Node™ n°1

Forcément, comme souvent en ce moment il pleut, il pleut beaucoup, tout le temps, fort, peu, averses ou pas du tout quelques instants et puis ça repart doucement ou pas, ou fort et beaucoup, ça s’enchaîne, alors ce matin, quand je me suis levé, la première chose que j’ai faite c’est de regarder s’il pleuvait et oui, il pleuvait, comme un peu tous les jours depuis que Sarkozy est président, ce n’est pas de sa faute, mais ça joue certainement, on pourrait presque y croire mais je ne me suis pas laissé démonter, j’ai piqué le parapluie de mon fils, mais je suis quand même arrivé à la gare les pieds trempés, le bas du pantalon, c’est du ramie ça sèche vite, un coup de vitamines avec le café, histoire d’émerger un peu plus vite que ça s’il vous plait merci j’ai un train à prendre et puis j’ai passé une partie de ma nuit à bouquiner jusqu’à temps que le sommeil m’emporte le bougre, même pas le temps d’éteindre la lumière, espèce de criminel de la lecture qui lit jusqu’à plus soif tous les jours de la semaine, même ceux qui n’existent pas, voire même plus, alors nécessairement, pour se réveiller, c’est pas du Pink Martini qu’il faut se fourrer dans les oreilles, mais plutôt David Guetta, Love don’t let me go, voilà tout, faut écouter ça parce qu’on a beau penser ce qu’on veut du blondinet électrique, sa musique, elle est construite et c’est pas du beat sans raison, il y a du travail là dedans et c’est bon, surtout pour se réveiller, surtout pour passer devant les contrôleurs du matin, on est le 3, faut contrôler, et j’ai mon ticket, c’est suffisamment rare pour être remarqué, alors je passe tête haute, bêcheur, y’a pas de raison, et puis merde hein, je n’ai dormi que trois heures, certainement moins, criminel va !

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Lovego.mp3]

juergen teller

Bon et puisqu’on est là, il est temps de parler un peu de Juergen Teller, un photographe hors norme et un peu branque, qui se plait à prendre en photo des célébrités dans des positions pas possibles – Björk s’est pliée à l’exercice, je ne vous dis que ça – , mais qui a aussi travaillé pour la publicité d'Yves Saint-Laurent mais qu’on croirait tout droit sorti d’une nouvelle de Bukowski, un travail désaxé autour de la lumière crue.

Dans la rue Anatole France, il y a un camion violet qui est là pour nettoyer la cuve à graisse du tabac d’en face, le nettoyage de la cuve à graisse, c’est quelque chose, il faut avoir vécu ça de près pour savoir à quel point ça schlingue la graisse, ça pue pire que la mort, la graisse, peut-être même pire que la merde, parce qu’au moins, la merde, on sait ce qu’il y a dedans, et là pour la coup, dans la rue humide, ça sent mille fois la graisse transvasée, c’est littéralement infâme, et comme aujourd’hui j’ai une grosse forme de type qui n’a dormi que trois heures, je vais m’attaquer aux bases de données, je suis à bloc là. (03 juillet)

