Anomalies frontalières

Trouvé sur Xefer, une panoplie d’anomalies, ou tout au moins d’absurdités relatives aux frontières des états des Etats-Unis ; un grand pays aux bordures tirées au cordeau mais qui trouvent parfois leurs limites dans la confrontation avec les éléments géographiques.

Boudaries

Rares et précieux

Parce qu’ils sont rares, qu’on les voit peu et qu’on les entend encore moins souvent et parce qu’il n’y a rien de pire pour un mot que de ne pas être employé, voici une petite collection de mots rencontrés au fil des lectures, mots que je ne connaissais pas ou que j’ai rencontrés de manière tellement rare que j’en oublie le sens. A faire évoluer, grossir, à épancher comme de l’engrais dans une prairie.

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Tierra del Fuego

La Terre de Feu est une terre australe où les frontières commencent à s’effacer, partagées entre le Chili et l’Argentine, coupée au cordeau et détachée de sa mère patrie argentine. La Tierra del Fuego est une province battue par les vents australs, un archipel dont les limites ont mis du temps à être cernées même si Magellan y a posé le pied 1520, pensant que le détroit auquel il a donné son nom était le passage unique entre l’Atlantique et le Pacifique et que la terre continuait ainsi indéfiniment vers le sud, alors qu’à trois cents kilomètres au sud se trouve les îles Hornos, formant le point ultime de l’Amérique au sud, le cap Horn.

Tierra de fuego Magellanica

Pourtant, ce qu’on appelle détroit est en fait une route incertaine en forme de V passant par Puerto Sara et Punta Arenas, longtemps considérée comme la ville la plus australe du monde, ce qui n’est pas le cas. Longtemps, il a été tenu pour admis que le détroit sus-nommé n’était que le point de passage entre l’Amérique au nord et le continent de feu, au sud; une terre immense répandue sur le bas de la carte comme un gros paquet incertain et inconnu.

Photo © Rolfo Z

Pourtant, un peu plus au sud, se trouve un autre canal, le canal Beagle, route presque droite d’un océan à l’autre, dans lequel on tombe nez à nez avec, cette fois-ci, la ville la plus australe, Ushuaïa (du Yagan ush (au fond) et wuaia (baie ou crique)), laquelle a détrôné Puerto Williams, trop petite pour “mériter ce titre”.

Fabienne et moi avons décidé de vous emmener dans un tour du monde virtuel. Vous pouvez suivre les étapes de ce voyage sur Google Maps (c’est magique !)…

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Punta del Este, Cabo de Santa María

C’est en 1516 que l’on parle pour la première fois de cette petite ville de la côte uruguayenne. Le navigateur Juan Díaz de Solís l’appelle alors Cabo de Santa María et ce n’est qu’au XVIIIème siècle qu’elle prendra le nom de Pointe de l’est. Capitale touristique de l'Uruguay, située à quelques encablures de la capitale, Montevideo, Punta del Este possède une position stratégique unique, à l’entrée de l’embouchure vaste et sableuse du Río de la Plata (rivière d’argent) et pour cette raison, elle fut pendant longtemps armée de canons qui défendait cet étrange delta. En fait, le Río de la Plata n’est pas réellement une rivière puisque c’est un estuaire créé par le río Paraná et le río Uruguay, mais alors que Solis cherchait un passage permettant de relier l’Atlantique au Pacifique, il remonta cet estuaire jusqu’à la confluence des deux rivières et l’histoire veut qu’il soit tombé entre les mains des Charrua ou des Guarani et qu’il fût dévoré avec ces troupes. Seul un mousse de 14 ans en réchappa et fut en mesure de rapporter l’histoire.

Photo © Carolzina

Aujourd’hui Punta del Este, autrefois petite ville côtière à l’horizon fleuri d’églises espagnoles et de longues plages de sables, est devenue laide et fait partie de ces paradis bétonnés pour touristes et noceurs en goguette. Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle la Saint-Tropez urugayenne. C’est également dans cette ville de l’auteur argentin Jorge Luis Borges vint vivre les derniers jours de sa vie.

