The earth died screaming

En 1999, j’ai écrit ce texte d’un seul trait, une nuit un peu désespérée en écoutant The earth died screaming de Tom Waits . Des années plus tard, je redécouvrais cette chanson du groupe America, une de ces chansons que l’on a entendu par le passé et qui reste dans la tête pour se réveiller des années plus tard. En relisant ce texte et en écoutant cette chanson, je me dis que j’étais vraiment inspiré.

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/America%20-%20A%20Horse%20With%20No%20Name.mp3]
Je me suis pris pour un oiseau l’espace d’un instant. Je volais avec mes compagnons, serrés en rangs alignés, en formation naturelle. Le grand V que nous dessinions attiraient ceux qui tout en bas avaient le bonheur de croire que nous étions quelque chose comme… un vol d’oies sauvages retournant vers les terres australes au climat plus clément. Nous les avons certainement bernés, car le mois d’août commençait à peine, charriant avec lui son cortège d’orages et de tourbillons de poussière. Le redouté mois d’août… celui qui souvent nous est fatal parce que l’eau du désert vient à manquer.

La course devient une course pour la vie. Le premier qui trouve le point d’eau est béni des dieux et son esprit de solidarité le pousse à partager son butin avec les autres. Ici, tout le monde est dans le même bain… un bain de sueur et de soif. Nous poussons encore plus avant sur les terres arides, chacun gardant avec lui l’espoir secret de trouver ce qui s’appelle la mer… celle qui rafraîchit les corps et délasse les esprits… jusqu’au prochain départ. Je croyais que nous volions, mais nos pas martelaient bel et bien le sol sec, caillouteux à loisir… éreintant. Je savais qu’en continuant vers l’est, nous pourrions trouver un endroit frais pour nous reposer jusqu’à l’aube. Peut-être faudrait-il dès à présent songer à ne voyager que la nuit et nous reposer la journée… Pour cela, il faut être certain qu’à la fin de la nuit, un abri ombragé nous attend.

oregon

Emilio, le bandana plaqué sur le front comme une tâche de sang autour de la tête, les mains déjà moites malgré la relative fraîcheur du matin… son regard se promena nonchalamment de la Mustang poussiéreuse de Blair à la vitrine délabrée du Harry’s-on-the-road, sa crasse inimitable et ses fausses plantes vertes que même la climatisation séculaire n’aurait pas réussi à conserver. Depuis trois jours, au moins, ils avaient tout décidé. L’heure, au petit matin, le moment exact, lorsque le shérif sortirait du café, ce qu’ils allaient faire, dans les moindres détails. Ce que leur minable petite vie ne leur avait jamais procuré, cette journée sans fin allait leur donner; le grand frisson, l’inévitable impression d’être hors-la-loi, d’être des vrais méchants. Blair, assis au volant de ce qui avait été jadis un monstre, venait de jeter sa cigarette par la vitre et fit un signe à son compère, un hochement de tête censé être éloquent. Le shérif monta dans sa voiture, le chapeau vissé sur le crâne. Emilio écrasa son mégot du talon et se dirigea vers la gargote tout en enfournant sa main dans son blouson. Il poussa la porte et adressa son plus beau sourire de sa bouche édentée à la serveuse.

Les hommes sont comme des animaux, ils se battent pour leur subsistance. Mais lorsqu’ils en viennent à tuer, c’est que quelque chose dans la nature les a projetés de l’autre côté du miroir; un homme ne tue jamais pour manger. C’est ce que m’inspira la vue de la ville alors que nous nous étions tous demandé s’il fallait que nous prenions cette direction. Finalement, le plus sage d’entre nous décida de continuer vers l’est, comme prévu. Ce n’était pas tellement la faim qui nous harcelait, mais bel et bien la soif. Même les plus vigoureux commençaient à haleter, à traîner comme des fantômes. La nuit venait doucement, mais aucune signe de rafraîchissement. Aucun signe non plus de nuages annonçant la pluie. Le simple contact de l’eau sur notre corps nous aurait pourtant suffit à trouver un peu de courage pour continuer. Pour l’instant, le moral était au plus bas, dans les yeux de chacun, la mort se profilait doucement, dans un silence que tous redoutaient. Je décidai qu’il ne fallait pas nous arrêter ce soir, qu’il fallait continuer, parce qu’au loin, il y avait forcément de l’eau, le repos, la récompense.

