Rio de Janeiro, capitale provisoire

En une longue énumération qui va à l’essentiel, Blaise Cendrars dépeint une ville qui vit, dont le coeur palpite dans la poitrine de l’Amérique du Sud aux abords de l’Amazonie, face à l’Océan. Je me suis plu à illustrer ce billet avec une photo d’Iko, qui nous a ramené de beaux souvenirs de son tour du monde. En bonus, une vidéo musicale qui rappellera certainement des souvenirs à certains d’entre vous, par Chico Buarque.

Photo © l’ami Iko

Avec ses deux millions d’habitants, ses aérogares et ses terrains d’aviation aménagés dans les remblais et démolitions du Morro do Castello, ses quatre-vingt seize kilomètres de plage, de la Vermelha à la Gávea, soigneusement équipées et pourvues de piscines, de salons de beauté, de cinémas et de bars, ses casions, ses boîtes de nuit, ses mornes à macumbas tout vrombissant de tam-tams dans la nuit du vendredi saint, ses golfs, son Yacht-Club, ses gratte-ciel, ses quartiers résidentiels au bord du Guanabara et de l’océan, ses vieilles propriétés de famille dans les collines qui surplombent les rouleaux de l’Atlantique, ses couvents, San Bento, ses églises, la Candelaria, Notre-Dame de la Penha qui est comme ferveur le pendant de Notre-Dame de la Garde à Marseille, ses boulevards, ses tunnels, ses avenues où roulent à toute vitesse les automobiles de luxe, ses hôtels, le Copacabana, le Gloria, le Quintandinho d’hyper-grand-luxe, le Catteté, le palais du président de la République, le Sénat, la Chambre des députés, le quartier des ambassades, L’Académie, la bibliothèque de Dom Pedro II, les musées de peinture moderne, fauve, cubisme, art abstrait, le Théâtre municipal où triomphèrent durant et au lendemain de la guerre mondiale Louis Jouvet et Jean-Louis Barrault, Maracana, le plus grand stade du monde (160000 places assises), sa banlieue impériale, Petrópolis et Teresópolis, la quinta de l’Empereur, la Mangue et autres quartiers chauds, la Tijuca, le Pain de Sucre, illuminé la nuit par des rampes électriques plus nombreuses que les colliers de perle au cou d’une déité hindoue, le Corcovado avec son Christ géant qui ouvre les bras pour accueillir tous les pèlerins de la planète (comme la Chine, le Brésil pourrait contenir 400 millions d’habitants!), l’île Paquetá, ce paradis polynésien, l’île Villegaignon, ancien refuge huguenot, trou à chicane, aujourd’hui et comme par tradition le siège tatillon de la Direction des Douanes, le Chôrô-Chôrô, la fontaine sacrée des Tupis qui s’égoutte dans une tuyauterie de plomb, Rio de Janeiro, la métropole la mieux éclairée du monde, mieux que Paris, la Ville Lumière, Rio de Janeiro, la seule grande ville de l’univers où le simple fait d’exister est un véritable bonheur, Rio de Janeiro la reine de Tropiques, Rio… Eh bien ! Rio de Janeiro n’est qu’une capitale provisoire.

Blaise Cendrars,
in Trop, c’est trop.
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Punta del Este, Cabo de Santa María

C’est en 1516 que l’on parle pour la première fois de cette petite ville de la côte uruguayenne. Le navigateur Juan Díaz de Solís l’appelle alors Cabo de Santa María et ce n’est qu’au XVIIIème siècle qu’elle prendra le nom de Pointe de l’est. Capitale touristique de l'Uruguay, située à quelques encablures de la capitale, Montevideo, Punta del Este possède une position stratégique unique, à l’entrée de l’embouchure vaste et sableuse du Río de la Plata (rivière d’argent) et pour cette raison, elle fut pendant longtemps armée de canons qui défendait cet étrange delta. En fait, le Río de la Plata n’est pas réellement une rivière puisque c’est un estuaire créé par le río Paraná et le río Uruguay, mais alors que Solis cherchait un passage permettant de relier l’Atlantique au Pacifique, il remonta cet estuaire jusqu’à la confluence des deux rivières et l’histoire veut qu’il soit tombé entre les mains des Charrua ou des Guarani et qu’il fût dévoré avec ces troupes. Seul un mousse de 14 ans en réchappa et fut en mesure de rapporter l’histoire.

Photo © Carolzina

Aujourd’hui Punta del Este, autrefois petite ville côtière à l’horizon fleuri d’églises espagnoles et de longues plages de sables, est devenue laide et fait partie de ces paradis bétonnés pour touristes et noceurs en goguette. Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle la Saint-Tropez urugayenne. C’est également dans cette ville de l’auteur argentin Jorge Luis Borges vint vivre les derniers jours de sa vie.

