Brautigan Library

Brautigan

Située au dernier étage de la Fletcher Free Library à Burlington, Vermont, la bibliothèque Brautigan est un lieu étrange à plus d’un titre. Tout d’abord, elle emprunte son nom à un écrivain maudit. Richard Brautigan, mort suicidé dans une caravane, isolé du monde, il était une des dernières figures légendaires de la Beat Generation.

D’autre part, Brautigan a écrit un roman, The Abortion, laquelle prend place dans une bibliothèque qui ressemble étrangement à celle-ci. Dans un autre roman, Trout Fishing in America, le dernier mot est le mot mayonnaise. Tout ceci explique le rôle de cette bibliothèque, puisqu’à l’image du roman, ses rayons contiennent des manuscrits de romans non publiés, refusés à la publication ou inachevés.

Unique au monde, c’est un endroit fascinant qui permet de magnifier des oeuvres d’anonymes qui n’ont jamais connu la gloire. D’ailleurs, n’importe quel quidam peut y envoyer ses oeuvres si tant est qu’elles remplissent ces critères. L’autre originalité de ses rayons, c’est que les serres-livres sont des pots de mayonnaise. Inutile de dire que l’idée de cette incongruité a été mise en oeuvre par des inconditionnels du poète.

Liens:

Un peu de tout, vite fait

Du silence

Lorsqu’on pénètre dans une chambre anéchoïque pour écouter le silence, on s’aperçoit au bout d’un moment qu’on entend deux choses: un son continu très aigu et un son intermittent grave. Ces deux sons correspondent respectivement à la fréquence du signal électrique du cerveau et à la pulsation du sang qui circule dans les veines.

Le silence n’existe pas. C’est encore un mot qu’on a inventé et qui ne correspond à rien. Rien de palpable, rien de tangible. Un percept qui nous échappe, un concept qu’on peut tout juste approcher sans le toucher.

Il faudrait arrêter le sang de circuler et enlever le cerveau pour qu’on puisse l’écouter. Le problème c’est qu’on ne pourrait pas l’écouter, puisqu’on serait mort. Et si on est mort, alors on ne peut pas écouter le silence. J’entends souvent dire “le silence, c’est la mort.” .C’est faux. Le silence c’est la vie. Le silence c’est laisser les choses venir à soi d’elles même. Tout un univers de sons discrets à écouter, le plus souvent possible.

John Cage était un compositeur qui, tout comme Marcel Duchamp pour l’art, a donné un sérieux coup d’embrayage à la musique contemporaine. Il a articulé son oeuvre autour de deux notions principales: le silence et le hasard. Ces deux notions se retrouvent dans cette composition célèbre: 4’33.

Yb

Bathysylvivesperosonobuccinophile

Avant de sortir d’une semaine de travail, voici de quoi se détendre un peu. Que l’on soit sujet à la capillotétratomie ou que l’on soit diptérosodomite, ou que l’on soit même atteint de chirohirsutisme, rien ne vaut parfois une bonne séance de cétacéhilarité. En rédigeant ce billet, j’essaie de ne pas tomber dans l’erratippexodactylographisie, ce qui serait franchement mal venu et pour cesser tout endovulnerocultellogyrisme, je vous laisse vous tordre de rire en lisant ce petit lexique de langue xyloglotte (comprendre langue de bois).

Voici comment l’auteur définit lui-même ce catalogue:

Le xyloglotte (en grec : langue de bois) est une langue nouvelle reposant sur le concept incontournable du complexificationnage. L’idée maîtresse s’exprime et se comprend aisément : pourquoi, comme le disait autrefois mon prof de math, se compliquer la vie à faire simple alors qu’il est si simple de faire compliqué ? Alors s’il existe des mots et des expressions compréhensibles par le commun des mortels, quoi de plus distrayant que de les rendre abscons ? Vous en avez rêvé, je l’ai fait.

Le livre et la glèbe

L’aspect d’un livre compte pour beaucoup dans l’acte d’achat. Lorsque je cherche un livre, comme par exemple la semaine, et que son aspect me rebute, rien à faire, ce n’est pas la peine que je l’achète car je sais que je ne le lirai pas. Je suis tombé sur sur Au-dessous du Volcan, le superbe livre de Malcolm Lowry (site officiel) et dont l’adaptation au cinéma par John Houston avec Albert Finney est une petite merveille du 7ème art, édité, il me semble, dans la collection Points Seuil. La simple vue de ces pages de mauvaise qualité, de la typographie ramassée et tout sauf moderne et de ces larges marges, j’ai presque jeté le bouquin comme si je venais de toucher le cadavre d’un animal mort. C’est plus fort que moi, je ne peux pas supporter ça.

Type Generator

Pareillement, un livre qu’a priori je n’achèterai pas en fonction de son auteur ou de son titre peut au contraire faire l’objet d’une belle surprise. Je pense notamment aux livres de la collection Bibliothèque Pavillons chez Robert Laffont, qui a eu la présence d’esprit de faire appel à un designer pour la concevoir. J’ai acheté un livre de Tennessee Williams, Sucre d’Orge sur lequel je n’aurais peut-être jamais posé les yeux si sa couverture à la fois brillante et mate, épurée et dont l’harmonie des couleurs fait envie, ne m’avait pas ainsi chatouillé les papilles oculaires.

