Il pleut moins sur le trottoir d'en face

Dix-huit heures et quelques, je sors du boulot, légèrement grisé par une onde étrange, pétrie de mots retenus et de propositions avantageuses. Le temps vire au gris ventre de souris, l’air se charge d’humidité champêtre, je file jusqu’à la bouche de métro où les files d’attente serpentent dans les couloirs en cette veille de renouvellement de carte orange (au fait, lisez bien les écrans, la carte orange va bientôt disparaître au profit de Navigo, chouette non?). J’ai le nez plongé dans mon bouquin et je continue de marcher sur le quai du RER jusqu’au pilier qui me retient tous les jours, un bon gros pilier en béton bien froid couvert d’une peinture couleur pisse délayée. Il me semble que c’est Mylène Farmer qui pousse sa complainte dans les hauts-parleurs de la station, mais à ce moment là, je suis partagé entre Chimo qui m’apprend comment se prémunir des jaguars dans la forêt amazonienne et un bilan partiel et exhaustif d’une journée de travail.

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Tom%20Waits%20-%20Wrong%20Side%20Of%20The%20Road.mp3]

Dans le train, je m’assois là où il y a de la place, en l’occurrence, face à une quinquagénaire absorbée par la lecture passionnante de son programme de télévision et une femme charmante, a priori jeune, portant des jeans que ma soeur trouverait trop fleuris et un blouson de cuir rouge dont la forte odeur de tanin m’arrive en plein dans les narines. Les lunettes Dolce et Gabana sur la tête et son chemisier largement ouvert sur une poitrine rebondie et hâlée finissent de me convaincre qu’elle n’est finalement pas si jeune que ça. Il y a des signes qui trahissent l’état d’esprit et l’âge dans certaines catégories de population.

En sortant du train, la pluie tombe drue et malgré mes efforts pour passer entre les gouttes, je me retrouve trempé en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. C’est alors que je tente un subterfuge à l’attention de l’eau du ciel. Je regarde la direction du vent et je m’aperçois que si je prends le trottoir de droite, je peux être protégé par les murs des propriétés qui longent la rue Chanzy, mais la rue Chanzy a une fin et je dois encore faire la moitié du trajet exposé en plein vent, pleine pluie. Je ne porte qu’un ticheurte et un pull et très vite, je sens que je vais être imbibé de tous les côtés, la face nord et le pic d’Aneto. L’eau ruisselle sur ma tête, faisant fi des cheveux coupés courts, s’immisçant avec perversité sur mon crâne comme une toile d’araignée et finit par goutter jusque sur mon nez, comme si un rhume sournois était en train de me narguer. Je tente de changer de trottoir, mais sur celui de gauche, il pleut beaucoup plus fort, c’est certain, alors je reste sur celui de droite, protégé du vent. C’est certain, il pleut moins sur ce trottoir.

