L'étrange contrée

Ils roulaient vers l’ouest maintenant, sur la grande route de Coral Gables, à travers les faubourgs monotones et écrasés de chaleur de Miami, passant devant des magasins, ses stations-service et des supermarché, au milieu des voitures ramenant les gens de la ville chez eux, les dépassant régulièrement. Ils avaient laissé à l’instant sur leur gauche Coral Gables avec ses constructions qui ressemblaient à celles du Basso Veneto, s’élevant au dessus de la plaine de Floride, et devant la route s’étendait, toute droite mais gondolée par la chaleur, à travers ce qui avait été autrefois les Everglades. Roger roulait plus vite maintenant et la voiture se déplaçant dans l’air chaud rafraichissait l’air qui entrait par le ventilateur du tableau de bord et les déflecteurs des fenêtres.

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Tu es en train de raisonner comme un de ces écrivains des Grands-Espaces-Américains, se dit-il. Fais attention. Tu ferais bien d’en faire une provision. Regarde la fille en train de dormir et dis-toi que chez nous, ça va être là où les gens n’ont pas de quoi manger. Chez nous, ça va consister à aller là où les hommes sont opprimés. Chez nous, ça va être là où le mal est le plus fort et doit être combattu. Chez nous, ça va être là où tu vas maintenant. Mais tu n’as pas à y aller tout de suite, pensa t-il? Il avait des raisons de retarder ça. Non, tu n’as pas à y aller tout de suite, dis sa conscience. Et je peux écrire les histoires, dit-il. Oui, tu dois écrire les histoires et elles doivent être aussi bien écrites que possible et même mieux. Très bien, Conscience, pensa t-il. Nous allons régler tout ça. J’imagine que, vu la tournure prise, je ferais mieux de la laisser dormir. Tu la laisses dormir, dit sa conscience. Et tu essaies de prendre bien soin d’elle, et pas seulement. Tu prends bien soin d’elle. Aussi bien que je pourrai, dit-il à sa conscience, et j’en écrirai quatre bonnes. Elles ont intérêt à l’être dit sa conscience. Elles le seront, dit-il. Elles seront ce qu’il y a de mieux.


Fence

“Embrasse-moi maintenant.”
Ses lèvres étaient salées et son visage mouillé par l’eau de mer et, au moment où il l’embrassa, elle tourna la tête et ses cheveux trempés virent frapper son épaule.
“Drôlement salé mais drôlement bon, dit-elle. Serre très fort.”
Il le fit.
“En voilà une grosse, dit-elle. Une vraiment grosse. Soulève-moi bien et nous irons ensemble au-delà de la vague.”
La vague n’en finit pas de les rouler, accrochés l’un à l’autre, ses jambes enroulées autour des siennes.
“Mieux que la noyade, dit-elle. Tellement mieux. Refaisons-le encore une fois.”
Ils choisirent une vague énorme cette fois et quand elle se dressa avant de se briser, Roger se jeta avec elle sous la ligne de rupture et quand elle s’écrasa elle les fit rouler comme une épave sur le sable.
“Allons nous rincer et puis nous coucher sur le sable”, dit-elle et ils nagèrent et plongèrent dans l’eau claire et puis se couchèrent côte à côte sur la plage ferme et fraîche, là où l’irruption des vagues venait à peine toucher leurs doigts et leurs chevilles.
“Roger, tu m’aimes encore?”

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Nervous%20_Bride.mp3]

“Je sors, dit-elle. Sens comme je suis fraîche, dit-elle sur le lit. Sens jusqu’en bas. Non, ne t’en va pas. Tu me plais.
– Non. Laisse-moi prendre une douche.
– Si tu veux. Mais je préférerais que non. Tu ne rinces pas le oignons avant de les mettre dans un cocktail ? Tu ne rinces pas le vermouth, non ?
– Je rince le verre et la glace.
– Ce n’est pas la même chose. Tu n’es ni le verre ni la glace. Roger, s’il te plait, fais-le encore. Encore est un joli mot, non ?
– Encore et encore”, dit-il.
Doucement, il suivit la courbe adorable qui allait de sa hanche et ses côtes à l’arrondi pommelé de ses seins.
“C’est une bonne courbe?”
Il embrassa ses seins et elle dit: “Fais très attention quand ils sont froid comme ça. Fais très attention et sois gentil. Tu sais à quel point c’est douloureux ?
– Oui, dit-il. Je sais à quel point c’est douloureux.”
Puis elle dit : “L’autre est jaloux.”
Un peu après elle dit: “Ils n’ont pas bien prévu les choses, que j’aie deux seins et que tu ne puisses en embrasser qu’un. Ils ont tout séparé beaucoup trop.”