D’autre part, je déteste les livres brochés. Je ne sais pas pourquoi mais sans parler du prix, j’ai toujours préféré lire les livres au format de poche. D’une part parce qu’ils sont d’un moindre encombrement dans une bibliothèque (surtout lorsque celle ci menace d’empiéter chaque un jour un peu plus sur l’espace vital) mais aussi parce que rien n’est aussi transportable qu’un livre de poche, dans un sac, dans une poche. Il n’y a que de très rares exceptions: Ulysse et Finnegann’s Wake de James Joyce, quelques tomes des oeuvres complètes d’Antonin Artaud, mais à part ça, je n’ai que des livres de poche. Sont exclus de mini-bibliothèque les éditions J’ai Lu, Garnier-Flammarion et Livre de Poche pour leur excessive laideur et le papier tour juste à subir le même sort que les pages du Figaro, c’est à dire boucher les toilettes. Par contre, y figurent en bonne place les éditions 10/18, Actes Sud et Points Seuil.

Mes critères de sélection d’un livre (en dehors des critères d’auteur et de titre) ? Sa couverture, la qualité de son papier, la typographie utilisée, sa consistance, son odeur, sa présence…

Nostalgiques de tous les pays, unissez-vous…

Billet rédigé en collaboration avec Fabienne.

Leonid Brejnev

L’Est, le grand Est, celui qui pendant des années, au coeur du XXe siècle, a jeté une ombre glacée sur le monde en terrorisant les foules, iconographie du bolchévik, couteau entre les dents à la clef…Cet Est-là n’existe plus, il fait désormais partie du passé, même si quelques soubresauts inoffensifs se font parfois ressentir ça et là, mais de manière marginale. Pendant longtemps, tout ce qui se trouvait sur le territoire de l’ex-URSS (les Républiques soviétiques comme les pays satellites, de la Pologne à la Bulgarie) faisait peur, et rappelle certainement encore aujourd’hui de mauvais souvenirs. Evidemment, l’URSS, ce sont les goulags, la déportation, la répression politique et la répression tout court, des millions de morts, l’esclavage, le stalinisme…. Bref, un tableau bien sombre dans un paysageIouru Andropov immense et glacial. Je me souviens encore que lorsque j’étais tout gamin, j’ai vu se succéder à la tête de l’URSS des hommes à la mine renfrognée et austère : Leonid Brejnev, Iouri Andropov et Konstantin Tchernenko… Je me souviens également d’avoir étudié l’URSS lorsque j’étais au collège, ses innombrables républiques, les kolkhozes et les sovkhozes, la NEP[1], l’Industrialisation et les Grandes Purges. Tout ceci paraissait à la fois tellement barbare et tellement intriguant. En plein milieu du XXè siècle et après une guerre qui a fait des millions des morts, l’enfant que j’étais découvrait un monde sombre, dans lequel les films de James Bond m’avaient déjà trempé.

L’URSS, c’était aussi une menace. Une menace très concrète et très proche de nous. Berlin et son mur, ce sont plus que de simples notions, c’était une réalité avec laquelle nous qui sommes nés pendant la Guerre froide ou pendant cette période étrange qu’on appelait “la détente”, nous avons grandi. Je me souviens très bien des quelques informations, des quelques images qui nous parvenaient de par delà le rideau de fer: les files de gens qui attendaient dans le froid devant les commerces aux étals aussi vides que leurs regards, l’annonce de la mort d’un premier secrétaire du Parti, avec 4 ou 5 jours de retard, les défilés militaires sur la Place Rouge, et les tentatives de centaines de désespérés pour passer à l’Ouest.

Le monde, avant la chute de l’URSS, était bipolaire: les gentils à l’Ouest versus les méchants à l’Est; la liberté d’expression, le commerce et la prospérité du côté des USA (modèle indiscuté alors) versus le mutisme, les prix contrôlés et la déchéance du côté de Moscou; les champions blacks versus les nageuses est-allemandes. C’était là notre monde et la situation semblait figée, figée dans ce froid immense qui régnait des chantiers navals de Gdansk au port de Vladivostok.

Pourtant, il y a quelques années de cela, lors de la période chaotique et alcoolisée pendant laquelle a régné un certain Boris Eltsine, successeur putschiste du regretté Gorbatchev, je me souviens de ces images perturbantes pour un adolescent qui visiblement en perdait son latin. Des foules amassées sur la Place Rouge portant la banière rouge marquée en jaune de la faucille et du marteau, haranguaient les passants et réclamaient le retour au Communisme… Je découvrais les néo-communistes au travers de mon petit écran.

Depuis cette époque, on a diabolisé tout ce bloc qui est à l’est, aujourd’hui déchu…

J’ai posé quelques questions à Romu parce que je sais que l’univers qu’il représente sur son blog est pétri de cette iconographie. Ses réponses sont pour le moins surprenantes.