trottoirPhoto © g@rota

Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public

C’est un objet de tristesse, pour celui qui traverse cette grande ville ou voyage dans les campagnes, que de voir les rues, les routes et le seuil des masures encombrés de mendiantes, suivies de trois, quatre ou six enfants, tous en guenilles, importunant le passant de leurs mains tendues. Ces mères, plutôt que de travailler pour gagner honnêtement leur vie, sont forcées de passer leur temps à arpenter le pavé, à mendier la pitance de leurs nourrissons sans défense qui, en grandissant, deviendront voleurs faute de trouver du travail, quitteront leur cher Pays natal afin d’aller combattre pour le prétendant d’Espagne, ou partiront encore se vendre aux îles Barbades. Je pense que chacun s’accorde à reconnaître que ce nombre phénoménal d’enfants pendus aux bras, au dos ou aux talons de leur mère, et fréquemment de leur père, constitue dans le déplorable état présent du royaume une très grande charge supplémentaire ; par conséquent, celui qui trouverait un moyen équitable, simple et peu onéreux de faire participer ces enfants à la richesse commune mériterait si bien de l’intérêt public qu’on lui élèverait pour le moins une statue comme bienfaiteur de la nation. Mais mon intention n’est pas, loin de là, de m’en tenir aux seuls enfants des mendiants avérés ; mon projet se conçoit à une bien plus vaste échelle et se propose d’englober tous les enfants d’un âge donné dont les parents sont en vérité aussi incapables d’assurer la subsistance que ceux qui nous demandent la charité dans les rues. Pour ma part, j’ai consacré plusieurs années à réfléchir à ce sujet capital, à examiner avec attention les différents projets des autres penseurs, et y ai toujours trouvé de grossières erreurs de calcul. Il est vrai qu’une mère peut sustenter son nouveau-né de son lait durant toute une année solaire sans recours ou presque à une autre nourriture, du moins avec un complément alimentaire dont le coût ne dépasse pas deux shillings, somme qu’elle pourra aisément se procurer, ou l’équivalent en reliefs de table, par la mendicité, et c’est précisément à l’âge d’un an que je me propose de prendre en charge ces enfants, de sorte qu’au lieu d’être un fardeau pour leurs parents ou leur paroisse et de manquer de pain et de vêtements, ils puissent contribuer à nourrir et, partiellement, à vêtir des multitudes. Mon projet comporte encore cet autre avantage de faire cesser les avortements volontaires et cette horrible pratique des femmes, hélas trop fréquente dans notre société, qui assassinent leurs bâtards, sacrifiant, me semble-t-il, ces bébés innocents pour s’éviter les dépenses plus que la honte, pratique qui tirerait des larmes de compassion du cúur le plus sauvage et le plus inhumain. Etant généralement admis que la population de ce royaume s’élève à un million et demi d’âmes, je déduis qu’il y a environ deux cent mille couples dont la femme est reproductrice, chiffre duquel je retranche environ trente mille couples qui sont capables de subvenir aux besoins de leurs enfants, bien que je craigne qu’il n’y en ait guère autant, compte tenu de la détresse actuelle du royaume, mais cela posé, il nous reste cent soixante-dix mille reproductrices. J’en retranche encore cinquante mille pour tenir compte des fausses couches ou des enfants qui meurent de maladie ou d’accident au cours de la première année. Il reste donc cent vingt mille enfants nés chaque année de parents pauvres. Comment élever et assurer l’avenir de ces multitudes, telle est donc la question puisque, ainsi que je l’ai déjà dit, dans l’état actuel des choses, toutes les méthodes proposées à ce jour se sont révélées totalement impossibles à appliquer, du fait qu’on ne peut trouver d’emploi pour ces gens ni dans l’artisanat ni dans l’agriculture ; que nous ne construisons pas de nouveaux bâtiments (du moins dans les campagnes), pas