Le chant du marin

Les chansons qui parlent de départ, de ports sombres et de pays lointains me rendent nostalgiques et me disent parfois que je ne suis qu’un marin qui aurait manqué le départ, resté à terre à écumer les bars d’un Hambourg crasseux ou d’un Valparai­so moite et puant le pétrole et le poisson mort… L’odeur des ports est sensuelle, elle raconte une histoire, des histoires de gens qui s’en vont et ne reviennent jamais, des histoires de marin perdus qui se battent pour une bouteille de rhum…

Red the port light
Starboard the green
How will she know of the devils I’ve seen
Cross in the sky, star of the sea
Under the moonlight, there she can safely go
Round the Cape Horn to Valparaiso
Valparaiso

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Sting%20-%20Valparaiso.mp3]

Photo © Gonzalo P.

Laura Levine

Elle photographie les stars, de Sinead O’Connor à Björk en passant par Captain Beefheart, avec une petite histoire pour chaque photo.

Annie Lennox

Le blog centenaire

Non, ceci n’est pas le blog du doyen de l’humanité mais un blog vintage, reprenant des photos américaines de la première moitié du XXè siècle. Loin d’être uniquement une collection de clichés empilés, chaque photo est expliqué, replacée dans son contexte et l’histoire des gens y devient attachante. Une belle découverte.

Shorpy

Ce n’est pas tout. Juste à côté, il y a Ghost Cowboy, un blog racontant des vraies histoires de l’Ouest américain naissant, au XIXè et au début du XXè siècle.

Ghost cowboy

Via Heading East.

Lit magnétique

Il y a quelque chose de fantasmatique dans ce lit, quelque chose de l’ordre du rêve. A présent, il existe réellement. Le lit magnétique flotte littéralement dans l’air. Au delà du rêve, il y a la réalité qui elle nous ramène par terre puisqu’il faudra tout de même débourser quelques 115,000 euros pour acquérir ce lit superbe, sous lequel, disons-le franchement, on peut passer l’aspirateur sans avoir à se contorsionner (à ce prix-là, il ne manquerait plus que ça).

Lit magnétique

Ce qui n’est pas dit dans l’histoire, c’est les éventuels effets néfastes que peut avoir un champs magnétique aussi intense (le lit supporte 900 kilos) sur la santé.

Bilan de deux mois d'une certaine inactivité

Je trouve ça effrayant. Voici presque deux mois que je n’ai pas ouvert un journal autre qu’un programme de télévision. Deux mois que je n’ai pas regardé le journal télévisé. Deux mois que je n’écoute pas les informations à la radio, que je ne consulte pas les informations sur Internet et que je ne regarde même pas les gros titres des journaux dans les kiosques et même les journaux d’information gratuits distribués dans le métro. Deux mois que je suis à la ramasse totale en ce qui concerne le monde, l’Europe, la France, je suis complètement largué ; j’entends bien parler de choses et d’autres par mes collègues de travail.
De temps en temps Fabienne me glisse une info importante, du genre les affrontements de Gare du Nord (c’est sur ma ligne de train et c’est depuis Genève que j’apprends l’événement) ou alors un massacre dans une école américaine.
Ce n’est pas que je m’en fous, c’est juste que ça ne m’intéresse pas. J’ai vécu toute une période complètement engoncé dans l’information à en avoir des nausées, à décortiquer les canards, à zapper entre les chaînes d’info, à n’écouter que France Info dans ma voiture et aujourd’hui, plus rien.
Croyez-le ou non, ça ne me manque pas et ça fait un bien fou, comme si je m’étais écarté du monde pendant quelques temps, je m’en trouve comme lavé des impuretés du monde, rendu vierge de tous les éléments extérieurs. L’effet sur le moral est saisissant, j’ai comme l’impression d’être entre parenthèses dans ce monde. Et pour le coup, je n’ai aucune envie d’y retourner.
Pour le coup, je me demande quel monstre social je suis devenu. Parfois on me dit “Ohhlalalala (*5), tu as entendu cette histoire ???” et je calme le jeu en disant NON d’emblée, alors on me regarde comme si j’étais atteint d’une forme rare du virus de Marbourg.
Pourtant, je lis énormément, sur tous supports, je regarde parfois d’un oeil distrait la télévision (ce n’est pas pour autant que je l’écoute), j’aime éplucher les pages grand format de CB News, j’agrège plus de 270 fils de news dans mon lecteur RSS dont plus de la moitié est consacrée au design, à l’architecture, aux tendances, au marketing, à la photo, aux voyages, mais rien sur l’actualité. Parfois j’attrape quelques bribes sur tel ou tel blog, mais je saute, “mark all read”, je zappe, je rends les armes. Pas de temps ni de place dans ma vie pour ces choses.
Mais promis, le soir du 22 avril, à 20h00, je serai planté devant ma télé avec un bol de cacahuètes. J’adore lancer des saletés aux singes…*