Depuis que j’ai écrit ces mots, il s’est passé beaucoup de choses, des choses pas gaies du tout, des renoncements, des hésitations, des fractures, des pas en avant, des pas en arrière, j’ai complètement lâché l’écriture, je me suis retiré du monde, j’ai tenté de sourire, je me suis dit qu’il fallait que j’arrête de bloguer au vu du nombre considérable de commentaires que je n’arrive plus à gérer, je me suis pris pour John Cage, j’ai eu envie de mourir, mais pas longtemps, j’ai eu une réunion de service, je me suis battu contre le département Communication pour exprimer mon point de vue (oui, je sais, on s’en fout), j’ai pris une photo de mon chat, j’ai enfin parlé à Laurent, je me suis surpris à rire avec des gens que je détestais, j’ai été dans une colère dingue, je me suis calmé, je me suis senti rejeté, alors j’ai rejeté, je me suis dit que j’allais effacer mon blog, j’ai dit merde à mon père, j’ai vu mon téléphone sonner et je n’ai pas pu répondre parce que j’étais déjà en ligne, j’ai enragé, j’ai fulminé, j’ai mal dormi, très mal dormi, je me suis senti à deux doigts de péter un câble, je me suis calmé, j’ai eu envie d’appeler une vieille amie, et mon amie m’a appelé parce que je l’avais appelée sans m’en rendre compte, une voix chaleureuse et tendre, j’ai fait de l’aérophagie, j’ai sauté un repas, je n’ai pas sniffé de colle parce que je ne me drogue pas (le café ça compte pas), j’ai été contacté par un extra-terrestre chinois, j’ai terminé de publier mes derniers moleskines, lesquels ont toujours autant de succès (suffisamment rare pour être signalé), j’ai mangé une pizza, j’ai vécu la guerre grève, les bagarres dans le RER, les flics qui déboulent, les tickets de métro qui ne passent pas dans les tourniquets, je me suis noyé dans un ruisseau, enfin je crois, je ne passerai pas à la télévision, je ne suis pas allé à Paris-Carnet, j’ai eu un cadeau, la saison 1 de Magnum en DVD, j’ai vu le Lauréat, j’ai fait une machine de couleur, j’ai passé l’aspirateur dans la chambre, je suis allé faire des courses, j’ai rendu mes livres à la bibliothèque, j’ai rêvé d’Adolfo Bioy Casares, je me suis rendu compte que j’étais pétri de ténèbres, j’ai beaucoup pensé, mais j’ai eu aussi beaucoup la tête complètement vide, je me suis demandé si je n’allais pas m’acheter un nouveau nom de domaine, laisser tomber mon blog, repartir de zéro, j’ai étrangement passé une très bonne semaine au boulot, et comme pour faire bonne mesure, j’ai essayé de chialer un bon coup comme pour faire sortir toutes les scories qui me polluent l’existence mais rien ne sort, complètement à sec, alors je me suis imaginé allongé dans un lit aux draps couleurs expresso et les yeux fermés, j’écoutais le bruit de l’océan.

Un empire de poussière II

Voici la suite de “Un empire de poussière“.

Dans cette enveloppe, il découvrit une lettre à l’écriture ronde insérée dans une carte, une icône qui devait parler d’amour. A n’en pas douter, c’était une écriture de femme dans laquelle il pouvait déceler de la fébrilité, quelque chose d’indéfinissablement tendu et surtout, de sensuel. Sans prendre la peine d’en lire le contenu, il monta quatre à quatre les escaliers en bois, frappant les marches avec une telle force qu’il lui sembla faire trembler tout l’immeuble. On aurait dit un gamin à qui l’on a demandé d’attendre d’être dans sa chambre pour ouvrir son cadeau, même si la vraie raison était plutôt d’ordre sentimental; il était pressé de se retrouver seul pour goûter à l’abri des regards indiscrets ce moment qu’il devinait exceptionnel. Une fois la porte de son appartement claquée, ses affaires jetées sur le canapé, il s’assit sur sa veste et lut sa lettre. Elle lui était indiscutablement adressée : Continue reading “Un empire de poussière II”

Un empire de poussière

Pas une seule fois je n’ai écrit le mot opium… Pas une seule fois. Pourtant, j’en ai eu plusieurs fois l’occasion et je pourrais encore le faire… si toutefois je ne venais de le faire. J’aime énormément ce mot qui m’entraîne immédiatement sur les routes de l’Inde, dans les fumeries crasseuses de Lahore ou dans les ruelles d’un Shangai antédiluvien. L’opium rêvé ou maudit, objet de convoitise ou de mépris, ce mot me fait toujours rêver car il retient en lui l’incroyable possibilité de générer de l’illusion, métaphorique ou non.