plus que nous ne cultivons la terre ; il est rare que ces enfants puissent vivre de rapines avant l’âge de six ans, à l’exception de sujets particulièrement doués, bien qu’ils apprennent les rudiments du métier, je dois le reconnaître, beaucoup plus tôt : durant cette période, néanmoins, ils ne peuvent être tenus que pour des apprentis délinquants, ainsi que me l’a rapporté une importante personnalité du comté de Cavan qui m’a assuré ne pas connaître plus d’un ou deux voleurs qualifiés de moins de six ans, dans une région du royaume pourtant renommée pour la pratique compétente et précoce de cet art. Nos marchands m’assurent qu’en dessous de douze ans, les filles pas plus que les garçons ne font de satisfaisants produits négociables, et que même à cet âge, on n’en tire pas plus de trois livres, ou au mieux trois livres et demie à la Bourse, ce qui n’est profitable ni aux parents ni au royaume, les frais de nourriture et de haillons s’élevant au moins à quatre fois cette somme. J’en viens donc à exposer humblement mes propres idées qui, je l’espère, ne soulèveront pas la moindre objection. Un américain très avisé que j’ai connu à Londres m’a assuré qu’un jeune enfant en bonne santé et bien nourri constitue à l’âge d’un an un met délicieux, nutritif et sain, qu’il soit cuit en daube, au pot, rôti à la broche ou au four, et j’ai tout lieu de croire qu’il s’accommode aussi bien en fricassée ou en ragoût. Je porte donc humblement à l’attention du public cette proposition : sur ce chiffre estimé de cent vingt mille enfants, on en garderait vingt mille pour la reproduction, dont un quart seulement de mâles – ce qui est plus que nous n’en accordons aux moutons, aux bovins et aux porcs – la raison en étant que ces enfants sont rarement le fruit du mariage, formalité peu prisée de nos sauvages, et qu’en conséquence, un seul mâle suffira à servir quatre femelles. On mettrait en vente les cent mille autres à l’âge d’un an, pour les proposer aux personnes de bien et de qualité à travers le royaume, non sans recommander à la mère de les laisser téter à satiété pendant le dernier mois, de manière à les rendre dodus, et gras à souhait pour une bonne table. Si l’on reçoit, on pourra faire deux plats d’un enfant, et si l’on dîne en famille, on pourra se contenter d’un quartier, épaule ou gigot, qui, assaisonné d’un peu de sel et de poivre, sera excellent cuit au pot le quatrième jour, particulièrement en hiver. J’ai calculé qu’un nouveau-né pèse en moyenne douze livres, et qu’il peut, en une année solaire, s’il est convenablement nourri, atteindre vingt-huit livres. Je reconnais que ce comestible se révélera quelque peu onéreux, en quoi il conviendra parfaitement aux propriétaires terriens qui, ayant déjà sucé la moelle des pères, semblent les mieux qualifiés pour manger la chair des enfants. On trouvera de la chair de nourrisson toute l’année, mais elle sera plus abondante en mars, ainsi qu’un peu avant et après, car un auteur sérieux, un éminent médecin français, nous assure que grâce aux effets prolifiques du régime à base de poisson, il naît, neuf mois environ après le Carême, plus d’enfants dans les pays catholiques qu’en toute saison ; c’est donc à compter d’un an après le Carême que les marchés seront le mieux fournis, étant donné que la proportion de nourrissons papistes dans le royaume est au moins de trois pour un ; par conséquent, mon projet aura l’avantage supplémentaire de réduire le nombre de papistes parmi nous. Ainsi que je l’ai précisé plus haut, subvenir aux besoins d’un enfant de mendiant (catégorie dans laquelle j’inclus les métayers, les journalistes et les quatre cinquièmes des fermiers) revient à deux shillings par an, haillons inclus, et je crois que pas un gentleman ne rechignera à débourser dix shillings pour un nourrisson de boucherie engraissé à point qui, je le répète, fournira quatre plats d’une viande excellente et nourrissante, que l

