaine s’empara de lui et son cÅ“ur se serra. Le spectacle de sa femme le suivant avec ses enfants qui marchaient tantôt devant elle, tantôt derrière, ne lui semblait ni actuel ni réel, c’était comme une photo ancienne aux teintes déjà fanées.

A bout de forces, il pleurait malgré lui et bavait. Quand il baissait le tête et commençait à somnoler, ils lui injectaient par le nez de l’eau dans laquelle ils avaient mélangé de la poudre de piment. Ses journées, interminables, étaient devenues un enfer. Il n’était plus ni professeur, ni réfugié, il n’était qu’un morceau de chair et d’os offert à la cruauté d’une époque en folie.

Vers une destination inconnue

La main sur la porte du train

Tu as pris un truc ce matin, non ? Des cachetons d’ecstasy ? J’ai pas mes lunettes, ça fait combien de temps que je ne les ai pas mises ? Même pas et pourtant je cours dans tous les sens – ouais, c’est la forme ce matin, je sors des toilettes un peu plus léger, prêt à partir, alors je m’enfonce dans la jungle urbaine, les oreilles coiffées de leurs petits bonnets accoustiques, mais je ne sais pas à quoi je pense parce que je n’entends même pas la musique – et lorsque je dépasse le premier carrefour en face de la banque, je vois une voiture arrêtée, garée à la va que je te pousse, et en avançant, je vois qu’il y a un gyrophare bleu ventousée sur le toit, ça ne sent pas bon la flicaille – effectivement, ils ont forcé une porte de garage et renversent des cageots, comme s’ils étaient persuadés de trouver des sachets de coke au milieu des oignons qui séchaient tranquillement sans rien demander à personne – ils étaient deux mecs à l’intérieur et dehors, une fille qui ressemblait plus à une fille avec des lunettes aux montures épaisses qu’à un flic – ça ressemble à quoi un flic ? -, en train de téléphoner, je la regarde, elle pas, et puis je me retourne, elle est de dos, les bras relevés, le blouson en cuir aussi – tous les flics ont des blousons en cuir – et je vois son string dépasser de son jean taille basse, le flingue dans son nid douillet attaché à la ceinture – je n’aime pas spécialement les armes, ça me fout les jetons, mais il y a certains moments où j’aurais bien envie de me prendre pour un flingue… Jerk it out dans les oreilles, j’arrive à la gare et ce matin, j’ai pas envie de frauder, alors comme tout bon citoyen, je prends mon billet au guichet et j’essaie de me faufiler parmi la foule, dense ce matin, c’est un monde plein de parfum qui se mêlent et c’est le moment de profiter de cette fraîcheur avant que la journée de travail ne salope le boulot et puis le train arrive, en avance apparemment, mais comme j’ai mes bouchons sur les oreilles, j’ai manqué l’annonce au micro, je ne sais pas où va le train, mais je monte quand même, on ne sait jamais, si toutefois j’arrive dans un endroit que je ne connais, j’aurais l’occasion de faire un peu de tourisme – en face de moi, un type qui ressemble à Peter Sellers est en train de lire Francis Scott Fitzgerald, ça nous change un peu des conneries habituelles des lectures de gare, tandis qu’une métisse monte à la station d’après pour me coller son décolleté sous le nez, ce n’est pas ce qui a failli me faire mourir asphyxié mais bien plutôt cette haleine fétide qui vient de ce type collé contre la vitre humide et suintante de miasmes condensationnés, à moins que ce ne soit cette odeur d’aiselles de cadavre dont la provenance restera à tout jamais inconnue…

Entrepots vus du train

Dans ce train tout le monde monte et semble ne jamais descendre, alors j’inaugure la marche en descendant presque tout seul, je dis presque car il y avait pas très loin de moi cette abrutie qui tentait de me dépasser avec fureur pour attraper son métro, en essayant de me marcher dessus par tous les moyens possible sans vraiment y arriver, pour finalement qu’on se retrouve côte à côte dans la même rame de métro, alors je l’ai regardé en lui souriant à cette conne, et l’autre, là, collé à la porte, habillé comme un golden boy avec sa chemise et col blanc, Weston au pied, coiffé comme je n’ai jamais vu, les cheveux gras et complètement ramenés en avant, tandis que celui qui est assis à ma droite a les cheveux rasés, sauf devant, là où ça forme une houpette, qui finalement est collée en arrière avec de la brillantine ou quelque autrre substance dégueulasse… Ce matin, toutes les femmes sont grandes, brunes, fines, avec des hanches superbes et bien formées, sauf celle qui portait son flingue sur le cul, elle était blonde, et sauf aussi cette quinquagénaire boudinée dans sa robe noire et sa veste de tailleur rose qui semble faire le tapin devant le tabac… Et d’abord, pourquoi elle me regarde comme ça en tirant sur son clope… ?