Il lança son regard dans la salle pour évaluer le nombre de clients… pas plus de quatre péquins encore endormis ou déjà à moitié ternis par les premiers alcools. Puis il sourit à Sally, la petite serveuse qu’il connaissait depuis que lui et sa troupe avaient débarqué un soir de bringue alors qu’il ne savait plus quoi faire du côté de Stonetown. Bonjour Sally, tout va comme tu veux? Elle lui rendit son sourire. T’es tombé du lit? Je t’ai jamais vu aussi tôt dans les parages ! Nerveusement, il se passa la main dans les cheveux – il savait qu’il lui faisait un certain effet – et fut secoué par un petit rire mal contrôlé. Nan, je vais chercher du boulot. Y paraît que l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, alors j’ai mis mon réveil et maintenant, je suis là. Tu veux du café? lui demanda t-elle en s’emparant d’un mug rangé sur l’étagère crasseuse. Nan, je veux tout ce qu’il y a dans la caisse, et vite ! Son calme apparent le surprit. Il en fut d’ailleurs un peu décontenancé, surtout lorsqu’il comprit que Sally ne le prenait pas au sérieux. Arrête tes conneries! Tu veux du café oui ou merde? Pour toute réponse, elle eut droit à la vision cauchemardesque d’un canon de revolver pointé entre les yeux.

Il paraît qu’en d’autres temps des hordes de chevaux sauvages sont arrivés par le sud, longeant l’interminable chaîne de montagne, le temps qu’ils puissent se frayer un passage pour retrouver la côte, mais qu’une fois arrivés au seul col capable de les laisser passer, ils sont tous tombés comme un seul, ayant eu le malheur de prendre une corniche trop risquée. Deux milles chevaux entassés au fond d’un ravin, empilés comme les cartes d’un château soufflé par le vent. La peur est avec nous à chaque pas. Dans cette nuit sans nuage, dans l’obscurité parfaite du désert, avec pour seule guide les millions d’étoiles au-dessus, pas un seul d’entre nous n’est capable de se diriger. J’ai l’impression que nous perdons la direction. Tant que le soleil est avec nous, on peut faire avec. Suivre le soleil est un repère comme un autre et cela nous permet d’appréhender une réalité qui nous dépasse. L’est semble hors de portée, et ce sont à chaque pas les mêmes paysages qui nous taraudent, les mêmes caillasses blessantes, le même sable qui nous pique les yeux, la même caresse brûlante qui dessèche notre peau déjà crevassée par endroits.

Blair s’assurait que le moteur ne lui ferait pas défaut en donnant des petits coups d’accélérateurs nerveux. Sous la capot brinquebalant s’époumonait le moteur poussif, tandis que la porte vitrée du bar vola en éclats, la maigrichonne Sally l’ayant rencontré avec une certaine force. Emilio, un sac à la main, le revolver calé dans l’autre, sortit comme une furie et ramassa le poignet de la serveuse au passage, l’entraînant vers la voiture. Le moteur vrombissait et la portière était à peine fermée que déjà la gomme des pneus avait marqué de son empreinte le bitume défoncé de Central Street. Bon dieu! gueula Blair, qu’est-ce que c’est que ce bordel! Tout en essayant de maintenir la voiture sur la route, il pesta comme jamais. Au moment où il brailla le plus fort, Emilio se trouva projeté contre Sally, lui donnant un coup de tête qui l’assomma instantanément, et dans la virage qui menait vers la cimenterie, le bas de caisse s’écrasa contre le sol après un nid de poule, crachant des gerbes d’étincelles en tous sens. Il eut du mal à garder le contrôle, persuadé qu’un pneu avait éclaté, puis il se cala sur la ligne droite, reprenant ses esprits. C’est alors qu’il remarqua les traces de sang sur le pare-brise et sur le capot que la vitesse essuyait peu à peu. Le vieux Peacock n’avait pas résisté au choc.