Entre le rêve et la réalité, entre l’âge adulte et l’adolescence, voire l’enfance, il n’y a qu’un pas que l’on peut franchir avec plus ou moins facilité ou de sincérité. Entre ce que je vis et ce que je ne vis pas, entre ce qui est et ce qui pourrait être, entre ce qui aurait pu ou aurait dû être, les frontières s’effacent, ma vision se brouille et lorsque je regarde autour de moi, j’éprouve parfois comme un léger vertige qui me fait me demander si je n’ai pas rêvé, ou alors si définitivement, je ne suis pas devenu un peu dingue. Lorsque cette histoire verra arriver son terme, nous en saurons certainement un peu plus.

Dingue, lui, il l’est devenu. Il portait un prénom de cavalier valeureux et vivait à l’ombre des autres, isolé, caché du reste du monde bruyant, dans une relative tranquillité pétrie de silences et d’ombres, et peut-être aussi d’illusions sauvages, de silhouettes qui se reflètent sur les murs, de grains de sable restés collés sous ses semelles lorsque du désert il s’extirpait. Son quotidien n’était pas autre chose que petites contrariétés, morne combat contre la morosité, absence totale de sentiments, aucune d’affection à son égard, personne pour l’aimer, la solitude froide et terne, le désir sans direction, un monde uniquement fait de la capacité qu’il avait à en sortir par le pouvoir de son imagination.

Il lisait beaucoup, les livres lui permettant de ne pas penser à ce qu’il était. C’est à dire pas grand chose. Il se sentait seul, mais ne le savait pas encore, parce qu’on ne sait ces choses là que lorsqu’on en sort, et qu’on y retourne. C’est à ce moment là que la solitude prend une dimension absurde. Il avait froid aussi. Son corps raidi. Son esprit devenu rigide. Son visage durci.

Le côté lumineux de son être, c’était la face découverte, son paraître. Il écrivait et des gens lisait ce qu’il écrivait. C’était sa seule ouverture sur le monde, sa seule joie de vivre et son unique objet de désir.

Seul, il l’était, et seul il vivait. Un soir, en rentrant du travail, il trouva dans sa boîte aux lettres une enveloppe suspecte. Ce n’était ni une facture, ni un tract publicitaire, mais une lettre qui lui était destinée, son nom et son adresse inscrits dessus avec une écriture ronde et douce ne laissait pas de place au doute. Pas de nom derrière. Juste un parfum boisé très discret qui en émanait. Il se passa la langue sur les lèvres en la décachetant fiévreusement, toujours sur le seuil devant le bataillon de boîtes aux lettres alignées.

La suite, un autre jour, une autre fois.

Damier

Note de bas de page: deux données sont à saisir dans ce texte ; l’imaginaire et la faculté de création. Morceau de vie réelle, texte fictif, autofiction ? Savoir si cette histoire est vraie ou non n’est pas la question car finalement, cela n’intéresse que les personnes qui me connaissent, ce qui constitue somme toute un bien maigre bataillon. Cela nous intéresse t-il réellement ? La vérité n’est qu’une donnée relative à l’existence particulière. Finalement, c’est bien peu de choses, et puis on verra ce que donne la suite.

Le fil de l'horizon, Antonio Tabucchi

Antonio Tabucchi, c’est un peu l’auteur providentiel qu’il faut lire pour voyager et rêver, c’est un auteur splendide et sensuel, malgré l’image froide qu’il donne au premier abord. Lire un livre de Tabucchi est un moment précieux, c’est pour cela que j’ai mis du temps à me décider pour écrire ce billet. Le fil de l’horizon est un petit livre d’une centaine de pages et si le rythme des premières lignes peut laisser un peu sceptique, le peu d’entraînement donner envie de laisser tomber, on se laisse bercer par son écriture poétique et douce, savante et organique. A la lecture de la note s’inscrivant comme une postface[1], on comprend un peu mieux l’ambiance puisque l’auteur avoue lui-même n’avoir pas pris beaucoup de plaisir à écrire ce livre.