On retrouve en partie de cette histoire dans les écrits d'Alexander von Humboldt, notamment dans le volume 18 de ses oeuvres (Examen critique de l’histoire de la géographie du Nouveau Continent, et des progrès de l’astronomie nautique aux XVe et XVIe siècles. Paris, Gide, 1814-34. Fol. gr. Col. vél. (Analyse de l’Atlas géographique et physique.))

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Erik Orsenna et son portrait du Gulf-Stream

Erik Orsenna et son portrait du Gulf-Stream

La première fois que j’ai entendu parler d’Erik Orsenna, c’était lorsqu’il était conseiller culturel de François Mtiterrand, dans les années 80. Les personnages comme lui, proches des grands de ce monde, dans les quasi-secrets d’Etat, sont des gens fascinants de par leur proximité des plus hautes affaires de l’Etat. Il fait partie de ces gens, tels que Jacques Attali ou Régis Debray[1] pour qui j’éprouve à la fois un vif intérêt mais aussi une certaine méfiance, car ce sont des gens capables de tout et surtout du meilleur. Je connaissais Orsenna écrivain, sans pour autant avoir lu aucun de ses livres… Il faisait partie de ces gens qu’on voyait sur les plateaux de télévision, auprès de Bernard Pivot ou de Bernard Rapp et qui parlait avec une telle aisance qu’on ne pouvait faire autrement que de laisser son oreille vagabonder au rythme de ses paroles, la mâchoire légèrement pendante. Aussi, lorsque j’ai appris qu’il avait écrit un livre sur le Gulf-Stream[2], je me suis encore plus méfié. L’incursion d’un romancier dans un domaine aussi confidentiel et surtout aussi peu vendeur que la mer ne pouvait que me laisser encore plus méfiant. Quelques années auparavant, mais pas beaucoup, j’étais tombé en pâmoison devant l’excellent Besoin de mer de Hervé Hamon. Aussi, lorsque j’ai lu la quatrième de couv’ du livre d’Orsenna, je me suis dit que c’était là un livre pour moi. Dans l’ordre logique des choses, j’ai appris qu’il était résident de la petite île majestueuse de Bréhat, et l’été dernier, je le croisais par hasard à la librairie du Renard à Paimpol, en polo bleu marine et bermuda… De quoi désacraliser un homme qui depuis peu est académicien.

Portrait du Gulf Stream : Eloge des courants, Seuil 2005
Erik Orsenna est écrivain de marine et conseiller d’Etat. Il préside le Centre de la mer (La Corderie Royale, Rochefort).

Carte du Gulf-Stream datant de 1858

Photo originale en version haute définition visible sur le site de l’Université du Texas

De retour à Paimpol cet été, je me suis dit qu’il serait logique que j’achète ce livre là où j’avais vu l’homme. C’est un acte significatif pour moi, comme lorsque je me suis acheté Mon frère Yves de Pierre Loti à Paimpol, tout près de la maison dans laquelle il vivait lorsqu’il a également écrit les fameux Pêcheurs d’Islande. Le gardant sous le coude, j’avais également décidé de l’endroit et du moment où je me plongerai dans cette lecture. Pour moi, il n’était pas question de le lire ailleurs que dans le train qui allait me ramener à Paris. Je me suis donc lancé une fois installé dans le train, et je m’émerveillai à chaque page de tant d’érudition et de simplicité. Parler des courants marins est une gageure, le sujet n’est pas forcément très démocratique, mais lorsqu’on est amoureux de la mer, on plonge facilement dedans. Je me souviens de ce passage, situé au raz de Sein où Orsenna se définit lui-même comme un collectionneur de courants marins[3]. Quoi qu’il en soit, ce livre est l’expression d’un amour profond pour quelque chose d’impossiblement appréhensible, un courant qui parcourt la mer, influe sur la navigation et surtout décide en partie du climat de l’Europe et réchauffe (de manière relative) les côtes de l’Atlantique.

Parmi les anecdotes et les légendes relevées autour des courants, en voici quelques unes qui ont particulièrement retenu mon attention.