Texte: Ernest Hemingway, l’Etrange Contrée (The Strange Country, in Le Chaud et le Froid), traduction Pierre Guglielmina
Musique: Songs: Ohia, Coxcomb Red & Nervous Bride
Photo: © Fotonstudio

137 rue Danton

Je m’étais toujours dit qu’un jour il fallait que je m’arrête à cette adresse. Coincés dans la ville, entre des bâtiments de brique rouge d’une autre époque, il y a cette petite cour intérieure dans laquelle trône un bouleau. Quelques lumières dessinent ses ombres sur les murs.

137

Le 137 rue Danton, c’est un peu comme ces boutiques de douceurs devant lesquelles on passe tous les jours en se disant qu’un jour, on aimerait bien goûter ces pâtisseries qui narguent derrière la vitrine; et finalement, on se rend compte que ce n’est pas grand chose, que ça ne valait certainement pas le coup qu’on rompe le charme.

137

Finalement, je suis content de l’avoir fait, je prends ça comme un acte symbolique, comme une étape sur la route d’un pèlerinage, et je continue ma route tout doucement et j’essaie de capter mon reflet dans les vitres des grands bâtiments des quais de Seine.

Reflets

La route est toujours la même, la chanson aussi… Je tape du pied en écoutant Carmen McRae en passant aux mêmes endroits que tous les jours, mais décidément, la lumière, elle, change tous les jours et j’essaie de capter ces petits changements, au jour le jour…

The song remains the same

Sur la route de Marigny

Voici ce qu’on appelle typiquement un non-événement. Je ne suis pas un grand cinéphile pour deux sous, mais il est des choses intouchables parmi les oeuvres du cinéma hollywoodien. En l’occurrence, le chef d’oeuvre cinématographique de Clint Eastwood adapté du roman de Robert James Waller, The Bridges of Madison County, fait partie de ces petits moments de bonheur qui marquent, parce que les acteurs rendent une charge émotionnelle indiscutable, parce que la mise en scène, la photographie sont parfaitement maîtrisées. Ce film, avec Meryl Streep, incomparable, est comme Out of Africa, un succès commercial parfaitement réalisé.

Aussi, lorsque je vois qu’Alain Delon et Mireille Darc montent sur scène au théâtre Marigny pour jouer cette pièce, j’ai tout de suite beaucoup de mal à imaginer Delon face à Eastwood dans le rôle de Robert Kincaid et Mireille Darc face à Meryl Streep dans celui de Francesca Johnson, c’est un peu comme si on tentait de me vendre un pot de cornichons quand je demande un pot de marmelade d’oranges amères. Sur Europe 1, partenaire du spectacle, j’ai entendu l’annonce et on entend Delon déclamer “je cherche un pont couvert, etc.” avec un tel détachement qu’on croirait qu’il est en train de se couper les ongles pendant qu’il parle, absolument sans conviction et comme s’il demandait un timbre et une boîte d’allumettes au bar-tabac Le Balto

Assurément, ce sera LA pièce de théâtre que je n’irai pas voir cette année…

Chicago by night

Lucas, que je connais depuis longtemps maintenant, nous emmène en quelques clichés magnifiques (qui mériteraient d’ailleurs des formats plus grands) au travers de l’Amérique lumineuse, dans la ville des mille vents. Recommence quand tu veux…

Chicago by night

Motel Hell

Le titre dit tout: Tacky and trashy Motel postcards of the 1950’s, 60’s and 70’s. Forgotten places lost on the roads that time forgot. Et honnêtement, ça vaut le coup d’oeil. Les lecteurs de Motel Blues de Bill Bryson y retrouveront certainement l’ambiance surannée des motels des bords d’autoroute. Via Coudal.

Motel Hell

Kerouac en version originale

Kerouac

L’année dernière, les haïkus de Jack Kerouac étaient à nouveau publiés, et l’année prochaine verra un grand événement s’accomplir pour fêter les 50 ans de la publication du roman phare de l’auteur. En effet, la version primitive de On the Road sera publiée telle quelle ; la légende, la vraie, veut que Jean-Louis Lebris de Kerouack dit Tijean (j’aime me rappeler ce nom français en pensant à lui) ait écrit Sur la Route en trois courtes semaines effrénées sur un immense rouleau de 36 mètres d’un papier très fin, comme un témoignage ou plutôt un manifeste de la fronde de la Beat Generation.

Ecrit sans paragraphe ni sauts de ligne, le manuscrit original avait été expurgés de ses références au sexe et à la drogue. Le manuscrit original va donc être bientôt disponible après avoir été acquis aux enchères pour la modique somme de 2.43 millions de dollars, édition sur laquelle je lorgne déjà et que je lirai avec plaisir dans le texte.