Je m’en fous, ce soir, c’est soirée japonaise… Derzou Ousala d’Akira Kurosawa sur Arte et L’empire des sens de Nagisa Oshima sur France 3…

De Charybde en Scylla

Tout a commencé par la visite médicale obligatoire du boulot. Et un gentil rappel par mail:

Nous vous rappelons qu’en cas d’impossibilité de vous rendre à la visite médicale, vous devez nous en avertir au plus tard deux jours avant la date de la visite (délai sous lequel la visite n’est pas facturée. Une visite est facturée 80 euros qu’elle soit honorée ou non). Merci de votre compréhension.
PS : N’oubliez pas d’apporter votre carnet de santé

Ok, je vais y aller, pas la peine de crier. J’arrive, c’était mardi, dans le bureau de la secrétaire.

– Bon c’est la première fois que vous venez ?
– Euh nan.
– Ben c’est pour une embauche non ?
– Euh nan.
– Ben je vous ai pas dans mes dossiers.
– Ah bon ?
– Nan. Tant pis, je vous refais un dossier.
– OK.
– Nom, prénom, tagada… (…) Vous êtes né à Saint-Germain en Laye ? Ah mais c’est que je connais bien !!!
– Cool.
– Mais sinon, c’est la première fois que vous venez ici nan ?
– Euh nan, je viens tous les ans, sinon c’est 80 bouboules alors je viens tous les ans.
– Depuis quand ?
– Depuis 2001, date de mon embauche.
– Ben je vous trouve pas.
– Oui, j’ai cru comprendre.
– C’est pas grave, je vais vous faire un nouveau dossier.
– Ben c’est pas ce qu’on vient de faire ?
– Si, mais maintenant faut que je le fasse sur papier.
– OK. Faîtes.

Sur ce, une dame en blouse blanche qui ressemble à un dalmatien dit à la secrétaire:

– On n’a pas retrouvé Monsieur ?
– Nan.
– Ben vous avez fait une recherche avec pourcentage ?
– Nan, mais c’est pas grave, j’ai refait un dossier à Monsieur.
– Oui mais pourquoi vous avez pas fait une recherche avec pourcentage?
– Mais c’est bon je vous dis, j’ai refait un dossier à Monsieur !!
– Oui mais si on a déjà un dossier, c’est dommage.
– Ah mais c’est que ça commence à m’énerver !

J’adore quand les femmes s’engueulent à cause de moi. Une troisième dame arrive, c’est le docteur. Elle ressemble à Françoise Dolto. Du coup, je rougis comme un homard[1]. Elle me regarde et me dit:

– Vous n’êtes jamais venu ?
– Euh si.
– Mais c’était pas avec moi ?
– Ben si.
– Ben ça me dit rien.
– Ben moi je suis venu plusieurs fois et c’est vous qui m’avez vu en caleçon, mais c’est pas grave hein, je ne me vexe pas.

La secrétaire arrive en criant:

– Je vous ai retrouvé !!!! Le Peru ça s’écrit en deux mots nan ?
– Ben ouais !
– Moi je l’avais écrit en un seul !!
– Bon, parfait, je peux y aller là ?
– C’est bien, j’ai pas besoin de refaire un dossier !
– Cool.
– Vous pouvez attendre dans la salle d’attente.
– Ah ben merci hein…
– Attendez, le docteur veut que vous fassiez un test.

Elle me file trois feuilles sur lesquelles on me pose des questions du genre buvez-vous plus ou moins de 4 verres d’alcool par jour ? ou alors vous sentez-vous mal dès que quelque chose ne tourne pas rond ?. Je réponds en toute honnêteté et selon les résultats, j’apprends que je ne suis ni anxieux,ni dépressif, ni alcoolique. Bon ben ça c’est une bonne nouvelle. Pendant ce temps-là, le ventilateur me souffle dans la gueule, ou plutôt dans l’oeil.
J’entre dans le cabinet.

– Bon alors, mettez les yeux dans les petits trous et dites-moi ce que vous voyez.

Je lis la ligne.

– Bien l’autre oeil.
– C’est normal que je vois deux lignes ?
– Comment ça ?
– 1 + 1 ligne.
– Ah non, c’est pas normal. Vous avez consommé ?
– Consommé quoi ?
– De l’alcool ?
– Je viens de remplir un questionnaire où je vous disais que je me mettais une murge tous les six mois et que je ne buvais jamais en temps normal et vous me demandez si j’ai consommé de l’alcool ? Je vous dis que je vois double.
– Bon c’est pas grave. Sinon, vous savez que vous avez des urines dans le sang ? Euh nan, du sang dans les urines ? Comme l’autre fois.
– Ben vous me l’apprenez.
– Et ça ne vous inquiète pas ?
– Ben c’est pas moi le médecin.
– Oui, bon. Allez vous mettre en tenue légère et mettez vous sur la table.
– En tenue légère ? Pour moi tenue légère c’est à poil. Je garde mon caleçon ?
– Oui enfin comme chez vous quoi.
– Alors à poil.
– Nan !