Le chemin qui mène au paradis est plus long que celui qui mène en enfer. Nous nous en rendions compte à chaque nouveau pas. Laissant derrière nous des gerbes de poussière, nous ne savions même plus pourquoi nous nous courrions. Les herbes brûlées par le soleil accompagnaient notre course insensée. Regardant toujours droit devant, nous commencions à nous persuader que la nature nous en voulait pour nous faire connaître de telles souffrances, des douleurs dans les muscles, l’atroce sensation de ne plus avoir de gosier tellement la salive venait à manquer. Le soleil de plomb écrasait nos ombres sur le sol, jusqu’à ce qu’enfin, surpris par le répit, nous pûmes nous réfugier à l’ombre d’une cavité rocheuse, une sorte de canyon abrité, où le vent au contact de l’ombre renaissait plus frais que partout ailleurs. Je savais pertinemment que cela ne durerait qu’un temps. Il faudrait repartir sous peu. Une seule obsession: l’eau.

Putain de merde, pourquoi tu l’as prise avec toi? T’avais vraiment besoin de l’emmener? Blair braillait comme un porc qu’on égorge, tandis qu’à côté d’Emilio, la jeune Sally baignait dans son sang, le visage cisaillé par les éclats de verre et ses bras dénudés aussi rouge que si elle avait porté un pull. Sur la banquette arrière, Emilio tentait d’arracher avec les dents une pointe de verre qu’il avait reçu dans le creux du bras, plongé dans un silence de mort. Y’a combien dans le sac? J’espère que ça vaut le coup au moins ! Blair ne se tenait plus, il avait envie de chialer et de se recroqueviller pour ne plus continuer à voir tout ce sang qu’il n’assumait pas, mais il n’en eut pas le temps car déjà, il entendait les sirènes de ceux dont le reflet lui parvenait dans le rétroviseur. Une des voitures noires et blanches sembla se propulser par une force incroyable au niveau de la Mustang. Le shérif dévisagea Blair. Dans ses yeux, la haine et le dégoût… il lui fit signe de se ranger sur le côté, mais son geste resta en suspens, sans qu’il eut le temps de se rendre compte… qu’il n’était plus là… Emilio avait visé entre les yeux… Une boule de feu surchauffa l’air lorsque la voiture du shérif sortit de la route et percuta un poteau.

Je n’en peux plus. Plutôt que de continuer à vivre, je veux mourir, et je sais que je ne suis pas le seul. Beaucoup d’entre eux semblent s’éteindre. Leur regard ne signifie plus rien, il n’y a plus de volonté… seulement l’envie pressante que tout ceci se termine d’une manière ou d’une autre. Jamais je n’aurais pu croire que cela se terminerait aussi mal, même si on me l’avait prédit. Quelques-uns ne se sont pas relevés. Beaucoup trop sont morts, certains mourront bientôt. Ma langue ressemble à une éponge sèche et gonflée, je ne sais déjà plus ce qu’est la salive. Il y a celui-ci à côté de moi, qui se lève et comme pris de folie, il se débat, comme aux prises avec des démons invisibles, il saute dans tous les sens et prend son élan… se met à courir comme un dément… et plusieurs autres le suivent sans réfléchir. Tous, nous comprenons qu’il n’y a plus rien à espérer, alors nous partons tous, comme une nuée d’insectes et nous courrons du plus vite que nous pouvons, ce n’est plus qu’une question de minutes.

Blair écrasait le champignon: une seule destination… la ligne blanche de cette route défoncée, des larmes coulaient sur ses joues poussiéreuses, creusant des ravines d’abandon, il gémissait comme une fillette apeurée, sanglotant bruyamment. Jamais il ne s’était senti aussi minable, aussi petit. Il n’eut pas le temps de méditer plus sur sa condition, maintenant que la voiture déboulait le long d’une corniche abrupte. Au détour du virage, un mur lui faisait face, un mur couleur terre du désert… une ligne de chevaux en furie lui coupait la route et se déversait dans le vide, vers le fond… il en percuta trois avant de zigzaguer et de sentir son coeur se soulever comme si on le portait vers le néant…

J’ai senti mes jambes se dérober sous moi… un grand fracas, une explosion au loin, le vent est passé au-dessus de moi… quelque chose m’a empêché de suivre les autres. J’attendrai la mort au bord du vide.