Meta brindilles VI

marsh cashman koolloos architects

Marsh Cashman Koolloos Architects, ce ne sont plus des inconnus pour moi. Je connaissais cette superbe maison Whitworth avec sa piscine en longueur qui traverse la maison qui a cette particularité d’être construite autour d’une bibliothèque consacrée à l’architecture contemporaine. On retrouve également ce concept dans une autre maison, celle de Craven Road à Toronto. Trouvé chez Rouge, le superbe rouge. A découvrir également, les oeuvres de Keisuke Maeda et le site qui va avec.

microhomes

Sur BusinessWeek, je découvre le concept de microhomes, de toutes petites unités de vie de 27m² destinées aux étudiants. Une vision de l’habitat adaptée au coüt de la vie et à l’espace des grandes villes japonaises et une organisation de l’espace optimisée pour cette population particulière que sont les nomades urbains. J’y reviendrai plus tard en parlant de la maison Aura, puisqu’elle est basée sur ce principe d’infonctionnalité optimale.
Via JeanSnow.

Dans la catégorie vintage, une collection de souris à travers les âges (récents). Via Core77.

Fix Ortho, via A Daily Dose of Architecture.

Atelier Bow-Wow – Tower House, Japon sur Flickr. Le concept de la maison verticale.

Casamania

Alexander Gorlin Architects

Le bibliomane, Charles Nodier

Vous avez tous connu ce bon Théodore, sur la tombe duquel je viens jeter des fleurs, en priant le ciel que la terre lui soit légère. Ces deux lambeaux de phrase, qui sont aussi de votre connaissance, vous annoncent assez que je me propose de lui consacrer quelques pages de notice nécrologique ou d’oraison funèbre. Il y a vingt ans que Théodore s’était retiré du monde pour travailler ou pour ne rien faire : lequel des deux, c’était un grand secret. Il songeait, et l’on ne savait à quoi il songeait. Il passait sa vie au milieu des livres, et ne s’occupait que de livres, ce qui avait donné lieu à quelques-uns de penser qu’il composait un livre qui rendrait tous les livres inutiles ; mais ils se trompaient évidemment. Théodore avait tiré trop bon parti de ses études pour ignorer que ce livre est fait il y a trois cents ans. C’est le treizième chapitre du livre premier de Rabelais. Théodore ne parlait plus, ne riait plus, ne jouait plus, ne mangeait plus, n’allait plus ni au bal, ni à la comédie. Les femmes qu’il avait aimées dans sa jeunesse n’attiraient plus ses regards, ou tout au plus il ne les regardait qu’au pied ; et quand une chaussure élégante de quelque brillante couleur avait frappé son attention : « Hélas ! disait-il en tirant un gémissement profond de sa poitrine, voilà bien du maroquin perdu ! » Il avait autrefois sacrifié à la mode : les mémoires du temps nous apprennent qu’il est le premier qui ait noué la cravate à gauche, malgré l’autorité de Garat qui la nouait à droite, et en dépit du vulgaire qui s’obstine encore aujourd’hui à la nouer au milieu. Théodore ne se souciait plus de la mode. Il n’a eu pendant vingt ans qu’une dispute avec son tailleur : Continue reading “Le bibliomane, Charles Nodier”

3 blogs qu'il faut connaître

Parmi mes découvertes du moment et les blogs que je compulse régulièrement, voici trois beaux outils qui ont tous le désavantage d’être turbinés sous Blogger mais qui ont ceci de commun qu’ils traitent l’image et des sujets complètement hors-normes.

Moon River

(Night Traveling, Day Dreaming, while Mapping my Escapisms, Tracing Love)

Moon River est inclassable parmi les inclassables.

Subtopia

Subtopia traite l’architecture et l’urbanisme du point de vue militaire. Absolument pas rébarbatif et enchanteur.

Bibliodyssey

BibliOdyssey traite l’illustration au travers des âges. Un trésor pour les amateurs de planches en tous genres.

Violence publicitaire

Il y a quelques temps de ça, on a commencé à voir débouler à la télévision des publicités, ou plutôt un format coincé dans les plages publicitaires qui sont en fait des communiqués officiels destinés à informer sur des combats sociaux.

Tout a commencé avec les spots sur la prévention routière, où l’on n’hésitait pas à montrer un enfant passer au travers d’un pare-brise, des personnes ensanglantées assises dans une voiture ou un monospace reversé sur la route qui se fait percuter par un autre véhicule.

Et puis il y a eu la campagne de prévention contre la pédophilie, dans laquelle on voyait un homme simuler la copulation sur une serviette de plage représentant une petite fille.

Et les enfants en bas-âge qui tombent de leur table à langer ou qui se noient dans leur baignoire. Continue reading “Violence publicitaire”

L’organe du mal absolu

Il n’en faut pas plus pour m’obséder. J’ai visionné hier soir le troisième volet du Seigneur des Anneaux, Le Retour du Roi et c’est avec surprise que j’ai constaté que dans la version expurgée, une scène avait été honteusement coupée. Cette scène correspond au chapitre X du livre 5, nommé The Black Gate Opens. Je comprends d’autant moins qu’elle ait été coupée au vu du contexte.

Mouth of Sauron

En effet, Aragorn décide d’attaquer les Orques à la Porte Noire du Mordor pour que l’Oeil de Sauron se détourne de Frodon dont personne n’a plus aucune nouvelle et qui gravit les pentes escarpées de la Montagne. La communauté de l’Anneau se retrouve devant la porte et en sort un personnage effrayant qui se nomme lui-même la Bouche de Sauron. N’ayant pas lu le livre en entier, j’ai tout de même retrouvé le texte original et la description qu’en fait Tolkien diffère légèrement de ce que Peter Jackson a porté à l’écran. Mais dans cette scène, la Bouche de Sauron jette à la figure de Gandalf, la cotte de maille en mithril de Frodon, laissant ainsi croire que celui-ci est mort, ce qui va bien sur motiver ses amis à se battre jusqu’au bout. Le personnage de Jackson est d’une hideur hors du commun, affublé d’une bouche que l’on pourrait croire privée de lèvres, aux dents immensément longues et gâtées, dont le contour semble être maculé de sang coagulé. Son heaume lui couvre les yeux, dont il n’a pas besoin puisqu’il n’est que l’expression d’une partie de Sauron, lui même surmatérialisé par son oeil et les déplacements de sa tête sont rapides. La bouche semble elle même figée dans un rictus narquois et forcé découvrant les dents. La scène est presque comique. Mais elle l’est encore plus lorsqu’Aragorn, de rage, passe derrière le personnage toujours en train de parler et le décapite d’un coup rapide.