Moi: Pour toi, qu’est ce qui est attirant dans la Russie ? L’est, Le communisme?
Romu: Une époque dont on n’a jamais vraiment rien su, des lieux interdits et dont il ne reste que des traces éparpillées. Le Grand Meaulne quoi…
Moi: Et pourquoi tes blogs font référence à la Russie ?
Romu: Pour cette raison, ce sont des traces, comme dans une centaine d’années, il restera des traces sublimées de cet Internet.

Il m’a ensuite parlé de ce logo, en haut à droite de son blog.

Le petit bonhomme avec la kalash, c’est l’Ampfelmann, le bonhomme des feux d’Allemagne de l’est créé par un génie du design est-allemand. A la chute du mur, tous les est berlinois étaient pour le libéralisme, l’Ouest et les USA. Puis ensuite, ils ont commencé à réaliser.
Le temps est passé et les mécontentements se sont tassés.
Jusqu’au jour ou par souci d’uniformité, l’Ouest a voulu enlever les bonshommes des feux. Tollé général, manifs…
Les feux sont restés, finalement et l’année suivante, le parti communiste a fait 40 % aux législatives…
L’Ouest, c’est ce genre d’anecdotes irrationnelles.

Place Rouge

Au final, il reste une iconographie qui commence à être reprise et dont on a réussi à évacuer le sens non vertueux, un pays immense et encore mystérieux qui contient une histoire complexe, riche, à l’image de la longueur de ses frontières, une iconographie pour nostalgiques du grandiose.


Notes

[1] Nouvelle Economie Politique

L’organe du mal absolu

Il n’en faut pas plus pour m’obséder. J’ai visionné hier soir le troisième volet du Seigneur des Anneaux, Le Retour du Roi et c’est avec surprise que j’ai constaté que dans la version expurgée, une scène avait été honteusement coupée. Cette scène correspond au chapitre X du livre 5, nommé The Black Gate Opens. Je comprends d’autant moins qu’elle ait été coupée au vu du contexte.

Mouth of Sauron

En effet, Aragorn décide d’attaquer les Orques à la Porte Noire du Mordor pour que l’Oeil de Sauron se détourne de Frodon dont personne n’a plus aucune nouvelle et qui gravit les pentes escarpées de la Montagne. La communauté de l’Anneau se retrouve devant la porte et en sort un personnage effrayant qui se nomme lui-même la Bouche de Sauron. N’ayant pas lu le livre en entier, j’ai tout de même retrouvé le texte original et la description qu’en fait Tolkien diffère légèrement de ce que Peter Jackson a porté à l’écran. Mais dans cette scène, la Bouche de Sauron jette à la figure de Gandalf, la cotte de maille en mithril de Frodon, laissant ainsi croire que celui-ci est mort, ce qui va bien sur motiver ses amis à se battre jusqu’au bout. Le personnage de Jackson est d’une hideur hors du commun, affublé d’une bouche que l’on pourrait croire privée de lèvres, aux dents immensément longues et gâtées, dont le contour semble être maculé de sang coagulé. Son heaume lui couvre les yeux, dont il n’a pas besoin puisqu’il n’est que l’expression d’une partie de Sauron, lui même surmatérialisé par son oeil et les déplacements de sa tête sont rapides. La bouche semble elle même figée dans un rictus narquois et forcé découvrant les dents. La scène est presque comique. Mais elle l’est encore plus lorsqu’Aragorn, de rage, passe derrière le personnage toujours en train de parler et le décapite d’un coup rapide.

Tolkien dit que ce qui se trouve là n’est pas un Ringwraith[1] mais bien un être humain, dont le nom n’est dans aucune mémoire et que lui-même a oublié. Ce personnage, le Lieutenant de la Tour de Barad-dyr, n’est plus rien, entièrement dévoué à Sauron, il devient un de ses organes, Sauron voyant le monde de son Oeil matérialisé sur la tour, il parle au travers de ce fantôme. La bouche est surreprésentée, extraite ici pour en faire un objet de terreur et exprimer directement toute la dimension maléfique de Sauron. A plusieurs reprises dans la roman et dans le film, l’oeil apparait, mais la bouche n’apparait qu’une seule fois – et pour cause, la parole est subitement coupée – pour une raison bien précise ; Sauron a un message à délivrer. Il a déjà à son actif les défaites du gouffre de Helm et de Minas-Thitith et les vainqueurs sont aux portes de son domaine ; son seul moyen de déstabilisation est de leur faire croire que Frodon est entre leurs mains. La bouche n’est pas simplement organe, elle la voix qui annonce, qui dit, alors que tout le mal ne se manifeste que par l’horreur et la force brutale. C’est une sorte d’événement alors que nous sommes presque à la fin de l’histoire. Le dénouement est proche.