Les paroles de la chanson:On the first part of the journey
I was looking at all the life
There were plants and birds and rocks and things
There was sand and hills and rings
The first thing I met was a fly with a buzz
And the sky with no clouds
The heat was hot and the ground was dry
But the air was full of soundI’¢ve been through the desert on a horse with no name
It felt good to be out of the rain
In the desert you can remember your name
’cause there ain’t no one for to give you no pain
La, la …After two days in the desert sun
My skin began to turn red
After three days in the desert fun
I was looking at a river bed
And the story it told of a river that flowed
Made me sad to think it was dead

You see I’ve been through the desert on a horse with no name
It felt good to be out of the rain
In the desert you can remember your name
’cause there ain’t no one for to give you no pain
La, la …

After nine days I let the horse run free
’cause the desert had turned to sea
There were plants and birds and rocks and things
There was sand and hills and rings
The ocean is a desert with it’¢s life underground
And a perfect disguise above
Under the cities lies a heart made of ground
But the humans will give no love

You see I’ve been through the desert on a horse with no name
It felt good to be out of the rain
In the desert you can remember your name
’cause there ain’t no one for to give you no pain
La, la …

Guy de Maupassant, Conte de Noël

Le docteur Bonenfant cherchait dans sa mémoire, répétant à mi-voix : ” Un souvenir de Noël ?… Un souvenir de Noël ?… ” Et tout à coup, il s’écria : – Mais si, j’en ai un, et un bien étrange encore ; c’est une histoire fantastique. J’ai vu un miracle ! Oui, mesdames, un miracle, la nuit de Noël. Cela vous étonne de m’entendre parler ainsi, moi qui ne crois guère à rien. Et pourtant j’ai vu un miracle ! Je l’ai vu, fis-je, vu, de mes propres yeux vu, ce qui s’appelle vu. En ai-je été fort surpris ? non pas ; car si je ne crois point à vos croyances, je crois à la foi, et je sais qu’elle transporte les montagnes. Je pourrais citer bien des exemples ; mais je vous indignerais et je m’exposerais aussi à amoindrir l’effet de mon histoire. Je vous avouerai d’abord que si je n’ai pas été fort convaincu et converti par ce que j’ai vu, j’ai été du moins fort ému, et je vais tâcher de vous dire la chose naïvement, comme si j’avais une crédulité d’Auvergnat. J’étais alors médecin de campagne, habitant le bourg de Rolleville, en pleine Normandie. L’hiver, cette année-là, fut terrible. Dès la fin de novembre, les neiges arrivèrent après une semaine de gelées. On voyait de loin les gros nuages venir du nord ; et la blanche descente des flocons commença. En une nuit, toute la plaine fut ensevelie. Les fermes, isolées dans leurs cours carrées, derrière leurs rideaux de grands arbres poudrés de frimas, semblaient s’endormir sous l’accumulation de cette mousse épaisse et légère. Aucun bruit ne traversait plus la campagne immobile. Seuls les corbeaux, par bandes, décrivaient de longs festons dans le ciel, cherchant leur vie inutilement, s’abattant tous ensemble sur les champs livides et piquant la neige de leurs grands becs. On n’entendait rien que le glissement vague et continu de cette poussière tombant toujours. Cela dura huit jours pleins, puis l’avalanche s’arrêta. Là terre avait sur le dos un manteau épais de cinq pieds. Et, pendant trois semaines ensuite, un ciel clair, comme un cristal bleu le jour, et, la nuit, tout semé d’étoiles qu’on aurait crues de givre, tant le vaste espace était rigoureux, s’étendit sur la nappe unie, dure et luisante des neiges. La plaine, les haies, les ormes des clôtures, tout