L'Être Humain

jorn_riel_tb Un don d’écrire avec des mots simples, sans fioritures, une simple faculté à raconter une histoire avec le souffle épique des grandes sagas nordiques. Je connaissais l’écriture rigolarde et fraîche des racontars (skrøner) qui l’ont rendu célèbre, mais pas encore ses récits arctiques. Celui a la douceur d’une neige fraichement tombée.
Un livre lumineux…

« Mais vous ne faites jamais la guerre ? » demanda-t-il.
« Je ne comprends pas ce que tu veux dire », répondit Apuluk. Il répéta le mot que Leiv avait prononcé en islandais. « Ça veut dire quoi, guerre ? »
Leiv réfléchit longuement. Enfin, il dit :
« La guerre, c’est l’absence de paix entre les gens. Certains veulent quelque chose qui appartient aux autres, et alors c’est la guerre. Et les gens continuent à se tuer jusqu’au moment où les plus forts gagnent. »
Narua s’allongea sur le dos et contempla le plafond de la tente.
« On ne connait pas la guerre ici, dit-elle. Mais c’est peut-être parce que nous ne possédons pas beaucoup de choses. Tout ce que nous avons appartient à tout le monde, et on n’a pas la possibilité de vouloir quelque chose qui appartient à quelqu’un d’autre. »
Juste avant de dormir, Leiv murmura :
« Je suis heureux de vivre avec vous. J’ai appris à vivre comme un Être Humain. »

Jørn Riel,
Le garçon qui voulait devenir un être humain,
volume 1, Le Naufrage

Le monde du canapé est un monde immuable

A mon avis, généralement parlant, la dignité humaine d’une personne transparaît dans sa façon de choisir un canapé – c’est peut-être un préjugé de ma part, mais j’en suis quand-même persuadé. Le monde du canapé est un monde immuable dont on ne peut transgresser les lois. Mais seuls les gens élevés sur de bons canapés sont à même de comprendre cela. C’est comme d’être élevé en lisant de bons livres, ou en écoutant de la bonne musique. Un bon canapé engendre un bon canapé, un mauvais canapé ne peut engendrer que de mauvais canapés. C’est comme ça.

Photo © Sacha Fernandez

Je connais des gars qui roulent dans des voitures haut de gamme, mais n’ont chez eux que des canapés de deuxième ou troisième classe. Je n’ai guère confiance dans ce genre de gens. Certes une voiture chère a sa valeur propre, mais il ne s’agit jamais que d’une voiture chère. N’importe qui peut l’acheter à condition d’avoir l’argent. Mais l’achat d’un bon canapé nécessite la perspicacité, l’expérience et la philosophie correspondantes. Il faut aussi de l’argent, mais ça ne se limite pas à une question de moyens. Sans une image bien arrêtée de ce qu’est un vrai canapé, il est impossible d’acquérir le canapé parfait.

Haruki Murakami, la fin des temps.

The Fifth Wheel

« Imagine un aveugle qui rêve », dit-elle. Je suis assis près d’elle, sur la plage de Malibu et, malgré l’heure très tardive, nous avons toujours nos Wayfarers sur les yeux, et bien que j’ai été allongé près d’elle au soleil sur la page depuis midi (elle est arrivée sur la plage à huit heures ce matin) j’ai encore un peu la gueule de bois à la suite de cette soirée où nous avons été hier soir. Je ne me souviens plus très bien de la soirée, mais je crois que c’était à Santa Monica, mais peut-être un peu plus bas, peut-être à Venice. Les seules choses que je me rappelle sont trois bonbonnes d’acide nitrique sur une véranda, posées par terre près de la chaîne stéréo, un air de Wang Chung, moi tenant une bouteille de Curevo Gold, une mer de jambes poilues et bronzées, quelqu’un qui répète sans arrêt : « Allons chez Spago, allons chez Spago » d’une voix de fausset.

Bret Easton Ellis, Zombies.

Photo © imagebysp

J’avais été charmé par le ton cynique et désabusé de Less than zero, cette sorte de distance qui fait de son premier roman un véritable chef-d’œuvre, ainsi que par les lois de l’attraction, un autre livre étonnant, une sorte de bombe stimulante dans le monde parfois trop calme de la littérature. Pourtant, j’ai lu il y a quelques semaines de cela Zombies (The Informers), un livre de nouvelles qui semblent avoir été écrites avant Moins que zéro et qui sont d’une violence folle dans l’intériorité des personnages, et pour la première fois de ma vie, j’ai eu un mouvement de répulsion face à un livre, un réel sentiment de dégoût jusqu’à la nausée. J’ai lâché le livre, je l’ai jeté au loin pour ne le reprendre que quelques jours plus tard et le terminer à contre-cœur.
Cette fois-ci, l’écrivain, l’artiste, le génial Bret Easton Ellis a dépassé toutes les bornes avec un texte dont je n’arrive pas à justifier l’horreur, mais c’est précisément là que ça me pose problème. N’est-ce pas le propre d’un génie de susciter autant d’émotion, que ce soit dans la joie, dans la beauté ou dans l’horreur ? J’y perds mes repères, mais je suis dégouté par ce 11ème chapitre de Zombies. Je ne pourrais pas oublier ce que j’ai lu.