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Only in Paris

Paris est beau, surtout l’hiver, surtout lorsque la capitale revêt ses habits de fête. Une journée magnifique, le soleil était présent, et je me suis immiscé dans des recoins que je ne connaissais pas encore. En route, pour la grande ville de lumière…

Pont de Gennevilliers

Pont de GennevilliersPont de ClichyPont de ClichyLevallois

J’ai ensuite pris le métro jusqu’à Saint-Lazare, Cour de Rome, dans un air froid saisissant. L’appareil à la main, je prends quelques clichés au hasard de mes rencontres, en enquillant le Passage du Havre.

Starbucks Cafe à Saint-LazarePassage du Havre

Dans le hall du Printemps, je me laisse tenter par les escalators plutôt que par l’ascenseur. Je peux ainsi flâner et laisser mon regard vagabonder tout autour de moi, parmi les rayons surchargés, dans une lumière rouge orangée de saison. Neuf étages de lumières scintillantes et de strass.

PrintempsPrintempsPrintempsPrintempsPrintempsPrintempsPrintemps

A un moment, j’entends une chanson que j’aime beaucoup écouter ces derniers temps. La coïncidence m’amuse et m’arrache un sourire.

Demon Ritchie – Only in New-York

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Demon_Ritchie.mp3]

A force de monter les escalators, j’arrive au 9ème étage et là, je me fais suprendre par une vue magnifique à 360°C. Sur la terrasse, il fait froid, mais il n’y a pas de vents. Je profite de cet instant de félicité pour admirer Paris au-dessus des toits. Le souffle coupé.

Toits ParisiensToits ParisiensToits ParisiensToits ParisiensToits ParisiensToits ParisiensToits ParisiensToits ParisiensToits ParisiensToits ParisiensToits ParisiensToits Parisiens

La descente est magnifique aussi et je me plonge dans la rue et la foule, bien qu’à cette heure-ci, ça ne se bouscule pas vraiment.

Sur le toit de Paris

Face aux vitrines de Noël, j’attends un coup de fil qui n’arrivera jamais.

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Je file ensuite vers la Madeleine par la rue Tronchet pour admirer les vitrines luxueuses et les décorations. La maison du caviar, Kenzo, Raplh Lauren, Baccarat, Fauchon, Hédiard. Je suis émerveillé et je profite de ces derniers instants savoureux sous le soleil. Le retour en banlieue s’accompagne d’un ciel qui se couvre.

Rue TronchetLa MadeleineRue RoyaleCamion FauchonVoiturier chez FauchonVitrine

Une journée merveilleuse…

Un train pour nulle part

Hier matin, j’ai trouvé qu’il n’y avait pas beaucoup de monde dans le train. Mon RER est arrivé à l’heure, tout le monde s’est engouffré dans le train pour Gare du Nord et il ne restait plus personne sur le quai.
Le train était vide et j’ai pu poser mes fesses sans problèmes. C’est une fois arrivé au boulot, à la même heure que d’habitude que j’ai appris que c’était un jour de grève. Quand je pense à tous ces cons qui ont du se trainer cul à cul sur la route.

Du coup, le soir, je savais plus ou moins à quoi m’attendre. Et effectivement, arrivé à Pereire, mon train avait une demi-heure de retard. Comme je déteste perdre du temps et passer mon temps à ne rien faire, je suis sorti de la gare, un gare pourrie et sale, indigne de ce nom. Je pense qu’il existe des stations de métro à New-York plus propres que celle-ci. Quand on sait que cette station se trouve dans le 17ème arrondissement (dont Mme de Panafieu est maire), donc un les plus beaux quartiers de Paris, je trouve ça déplorable.

Donc, je sors de cette gare, pour faire un tour en attendant mon train.

Et je suis attiré par quelqu’un qui parle fort dans un micro. Rue Puvis de Chavannes, un attroupement bloque le rue en son milieu, et je vois un homme, éclairé par une lumière froide et crue, entouré d’une foule guindée, derrière un pupitre de plexi, faisant l’apologie d’un homme, en citant des phrases d’inspiration religieuse orthodoxe. Sur le mur derrière lui, visiblement une plaque allait être dévoilée, attendant derrière son rideau qu’on la laisse respirer.

J’ai écouté le discours, intrigué, en regardant l’heure, histoire de ne pas louper mon train, et je craignais de devoir partir avant d’avoir su de qui il était question. Et finalement, le voile s’est levé, et j’ai découvert que l’on inaugurait là une plaque en l’honneur d'Andrei Tarkowski, dont le 17 rue Puvis de Chavannes a été la dernière demeure.

Un moment intense de recueillement s’en est ensuivi. J’étais ému de voir tous ces gens se recueillir sur cette plaque, respectant la mémoire d’un homme mort il y a 20 ans et dont ces derniers temps j’avais fait l’apologie, à propos de son film Le Sacrifice.

Un hasard… Une rencontre comme je les aime.