semblait mort, tué par le froid. Ni hommes ni bêtes ne sortaient plus : seules les cheminées des chaumières en chemise blanche révélaient la vie cachée, par les minces filets de fumée qui montaient droit dans l’air glacial. De temps en temps on entendait craquer les arbres, comme si leurs membres de bois se fussent brisés sous l’écorce ; et, parfois, une grosse branche se détachait et tombait, l’invincible gelée pétrifiant la sève et cassant les fibres. Les habitations semées çà et là par les champs semblaient éloignées de cent lieues les unes des autres. On vivait comme on pouvait. Seul, j’essayais d’aller voir mes clients les plus proches, m’exposant sans cesse à rester enseveli dans quelque creux. Je m’aperçus bientôt qu’une terreur mystérieuse planait sur le pays. Un tel fléau, pensait-on, n’était point naturel. On prétendit qu’on entendait des voix la nuit, des sifflements aigus, des cris qui passaient. Ces cris et ces sifflements venaient sans aucun doute des oiseaux émigrants qui voyagent au crépuscule, et qui fuyaient en masse vers le sud. Mais allez donc faire entendre raison à des gens affolés. Une épouvante envahissait les esprits et on s’attendait à un événement extraordinaire. La forge du père Vatinel était située au bout du hameau d’Epivent, sur la grande route, maintenant invisible et déserte. Or, comme les gens manquaient de pain, le forgeron résolut d’aller jusqu’au village. Il resta quelques heures à causer dans les six maisons qui forment le centre du pays, prit son pain et des nouvelles, et un peu de cette peur épandue sur la campagne. Et il se mit en route avant la nuit. Tout à coup, en longeant une haie, il crut voir un œuf dans la neige ; oui, un œuf déposé là, tout blanc comme le reste du monde. Il se pencha, c’était un œuf en effet. D’où venait-il ? Quelle poule avait pu sortir du poulailler et venir pondre en cet endroit ? Le forgeron s’étonna, ne comprit pas ; mais il ramassa l’œuf et le porta à sa femme. ” Tiens, la maîtresse, v’là un œuf que j’ai trouvé sur la route ! ” La femme hocha la tête : ” Un œuf sur la route ? Par ce temps-ci, t’es soûl, bien sûr ? – Mais non, la maîtresse, même qu’il était au pied d’une haie, et encore chaud, pas gelé. Le v’là, j’me l’ai mis sur l’estomac pour qui n’refroidisse pas. Tu le mangeras pour ton dîner. ” L’œuf fut glissé dans la marmite où mijotait la soupe, et le forgeron se mit à raconter ce qu’on disait par la contrée. La femme écoutait toute pâle. ” Pour sür que j’ai entendu des sifflets l’autre nuit, même qu’ils semblaient v’nir de la cheminée. ” On se mit à table, on mangea la soupe d’abord, puis, pendant que le mari étendait du beurre sur son pain, la femme prit l’œuf et l’examina d’un œil méfiant. ” Si y avait quelque chose dans c’t’œuf ? – Qué que tu veux qu’y ait ? – J’sais ti, mé ? – Allons, mange-le, et fais pas la bête. ” Elle ouvrit l’œuf. Il était comme tous les œufs, et bien frais. Elle se mit à le manger en hésitant, le goûtant, le laissant, le reprenant. Le mari disait : ” Eh bien ! qué goût qu’il a, c’t’œuf ? ” Elle ne répondit pas et elle acheva de l’avaler ; puis, soudain, elle planta sur son homme des yeux fixes, hagards, alliolés, leva les bras, les tordit et, convulsée de la tête aux pieds, roula par terre, en poussant des cris horribles. Toute la nuit elle se débattit en des spasmes épouvantables, secouée de tremblements effrayants, déformée par de hideuses convulsions. Le forgeron, impuissant à la tenir, fut obligé de la lier. Et elle hurlait sans repos, d’une voix infatigable : ” J’l’ai dans l’corps ! J’l’ai dans l’corps ! ” Je fus appelé le lendemain. J’ordonnai tous les calmants connus sans obtenir le moindre résultat. Elle