Je vais me déshabiller, je reviens, elle prend ma tension. 10/6.

– C’est pas beaucoup.
– Pour moi, c’est normal.
– Ramenez les jambes en l’air.

Elle me palpe les abdos.

– La vache, vous êtes musclé !
– C’est pas parce que je suis pas gros que je suis pas musclé !
– Oui enfin là, je suis surprise quand même, et puis vous avez la peau toute chaude.
– C’est à dire qu’il fait un petit peu 36°C dehors….
– Bon, vous pouvez vous rhabiller.

Elle me tend un petit papier vert et me dit au revoir. Je retourne au boulot avec une étrange sensation à l’oeil. Hier, mon oeil pleure, il gratte, gonfle. C’est certain, j’ai chopé cette saloperie chez le médecin pendant que je remplissais mes questionnaires à cause du ventilateur. Ce matin, je me réveille avec la sensation que je ne pourrais pas voir mon oeil dans la glace sans pousser un cri d’effroi. Finalement ça va, j’ai juste un coquard. Alors je me demande un truc. Est-ce qu’à cause de la médecine du travail, je peux me prendre un petit arrêt maladie ?
Notes

[1] Elle est géniale celle là, je m’adore !

Rendre mes oripeaux

Mon expérience est terminée. J’ai passé toute une journée dans le blog d’une autre, à défaut d’être dans sa peau. Résultat ? Eprouvant d’être une femme, tout au moins dans un blog. Merci Cey pour ta confiance et cette expérience hors du commun (j’exagère à peine).

J’ai tout laissé en état, j’ai éteint la radio en partant, j’ai passé l’aspirateur… Par contre, le chat, un peu chiant non ?

Laisse tomber, j’ai fait. Inutile de discuter avec les rustres, les culs-terreux et les imbéciles. L’homme intelligent choisit avec discernement ses auditeurs.
John Fante, La route de Los Angeles

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Rashômon et autres contes, Ryûnosuke Akutagawa

rashomon, Ryünosuke Akutagawa

Je réédite aujourd’hui ces citations tirées de Rashômon et autres contes. La première est extraite du conte qui donne son titre au livre. Je vous livre ça en brut car c’est un extrait du livre qui démontre toute la puissance de narration de l’auteur. Les sujets traîtés dans ce livre sont très délicats: le cannibalisme, l’infanticide, le crime, mais ils sont traîtés d’une façon propre à l’imagerie orientale, ce qui les rend presque pûrs et dénués de fioritures. Ce sont des contes très forts, des petites pièces à considérer comme des trésors… Je vous laisse découvrir.

L’auteur écrivait tout à l’heure : “Un homme de basse condition était là à attendre une accalmie de la pluie.” A vrai dire, cet homme n’avait rien à faire, même si la pluie cessait de tomber. En temps ordinaire, il aurait dû rentrer chez son patron. Mais ce dernier l’avait congédié quatre ou cinq jours auparavant. A cette époque-lé, la ville de Kyôto, comme je l’ai déjà dit, était sous le coup d’une désolation peu commune. Aussi la disgrâce de cette homme renvoyé par le patron qu’il avait servi depuis longtemps n’en était-elle en réalité qu’une conséquence insignifiante. Il aurait donc mieux valu dire : ” Un homme de basse condition, dépourvu de tous moyens, était bloqué par la pluie, sans savoir où aller”, qu’écrire : “Une homme de basse condition était là à attendre l’accalmie”. De plus, l’aspect du ciel, ce jour-là, contribuait sensiblement à la dépression morale de cet homme de l’époque de Heian. La pluie qui avait commencé à tomber vers la fin de l’heure de singe ne paraissait guère devoir cesser. Depuis quelque temps, l’homme, absorbé par le problème urgent de sa vie de demain – cherchant à résoudre une question qu’il savait sans solution -, écoutait, d’un air absent, en ruminant ses pensées décousues, le bruissement de la pluie qui tombait sur l’avenue de Suzaku.