On retrouve en partie de cette histoire dans les écrits d'Alexander von Humboldt, notamment dans le volume 18 de ses oeuvres (Examen critique de l’histoire de la géographie du Nouveau Continent, et des progrès de l’astronomie nautique aux XVe et XVIe siècles. Paris, Gide, 1814-34. Fol. gr. Col. vél. (Analyse de l’Atlas géographique et physique.))

solis1.jpg

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São Paulo vu par Cendrars

Sao PauloPhoto © klausinho

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Foradaordem-LoMejordeCaetanoVeloso-CD1%5b2002%5d.MP3]

J’adore cette ville
Saint-Paul est selon mon cœur
Ici nulle tradition
Aucun préjugé
Ni ancien ni moderne
Seuls comptent cet appétit furieux cette confiance absolue cet optimisme cette audace ce travail ce labeur cette spéculation qui font construire dix maisons par heure de tous styles ridicules grotesques beaux grands petits nord sud égyptien yankee cubiste
(…)
Tous les pays
Tous les peuples
J’aime ça

Blaise Cendrars

Premier billet d’une série sur Cendrars en Amérique.

Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public

C’est un objet de tristesse, pour celui qui traverse cette grande ville ou voyage dans les campagnes, que de voir les rues, les routes et le seuil des masures encombrés de mendiantes, suivies de trois, quatre ou six enfants, tous en guenilles, importunant le passant de leurs mains tendues. Ces mères, plutôt que de travailler pour gagner honnêtement leur vie, sont forcées de passer leur temps à arpenter le pavé, à mendier la pitance de leurs nourrissons sans défense qui, en grandissant, deviendront voleurs faute de trouver du travail, quitteront leur cher Pays natal afin d’aller combattre pour le prétendant d’Espagne, ou partiront encore se vendre aux îles Barbades. Je pense que chacun s’accorde à reconnaître que ce nombre phénoménal d’enfants pendus aux bras, au dos ou aux talons de leur mère, et fréquemment de leur père, constitue dans le déplorable état présent du royaume une très grande charge supplémentaire ; par conséquent, celui qui trouverait un moyen équitable, simple et peu onéreux de faire participer ces enfants à la richesse commune mériterait si bien de l’intérêt public qu’on lui élèverait pour le moins une statue comme bienfaiteur de la nation. Mais mon intention n’est pas, loin de là, de m’en tenir aux seuls enfants des mendiants avérés ; mon projet se conçoit à une bien plus vaste échelle et se propose d’englober tous les enfants d’un âge donné dont les parents sont en vérité aussi incapables d’assurer la subsistance que ceux qui nous demandent la charité dans les rues. Pour ma part, j’ai consacré plusieurs années à réfléchir à ce sujet capital, à examiner avec attention les différents projets des autres penseurs, et y ai toujours trouvé de grossières erreurs de calcul. Il est vrai qu’une mère peut sustenter son nouveau-né de son lait durant toute une année solaire sans recours ou presque à une autre nourriture, du moins avec un complément alimentaire dont le coût ne dépasse pas deux shillings, somme qu’elle pourra aisément se procurer, ou l’équivalent en reliefs de table, par la mendicité, et c’est précisément à l’âge d’un an que je me propose de prendre en charge ces enfants, de sorte qu’au lieu d’être un fardeau pour leurs parents ou leur paroisse et de manquer de pain et de vêtements, ils puissent contribuer à nourrir et, partiellement, à vêtir des multitudes. Mon projet comporte encore cet autre avantage de faire cesser les avortements volontaires et cette horrible pratique des femmes, hélas trop fréquente dans notre société, qui assassinent leurs bâtards, sacrifiant, me semble-t-il, ces bébés innocents pour s’éviter les dépenses plus que la honte, pratique qui tirerait des larmes de compassion du cúur le plus sauvage et le plus inhumain. Etant généralement admis que la population de ce royaume s’élève à un million et demi d’âmes, je déduis qu’il y a environ deux cent mille couples dont la femme est reproductrice, chiffre duquel je retranche environ trente mille couples qui sont capables de subvenir aux besoins de leurs enfants, bien que je craigne qu’il n’y en ait guère autant, compte tenu de la détresse actuelle du royaume, mais cela posé, il nous reste cent soixante-dix mille reproductrices. J’en retranche encore cinquante mille pour tenir compte des fausses couches ou des enfants qui meurent de maladie ou d’accident au cours de la première année. Il reste donc cent vingt mille enfants nés chaque année de parents pauvres. Comment élever et assurer l’avenir de ces multitudes, telle est donc la question puisque, ainsi que je l’ai déjà dit, dans l’état actuel des choses, toutes les méthodes proposées à