There was a long silence, and from wall and gate no cry or sound was heard in answer. But Sauron had already laid his plans, and he had a mind first to play these mice cruelly before he struck to kill. So it was that, even as the Captains were about to turn away, the silence was broken suddenly. There came a long rolling of great drums like thunder in the mountains, and then a braying of horns that shook the very stones and stunned men’s ears. And thereupon the middle door of the Black Gate was thrown open with a great clang, and out of it there came an embassy from the Dark Tower.
At its head there rode a tall and evil shape, mounted upon a black horse, if horse it was; for it was huge and hideous, and its face was a frightful mask, more like a skull than a living head, and in the sockets of its eyes and in its nostrils there burned a flame. The rider was robed all in black, and black was his lofty helm; yet this was no Ringwraith but a living man. The Lieutenant of the Tower of Barad-dyr he was, and his name is remembered in no tale; for he himself had forgotten it, and he said: ‘I am the Mouth of Sauron.’ But it is told that he was a renegade, who came of the race of those that are named the Black Nomenureans; for they established their dwellings in Middle-earth during the years of Sauron’s domination, and they worshipped him, being enamoured of evil knowledge. And he entered the service of the Dark Tower when it first rose again, and because of his cunning he grew ever higher in the Lord’s favour; and he learned great sorcery, and knew much of the mind of Sauron; and he was more cruel than any orc.

Then the Messenger of Mordor laughed no more. His face was twisted with amazement and anger to the likeness of some wild beast that, as it crouches on its prey, is smitten on the muzzle with a stinging rod. Rage filled him and his mouth slavered, and shapeless sounds of fury came strangling from his throat. But he looked at the fell faces of the Captains and their deadly eyes, and fear overcame his wrath. He gave a great cry, and turned, leaped upon his steed, and with his company galloped madly back to Cirith Gorgor. But as they went his soldiers blew their horns in signal long arranged; and even before they came to the gate Sauron sprang his trap.
Drums rolled and fires leaped up. The great doors of the Black Gate swung back wide. Out of it streamed a great host as swiftly as swirling waters when a sluice is lifted.

La bouche est ici l’organe du mal absolue. Pour la première fois, on le voit se matérialiser autrement que sous la forme d’armées immenses, de spectres sans visage. De plus, elle est ici pour énoncer les termes que Sauron veut imposer pour regagner la Terre du Milieu par l’échange de Frodon. Expression de la lâcheté, elle se fait l’expression d’un marchandage. La bouche est le médium par lequel s’exprime la voix, c’est la voie. De tous temps, la bouche a pris une place importante dans les croyances des hommes puisque c’est souvent le vecteur d’un transit entre le monde des vivants et celui des morts. Dans la Grêce Antique, on glissait une pièce dans la bouche des morts pour qu’ils puissent s’acquitter symboliquement de leur obole à Charon qui leur faisait traverser les fleuves des enfers. Dans les contes occidentaux, la bouche absorbe des oeufs sacrés, crache des serpents ou des diamants. Dans la liturgie catholique, elle est le réceptacle du corps du Christ. C’est là le siège d’un double mouvement, passage entre l’intériorité et le monde extérieur. Destinée à se nourrir, elle se voit aussi troublée par les vomissements et les crachats, expressions de l’abject intérieur. Toutefois, elle demeure quand même le siège d’un des actes fondamentaux de l’humanité: la parole, le dire. C’est la raison pour laquelle la Bouche de Sauron ne peut pas être un spectre, mais un humain. Seuls les humains sont porteurs de paroles, si sombre et maléfique soit-elle.

Peter Jackson a finalement quelque peu rendu justice au texte original, puisque lorsque Gandalf dit qu’ils refusent de se plier au marché de Sauron, le Lieutenant de la Tour de Barad-dyr se contente de pousser un grand cri. Dans le film, Aragorn prend l’être maléfique par surprise et lui coupe la tête d’un coup net. La bouche tombe. La parole est ainsi coupée, et l’on y voit clairement toute la dimension symbolique de cet acte.

A bien des égards, le Seigneur des Anneaux est un roman précurseur dans le sens où il préfigure la plupart des thématiques abordées ensuite dans les romans de fantasy. Ecrit en 1954 pour la première partie (la communauté de l’anneau), le fil rouge du livre est le combat contre le mal absolu, mais apparait en filigrane, une thématique plus profonde. Il y est question de la faiblesse des humains face à la tentation du pouvoir et de leur vanité, et il apparait clairement que ceux-ci ne pourront retrouver leur grandeur qu’en montrant leur honnêteté et en s’affrachissant de l’emprise de la magie et de la sorcellerie. La chute de Sauron n’est pas seulement le moment de la victoire du bien sur le mal, mais principalement, l’avènement de l’Âge des Hommes, l’âge où les humains auront réussi à ne plus placer leur destin entre les mains des sorciers ; ils doivent conquérir leur liberté en repoussant tout ce qui influe sur le cours de leur destin et ne s’en remettre qu’à eux-mêmes. On verra cette thématique incroyablement développée dans le cycle du Champion éternel chez Michael Moorcock, notamment à la fin du cycle d’Elric le Nécromancien, où le héros (en fait un anti-héros) se retrouvera seul à la fin des temps, ayant entre ses mains la possibilité de choisir entre son destin et la fin de l’univers. Pour en revenir au sujet de ce billet, je trouve dommage que l’on ait coupé cette scène qui apporte un éclairage très symbolique à l’histoire.