Tolkien dit que ce qui se trouve là n’est pas un Ringwraith[1] mais bien un être humain, dont le nom n’est dans aucune mémoire et que lui-même a oublié. Ce personnage, le Lieutenant de la Tour de Barad-dyr, n’est plus rien, entièrement dévoué à Sauron, il devient un de ses organes, Sauron voyant le monde de son Oeil matérialisé sur la tour, il parle au travers de ce fantôme. La bouche est surreprésentée, extraite ici pour en faire un objet de terreur et exprimer directement toute la dimension maléfique de Sauron. A plusieurs reprises dans la roman et dans le film, l’oeil apparait, mais la bouche n’apparait qu’une seule fois – et pour cause, la parole est subitement coupée – pour une raison bien précise ; Sauron a un message à délivrer. Il a déjà à son actif les défaites du gouffre de Helm et de Minas-Thitith et les vainqueurs sont aux portes de son domaine ; son seul moyen de déstabilisation est de leur faire croire que Frodon est entre leurs mains. La bouche n’est pas simplement organe, elle la voix qui annonce, qui dit, alors que tout le mal ne se manifeste que par l’horreur et la force brutale. C’est une sorte d’événement alors que nous sommes presque à la fin de l’histoire. Le dénouement est proche.

There was a long silence, and from wall and gate no cry or sound was heard in answer. But Sauron had already laid his plans, and he had a mind first to play these mice cruelly before he struck to kill. So it was that, even as the Captains were about to turn away, the silence was broken suddenly. There came a long rolling of great drums like thunder in the mountains, and then a braying of horns that shook the very stones and stunned men’s ears. And thereupon the middle door of the Black Gate was thrown open with a great clang, and out of it there came an embassy from the Dark Tower.
At its head there rode a tall and evil shape, mounted upon a black horse, if horse it was; for it was huge and hideous, and its face was a frightful mask, more like a skull than a living head, and in the sockets of its eyes and in its nostrils there burned a flame. The rider was robed all in black, and black was his lofty helm; yet this was no Ringwraith but a living man. The Lieutenant of the Tower of Barad-dyr he was, and his name is remembered in no tale; for he himself had forgotten it, and he said: ‘I am the Mouth of Sauron.’ But it is told that he was a renegade, who came of the race of those that are named the Black Nomenureans; for they established their dwellings in Middle-earth during the years of Sauron’s domination, and they worshipped him, being enamoured of evil knowledge. And he entered the service of the Dark Tower when it first rose again, and because of his cunning he grew ever higher in the Lord’s favour; and he learned great sorcery, and knew much of the mind of Sauron; and he was more cruel than any orc.

Then the Messenger of Mordor laughed no more. His face was twisted with amazement and anger to the likeness of some wild beast that, as it crouches on its prey, is smitten on the muzzle with a stinging rod. Rage filled him and his mouth slavered, and shapeless sounds of fury came strangling from his throat. But he looked at the fell faces of the Captains and their deadly eyes, and fear overcame his wrath. He gave a great cry, and turned, leaped upon his steed, and with his company galloped madly back to Cirith Gorgor. But as they went his soldiers blew their horns in signal long arranged; and even before they came to the gate Sauron sprang his trap.
Drums rolled and fires leaped up. The great doors of the Black Gate swung back wide. Out of it streamed a great host as swiftly as swirling waters when a sluice is lifted.