Rashômon

A ces mots du Paravent des Figures infernales, il me semble que l’aspect terrifiant de cette peinture s’impose immédiatement. Des scènes de l’Enfer, il en est d’autres. Mais les toiles de Yoshihide différaient par leur composition de celles de ses collègues. Les Dix Rois et leur suite étaient relégués, rapetissés, dans un coin du Paravent et dans tout l’espace libre tourbillonaient des flammes puissantes au point de roussir le Mont des Glaives et les Arbres hérissés de sabres. De sorte que, hormis les robes jaunes et bleues à la chinoise des suppôts de l’Enfer ça et là dispersés, les langues de feu impétueuses remplissaient tout l’espace dans lequel dansaient avec furie, en forme de swastika, des fumées noires tracées en éclaboussure d’encre et des étincelles de feu projetées en poudre dorée.

(…)Tous ces personnages, dans les tourbillons de flammes et de fumées, en proie aux tortures infligées par les geôliers infernaux à tête de boeuf et de cheval, fuyaient en tous sens, telles des feuilles mortes dispersées par une bourrasque. Ces femmes plus recroquevillées que des araignées, dont les cheveux s’enroulent autour des dents d’une fourche, figuraient-elles des sorcières ? Cet homme à la tête en bas comme une chauve-souris au repos, la poitrine perforée par une lance, n’était-il pas quelque jeune gouverneur de province ? Et ces innombrables damnés flagellés de fouets de fer, écrasés sous un rocher que mille hommes auraient peine à mouvoir, déchirés par de monstrueux oiseaux, mordus par les mâchoires d’un dragon venimeux… Autant de tortures que de réprouvés.

Satori no shimai

SatoriTerminer un livre est toujours douloureux. Celui de Kerouac, Satori à Paris m’a suivi quelques temps, et m’a apporté une vision particulièrement aiguisée de cette illumination dont il a été victime. D’autant plus que Jack Kerouac reprend ici son vrai nom, Jean-Louis Lebris de Kérouac (ker, la maison, ouac, le champ) pour aller à la recherche de ses ancêtres du côté de Brest. Un doux moment passé avec lui, sur la route, en train, dans les cafés ou dans la rue. Morceaux choisis.

Je crois que les femmes commencent par m’aimer, et puis elles se rendent compte que je suis ivre de la terre entière et elles comprennent alors que je ne puis me concentrer que elles seules bien longtemps. Cela les rend jalouses. Car je suis un dément amoureux de Dieu. Eh oui.
D’ailleurs la lubricité n’est pas mon lot, elle me fait rougir : – tout dépend de la femme.

Je l’ai déjà dit, c’est une jeune Bretonne d’une beauté extraordinaire, inoubliable, que l’on voudrait croquer séance tenante, avec ses yeux verts comme la mer[1], ses cheveux bleu-noir et ses petites dents de devant légèrement écartées et telles que si elle avait rencontré un dentiste lui proposant des les redresser, chacun des hommes de notre planète aurait ficelé le cuistre à l’encolure du cheval de bois de Troie, pour lui permettre de jeter un coup d’oeil sur la captive Hélène, avant que Paris n’ai assiégé son Gaulois Gullet, ce traître libidineux.
Elle portait un pull blanc tricoté, des bracelets en or et autres fanfreluches: quand elle m’a regardé de ses yeux couleur de mer, j’ai fait oui de la tête et ai failli la saluer, mais je me suis contenté de me dire qu’une femme pareille, c’était le grabuge et la bisbille; à d’autres que moi, paisible berger mit le cognac. – J’aurais voulu être un eunuque, pour jouer avec de tels creux et de telles bosses pendant deux semaines.

Tous me décochèrent des regards absolument noirs quand ils entendirent mon nom, comme s’ils se marmonnaient intérieurement: Kerouac, je peux écrire dix fois mieux que ce cinglé de beatnik, et je le prouverai avec ce manuscrit intitulé Silence au Lip, tout sur la manière dont Renard entre dans le hall en allumant une cigarette, et refuse de voir le triste et informe sourire de l’héroïne, une lesbienne sans histoire, dont le père vient de mourir en essayant de violer un élan, à la bataille de Cuckamonga; et Philippe, l’intellectuel, entre, au chapitre suivant, en allumant une cigarette avec un bond existentiel à travers la page blanche que je laisse ensuite, le tout se terminant par un monologue de la même eau, etc., tout ce qu’il sait faire, ce Kerouac, c’est d’écrire des histoires, hhan.

Personnellement, ça me donne envie d’en lire un peu beaucoup plus.