était folle. Alors, avec une incroyable rapidité, malgré l’obstacle des hautes neiges, la nouvelle, une nouvelle étrange, courut de ferme en ferme : ” La femme du forgeron qu’est possédée ! ” Et on venait de partout, sans oser pénétrer dans la maison ; on écoutait de loin ses cris affreux poussés d’une voix si forte qu’on ne les aurait pas crus d’une créature humaine. Le curé du village fut prévenu. C’était un vieux prêtre naïf. Il accourut en surplis comme pour administrer un mourant et il prononça, en étendant les mains, les formules d’exorcisme, pendant que quatre hommes maintenaient sur un lit la femme écumante et tordue. Mais l’esprit ne fut point chassé. Et la Noël arriva sans que le temps eût changé. La veille au matin, le prêtre vint me trouver : ” J’ai envie, dit-il, de faire assister à l’office de cette nuit cette malheureuse. Peut-être Dieu fera-t-il un miracle en sa faveur, à l’heure même où il naquit d’une femme. ” Je répondis au curé : ” Je vous approuve absolument, monsieur l’abbé. Si elle a l’esprit frappé par la cérémonie (et rien n’est plus propice à l’émouvoir), elle peut être sauvée sans autre remède. ” Le vieux prêtre murmura : ” Vous n’êtes pas croyant, docteur, mais aidez-moi, n’est-ce pas ? Vous vous chargez de l’amener ? ” Et je lui promis mon aide. Le soir vint, puis la nuit ; et la cloche de l’église se mit à sonner, jetant sa voix plaintive à travers l’espace morne, sur l’étendue blanche et glacée des neiges. Des êtres noirs s’en venaient lentement, par groupes, dociles au cri d’airain du clocher. La pleine lune éclairait d’une lueur vive et blafarde tout l’horizon, rendait plus visible la pâle désolation des champs. J’avais pris quatre hommes robustes et je me rendis à la forge. La possédée hurlait toujours, attachée à sa couche. On la vêtit proprement malgré sa résistance éperdue, et on l’emporta. L’église était maintenant pleine de monde, illuminée et froide ; les chantres poussaient leurs notes monotones ; le serpent ronflait ; la petite sonnette de l
‘e
nfant de chœur tintait, réglant les mouvements des fidèles. J’enfermai la femme et ses gardiens dans la cuisine du presbytère, et j’attendis le moment que je croyais favorable. Je choisis l’instant qui suit la communion. Tous les paysans, hommes et femmes, avaient reçu leur Dieu pour fléchir sa rigueur. Un grand silence planait pendant que le prêtre achevait le mystère divin. Sur mon ordre, la porte fut ouverte et les quatre aides apportèrent la folle. Dès qu’elle aperçut les lumières, la foule à genoux, le chœur en feu et le tabernacle doré, elle se débattit d’une telle vigueur, qu’elle faillit nous échapper, et elle poussa des clameurs si aiguës qu’un frisson d’épouvante passa dans l’église ; toutes les têtes se relevèrent ; des gens s’enfuirent. Elle n’avait plus la forme d’une femme, crispée et tordue en nos mains, le visage contourné, les yeux fous. On la traîna jusqu’aux marches du chœur et puis on la tint fortement accroupie à terre. Le prêtre s’était levé ; il attendait. Dès qu’il la vit arrêtée, il prit en ses mains l’ostensoir ceint de rayons d’or, avec l’hostie blanche au milieu, et, s’avançant de quelques pas, il l’éleva de ses deux bras tendus au-dessus de sa tête, le présentant aux regards effarés de la démoniaque. . Elle hurlait toujours, l’œil fixé, tendu sur cet objet rayonnant. Et le prêtre demeurait tellement immobile qu’on l’aurait pris pour une statue. Et cela dura longtemps, longtemps. La femme semblait saisie de peur, fascinée ; elle contemplait fixement l’ostensoir, secouée encore de tremblements terribles, mais passagers, et criant toujours, mais d’une voix moins déchirante. Et cela dura encore longtemps.