Liens:

  1. La Bouche de Sauron
  2. La vidéo
  3. Le Seigneur des Anneaux sur Wikipedia
  4. John Ronald Reuel Tolkien
  5. Le film
  6. Lord of the Rings
  7. Michael Moorcock
  8. Elric of Melniboné

Notes

[1] Un des neufs Seigneurs de l’Anneau, les Nazgul

Simon Leys, les naufragés du Batavia et Prosper

Je suis un grand théoricien du voyage immobile – Mobilis in mobile -, et depuis mon fauteuil, permettez-moi de conter cette histoire et ce livre. Rares sont les oeuvres, si condensées soient-elles, qui pourvoient le voyage à si haute dose. Je ne suis pourtant pas amateur de documents, mais les histoires comme celles-ci, sorties du néant au sein de mon univers sont des perles dont je me plais à me tresser des colliers. Laissez-moi broder cette tunique avec mes mots.Le livre de Simon Leys[1] commence en ces termes:

Il vous est venu une superbe idée dont vous rêveriez de faire un livre? Ne vous empressez pas de passer à l’exécution ; ce n’est pas nécessaire, car vous pouvez être sür que, tôt ou tard, quelqu’un d’autre aura la même idée… et en fera un usage parfait.

Leys raconte comment il tarda à écrire le livre qu’il mit des années à préparer et comment finalement, il fut supplanté par un nommé Mike Dash qui a écrit après lequel, selon ses termes, Il ne me reste plus rien à dire. On sent la détresse de l’homme de ne pas s’être attelé à la tâche avant qu’il ne soit trop tard. Une thématique à la Bartleby sur le fait de ne pas écrire. Toutefois, il rend justice à l’homme, auteur d’un Batavia’s Graveyard[2]

Et maintenant, en publiant les quelques pages qui suivent, mon seul souhait est qu’elle puisse vous inspirer le désir de lire son livre.

Le livre est composé de deux documents. Les naufragés du Batavia est un document relatant une tragédie qui en son temps marqua plus les esprits que ne le fit en son temps le naufrage du Titanic, les deux histoires étant reliées par le fait que ces deux naufrages ont eu lieu alors que l’orgueil de leur détenteur était particulièrement exacerbé, dans des contextes historiques presque similaires. Prosper est le récit d’une marée, une pêche sur un des derniers thoniers[3] bretons en 1958. Deux histoires qui n’ont comme point commun que la mer. D’un côté le malheur de terriers embarqués et l’incompétence de marins médiocres, de l’autre des hommes d’expérience, rudes et silencieux, pêchant par amour du large.

L’histoire du Batavia est une histoire tragique. Un navire de la VOC (Vereenigde Oostindische Compagnie[4]), le Batavia, après avoir fait escale au Cap, part pour Java. Tout tourne autour de trois hommes. Francisco Polsaert est un haut-fonctionnaire peu au fait avec les choses de la marine. De plus, il est d’une constitution fragile. C’est lui le subrécargue du navire, le commandant. Vient ensuite Ariaen Jacbosz, un homme colérique et porté sur la boisson, violent. C’est lui le skipper. Un troisième, engagé au petit bonheur la chance, passe relativement inaperçu. Il s’appelle Jeronimus Cornelisz ou Corneliszoon et son métier est apothicaire. Il fuit les Pays-Bas non pas parce que son affaire a connu les malchances de la faillite mais à cause de ses fréquentations avec un homme nommé Torrentius (de son vrai nom Johannes Symoonisz). Torrentius est un personnage étrange qui a réussi a échapper à la peine de mort pour ses activités pour le moins obscure, et s’est finalement retrouvé à la cours du roi d’Angleterre comme peintre officiel. Toutefois, il peint peu et retourne dans son pays où il meurt dans la misère. De cette existence chaotique ne subsiste qu’un seul tableau, les autres ayant été brulés. Ce tableau, Still Life with Bridle est une allégorie de la tempérance, ce qui assez étrange lorsqu’on sait que l’homme a été accusé de lubricité et autres excès en tous genre.

Le bateau se dirige donc vers Java, mais les connaissances en navigation sont encore légères à cette époque, le skipper est mauvais matelot et le navire est drossé sur l’Archipel des Houtman Abrolhos, un récif corallien lardé de hauts-fonds. La coque se fiche sur une barrière de corail et n’en ressortira jamais. Les réfugiés s’amassent sur des petites ilots avec vivres et armes, pendant que déjà le subrécargue et le skipper projettent de mettre une yole à l’eau pour rejoindre Java et chercher du secours. L’opération se fera de nuit pour ne pas entrainer de bousculades. C’est là que l’histoire devient dramatique, puisque la personnalité psychotique de Cornelisz va s’éveiller. Ayant déjà tenté une mutinerie alors que le navire était encore à flot, il embrigade des hommes pour exercer un pouvoir sans merci sur les trois cent personnes entassées là. L’horreur commence, la moindre incartade est punie de mort dans des conditions affreuses, les enfants sont égorgés, les femmes violées, et les exécutions se succèdent. Cornelisz étend son pouvoir en divisant les rescapés sur plusieurs îles, souhaitant que sans leur aide ils périssent d’inanition, mais un groupe se détache. Pendant plusieurs semaines les massacres vont se succéder et les animosités s’exacerber, puisque le groupe situé sur l’île la plus grande va finalement se rebeller et Cornelisz sera finalement maitrisé juste avant que Polsaert et Jacbosz ne reviennent avec les secours. Sur les îles où cohabitèrent plus de trois cents rescapés, seule une petite cinquante retrouva la terre ferme. Les autres périrent sous la violence des séides de Cornelisz et de sa folie dévastatrice et inexplicable, à tel point qu’une des îles porte le nom de Cimetière du Batavia. Cornelisz finit pendu sur l’île.