La bouche est ici l’organe du mal absolue. Pour la première fois, on le voit se matérialiser autrement que sous la forme d’armées immenses, de spectres sans visage. De plus, elle est ici pour énoncer les termes que Sauron veut imposer pour regagner la Terre du Milieu par l’échange de Frodon. Expression de la lâcheté, elle se fait l’expression d’un marchandage. La bouche est le médium par lequel s’exprime la voix, c’est la voie. De tous temps, la bouche a pris une place importante dans les croyances des hommes puisque c’est souvent le vecteur d’un transit entre le monde des vivants et celui des morts. Dans la Grêce Antique, on glissait une pièce dans la bouche des morts pour qu’ils puissent s’acquitter symboliquement de leur obole à Charon qui leur faisait traverser les fleuves des enfers. Dans les contes occidentaux, la bouche absorbe des oeufs sacrés, crache des serpents ou des diamants. Dans la liturgie catholique, elle est le réceptacle du corps du Christ. C’est là le siège d’un double mouvement, passage entre l’intériorité et le monde extérieur. Destinée à se nourrir, elle se voit aussi troublée par les vomissements et les crachats, expressions de l’abject intérieur. Toutefois, elle demeure quand même le siège d’un des actes fondamentaux de l’humanité: la parole, le dire. C’est la raison pour laquelle la Bouche de Sauron ne peut pas être un spectre, mais un humain. Seuls les humains sont porteurs de paroles, si sombre et maléfique soit-elle.

Peter Jackson a finalement quelque peu rendu justice au texte original, puisque lorsque Gandalf dit qu’ils refusent de se plier au marché de Sauron, le Lieutenant de la Tour de Barad-dyr se contente de pousser un grand cri. Dans le film, Aragorn prend l’être maléfique par surprise et lui coupe la tête d’un coup net. La bouche tombe. La parole est ainsi coupée, et l’on y voit clairement toute la dimension symbolique de cet acte.

A bien des égards, le Seigneur des Anneaux est un roman précurseur dans le sens où il préfigure la plupart des thématiques abordées ensuite dans les romans de fantasy. Ecrit en 1954 pour la première partie (la communauté de l’anneau), le fil rouge du livre est le combat contre le mal absolu, mais apparait en filigrane, une thématique plus profonde. Il y est question de la faiblesse des humains face à la tentation du pouvoir et de leur vanité, et il apparait clairement que ceux-ci ne pourront retrouver leur grandeur qu’en montrant leur honnêteté et en s’affrachissant de l’emprise de la magie et de la sorcellerie. La chute de Sauron n’est pas seulement le moment de la victoire du bien sur le mal, mais principalement, l’avènement de l’Âge des Hommes, l’âge où les humains auront réussi à ne plus placer leur destin entre les mains des sorciers ; ils doivent conquérir leur liberté en repoussant tout ce qui influe sur le cours de leur destin et ne s’en remettre qu’à eux-mêmes. On verra cette thématique incroyablement développée dans le cycle du Champion éternel chez Michael Moorcock, notamment à la fin du cycle d’Elric le Nécromancien, où le héros (en fait un anti-héros) se retrouvera seul à la fin des temps, ayant entre ses mains la possibilité de choisir entre son destin et la fin de l’univers. Pour en revenir au sujet de ce billet, je trouve dommage que l’on ait coupé cette scène qui apporte un éclairage très symbolique à l’histoire.

Liens:

  1. La Bouche de Sauron
  2. La vidéo
  3. Le Seigneur des Anneaux sur Wikipedia
  4. John Ronald Reuel Tolkien
  5. Le film
  6. Lord of the Rings
  7. Michael Moorcock
  8. Elric of Melniboné

Notes

[1] Un des neufs Seigneurs de l’Anneau, les Nazgul

Amazone

Je suis allé chez le coiffeur… La perspective de changer de tête à peine deux mois après y être allé me réjouissait, et puis cette fois, c’était Carole qui allait me coiffer. Je ne savais pas qui était Carole, mais ce qui est certain, c’est que ce n’était ni Marie qui louche, ni Chantal qui m’a à peine coupé le bout des cheveux la dernière fois. Alors quand le patron m’a dit que j’avais rendez-vous avec Carole, je me suis cogné la tête au plafond. Je me suis donc pointé à l’heure pile, les oreilles propres et mon plus beau sourire. La fille s’avance vers moi, je la trouve superbe, un peu trop maquillée mais belle et j’entends le patron qui lui dit Carole ! … et puis je n’écoute pas la suite. Elle revient vers moi et je lui dis je crois que j’ai rendez-vous avec vous d’un air on ne peut plus innocent… Elle regarde l’agenda et dit Ah non, c’est avec ma collègue et là je me dis que je vais encore me ramasser le tromblon de service, celle qu’on refile aux pouilleux ou aux indigents qui viennent se faire décrasser la tignasse gratuitement.