GenovaPhoto © Marco Vissani

Nous sommes dans un port, ce n’est pas par hasard. Spino est employé dans une morgue et la présence d’un cadavre anonyme dans ses murs l’intrigue. Comme pour tromper l’ennui, il va décider de découvrir qui est cet homme dont l’identité semble échapper dès qu’on s’en approche. Le fil de l’horizon ce sont ces détails insignifiants auxquels il s’attache pour résoudre cette énigme obsédante.

Il les a regardé dans les yeux avec insistance, comme le font parfois les prêtres. “Pourquoi vous intéressez-vous à lui ?, ” a-t-il demandé.
“Parce qu’il est mort et que je suis vivant”, a répondu Spino.
Il ne sait pas très bien pourquoi il a dit cela, il lui a semblé que c’était la seule réponse plausible, parce qu’en réalité il n’avait aucune réponse.

L’enquête progresse tout doucement, les scènes se succèdent à un rythme auquel Tabucchi m’a habitué, Spino se rapproche certainement de la réalité, mais au bout du compte, tout lui échappe, plus rien n’a de sens, l’enquête policière patine et se transforme en poème. Le fil de l’horizon, ce sont toutes ces vérités futiles ou subtiles que l’on s’évertue à approfondir, mais qui finalement s’envolent dès qu’on les touche du doigt.

Et le voilà qui erre de nouveau à la recherche de rien, les murs de ces ruelles semblent lui promettre une récompense qu’il ne parvient pas à obtenir, comme si elles dessinaient un parcours de jeu de l’oie fait de cases vides et de pièges dans lequel il déambule en espérant que le dé s’arrête bientôt sur un numéro qui résoudra son énigme. Et pendant ce temps, là-bas, il y a la mer qu’il contemple, les bateaux, les mouettes, les nuages.

Un texte magnifique, indispensable, une rêverie sensuelle à la mode italienne.

Notes:

[1] Je me risque à la reproduire ici, mais ce document est un réel plaisir que je souhaite partager.

Le fil de l'¢horizon, Antonio Tabucchi

Gazette de l'Atlantique Nord

Mon journal, version papier. Des pages manuscrites, scannées, si le coeur vous en dit…
Apparaissent des images au beau milieu du texte, comme des traces d’une vie passagère. Le journal devient lieu de vie, d’interrogations quotidiennes, et aussi de mésententes cordiales. Un lieu qui prend forme et qui s’inscrit désormais dans un vrai projet d’écriture et qui se verra augmenté de diverses choses encore à l’état embryonnaire.

Un journal lyrique.

10

Continue reading “Gazette de l'Atlantique Nord”

Un 2 avril

Je pourrais me laisser abattre – baisser les bras – continuer à penser que mon écriture est intimement liée à ma vie et cesser tout mouvement lorsque je me sens fatigué – que les choses ne vont pas dans mon sens ou que la vie me joue des tours – je pourrais aussi très bien cesser toute activité lorsque je me sens mal – ne plus rien faire – me faire paralyser – dormir – m’éteindre – pour crier ma révolte ou mon ennui – la fatigue de l’esprit – mais je continue tel un forçat – il parait que je suis un guerrier – à beaucoup d’égard – mais je peux être également chevalier courageux – Hrom Walden – mon prénom ne veut-il pas dire régner dans la gloire? – je pourrais me terrer dans le silence – hiberner au printemps – me laisser reposer comme une pâte trop pétrie – je pourrais faire plein de choses ou ne rien faire du tout – me battre – ou alors tomber au champ d’honneur – me battre – ou alors me laisser tomber au combat – me battre – ou alors mourir au combat… Je vais me battre – pas comme cet homme apparemment imbibé d’alcool, adossé à la barrière qui le sépare de la route et qui se pisse dessus sans même avoir baissé son pantalon – dehors – le ciel rosit à l’ouest – elle existe quelque part cette plage battue par l’air léger de la mer – ces flambeaux qui dessinent des ombres sur le tissu d’une robe légère – cette terrasse où il fait chaud même la nuit.