Une histoire bouversante, à découvrir en détail dans le livre de Simon Leys.

Liens:

Notes

[1] De son vrai nom Pierre Ryckmans, essayiste, écrivain et sinologue Belge.
[2] Traduit en français sous le titre l’Archipel des Hérétiques, chez Lattès en 2002.
[3] Le thonier est un bateau armé de tangons (espar fixé au mât qui écarte le point d’écoute d’un foc par petit temps ou maintient le bras d’un spi. Il est réglé par une balancine et un hale-bas.) destinés à tirer des lignes en surface.
[4] Compagnie néerlandaise des Indes orientales

Histoire du pêcheur (Antoine Galland)

Antoine Galland est le premier à avoir traduit les Mille et une nuits en français. Morceau choisi.

Il y avait autrefois un pêcheur fort âgé, et si pauvre, qu’à peine pouvait-il gagner de quoi faire subsister sa femme et trois enfants, dont sa famille était composée. Il allait tous les jours à la pêche de grand matin, et chaque jour il s’était fait une loi de ne jeter ses filets que quatre fois seulement. Il partit un matin au clair de lune, et se rendit au bord de la mer. Il se déshabilla et jeta ses filets ; et comme il les tirait vers le rivage il sentit d’abord de la résistance. Il crut avoir fait une bonne pêche, et s’en réjouissait déjà en lui-même ; mais un moment après, s’apercevant qu’au lieu de poisson il n’y avait dans ses filets que la carcasse d’un âne, il en eut beaucoup de chagrin… Quand le pêcheur, affligé d’avoir fait une si mauvaise pêche, eut raccommodé ses filets, que la carcasse de l’âne avait rompus en plusieurs endroits, il les jeta une seconde fois. En les tirant, il sentit encore beaucoup de résistance, ce qui lui fit croire qu’ils étaient remplis de poissons ; mais il n’y trouva qu’un grand panier plein de gravier et de fange. Il en fut dans une extrême affliction.
– 0 fortune ! s’écria-t-il d’une voix pitoyable, cesse d’être en colère contre moi, et ne persécute point un malheureux qui te prie de l’épargner ! Je suis parti de ma maison pour venir ici chercher ma vie, et tu m’annonces ma mort. Je n’ai pas d’autre métier que celui-ci pour subsister, et malgré tous les soins que j’y apporte, je puis à peine fournir aux plus pressants besoins de ma famille. Mais j’ai tort de me plaindre de toi, tu prends plaisir à maltraiter les honnêtes gens et à laisser de grands hommes dans l’obscurité, tandis que tu favorises les méchants et que tu élèves ceux qui n’ont aucune vertu qui les rende recommandables. En achevant ces plaintes, il jeta brusquement le panier, et après avoir bien lavé ses filets que la fange avait gâtés, il les jeta pour la troisième fois. Mais il n’amena que des pierres, des coquilles et de l’ordure. On ne saurait expliquer quel fut son désespoir : peu s’en fallut qu’il ne perdît l’esprit. Cependant, comme le jour commençait à paraître, il n’oublia pas de faire sa prière en bon musulman, ensuite il ajouta celle-ci :
– Seigneur, vous savez que je ne jette mes filets que quatre fois chaque jour. Je les ai déjà jetés trois fois sans avoir tiré le moindre fruit de mon travail. Il ne m’en reste plus qu’une ; je vous supplie de me rendre la mer favorable, comme vous l’avez rendue à Moïse. Le pêcheur, ayant fini cette prière, jeta ses filets pour la quatrième fois. Quand il jugea qu’il devait y avoir du poisson, il les tira comme auparavant avec assez de peine. Il n’y en avait pas pourtant ; mais il y trouva un vase de cuivre jaune, qui, à sa pesanteur, lui parut plein de quelque chose, et il remarqua qu’il était fermé et scellé de plomb, avec l’empreinte d’un sceau. Cela le réjouit :
– Je le vendrai au fondeur, disait-il, et de l’argent que j’en ferai, j’en achèterai une mesure de blé. Il examina le vase de tous côtés, il le secoua pour voir si ce qui était dedans ne ferait pas de bruit. Il n’entendit rien, et cette circonstance, avec l’empreinte du sceau sur le couvercle de plomb, fit penser qu’il devait être rempli de quelque chose de précieux. Pour s’en éclaircir, il prit son couteau, et, avec un peu de peine, il l’ouvrit. Il en pencha aussitôt l’ouverture contre terre, mais il n’en sortit rien, ce qui le surprit extrêmement. Il le posa devant lui, et pendant qu’il le considérait attentivement, il en sortit une fumée fort épaisse qui l’obligea à reculer deux ou trois pas en arrière. Cette fumée s’éleva jusqu’aux nues, et, s’étendant sur la mer et sur le rivage, forma un gros brouillard, spectacle qui causa, comme on peut se l’imaginer, un étonnement extraordinaire au pêcheur. Lorsque la fumée fut toute hors du vase, elle se réunit et devint un corps solide, dont il se forma un génie deux fois aussi haut que le plus grand de tous les géants. A l’aspect d’un monstre d’une grandeur si démesurée, le pêcheur voulut prendre la fuite ; mais il se trouva si troublé et si effrayé, qu’il ne put marcher.