 

Notes

[1] En breton, le bleu de la mer et le vert des arbres se disent d’un seul mot: glas ou glaz (NdMoi)

Guy de Maupassant, Conte de Noël

Le docteur Bonenfant cherchait dans sa mémoire, répétant à mi-voix : ” Un souvenir de Noël ?… Un souvenir de Noël ?… ” Et tout à coup, il s’écria : – Mais si, j’en ai un, et un bien étrange encore ; c’est une histoire fantastique. J’ai vu un miracle ! Oui, mesdames, un miracle, la nuit de Noël. Cela vous étonne de m’entendre parler ainsi, moi qui ne crois guère à rien. Et pourtant j’ai vu un miracle ! Je l’ai vu, fis-je, vu, de mes propres yeux vu, ce qui s’appelle vu. En ai-je été fort surpris ? non pas ; car si je ne crois point à vos croyances, je crois à la foi, et je sais qu’elle transporte les montagnes. Je pourrais citer bien des exemples ; mais je vous indignerais et je m’exposerais aussi à amoindrir l’effet de mon histoire. Je vous avouerai d’abord que si je n’ai pas été fort convaincu et converti par ce que j’ai vu, j’ai été du moins fort ému, et je vais tâcher de vous dire la chose naïvement, comme si j’avais une crédulité d’Auvergnat. J’étais alors médecin de campagne, habitant le bourg de Rolleville, en pleine Normandie. L’hiver, cette année-là, fut terrible. Dès la fin de novembre, les neiges arrivèrent après une semaine de gelées. On voyait de loin les gros nuages venir du nord ; et la blanche descente des flocons commença. En une nuit, toute la plaine fut ensevelie. Les fermes, isolées dans leurs cours carrées, derrière leurs rideaux de grands arbres poudrés de frimas, semblaient s’endormir sous l’accumulation de cette mousse épaisse et légère. Aucun bruit ne traversait plus la campagne immobile. Seuls les corbeaux, par bandes, décrivaient de longs festons dans le ciel, cherchant leur vie inutilement, s’abattant tous ensemble sur les champs livides et piquant la neige de leurs grands becs. On n’entendait rien que le glissement vague et continu de cette poussière tombant toujours. Cela dura huit jours pleins, puis l’avalanche s’arrêta. Là terre avait sur le dos un manteau épais de cinq pieds. Et, pendant trois semaines ensuite, un ciel clair, comme un cristal bleu le jour, et, la nuit, tout semé d’étoiles qu’on aurait crues de givre, tant le vaste espace était rigoureux, s’étendit sur la nappe unie, dure et luisante des neiges. La plaine, les haies, les ormes des clôtures, tout semblait mort, tué par le froid. Ni hommes ni bêtes ne sortaient plus : seules les cheminées des chaumières en chemise blanche révélaient la vie cachée, par les minces filets de fumée qui montaient droit dans l’air glacial. De temps en temps on entendait craquer les arbres, comme si leurs membres de bois se fussent brisés sous l’écorce ; et, parfois, une grosse branche se détachait et tombait, l’invincible gelée pétrifiant la sève et cassant les fibres. Les habitations semées çà et là par les champs semblaient éloignées de cent lieues les unes des autres. On vivait comme on pouvait. Seul, j’essayais d’aller voir mes clients les plus proches, m’exposant sans cesse à rester enseveli dans quelque creux. Je m’aperçus bientôt qu’une terreur mystérieuse planait sur le pays. Un tel fléau, pensait-on, n’était point naturel. On prétendit qu’on entendait des voix la nuit, des sifflements aigus, des cris qui passaient. Ces cris et ces sifflements venaient sans aucun doute des oiseaux émigrants qui voyagent au crépuscule, et qui fuyaient en masse vers le sud. Mais allez donc faire entendre raison à des gens affolés. Une épouvante envahissait les esprits et on s’attendait à un événement extraordinaire. La forge du père Vatinel était située au bout du hameau d’Epivent, sur la grande route, maintenant invisible et déserte. Or, comme les gens manquaient de pain, le forgeron résolut d’aller jusqu’au village. Il resta quelques heures à causer dans les six maisons qui forment le centre du pays, prit son pain et des nouvelles, et un peu de cette peur épandue sur la campagne. Et il se mit en route avant la nuit. Tout à coup, en longeant une haie, il crut voir un œuf dans la neige ; oui, un œuf déposé là, tout blanc comme le reste du monde. Il se pencha, c’était un œuf en effet. D’où venait-il ? Quelle poule avait pu sortir du poulailler et venir pondre en cet endroit ? Le forgeron s’étonna, ne comprit pas ; mais il ramassa l’œuf et le porta à sa femme. ” Tiens, la maîtresse, v’là un œuf que j’ai trouvé sur la route ! ” La femme hocha la tête : ” Un œuf sur la route ? Par ce temps-ci, t’es soûl, bien sûr ? – Mais non, la maîtresse, même qu’il était au pied d’une haie, et encore chaud, pas gelé. Le v’là, j’me l’ai mis sur l’estomac pour qui n’refroidisse pas. Tu le mangeras pour ton dîner. ” L’œuf fut glissé dans la marmite où mijotait la soupe, et le forgeron se mit à raconter ce qu’on disait par la contrée. La femme écoutait toute pâle. ” Pour sür que j’ai entendu des sifflets l’autre nuit, même