Après le tremblement de terre – Haruki Murakami

Six histoires, six destins liés entre eux par le fait que le tremblement de terre de Kobe de 1995 est passé sur la vie de ces six personnages. Un livre poignant sans être fataliste, une description minutieuse des séismes intérieurs…

Depuis la lecture de ce livre, je me suis plongé à corps perdu dans l’oeuvre de Murakami, auteur rare, d’une sensibilité à fleur de peau, il est de ces gens qui vous terrifient par leur vision du monde absolutiste. Dans ce livre, on découvre six histoires très personnelles dans un Japon en état de choc post-traumatique. Les ombres du passé ressurgissent et taraudent nos héros, ou plutôt doit-on dire nos anti-héros, car ces gens sont vous et moi, des gens du quotidien, notre voisin ou notre ami, tous ces gens qui gravitent autour de nous et recèlent en eux une part d’ombre délicate et violente. Un charme et une pudeur toute japonaise se dégagent de ces quelques pages précieuses.

– Elle dit qu’il y a une pierre au fond de votre corps. Un pierre blanche et dure. De la taille d’un poing d’enfant. Elle ne sait pas d’où elle vient.
– Une pierre ? répéta Satsuki.
– Il y a des caractères inscrits dessus, mais comme c’est en Japonais, elle ne peut pas les déchiffrer. Il y a quelque chose d’écrit en noir, à l’encre de Chine, en tout petits caractères. C’est une pierre assez ancienne, vous avez dû vivre de longues années en la portant en vous. Il faut que vous jetiez cette pierre quelque part. Sinon, quand vous serez morte et qu’on vous aura incinérée, la pierre demeurera.

Lieu de lecture de ce livre: Parc Monceau, Paris.

Après le tremblement de terre

Haruki Murakami

Les ombres de la nuit – David Hamilton

david hamilton

Lorsque j’étais enfant, j’ai été baigné par les photos de Sarah Moon, les gravures de Sarah Kay et d’Arthur Rackham, mais aussi par les photos de David Hamilton. Dernièrement, j’ai compulsé un livre de ses oeuvres, dans l’espoir de me replonger dans ces ambiances faites de paysages de plages solitaires, nimbées de lumières filtrées, très désuètes, mais aussi de corps dénudés et lascifs, de natures mortes pour maisons de campagne.

Et puis, en feuilletant ce livre, j’ai fini par être passablement étonné par les photos de jeunes filles (ou de jeunes garçons) aux corps lisses. Au final, je trouve le travail assez tendancieux. Certes, exalter la beauté du corps est un exercice périlleux, a fortiori lorsque c’est fait avec des adolescents.

Je suis troublé… et du coup, je ne sais pas trop quoi en penser. J’ai l’impression que l’art a été supplanté par une vague tentative de transfiguration des corps et que tout ceci n’est qu’un alibi culturel pour masquer les déviances d’un esprit torturé.

Chronique des temps (ter)

Il y a quelques temps maintenant que je gardais ce billet sous la main. Franck m’a honteusement entraîné sur un site et depuis, je revis (certainement comme lui) mes instants de jeunesse lorsque je jouais avec le circuit électrique de mes oncles… Si vous avez connu ça, vous vous laisserez forcément convaincre… C’est ici. Il suffit de choisir son véhicule, de construire son circuit, et c’est parti…. Pour avancer cliquez sur votre voiture en bas…. Amusez-vous bien.

Je ne résiste pas à la tentation de suivre une blogueuse dans son voyage. Elle se fait appeler Coyote des neiges et se trouve actuellement en Gaspésie. Voir que son compagnon aime les phares est un réconfort pour moi, ce qui me permet enfin de voir des phares sur un blog. Ici le jour 1 et ici le jour 2, j’attends la suite avec impatience….

De l’autre côté du monde, David nous donne à voir un petit bout d’automne (L’automne à Jingoji). Chacun de ses billets est pour moi un véritable objet de contemplation et je pense que je finir par aller l’ennuyer pour qu’il me fasse quelques fonds d’écran…

Retour au calme avec un très beau billet d’Enro sur la Tamise…. Un air de campagne british. (J’en profite également pour signaler la présence de ce billet sur Zatoïchi).

La surprise du jour, c’est la découverte de La Cité Des Mortes. Je ne vous en dis pas plus….

Tamise© EnroWeb

Le livre des morts

Depuis longtemps, je voulais écrire un billet sur un sujet pas très gai. En fait, lorsque j’ai vu le film d’Amenabar, les Autres (film que j’ai trouvé par ailleurs passablement mauvais, à part une image de très bonne qualité), j’ai été interpelé par ce album de photos que Nicole Kidman trouve dans un vieux carton. Les photos représentent des gens assis, les yeux fermés, dans leurs plus beaux habits, et la servante lui explique que c’est le livre des morts, ce sont des photos prises pour immortaliser les morts avant la mise en bière et que c’est une coutûme dans les grandes maisons.

Comme je le disais à Fabienne, je n’avais jamais entendu parler de cela auparavant et elle en a déduit que c’était peut-être une coutûme anglo-saxonne. Nous n’avons rien trouvé sur Internet à ce sujet, mais en cherchant un peu, j’ai trouvé quelques petites choses pas très gaies du tout. Âmes sensibles s’abstenir… Ce n’est vraiment pas joli. D’ailleurs, si quelqu’un sait quelque chose à ce propos, j’aimerais vraiment en savoir un peu plus.