– Salomon, s’écria d’abord le génie, Salomon, grand prophète de Dieu, pardon, pardon, jamais je ne m’opposerai à vos volontés. J’obéirai à tous vos commandements… Le pêcheur n’eut pas sitôt entendu les paroles que le génie avait prononcées, qu’il se rassura et lui dit :
– Esprit superbe, que dites-vous ? Il y a plus de dix-huit cents ans que Salomon, le prophète de Dieu, est mort, et nous sommes présentement à la fin des siècles. Apprenez-moi votre histoire, et pour quel sujet vous étiez renfermé dans ce vase. A ce discours, le génie, regardant le pêcheur d’un air fier, lui répondit :
– Parle-moi plus civilement : tu es bien hardi de m’appeler esprit superbe.
– Eh bien ! repartit le pêcheur, vous parlerai-je avec plus de civilité en vous appelant hibou du bonheur ?
– Je te dis, repartit le génie, de me parler plus civilement avant que je te tue.
– Eh ! pourquoi me tueriez-vous ? répliqua le pêcheur. Je viens de vous mettre en liberté ; l’avez-vous déjà oublié ?
– Non, je m’en souviens, repartit le génie ; mais cela ne m’empêchera pas de te faire mourir, et je n’ai qu’une seule grâce à t’accorder.
– Et quelle est cette grâce ? dit le pêcheur.
– C’est, répondit le génie, de te laisser choisir de quelle manière tu veux que je te tue.
– Mais en quoi vous ai-je offensé ? reprit le pêcheur. Est-ce ainsi que vous voulez me récompenser du bien que je vous ai fait ?
– Je ne puis te traiter autrement, dit le génie ; et afin que tu en sois persuadé, écoute mon histoire : Je suis un de ces esprits rebelles qui se sont opposés à la volonté de Dieu. Tous les autres génies reconnurent le grand Salomon, prophète de Dieu, et se soumirent à lui. Nous fümes les seuls, Sacar et moi, qui ne voulümes pas faire cette bassesse. Pour s’en venger, ce puissant monarque chargea Assaf, fils de Barakhia, son premier ministre, de me venir prendre. Cela fut exécuté. Assaf vint se saisir de ma personne et me mena malgré moi devant le trône du roi son maître. Salomon, fils de David, me commanda de quitter mon genre de vie, de reconnaître son pouvoir et de me soumettre à ses commandements. Je refusai hautement de lui obéir, et j’aimai mieux m’exposer à tout son ressentiment que de lui prêter le serment de fidélité et de soumission qu’il exigeait de moi. Pour me punir, il m’enferma dans ce vase de cuivre, et afin de s’assurer de moi et que je pusse pas forcer ma prison, il imprima lui-même sur le couvercle de plomb son sceau, où le grand nom de Dieu était gravé. Cela fait, il mit le vase entre les mains d’un des génies qui lui obéissaient, avec ordre de me jeter à la mer ; ce qui fut exécuté à mon grand regret. Durant le premier siècle de ma prison, je jurai que si quelqu’un m’en délivrait avant les cent ans achevés, je le rendrais riche, même après sa mort. Mais le siècle s’écoula, et personne ne me rendit ce bon office. Pendant le second siècle, je fis serment d’ouvrir tous les trésors de la terre à quiconque me mettrait en liberté ; mais je ne fus pas plus heureux. Dans la troisième, je promis de faire puissant monarque mon libérateur, d’être toujours près de lui en esprit, et de lui accorder chaque jour trois demandes, de quelque nature qu’elles pussent être ; mais ce siècle se passa comme les deux autres, et je demeurai toujours dans le même état. Enfin, désolé, ou plutôt enragé de me voir prisonnier si longtemps, je jurai que si quelqu’un me délivrait dans la suite, je le tuerais impitoyablement et ne lui accorderais point d’autre grâce que de lui laisser le choix du genre de mort dont il voudrait que je le fisse mourir : c’est pourquoi, puisque tu es venu ici aujourd’hui, et que tu m’as délivré, choisis comment tu veux que je te tue. Ce discours affligea fort le pêcheur.
– Je suis bien malheureux, s’écria-t-il, d’être venu en cet endroit rendre un si grand service à un ingrat ! Considérez, de grâce, votre injustice, et révoquez un serment si peu raisonnable. Pardonnez-moi, Dieu vous pardonnera de même : si vous me donnez généreusement la vie, il vous mettra à couvert de tous les complots qui se formeront contre vos jours.
– Non, ta mort est certaine, dit le génie ; choisis seulement de quelle sorte tu veux que je te fasse mourir. Le pêcheur, le voyant dans la résolution de le tuer, en eut une douleur extrême, non pas tant pour l’amour de lui, qu’à cause de ses trois enfants dont il plaignait la misère où ils allaient être réduits par sa mort. Il tâcha encore d’apaiser le génie.