qu’ils semblaient v’nir de la cheminée. ” On se mit à table, on mangea la soupe d’abord, puis, pendant que le mari étendait du beurre sur son pain, la femme prit l’œuf et l’examina d’un œil méfiant. ” Si y avait quelque chose dans c’t’œuf ? – Qué que tu veux qu’y ait ? – J’sais ti, mé ? – Allons, mange-le, et fais pas la bête. ” Elle ouvrit l’œuf. Il était comme tous les œufs, et bien frais. Elle se mit à le manger en hésitant, le goûtant, le laissant, le reprenant. Le mari disait : ” Eh bien ! qué goût qu’il a, c’t’œuf ? ” Elle ne répondit pas et elle acheva de l’avaler ; puis, soudain, elle planta sur son homme des yeux fixes, hagards, alliolés, leva les bras, les tordit et, convulsée de la tête aux pieds, roula par terre, en poussant des cris horribles. Toute la nuit elle se débattit en des spasmes épouvantables, secouée de tremblements effrayants, déformée par de hideuses convulsions. Le forgeron, impuissant à la tenir, fut obligé de la lier. Et elle hurlait sans repos, d’une voix infatigable : ” J’l’ai dans l’corps ! J’l’ai dans l’corps ! ” Je fus appelé le lendemain. J’ordonnai tous les calmants connus sans obtenir le moindre résultat. Elle était folle. Alors, avec une incroyable rapidité, malgré l’obstacle des hautes neiges, la nouvelle, une nouvelle étrange, courut de ferme en ferme : ” La femme du forgeron qu’est possédée ! ” Et on venait de partout, sans oser pénétrer dans la maison ; on écoutait de loin ses cris affreux poussés d’une voix si forte qu’on ne les aurait pas crus d’une créature humaine. Le curé du village fut prévenu. C’était un vieux prêtre naïf. Il accourut en surplis comme pour administrer un mourant et il prononça, en étendant les mains, les formules d’exorcisme, pendant que quatre hommes maintenaient sur un lit la femme écumante et tordue. Mais l’esprit ne fut point chassé. Et la Noël arriva sans que le temps eût changé. La veille au matin, le prêtre vint me trouver : ” J’ai envie, dit-il, de faire assister à l’office de cette nuit cette malheureuse. Peut-être Dieu fera-t-il un miracle en sa faveur, à l’heure même où il naquit d’une femme. ” Je répondis au curé : ” Je vous approuve absolument, monsieur l’abbé. Si elle a l’esprit frappé par la cérémonie (et rien n’est plus propice à l’émouvoir), elle peut être sauvée sans autre remède. ” Le vieux prêtre murmura : ” Vous n’êtes pas croyant, docteur, mais aidez-moi, n’est-ce pas ? Vous vous chargez de l’amener ? ” Et je lui promis mon aide. Le soir vint, puis la nuit ; et la cloche de l’église se mit à sonner, jetant sa voix plaintive à travers l’espace morne, sur l’étendue blanche et glacée des neiges. Des êtres noirs s’en venaient lentement, par groupes, dociles au cri d’airain du clocher. La pleine lune éclairait d’une lueur vive et blafarde tout l’horizon, rendait plus visible la pâle désolation des champs. J’avais pris quatre hommes robustes et je me rendis à la forge. La possédée hurlait toujours, attachée à sa couche. On la vêtit proprement malgré sa résistance éperdue, et on l’emporta. L’église était maintenant pleine de monde, illuminée et froide ; les chantres poussaient leurs notes monotones ; le serpent ronflait ; la petite sonnette de l
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nfant de chœur tintait, réglant les mouvements des fidèles. J’enfermai la femme et ses gardiens dans la cuisine du presbytère, et j’attendis le moment que je croyais favorable. Je choisis l’instant qui suit la communion. Tous les paysans, hommes et femmes, avaient reçu leur Dieu pour fléchir sa rigueur. Un grand silence planait pendant que le prêtre achevait le mystère divin. Sur mon ordre, la porte fut ouverte et les quatre aides apportèrent la folle. Dès qu’elle aperçut les lumières, la foule à genoux, le chœur en feu et le tabernacle doré, elle se débattit d’une telle vigueur, qu’elle faillit nous échapper, et elle poussa des clameurs si aiguës qu’un frisson d’épouvante passa dans l’église ; toutes les têtes se relevèrent ; des gens s’enfuirent. Elle n’avait plus la forme d’une femme, crispée et tordue en nos mains, le visage contourné, les yeux fous. On la traîna jusqu’aux marches du chœur et puis on la tint fortement accroupie à terre. Le prêtre s’était levé ; il attendait. Dès qu’il la vit arrêtée, il prit en ses mains l’ostensoir ceint de rayons d’or, avec l’hostie blanche au milieu, et, s’avançant de quelques pas, il l’éleva de ses deux bras tendus au-dessus de sa tête, le présentant aux regards effarés de la démoniaque. . Elle hurlait toujours, l’œil fixé, tendu sur cet objet rayonnant. Et le prêtre demeurait tellement immobile qu’on l’aurait pris pour une statue. Et cela dura longtemps, longtemps. La femme semblait saisie de peur, fascinée ; elle contemplait fixement l’ostensoir, secouée encore de tremblements terribles, mais passagers, et criant toujours, mais d’une voix moins déchirante. Et cela dura encore longtemps.