A l'écoute du monde

J’aime cette photo. Elle me parle, elle me fait comprendre certaines choses à propos de son écriture. Notamment dans les tous premiers mots de Good blonde and others, tandis qu’il énonce les principes de sa prose… Kerouac est le seul auteur qui me parle. Je veux dire réellement. Lorsque je le lis, je peux entendre sa voix, me parler en français avec son accent américain mâtiné de québécois. A chaque fois, c’est lui qui me lit son oeuvre.

Jack Kerouac

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/TELEPHONE%20CALL%20FROM%20ISTANBUL.mp3]

A l'écoute du monde

J’aime cette photo. Elle me parle, elle me fait comprendre certaines choses à propos de son écriture. Notamment dans les tous premiers mots de Good blonde and others, tandis qu’il énonce les principes de sa prose… Kerouac est le seul auteur qui me parle. Je veux dire réellement. Lorsque je le lis, je peux entendre sa voix, me parler en français avec son accent américain mâtiné de québécois. A chaque fois, c’est lui qui me lit son oeuvre.

Jack Kerouac

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/TELEPHONE%20CALL%20FROM%20ISTANBUL.mp3]

Pulse

Loin d’être calme, je vis chaque moment à toute vitesse, la tête en ébullition… Je n’arrive pas à me concentrer, je carbure au café quinze heures par jour, je commence à m’organiser dans tous les sens, je classe mes affaires, je repère où chaque chose se trouve et je me construis des espaces de rangement strictement virtuels.

En fait, je lis beaucoup de choses, à droite et à gauche, je fais ce qu’il ne faut pas faire, je compare mon écriture à ce qu’ont fait les autres avant moi. Je suis seul dans ce que je fais, je n’ai personne pour me seconder, pas de secrétaire, pas de nègre, je suis tout seul avec mon clavier, mes carnets et mes stylos… Je me rends compte au fur et à mesure que je trouve moi-même les réponses à mes questions sur le fait d’écrire en lisant et relisant ce que j’ai fait dans chacun de mes univers. J’y vois des imbrications, un immense jeu de lego qui se met en place. Et j’adore ça, je suis incroyablement excité (je sais, c’est un peu tout le temps) et je commence à avoir de l’espoir. J’entrevois clairement la possibilité d’écrire plus, mieux, de manière quasiment militaire, et je le fais.

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/02%20-%20Before%20You%20Leave.mp3]

Tu sens les pulsations ? Tu sens comme ça bouge ? Hmmm… Je ne compte plus les fois où je me suis lamenté sur ma paresse et mon manque de volonté, mais tout ça semble être du passé, depuis quelques temps déjà. Je me sens comme un adolescent au purgatoire… Mêmes émois… Aujourd’hui, il est temps de se mettre en route, à l’ancienne, comme au temps où l’on partait sur les routes désertiques avec une grande bagnole avec une seule banquette à l’avant… Un parfum de désert, une traversée des grands espaces que je ne pensais plus possible…

C’est certain qu’Amiens n’est pas le désert, quoique c’est une ville en plein milieu des champs. J’aime me lancer sur cette autoroute A16, alors que le soir est tombé, que le brouillard fin enveloppe la campagne. La vitesse est grisante, il n’y a pas grand monde; je colle mes mains sur le volant, je m’enfonce dans mon siège et j’écrase le champignon pour faire des accélérations spectaculaires qui ne font rire que moi. Le moment de folie passé, je roule tranquillement en regardant l’horizon, en m’imaginant au volant d’une Chevrolet Impala sillonnant le routes de l’Iowa, mais bien vite, je vois des champs de betteraves à perte de vue et je suis au volant d’une 206 qui sent encore l’usine.

Et c’est soudain; c’est le drame. J’ai dû pêcher dans une autre vie, faire beaucoup de mal à des gens très bien, tuer des animaux. Bref, mauvais karma.