– Hélas ! reprit-il, daignez avoir pitié de moi, en considération de ce que j’ai fait pour vous.
– Je te l’ai déjà dit, repartit le génie, c’est justement pour cette raison que je suis obligé de t’ôter la vie.
– Cela est étrange, répliqua le pêcheur, que vous vouliez absolument rendre le mal pour le bien. Le proverbe dit que qui fait du bien à celui qui ne le mérite pas en est toujours mal payé. Je croyais, je l’avoue, que cela était faux : en effet, rien ne choque davantage la raison et les droits de la société ; néanmoins, j’éprouve cruellement que cela n’est que trop véritable.
– Ne perdons pas le temps, interrompit le génie ; tous tes raisonnements ne sauraient me détourner de mon dessein. Hâte-toi de dire comment tu souhaites que je te tue. La nécessité donne de l’esprit. Le pêcheur s’avisa d’un stratagème :
– Puisque je ne saurais éviter la mort, dit-il au génie, je me soumets donc à la volonté de Dieu. Mais avant que je choisisse un genre de mort, je vous conjure, par le grand nom de Dieu, qui était gravé sur le sceau du prophète Salomon, fils de David, de me dire la vérité sur une question que j’ai à vous faire. Quand le génie vit qu’on lui faisait une adjuration qui le contraignit de répondre positivement, il trembla en lui-même, et dit au pêcheur :
– Demande-moi ce que tu voudras, et hâte-toi. Le génie, ayant promis de dire la vérité, le pêcheur lui dit :
– Je voudrais savoir si effectivement vous étiez dans ce vase ; oseriez-vous en jurer par le grand nom de Dieu ?
– Oui, répondit le génie, je jure par ce grand nom que j’y étais, et cela est très véritable.
– En bonne foi, répondit le pêcheur, je ne puis vous croire. Ce vase ne pourrait pas seulement contenir un de vos pieds : comment se peut-il que votre corps y ait été renfermé tout entier ?
– Je te jure pourtant, repartit le génie, que j’y étais tel que tu me vois. Est-ce que tu ne me crois pas, après le grand serment que je t’ai fait ?
– Non, vraiment, dit le pêcheur, et je ne vous croirai point, à moins que vous ne me fassiez voir la chose. Alors il se fit une dissolution du corps du génie, qui, se changeant en fumée s’étendit comme auparavant sur la mer et sur le rivage, et qui, se rassemblant ensuite, commença de rentrer dans le vase, et continua de même par une succession lente et égale, jusqu’à ce qu’il n’en restât plus rien au-dehors. Aussitôt il en sortit une voix qui dit au pêcheur :
– Eh bien ! incrédule pêcheur, me voici dans le vase : me crois-tu présentement ? Le pêcheur, au lieu de répondre au génie, prit le couvercle de plomb, et ayant fermé promptement le vase :
– Génie, lui cria-t-il, demande-moi grâce à ton tour, et choisis de quelle mort tu veux que je te fasse mourir. Mais non, il vaut mieux que je te rejette à la mer, dans le même endroit d’où je t’ai tiré puis je ferais bâtir une maison sur ce rivage, où je demeurerai, pour avertir tous les pêcheurs qui viendront y jeter leurs filets de bien prendre garde de repêcher un méchant génie comme toi qui as fait serment de tuer celui qui te mettra en liberté. A ces paroles offensantes, le génie, irrité, fit tous ses efforts pour sortir du vase ; mais c’est ce qui ne lui fut pas possible : car l’empreinte du sceau du prophète Salomon, fils de David, l’en empêchait. Aussi, voyant que le pêcheur avait alors l’avantage sur lui, il prit le parti de dissimuler sa colère.
– Pêcheur, lui dit-il d’un ton radouci, garde-toi bien de faire ce que tu dis. Ce que j’en ai fait n’a été que par plaisanterie, et tu ne dois pas prendre la chose sérieusement.
– 0 génie, répondit le pêcheur, toi qui étais, il n’y a qu’un moment, le plus grand, et qui es à cette heure le plus petit de tous les génies, apprends que tes artificieux discours ne te serviront de rien. Tu retourneras à la mer. Si tu y as demeuré tout le temps que tu m’as dit, tu pourras bien y demeurer jusqu’au jour du jugement. Je t’ai prié au nom de Dieu de ne me pas ôter la vie, tu as rejeté mes prières je dois te rendre la pareille.

Post-mortem

Pour compléter le billet que j’avais écrit sur le livre des morts, voici de quoi compléter l’information. Sur the Kircher Society, décidément très portée sur la chose, on peut trouver de nouveaux liens à propos des photos post-mortem de l’époque victorienne. Pratique pas vraiment chrétienne et foncièrement morbide, elle n’en demeure pas moins intéressante. Âmes sensibles s’abstenir.

Liens:

  1. Post-mortem photography
  2. Haunted When It Rains Book of the Dead Victorian Post-Mortem Photography
  3. MOURNING AND FUNERAL USAGES (Victorian Etiquette for Funerals)
  4. Postmortem – 1: done, occuring, or collected after death.