Je n’ai pas su tout de suite qui c’était et la Carole m’emmène au shampooing, et là, je voyais le truc venir gros comme une maison, ils la cachent dans l’arrière salle avec les serviettes et les bouteilles d’eau oxygénée et ils vont ma l’amener sous un drap blanc afin que je ne sois pas horrifié par les verrues qu’elle avait sur la figure. Pendant ce temps, j’avais déjà le cuir chevelu rincé à l’eau froide Eh merde faites gaffe, c’est fragile ce truc ! et des doigts experts me massaient le haut du crâne, m’extirpant un sourire béat et des roulements d’oeil, tandis qu’un filet de bave commençait à couler le long de ma joue pour finir sous mon pull.

Je suis ensuite passé sur la chaise électrique, celle qui allait me voir décéder dans d’atroces souffrances, aux prises avec une rescapée de la guerre des boutons ou alors une ex-charcutière lassée de l’amour inconsidéré de son mari pour les têtes de veau. Carole est venue me voir et me dit, c’est Carole qui va vous coiffer. Mais Carole c’est vous non ? me suis-je mis à penser. Et ladite Carole est arrivée, et là, attention. J’avais dans le reflet du miroir une grande silhouette élancée, sportive sans excès, une grande amazone aux cheveux noirs de jais relevés en une queue de cheval avec une frange basse. Des yeux noirs, une bouche plutôt large avec des lèvres toutes fines légèrement teintées de rouge figées dans un sourire agréable. Telle qu’elle était habillée, on l’aurait dit sauvageonne sortie d’un conte des bois. Des bottes hautes et fines sur des collants noirs, un pantalon court lui arrivant au-dessus du genou laissant voir la naissance du galbe de ses mollets, un haut moulant sans manche et ras du coup laissait lui voir un tigre tatoué sur l’épaule. Je n’en revenais pas. J’avais derrière moi une pure beauté sortie d’un film de pirates.

Nous avons échangé quelques politesses convenues et elle m’a demandé ce que je voulais.
– Court et puis si vous avez une idée originale, je vous laisse quartier libre.
– Alors par exemple, je ne vais pas vous faire de crête.
– Ça tombe plutôt bien parce que je n’en aurais pas voulu.
– Nan, parce que bon, vous êtes un peu dégarni sur les côtés.
– Pardon ? Vous avez dit dégarni ?
– Oui un peu là…
– OK, je suis un peu dégarni ou alors j’ai un grand front ?
– Un peu des deux.

Je commençais à regretter de lui avoir laissé la responsabilité de ma tête, m’attendant à d’autres gentillesses dans le genre. Elle commença à jouer de la tondeuse et du ciseau, et me regarda avec une étrange tendresse.

– Vous sortez ce soir ?

J’ai fait mon regard plein de méfiance à l’encontre des membres perfides de la gente féminine.

– Euh nan.
– Moi non plus, dit-elle après un long silence.
– Tu veux que je t’invite, c’est ça ?

Je ne l’ai pas dit, mais en gros, c’est ce que j’aurais pu dire. Un autre long silence suivit. Elle souriait toujours.

– Et vous ne sortez jamais le samedi soir ?
– Ben nan, pas trop. Premièrement, j’aime pas trop ça. Et puis j’ai un zouzou.

Et là, Bim, le masque. Elle ne souriait plus. Quoi ? J’ai dit une connerie ?

– Et il a quel âge ?
– 3 ans et demi.
– Euh, mais attendez là, je comprends pas. Vous avez quel âge ?
– 32 pourquoi ?

Elle me regarde dans le reflet du miroir comme si elle avait découvert une chiasse de pigeon sur mon front.