Depuis 1753, Benjamin Franklin est… le maître des Postes de sa ville (…) Ses employés postiers ne savent plus répondre à la colère de leur clientèle. Pourquoi les bateaux qui transportent le courrier d’Angleterre en Amérique sont-ils tellement plus lents que les navires marchands américains ? Pourquoi faut-il les attendre deux ou trois semaines de plus ?

C’est ainsi qu’on apprend que Benjamin Franklin fut un de ceux qui s’intéressa de près à notre cher courant marin et qui mettra en évidence que ces retards sont dus à l’influence du courant, qui en l’occurrence est un courant porteur.

Orsenne nous parle à un moment d’un certain Pape qui se nomme de fait Henry Stommel, un universitaire spécialiste de l’océanographie, dont il nous dit, laconiquement:

Et quand il trouvait la mer un peu vide, le Pape inventait des îles…

Nous renvoyant vers une référence de livre dont le titre donne l’eau à la bouche: Lost Islands: The Story of Islands That Have Vanished from Nautical Charts, University of British Columbia Press, 146 pages, 1984.

Dans ce livre, il n’est pas seulement question du Gulf-Stream, mais des courants en général et de leur formation, expliquée soit par la météorologie, soit par le dessin du fond marin, soit par la géographie entreprise sous un angle logique. Aussi lorsque Orsenna nous raconte une anecdote, alors qu’il partageait encore les secrets d’alcôve de l’Elysée, racontée par le vice-amiral Pierre François Forissier, on tombe de haut. L’auteur demande au marin comment les sous-marins utilisent les courants. L’homme de mer lui raconte une histoire, une histoire remontant aux Phéniciens qui s’étaient déjà rendus compte que le détroit de Gibraltar, ce goulet qui marque l’entrée de la Méditerranée, était profondément battu par des courants marins forts. Aussi, pour pouvoir affronter les vents violents venant de l’Ouest et les courants de surface concomitants et ainsi passer le détroit, les Phéniciens ont plongé les mains dans l’eau, ou plutôt leurs amarres, et ils se sont rendus compte qu’avec la profondeur, un puissant courant entraînait l’amarre à contre-courant, d’est en ouest. La solution était toute trouvée. Ils allaient accrocher des sacs de pierres à leurs bateaux, se laissant ainsi traîner par le courant, plus fort que le courant de surface et le vent conjugués.

maelstrom

L’homme n’est pas avare lorsqu’il s’agit de partager son savoir, il nous invite à voyager et à découvrir des courants au nom aussi exotiques qu’oniriques: le Saltstraummen[4], le Corryvreckan [5] ou le Old Sow Whirlpool[6]. Voici le trio de têtes des courants marins les plus violents du monde. Sans parler du Fromveur, plus proche, qui parcourt l’extrémité de notre Finistère.

Le livre est tout de même un peu alarmant, sans être alarmiste et nous met devant dees conclusions qui peuvent faire peur. Le Gulf-Stream nous réchauffe, mais qu’adviendrait-il s’il cessait de couler dans notre direction ?

Liens:

 

Notes

[1] Auteur de l’excellentissime Vie et mort de l’image, Une histoire du regard en Occident sur lequel j’ai passé un peu temps pour mon mémoire de maîtrise.

[2] Découvert au hasard d’une promenade dans la rue de Morlaix où l’on peut voir une des plus célèbres maisons à Pondalez.

[3] A cette lecture, je ne peux m’empêcher de faire un rapprochement avec l’Anti-Oedipe de Deleuze et Guattari. Oser une lecture deleuzienne d’Orsenna est peut-être gonflé, mais la dynamique des flux, cet amour prononcé pour les courants me fait penser aux flux deleuziens, aux flux coupés, notamment lorsqu’il est question de cette initiative pendant la guerre qui consistait à vouloir construire une muraille pour couper le Gulf-Stream et refroidir le climat européen.

[4] Au large des Lofoten, Norvège

[5] Aux alentours de l’Île de Jura, dans les Nouvelles-Hébrides, Australie

[6] Au Nouveau-Brunswick, Canada