ce jour se sont révélées totalement impossibles à appliquer, du fait qu’on ne peut trouver d’emploi pour ces gens ni dans l’artisanat ni dans l’agriculture ; que nous ne construisons pas de nouveaux bâtiments (du moins dans les campagnes), pas plus que nous ne cultivons la terre ; il est rare que ces enfants puissent vivre de rapines avant l’âge de six ans, à l’exception de sujets particulièrement doués, bien qu’ils apprennent les rudiments du métier, je dois le reconnaître, beaucoup plus tôt : durant cette période, néanmoins, ils ne peuvent être tenus que pour des apprentis délinquants, ainsi que me l’a rapporté une importante personnalité du comté de Cavan qui m’a assuré ne pas connaître plus d’un ou deux voleurs qualifiés de moins de six ans, dans une région du royaume pourtant renommée pour la pratique compétente et précoce de cet art. Nos marchands m’assurent qu’en dessous de douze ans, les filles pas plus que les garçons ne font de satisfaisants produits négociables, et que même à cet âge, on n’en tire pas plus de trois livres, ou au mieux trois livres et demie à la Bourse, ce qui n’est profitable ni aux parents ni au royaume, les frais de nourriture et de haillons s’élevant au moins à quatre fois cette somme. J’en viens donc à exposer humblement mes propres idées qui, je l’espère, ne soulèveront pas la moindre objection. Un américain très avisé que j’ai connu à Londres m’a assuré qu’un jeune enfant en bonne santé et bien nourri constitue à l’âge d’un an un met délicieux, nutritif et sain, qu’il soit cuit en daube, au pot, rôti à la broche ou au four, et j’ai tout lieu de croire qu’il s’accommode aussi bien en fricassée ou en ragoût. Je porte donc humblement à l’attention du public cette proposition : sur ce chiffre estimé de cent vingt mille enfants, on en garderait vingt mille pour la reproduction, dont un quart seulement de mâles – ce qui est plus que nous n’en accordons aux moutons, aux bovins et aux porcs – la raison en étant que ces enfants sont rarement le fruit du mariage, formalité peu prisée de nos sauvages, et qu’en conséquence, un seul mâle suffira à servir quatre femelles. On mettrait en vente les cent mille autres à l’âge d’un an, pour les proposer aux personnes de bien et de qualité à travers le royaume, non sans recommander à la mère de les laisser téter à satiété pendant le dernier mois, de manière à les rendre dodus, et gras à souhait pour une bonne table. Si l’on reçoit, on pourra faire deux plats d’un enfant, et si l’on dîne en famille, on pourra se contenter d’un quartier, épaule ou gigot, qui, assaisonné d’un peu de sel et de poivre, sera excellent cuit au pot le quatrième jour, particulièrement en hiver. J’ai calculé qu’un nouveau-né pèse en moyenne douze livres, et qu’il peut, en une année solaire, s’il est convenablement nourri, atteindre vingt-huit livres. Je reconnais que ce comestible se révélera quelque peu onéreux, en quoi il conviendra parfaitement aux propriétaires terriens qui, ayant déjà sucé la moelle des pères, semblent les mieux qualifiés pour manger la chair des enfants. On trouvera de la chair de nourrisson toute l’année, mais elle sera plus abondante en mars, ainsi qu’un peu avant et après, car un auteur sérieux, un éminent médecin français, nous assure que grâce aux effets prolifiques du régime à base de poisson, il naît, neuf mois environ après le Carême, plus d’enfants dans les pays catholiques qu’en toute saison ; c’est donc à compter d’un an après le Carême que les marchés seront le mieux fournis, étant donné que la proportion de nourrissons papistes dans le royaume est au moins de trois pour un ; par conséquent, mon projet aura l’avantage supplémentaire de réduire le nombre de papistes parmi nous. Ainsi que je l’ai précisé plus haut, subvenir aux besoins d’un enfant de mendiant (catégorie dans laquelle j’inclus les métayers, les journalistes et les quatre cinquièmes des fermiers) revient à deux shillings par an, haillons inclus, et je crois que pas un gentleman ne rechignera à débourser dix shillings pour un nourrisson de boucherie engraissé à point qui, je le répète, fournira quatre plats d’une viande excellente et nourrissante, que l

Perles du désert

Deserts

Riche idée de la part des éditions Mercure de France de publier dans la collection Petit Mercure ces recueils de textes thématiques.

Errant dans le rayon littérature de voyage, coincé entre un livre de Nicolas Bouvier et un autre d’Ella Maillart, j’ai découvert ce petit recueil, le goût des déserts. Persuadé que j’y trouverai des ambiances dont je suis friand, je me suis trouvé face à des auteurs que je ne connaissais pas, des personnages dont je ne soupçonnais pas l’existence et des destins hors du commun.