Shûsaku ENDÔ, le poids du pardon

Une femme nommée Shizu

Au coeur d’un Japon ravagé par ses traditions, un homme, un écrivain né en 1923 se fait baptiser Paul par sa mère, une femme très catholique. Comment concilier modernité et tradition, surtout lorsqu’on est catholique au Pays du Soleil Levant ? Comment accepter certaines choses qui vont contre nos convictions ? C’est dans ce livre que ENDÔ Shûsaku livre ses tourments. Trois nouvelles poignantes.

Les ombres

Une lettre écrite à une prêtre, un homme perdu de vue pendant des années…. des rancoeurs à peine masquées et énoncées froidement. Mais il y a le Pardon, et le pardon est difficile à distribuer, surtout lorsque celui qui a tant fait de mal est un prêtre défroqué, dont le comportement a toujours été suspect à l’endroit de sa propre mère.

Je me souviens encore de mon chagrin. Un jour que j’avais désobéi, je constatai la disparition de mon animal bien-aimé en rentrant de l’école. Maman avait demandé à un gamin du quartier de l’emmener quelque part. Vous avez probablement oublié cet incident. Pour vous, le chien était un obstacle qui me détournait de mes études et le fait de s’en débarasser était pour mon bien. Aujourd’hui, je ne vous hais évidemment pas pour cela. Mais si j’évoque ces anecdotes insignifiantes, c’est parce qu’elles résument bien votre personnalité.

Le retour

L’abandon, le mort, la vie n’est-elle donc faite que de cela ?

Quelle différence avec les os de mon frère, sortant du crématorium, propres et d’une blanc laiteux! Ce squelette pitoyable était-il tout ce qui restait de la foi de ma mère ? (…) Avec les baguettes, je mis les os dans l’urne et ils tombèrent au fond avec un bruit sourd.

Le dernier souper

Comment vivre avec sur la conscience le pire tabou qui soit ? Comment ne pas se laisser ronger par l’alcool et vouloir mourir, vouloir se laisser pourrir comme pour expier les pires fautes involontaires ? Rencontrer celui qui a commis le même péché…

Je me souviens encore parfaitement de ce jour là. Au-dehors, une pluie fine tombait avec un bruit de sable, la teinte des arbres était plus noire que verte et Tsukada me confiait bribe après bribe son secret en pleurant. (…)

Shûsaku ENDÔ

La fin d'une civilisation

atahualpa

C’est arrivé il y a 472 ans : un conquistador étranglait le 13ème et dernier empereur Inca, Atahualpa, mettant ainsi un terme à une civilisation vieille de 300 ans, celle des Incas… Triste anniversaire que celui-là.

Les catastrophes de l'été

Quelle délectation, quel bonheur !! Comme tous les ans, à la même époque, c’est la valse des catastrophes dans nos petits médias préférés.

  • Ouragans – nombreux morts, mais c’est pas trop chez nous quand même…
  • Incendies de forêts – des milliers d’hectares dévastés, le camping des pins évacué…
  • Sécheresse – arrêter de laver votre Xantia, bordel !
  • 14 juillet – encore des incidents dans la téci, 14 voitures brûlées (ça marche aussi pour le jour de l’An en Alsace !)
  • Licenciements – Hewlett-Packard, Samaritaine, Kodak sans parler de Danone qui risque de nous servir une boisson noire et pétillante dans nos yaourts…
  • La canicule – encore des morts (ça c’est le petit nouveau depuis 2003)
  • Le tour de France – bon ben Armstrong a encore gagné…
  • TF1 fait 53% de part d’audience avec Dolmen et M6 repasse Angélique Marquise des Anges

J’adore l’été, c’est plein de fraîcheur et de nouveautés.

Ben voilà, encore un billet à classer dans la catégorie “billets mauvais exprimant un avis pitoyable”. Faut que j’arrête.

Invasion

Le film de science fiction Plan 9 From Outer Space du réalisateur Ed Wood, considéré comme le plus mauvais film de l’histoire du cinéma, est tombé dans le domaine public. Ne ratez pas ce chef d’oeuvre du mauvais goût où des extraterrestres déterrent des morts vivants pour envahir la Terre, il est en téléchargement complet légal ici.

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