Je n’ai même pas parlé des livres que j’ai lu ces derniers temps, ce documentaire bouleversant de John Hersey sur Hiroshima, ce livre divertissant et parfois rude d’Augusten Burroughs, Courir avec des ciseaux, et tous ceux que j’ai entâmé ou entassé sur la tablette qui me sert de table de chevet. J’avais envie de passer à autre chose. Tout à coup, Kerouac, Bukowski, les auteurs japonais, John Fante, mes livres d’architecture, Henry Miller (c’est très californien tout ça), tous ceux qui m’accompagnent d’ordinaire m’ont paru dramatique, trop peu en phase avec la légèreté dont j’avais besoin ces derniers temps. Alors j’ai fait quelque chose que je ne croyais plus possible depuis bien longtemps; lire une oeuvre du XVIIè siècle d’un ecclésiastique britannique. Présentées comme ça, les choses manquent de piquant, c’est certain. J’avais essayé de me plonger dans une matinée d’amour pur de Yukio Mishima (ce nom résonne avec une certaine poésie à mes oreilles, plus que son vrai nom, Kimitake Hiraoka), mais les nouvelles m’ennuient pour le moment. C’est donc avec une certaine joie que je me suis permis de reprendre une lecture qui devait dater d’au moins sept ou huit ans : The Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman de Laurence Sterne, volume 1. C’est un texte étonnant, mais j’en ai encore lu trop peu pour pouvoir disserter dessus. La moitié du livre est consacré aux notes de Guy Jouvet, traducteur génialissime qui a su respecter les caprices typographiques de l’auteur. J’aime ces livres savants qui digressent à l’infini et finissent par nous emporter dans un labyrinthe sans fin de connaissances, un peu à la manière des écrits conjoints de Gilles Deleuze et Felix Guattari. Par exemple, j’ai appris hier soir qu’il existait, selon Ambroise Paré, trois niveaux corporels des esprits, mais évidemment, l’intérêt universel de la chose sur ce blog reste somme toute assez limité. Cette lecture est incroyable, impertinente, drôle, terriblement érudite, annotée de citations de Montaigne, La Bruyère et dirigée par les opinions mêmes du traducteur / commentateur.

Il faudrait aussi se replonger dans un livre que j’ai dévoré autrefois pendant mes études, Principes fondamentaux de l’histoire de l’art : Le problème de l’évolution du style dans l’art moderne de Heinrich Wölfflin. Alors oui, ça parait pédant de placer ça dans une conversation entre le fromage et le dessert, ou alors (et attention, c’est du vécu) au square en rencontrant un couple autrefois ami, poussette et chien en laisse à la clef (Elle dit: je suis désolée, je ne vous invite pas à manger en ce moment, on est plein dans les cartons. Ce que à quoi j’ai répondu intérieurement: “Merci de tout coeur !” Elle reprend: “Mais on peut toujours aller se faire une balade au parc ?” et moi de penser “C’est ça ouais, compte là-dessus, plutôt crever d’une chaude-pisse”), mais au bout du compte, ce livre est très facile à lire et apprend les différences fondamentales entre le style classique et le baroque, dans la courte évolution qui a fait basculer l’un dans l’autre. Non ? Toujours pas convaincu ? Alors on y comprend mieux comment Titien (Bon dieu, il s’appelle Tiziano Vecceli non ? On ne peut pas lui foutre la paix en l’appelant par son vrai nom ?) a révolutionné l’art en son temps. Je n’essaie pas de vous convaincre, je parle en l’air, c’est tout. Et puis lisez aussi Elie Faure et Ernst Gombrich, ça ne peut que faire du bien…

Euh… J’ai parlé du livre de Régis Debray (pauvre homme affublé d’un prénom aussi ridicule, que Dieu pardonne ses parents) Vie et mort de l’¢image. Une histoire du regard en Occident ? Non alors j’en touche deux mots. Ce livre est en fait sa thèse de doctorat, dirigée par François Dagognet, celui-là même qui a fait sa carrière sur les détritus et les sécrétions corporelles (comprenne qui pourra). Et… c’est tout. On ne badine pas avec les grandes oeuvres – avec l’amour non plus.