Flesh like marble

Du côté du marché Saint-Pierre, lorsque finalement j’ai réussi à abandonner ma voiture sur le boulevard Rochechouard (ce qui relève de la performance un samedi), je me suis dit qu’il faudrait un jour faire un choix dans cette ville impossible qu’est Paris. Les piétons et les voitures ne peuvent pas cohabiter plus longtemps. Je me souviens d’un temps où marcher à Paris était encore agréable. Que l’on soit d’un côté ou de l’autre, la situation est impossible. Le piéton maugrée car la voiture ne laisse pas les priorités et se comporte comme un phacochère au milieu des flamands roses (la métaphore peut paraître audacieuse, car le piéton ressemble lui aussi souvent à un phacochère, mais il est susceptible). De son côté, l’automobiliste est furieux car lorsqu’un piéton s’engage, il rameute avec lui ses fâcheux congénères et lorsque le troupeau a fini sa course, le feu est passé au rouge.

J’ai fait la bêtise de prendre ma voiture et cette fois-ci, je décide qu’on ne m’y reprendra plus. Terminé. Il va falloir un jour se décider à interdire les voitures à Paris. Tout est à gagner, les piétons seront plus libres de circuler et n’énerveront plus les automobilistes, certains quartiers étant complètement saturés par les deux populations. C’est sans compter les innombrables petites ruelles où les trottoirs sont quasiment inexistants. Bref, je comprends pourquoi je n’aimais pas aller à Paris en voiture, mais ce temps est désormais révolu. Paris se fera désormais à pied.

Ce quartier est vraiment particulier et il me rappelle mon enfance lorsque ma grand-mère m’emmenait chez Reine, chez Dreyfus ou chez Moline, le trio de choc, indéfectibles icônes des acheteurs compulsifs de tissus et autres passementeries. J’aime les gens qui flânent ici, l’air détaché du touriste de passage ou concentré de celui qui fait vraiment ses courses, j’aime ces japonaises qui rient à pleines dents et ces femmes aux cheveux de jais, aux yeux sombres, ces hommes avec leurs mètres en bois qui passent leurs journées à découper du tissu et à distribuer des notes griffonnées sur des petits calepins ressemblant à des billets de tombola, j’aime ces gens qui s’engouffrent par les portes battantes, qui montent et descendent les escaliers, tâtent les tissus, déroulent des mètres de lainages, s’étonnent de la qualité des tissus ou au contraire de leur incroyable côté kitsch.

Un peu plus tard, en partant, j’emprunte la rue Caulaincourt et je passe sur le cimetière de Montmartre, un lieu au charme fou. La rue Caulaincourt a elle-même beaucoup de charme, avec ses épaisses frondaisons. Lorsque le soir commence à tomber, il y fait sombre tout de suite et tout au long de la rue au pied du Sacré-Coeur et jusqu’à la rue Custine, une ambiance de vieux Paris règne, même si les magasins sont désormais très bobo.

Dimanche, c’est dans un autre quartier que je suis allé. Descente à Rambuteau, j’ai descendu la rue de Bretagne qui n’a rien de très sympatique, si ce n’est lorsqu’on arrive devant une grande batisse fraîchement rénové. Sur le trottoir d’en face, on découvre entre deux boutiques, l’entrée d’un marché au nom étrange: le marché des Enfants Rouges. Lorsque nous passons, les gens de la voirie nettoient à grands coups de jets des monceaux de papiers et de fruits pourris, faisant monter une odeur de poisson et d’eau de javel pas très agréable. Dans les parages se trouve une vitrine qui attire mon attention. Ici, on ne vent rien, on entrepose simplement des mannequins…

mannequins

La rue vieille du temple, un peu plus loin, descend vers l’Hôtel de Ville et se rétrécit au fur et à mesure. Nous marchons un peu pour aller à notre destination. Ici, la population est beaucoup plus bigarrée qu’à Montmartre, mais tout ici semble surfait, fortement marqué par un argent facile et absolument hautain. Les gens ici ne sont pas sympathiques et portent sur leurs visages la marque de l’appartenance à une tribu dont peu de gens font partie. Pourtant, ceci n’arrive pas à gâcher l’ambiance particulière de ces rues étroites. C’est étrange.