PS: Message personnel à l’espèce de trou du cul de chauffeur de taxi (vous aurez remarqué le non-emploi particulièrement bien adapté de l’oxymoron dont l’exact opposé s’appelle un pléonasme) qui :

  1. S’est mis sur la file de droite pour tourner à gauche au feu sur le pont d’Asnières.
  2. S’est permis de gueuler parce que j’empruntais la voie la plus à droite et que par conséquent je lui bloquais le passage (il a très certainement dû oublier comme 96% des Français qu’on roule TOUJOURS !!! Bordel !! sur la file la plus à droite).
  3. S’est amusé à me faire une queue de poisson puis s’est pris pour Starsky et Hutchinson (sauf qu’il roulait dans une grosse Mercos baveuse et rutilante) en se mettant en travers de ma route, certainement dans l’espoir que je m’arrêtasse (emploi parfaitement maîtrisé du subjonctif imparfait) pour me laisser défoncer la gueule à coup de cric.
  4. A eu l’air passablement étonné, voire apeuré lorsque j’ai accéléré pour passer la quatrième et le contourner à peine à quelques centimètres d’un coup de volant savamment maîtrisé (la pratique, jeune padawan, la pratique !).
  5. M’a gentiment gratifié d’un appel de phare que je garde planté dans mon coeur telle une épine de Rosa Rugosa, marquant pour l’éternité mon esprit mortifié.

Sache donc, gentil connard, que, malgré le fait que mon coeur a quelques instants battu très fort, j’ai pris un pied fou à te foutre une trouille qui, je le souhaite de toute mon âme, te servira de leçon.
En espérant également que tu aies tâché ton siège…

Sur ces entrefaites, je tire ma révérence, le temps d’une nuit.

* http://www.mangerbouger.fr/

Jeff Crandall

C’est l’histoire d’un poète (Jeff Crandall) qui voulait devenir autre chose. Alors il est devenu poète sur bouteilles en verre. Un métier comme un autre. Il écrit donc désormais des poèmes sur des bouteilles en verre dépoli sur lesquelles figurent des instructions sur l’usage que l’on doit en faire. A 65$ l’unité, mieux vaut ne pas en faire un pied de lampe.

Via MoCoLoCo.

Jeff Crandall

Hiroshima, John Hersey

広島市

Sa mémoire, comme celle du monde, commençait à s’effilocher…

Je tenais absolument à lire ce livre poignant. Au fur et à mesure de sa lecture, je me suis rendu compte de la totale ignorance que j’avais de ces événements. A peine capable de donner la date des deux bombardements d’Hiroshima et Nagasaki, j’étais dans le flou le plus total quand à ce qu’il s’est passé au pays du soleil levant, tandis que la seconde guerre mondiale voyait poindre son crépuscule. En ce sens, je ne remercie aucun de mes profs d’histoire de m’avoir laissé dans les ténèbres de la connaissance au profit du respect du programme.

D’autre part, et sauf le respect dü aux victimes et à leurs descendants, mais on nous rabat les oreilles avec la Shoah, on nous en abreuve jusqu’au dégueulis et du massacre atomique, on n’entend jamais rien. Je m’étonne d’ailleurs de cette capacité de non-ressentiment qu’ont les Japonais à l’encontre de leurs bourreaux. Alors certes, le Japon était engagé contre les Forces Alliées, mais une des choses que montre clairement ce livre, c’est la perte totale de confiance qu’ont eu les Japonais à l’égard de leur empereur Hiro-Hito à ce moment précis.