– Waow, vous ne le faites vraiment mais alors vraiment pas.
– Oui, il parait.

Et ensuite, elle ne m’a plus parlé. Je ne sais pas ce que je lui ai fait, mais ça n’a pas eu l’air de lui plaire. C’est comment déjà ? Carole ? Pour la prochaine fois, que je n’oublie pas de demander à être coiffé par Carole.

Le Père Noël est une ordure

Noël approche à grands pas feutrés tandis que dehors le brouillard et l’hiver se sont installés bien confortablement. Pour faire passer le temps aux toilettes, je compulse un de ces prospectus allègrement distribué dans les boîtes aux lettres des parents qui ont des enfants qui comptent déjà les dodos qui séparent ce jour de Noël. J’ouvre une page au hasard (je ne suis généralement pas très concentré dans ce genre de situation) et je tombe sur le circuit Darda. Tous les anciens enfants de mon âge connaissent ce truc. C’est un circuit faits de rails enfichés les uns dans les autres, avec lequel on pouvait faire faire des loopings à de petites voitures à friction. Comme le dit la pub, c’est le circuit le plus rapide de l’histoire. De quelle histoire, je ne sais pas, mais effectivement, ça fonce Alphonse. 7.24m de circuit, 1 voiture, 45 eurodollars. Mouais, ça va encore. Le truc qui va faire vendre, c’est cette phrase (parce que nous les papas, faut pas nous la faire) Jamais égalé, il rassemblera tous les papas nostalgiques. Voilà, le mot est lancé. On voit tout de suite le public visé. Toi le jeune papa de 32 ans, avec ton air benêt, toi qui envoyais du riz en Ethiopie et qui tressait des scoobidous, on t’a reconnu, on sait où tu te caches. Ce jouet est fait pour toi parce que toi aussi tu jouais avec et au lieu de regarder des vieux épisodes de l’Île aux Enfants ou de Goldorak, achète notre camelote, et tu enrageras quand ton fils te poussera pour que tu lui laisses la place. Non mais oh ! Je vois clair dans votre jeu, je ne suis point dupe !!!Sur la page d’après, je vois un gamin de presque 25 ans vu sa taille, en train de poser ce qui semble être la dernière touche d’une sorte de tour de Babel faîte avec des morceaux de bois Kapla. Alors si toi, le papa trentenaire, tu ne connais pas Kapla, c’est que tu n’as pas passé ton enfance à Neuilly ou à Maisons-Laffitte, parce que Kapla, ça s’achète à crédit tellement c’est cher. Bref, le gamin est tout fier d’avoir monté sa tour (que bien évidemment il a construit tout seul et sans colle !!! C’est ça prends-moi pour une truffe). Sous la photo, on voit noté réalisé avec deux barils. Je regarde le prix du baril: 235 eurodollars !!! Donc si tu veux que ton gamin fasse trôner une tour au milieu de ta salle à manger, que le chat va s’empresser de faire tomber et dont tu retrouveras des morceaux sous la canapé deux Noëls plus tard, achète 2 barils, soit 470 eurodollars ! Ça vaut le coup non ?Encore une page après je tombe sur les fameuses constructions magnétiques. Ça, le trentenaire, il connait pas. Trop récent. Je regarde les constructions et je vois un cube fait avec des bâtons aimantés et des billes de métal. Ça n’a pas l’air comme ça, mais c’est un cube, un vrai beau cube parfaitement parfait. Un cube réalisé, comme le dit la légende avec 9 boîtes !!! Prix de la boîte : 29.95 eurodollars !!! On croit rêver ! Si tu veux que ton fils construise un cube cubique et aimanté de cinq billes de côté, il faudra que tu prennes un crédit sur 10 ans pour t’acquitter de ce petit bijou qui te coûtera la modique somme de 270 eurodollars !!!

Bon, je crois qu’ils m’ont vu venir. Il parait que je vais être augmenté à la fin de l’année, mais pas dans des proportions qui me permettront de débourser de telles sommes. Alors je commence déjà à regarder dans mes cartons si je n’ai pas quelques vieilles pelotes de laine et j’ai déjà commandé un carton de clémentines. Faut pas déconner quand même.