Nous allons chez Muji, un magasin très tendance proposant des objets au design épuré, mais pas forcément très pertinent dans le choix des objets. Ce qui n’est pas cher est très gadget et ce qui est cher est souvent trop cher pour ce que c’est. Sinon, c’est toujours agréable d’aller y faire un tour, même si l’agencement des deux magasins n’est absolument pas zen et engendre des confrontations inutiles. Ne supportant plus la chaleur et le monde, je sors avec mon fils, qui ne se prive pas pour interpeler les passants et faire son clown. Il a du mal à tenir en place, mais il est tellement mignon.

muji

Il a froid aux mains et sa mère tire les manches de son pull pour les lui protéger, mais cela ne l’empêche pas de prendre son goüter sur le banc d’un parc, ni même de faire une glissade sur le toboggan. Ce petit garnement est tellement irrésistible qu’il arrive même à se faire payer un pot de glace à la vanille par le serveur du Starbucks de la rue des Archives. Entre nos doigts, la chaleur du moka apporte un peu de réconfort et surtout un irrésistible goüt de chocolat blanc et de cannelle.

starbucks

Sur le chemin du retour, dans la chaleur du métro, le petit zouzou commence à s’éteindre, et sur le chemin entre la station et la voiture, il marche doucement à mes côtés. Arrivé devant la voiture, je lui enlève son imperméable, mais je m’aperçois qu’il a déjà les yeux fermés et dort debout. Son sommeil se poursuivra jusqu’à la maison, sur le canapé. Finalement, ça cartoone aura raison de son sommeil, il ne quittera pas le canapé et sa position allongée pour regarder les dessins animés, alors que dans la maison flotte une odeur de soupe à l’oseille qui me transporte des années en arrière. Cette ambiance de dimanche soir constitue un des moments préférés de ma semaine, rien n’y est comme les autres jours, les lumières basses, les esprits reposés et les odeurs mettent ces instants entre parenthèses.

Shûsaku ENDÔ, le poids du pardon

Une femme nommée Shizu

Au coeur d’un Japon ravagé par ses traditions, un homme, un écrivain né en 1923 se fait baptiser Paul par sa mère, une femme très catholique. Comment concilier modernité et tradition, surtout lorsqu’on est catholique au Pays du Soleil Levant ? Comment accepter certaines choses qui vont contre nos convictions ? C’est dans ce livre que ENDÔ Shûsaku livre ses tourments. Trois nouvelles poignantes.

Les ombres

Une lettre écrite à une prêtre, un homme perdu de vue pendant des années…. des rancoeurs à peine masquées et énoncées froidement. Mais il y a le Pardon, et le pardon est difficile à distribuer, surtout lorsque celui qui a tant fait de mal est un prêtre défroqué, dont le comportement a toujours été suspect à l’endroit de sa propre mère.

Je me souviens encore de mon chagrin. Un jour que j’avais désobéi, je constatai la disparition de mon animal bien-aimé en rentrant de l’école. Maman avait demandé à un gamin du quartier de l’emmener quelque part. Vous avez probablement oublié cet incident. Pour vous, le chien était un obstacle qui me détournait de mes études et le fait de s’en débarasser était pour mon bien. Aujourd’hui, je ne vous hais évidemment pas pour cela. Mais si j’évoque ces anecdotes insignifiantes, c’est parce qu’elles résument bien votre personnalité.

Le retour

L’abandon, le mort, la vie n’est-elle donc faite que de cela ?

Quelle différence avec les os de mon frère, sortant du crématorium, propres et d’une blanc laiteux! Ce squelette pitoyable était-il tout ce qui restait de la foi de ma mère ? (…) Avec les baguettes, je mis les os dans l’urne et ils tombèrent au fond avec un bruit sourd.

Le dernier souper

Comment vivre avec sur la conscience le pire tabou qui soit ? Comment ne pas se laisser ronger par l’alcool et vouloir mourir, vouloir se laisser pourrir comme pour expier les pires fautes involontaires ? Rencontrer celui qui a commis le même péché…

Je me souviens encore parfaitement de ce jour là. Au-dehors, une pluie fine tombait avec un bruit de sable, la teinte des arbres était plus noire que verte et Tsukada me confiait bribe après bribe son secret en pleurant. (…)

Shûsaku ENDÔ