Au travers du destin de six personnes, six rescapés (hibakusha, 被爆者) de l’explosion (genshi bakudan, l’enfant-bombe originale), John Hersey raconte comment ces gens (un des protagonistes est un prêtre catholique allemand) ont réussi à échapper à l’onde de choc et ce qu’il est advenu d’eux. Dès 1946 il se rend sur place pour en tirer un récit pur et laconique, qui se lit comme un roman. Par ailleurs, le peu de connaissance que j’avais sur le sujet m’a entraîné dans la lecture comme si c’était effectivement un roman.

Personne ne comprenait rien à la chose, ou n’y ajoutai foi (…) Déjà, cependant, des savants japonais étaient entrés dans la ville, armés d’électroscopes de Lauritsen et d’électromètres de Neher ; eux, ne comprenaient que trop bien.

Hersey retourne à Hiroshima en 1985 pour terminer son histoire, et c’est au bout du compte un témoin formidable de l’horreur tue, des destins fracassés des survivants et du mépris des Occidentaux à l’encontre de leurs victimes. On y découvre dans les moindres détails les effets de l’explosion. On frise l’horreur extrême.

Certains avaient les sourcils littéralement calcinés et la peau pendait de leur visage et de leurs mains. D’autres, sous l’effet de la souffrance, avançaient les bras levés, comme portant quelque chose à deux mains. Il en était qui vomissaient en marchant. Beaucoup étaient nus ou n’étaient plus vêtus que de lambeaux de vêtements. Sur certains corps ainsi dénudés, les brûlures s’étaient inscrites en motifs – dessinant les épaulettes d’un maillot de corps, ou des bretelles ; et sur la peau de certaines femmes (étant donné que le blanc repoussait la chaleur dégagée par la bombe, tandis que le noir l’absorbait et servait de conducteur), les fleurs imprimées sur les kimonos.

Plus étonnant encore, la mentalité japonaise est telle qu’on a l’impression que tout le monde a accepté la bombe comme une contrepartie de l’entrée du Japon en guerre, une sorte de dommage collatéral, les Japonais les premiers.

Quant à l’emploi de la bombe, elle ajoutait : “c’était la guerre, et il fallait s’y attendre.” Et puis elle concluait : “Shikata ga nai”, expression japonaise aussi courante que le russe nitchevo, à quoi elle correspond : “On n’y peut rien. Que voulez-vous ! Tant pis !” Le docteur Fuji dit à peu près la même chose au père Kleinsorge, un soir, sur l’emploi de la bombe ; il le dit en allemand : “Das ist nichts zu machen. Il n’y a rien à y faire.”

Hiroshima, John Hersey
10/18, traduction par Georges Belmont et Pascale Haas
Edition augmentée

Ten Years After

Je souris à l’idée que les persévérants qui liront et écouteront l’intégralité de ce billet passeront une bonne demi-heure dessus. Ce groupe dont j’ai dégoté quelques petites perles est resté tout de même assez confidentiel en France, malgré des prestations impressionnantes à Woodstock et à l’Île de Wight. L’histoire de Ten Years After est assez étrange car elle débute en pleine période psychédélique. Alvin Lee, leader charismatique et guitariste captivant, virtuose de rapidité et friand de solos interminables se lance alors dans une entreprise déroutante qui consiste à reprendre des standards des années 50, des bons vieux rock’n’roll pas très propres et des blues grasseyants, mâtinés de folk et de country, tandis qu’à la même époques émergent les Zappa, Hendrix et Led Zeppelin, entre autres, parmi les plus inventifs. Après une fin de carrière poussive et répétitive, le groupe a fini par se séparer, laissant derrière lui quelques rares morceaux étonnants comme ce superbe blues de 10 minutes (que je me plais à qualifier de viril) qu’est Help me

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Help%20Me.mp3]

Les plus avertis remarqueront qu’Alvin Lee utilise une technique assez proche du picking et que la seconde partie du solo est magnifiée par un flanger très pur…

Le reste est en vidéo dans la suite du billet:

  1. I’m Going Home (live Woodstock ’69)
  2. Good Morning Little School Girl (image un peu crade, clip psychédélique)
  3. Slowblues in C (live at the Marquee)
  4. I Can’t Keep from Crying (Live at The Isle of Wight 1970) Continue reading “Ten Years After”

Lieux déserts (Doug Hall et quelques autres)

Dans les photos très américaines de Stephen Shore, dans les ténèbres contrastées de Uwe Niggemeier ou dans les innombrables clichés des époux Becher, il se passe quelque chose, ou plutôt ce qui se passe est de l’ordre du rien. On est immédiatement assailli par quelque chose qui devrait passer inaperçu et qui pourtant, comme le silence dans certaines compositions musicales d'Olivier Messiaen est tellement prégnant que ça en devient assourdissant.

Je viens de découvrir les photos de Doug Hall (grâce à MoonRiver), ses paysages routiers, le GDR project et ses non-places. Ce dernier mot résume bien l’histoire de ces photos; ce sont des non lieux, des lieux qui n’existent pas car ils leur manquent quelque chose de fondamental… Une histoire. Dénué de toute présence, ils perdent leur sens et deviennent criants de néant. En fait, ce sont plutôt des photos qui ne racontent pas d’histoires et je trouve toujours aussi surprenant de voir que des artistes poussent leur démarche jusqu’à vider leur oeuvre de signifiant.

Doug Hall

C’est l’occasion rêvée de soumettre ce lien que m’a transmis Fabienne (c’est génial de bloguer dans ces conditions, on lance des sujets et des gens réceptifs apportent leur pierre à l’édifice). German Industrial Buildings 1910-1925, une série de photographies collectées par Andy Bleck et qui donne une idée du panorama d’inventivité de ces architectes de l’ère industrielle. Le site contient beaucoup d’autres choses qui n’ont pas grand chose à voir entre elles (et une mise en page digne des premières années du web) mais ça vaut le coup d’oeil.

De Fabienne, il faut lire également le billet qu’elle a écrit sur les Flugabwehrkanone (FLAK) Türme.

Merci également à Helge Fahrnberger de m’avoir aiguillé vers le blog de Haiko Hebig et sa catégorie dédiée à l’héritage industriel par la photographie.

Le bibliomane, Charles Nodier

Vous avez tous connu ce bon Théodore, sur la tombe duquel je viens jeter des fleurs, en priant le ciel que la terre lui soit légère. Ces deux lambeaux de phrase, qui sont aussi de votre connaissance, vous annoncent assez que je me propose de lui consacrer quelques pages de notice nécrologique ou d’oraison funèbre. Il y a vingt ans que Théodore s’était retiré du monde pour travailler ou pour ne rien faire : lequel des deux, c’était un grand secret. Il songeait, et l’on ne savait à quoi il songeait. Il passait sa vie au milieu des livres, et ne s’occupait que de livres, ce qui avait donné lieu à quelques-uns de penser qu’il composait un livre qui rendrait tous les livres inutiles ; mais ils se trompaient évidemment. Théodore avait tiré trop bon parti de ses études pour ignorer que ce livre est fait il y a trois cents ans. C’est le treizième chapitre du livre premier de Rabelais. Théodore ne parlait plus, ne riait plus, ne jouait plus, ne mangeait plus, n’allait plus ni au bal, ni à la comédie. Les femmes qu’il avait aimées dans sa jeunesse n’attiraient plus ses regards, ou tout au plus il ne les regardait qu’au pied ; et quand une chaussure élégante de quelque brillante couleur avait frappé son attention : « Hélas ! disait-il en tirant un gémissement profond de sa poitrine, voilà bien du maroquin perdu ! » Il avait autrefois sacrifié à la mode : les mémoires du temps nous apprennent qu’il est le premier qui ait noué la cravate à gauche, malgré l’autorité de Garat qui la nouait à droite, et en dépit du vulgaire qui s’obstine encore aujourd’hui à la nouer au milieu. Théodore ne se souciait plus de la mode. Il n’a eu pendant vingt ans qu’une dispute avec son tailleur : Continue reading “Le bibliomane, Charles Nodier”