J’y ai découvert Ibn Baṭūṭa, amateur de melons, mais aussi le Vicomte Charles de Foucauld, un noble périgourdin qui finira sa vie assassiné dans un ermitage du Sahara, et le très énigmatique Michel Vieuchange qui déguisé en femme visitera la ville interdite de Smara.

On y découvre aussi des trésors de poésie comme ce texte rapporté par Anne-Marie Tolba dans Villes de sable, les cités bibliothèques du désert mauritanien.

Mon pays est une perle discrète
Telles des traces dans le sable
Mon pays est une perle discrète
Tels des murmures des vagues
Sous un bruissement vespéral
Mon pays est un palimpseste
Où s’usent mes yeux insomniaques
Pour traquer la mémoire

Ousmane Moussa Diagana, Notules de rêve pour une symphonie amoureuse.

Un peu hors propos, mais d’une beauté rare, ces mots de Lyautey à propos d’Isabelle Eberhardt :

“… Elle était ce qui m’attirait le plus au monde “une réfractaire” et trouver quelqu’un qui est vraiment soi, qui est hors de tout préjugé, hors de toute inféodation, de tout cliché, et qui passe à travers la vie aussi libérée qu’un oiseau dans l’espace, quel régal !”

L’horizon s’ouvre de multiples possibles avec ce petit livre, comme avec ce superbe poème d’Amr Ibn Kalthoum :

Elle te laisse voir quand seul à seul tu l’approches…
deux bras pareils au col d’une chamelonne toute blanche
jouvencelle racée qui n’a jamais conçu
un sein plus moëlleux que bure d’ivoire préservée des mains des toucheurs
et ces reins tendres et longs et vivaces et ces rondeurs que leur voisinage alourdit
et ces hauts de cuisse à resserrer la porte et cette taille qui affole ma folie
et ces deux piliers d’ivoire et de marbre sonnant du cliquetis des bijoux […]

Pour finir, ces quelques mots de Dino Buzzati, celui des Tartares :

Selon moi, ce qui fait surtout impression dans le désert, c’est le sentiment de l’attente. On a la sensation que quelque chose doit arriver, d’un moment à l’autre. Vraiment. Là, jaillit des choses que l’on voit.

 

Taj Lake Palace

En plein coeur du Rajasthan existe un lac, le lac Pichola situé près de la ville d’Udaipur. Sur ce lac, une petite île et sur cette île, un palais construit en 1746, destiné à servir de palais d’été aux seigneurs de la région. Entièrement fait de marbre blanc, il a été reconverti en hôtel de luxe depuis 1963 et compte 83 chambres et 17 suites dont les prix commencent à 370 € la nuit, magnifiquement ornées de soieries et d’éléments architecturaux d’une finesse incroyable. Il a servi de cadre au tournage de l’épisode de James Bond, Octopussy.

Taj Lake PalacePhoto © J04

Rudyard Kipling dans ses Letters of Marque, 1899 (D’une mer à l’autre, lettres de voyage)[1] encense ce lac: If the Venetian owned the Pichola he might say with justice, “See it and die.

Liens:
  1. Lake Palace sur Flickr
  2. Guide de Voyage Visuel
  3. Tajhotels
  4. Nivalink
Notes

[1] Pas la peine de le chercher neuf, l’ouvrage est épuisé depuis 1922.

Un "blog hacking" à la sauce Dion

J’en profite que le maître des lieux se dore au soleil cet aprèm pour investir son blog et vous montrer une vidéo surréaliste. Vous vous souvenez de l’ouragan Katrina et de ses effets dévastateurs sur La Nouvelle-Orléans ? La tragédie – humaine – a fait réagir de nombreuses personnalités, notamment à cause de l’incapacité des autorités américaines à réagir correctement et à intervenir au plus vite pour secourir certains habitants (dans les quartiers les plus démunis de la ville, surtout). Cette vidéo, pêchée sur YouTube.com, montre une Céline Dion “surprenante”, interviewée par Larry King (un présentateur de CNN). La pauv’ Céline est en direct depuis Las Vegas et euh… comment dire… elle est très émue (je sais pas à quoi elle carbure, mais c’est fort, son truc).

Vous aurez noté 1. le mouvement gracieux de Céline pour essuyer ses larmes sans faire baver son rimmel et 2. le mouvement moins gracieux pour imiter le kayak…

John Woolf

Les gratte-ciels et autre buildings ont toujours quelque chose de fascinant. Les photos de John Woolf rendent cette atmosphère sensuelle qui magnifie leur place dans la ville. Un très beau travail. Via MoonRiver.

John Woolf