J’aurais aimé… être… architecte. J’aurais pu si j’avais travaillé.
J’aurais aimé… être… journaliste. Je n’ai jamais essayé.
Et si finalement je devenais écrivain? (dis-je en pouffant).

Ce ne sont pas les choses elles-mêmes qui tourmentent les hommes, mais les opinions qu’ils forment sur les choses.
Epictète, Encheiridion

J’ai une mémoire prodigieuse pour certaines choses, c’est déjà ça non ? Comme chacune des notes de la Marche Funèbre pour la Reine Mary, d’Henry Purcell… – je suis incapable de me souvenir de ce que j’ai fait hier, mais la partition, ça oui, c’est comme si elle était imprimée sur ma rétine – Montez le son, et je vous demande un peu de recueillement pour cette pauvre Mary qui repose par six pieds sous la terre d’Albion – on parle bien de la Reine d’Angleterre, pas du RMS, le paquebot, on est d’accord ?

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Purcell.mp3]

Queen Mary

Comme pour faire contraste avec le superbe portrait de Mary, je pense tout à coup à la grossièreté, dans ce qu’elle a de plus global. A ces mots que je prononce parfois au grand désespoir des gens que je côtoie, à ces textes que je me refuse de censurer parce qu’ils sont ce qu’ils doivent être au moment où je les écris, à toutes ces choses que la morale réprouve. Il me semble qu’on peut tout à fait se gratter les couilles en public, le tout étant de le faire avec élégance. La grossièreté ne trouve de sens que si elle est accompagné de son corrélaire, l’élégance. En disant cela, je pense à la dernière publicité Chanel, pour un rouge à lèvre. On y voit une blonde qui est à mon sens censée représenter le désir, la chair, l’envie, mais le problème c’est que cette poupée donne l’effet totalement opposé. Elle est d’un vulgaire affligeant, on croirait voir un pute fraichement débarquée d’Ukraine, tout ce qu’il y a de plus vulgaire et de repoussant chez la pétasse de luxe. Alors oui, je préfère me gratter les couilles en public avec mon charme habituel plutôt que de subir les charmes éventés d’une catin du port de Hambourg essayant de provoquer en moi des émois sexuels en trémoussant son cul enturbanné avec des lèvres qui me rappellent une danseuse de peep-show dans une rue commerçante de Copenhague (les voyages forment la jeunesse parait-il). Où se trouve la grossièreté ? Dans les mots de Bukowski ou dans les images surfaites d’une publicité pour un rouge à lèvres ? Ou encore dans les mots de cette épitaphe qui ornera ma tombe ?…

Je vous emmerde… Et vous me le rendez bien.

Ceci ne s’adresse pas forcément qu’aux lecteurs du Parisien (bon dieu que ce journal est minable, l’expression même de la vulgarité – encore – d’un certain lectorat)… Je suis de retour, c’est indiscutable (pas de fausse modestie), avec mes stylos Pilot Tech-Point V7, mon envie de crustacés, mes mains et mes doigts dans lesquels on peut voir, selon la lumière, soit la main câleuse du scribe ou la main délicate de l’intellectuel – merde, ce ne sont que des mains après tout – et puis mon irrésistible envie d’être tout pour quelqu’un. Dans ma réclusion, je souffre de la solitude de celui qui désormais ne va faire qu’attendre. Et Dieu sait que je peux être patient pour ce genre de chose, même si ça me ronge les chairs.

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Bee%20Gees%20-%20Saturday%20Night%20Fever%20-%20Disco%20Inferno.mp3]

Je vais ressortir mes pinceaux, mes carnets et je vais me remettre à peindre avec cette technique si particulière qui consiste à peindre avec du thé. Avec ce soleil, quelques idées en tête, je rêve de navires et de marées lointaines…

Repartir vers le large…