Saint-Claude

Aujourd’hui, c’est la Saint-Claude !

Aussi, je souhaite une très bonne fête à tous les amateurs de pipes…

Pipe Magritte

Non, ceci n’est pas un troll, même si hier, c’était la Saint-Valentin (et pardon pour ce rire intérieur qui secoue mes entrailles et fait tant de bruit).

EDIT: Visiblement, ma blagounette n’a pas de succès, alors explication de texte. Saint-Claude est une ville du Jura (français, je précise, nan parce que bon) dont la spécialité est la pipe en bruyère. Je trouverais amusant que les amoureux fêtent la Saint-Claude plutôt que la Saint-Valentin. Vala.

Du partage numérique des images

Quoi de plus agréable qu’un billet sur un blog, ou d’une page sur un site, dont l’intérêt peut-être suscité par une illustration pertinente autant qu’agréable ? C’est dans cette démarche que je me dis que pour illustrer un billet critique sur la lecture d’un livre, rien ne vaut une belle photo en rapport avec son ressenti sur la lecture et les émotions suscitées.

C’est donc tout naturellement que dernièrement, je me suis tourné vers Flickr en faisant des recherches thématiques ou transversales. Il se trouvent que certaines photos sont sous licence Creative Commons et selon les termes du contrat, utilisables librement ou non dans un cadre non commercial avec revendication de la paternité, ce qui est assez sympathique puisque les créations peuvent être dans ce contexte utilisées librement si toutefois on mentionne le nom de l’auteur. Toutefois, en recherchant une photo de taxi new-yorkais, je me suis rendu compte que la plupart des photos disponibles étaient encore “All rights reserved“, ce qui j’avoue a eu le don de m’agacer. Bien évidemment, les auteurs sont libres de leur choix, mais dans ce cas, pourquoi partager ses photos sur Internet si on ne peut pas les utiliser ? C’est aller à mon sens à la pêche aux ennuis.

Que peut-on faire avec des photos consultables librement sur Internet ?

  • Les enregistrer sur son PC.
  • Les utiliser sur un blog ou un site.
  • (Les revendre).
  • (Les revendre cher).
  • (Les envoyer dans une capsule pour communiquer avec les extra-terrestres).

Sincèrement, je ne vois pas l’intérêt de partager quelque chose d’aussi statique. Une utilisation raisonnée des créations d’autrui ne peut à mon sens qu’être la mesure commune. D’autre part, je me vois mal demander à l’auteur la permission d’utiliser une photo pour écrire un billet.

Se réserver tous les droits sur des créations librement consultables est à mon sens absurde alors qu’on peut simplement les protéger en en interdisant un usage commercial par un petit sigle.

Le douzième jour

Le douzième jour, il se passe toujours quelque chose. Que ce soit le douzième jour du commencement ou de la fin, il se passe toujours quelque chose arrivé au douzième jour, c’est un peu comme un jalon.

Le douzième jour, j’ai reçu une invitation d’un ami, un très vieil ami, un de ceux avec qui on s’est déjà pris une cuite et qu’on a pris par le col pour chanter des chansons paillardes dans un café enfumé d’une banlieue pourrie. En fait, ce type était plus que ça, beaucoup plus, un peu comme un maître, ou un père spirituel, un guru (Dieu que ce mot est laid).
Il m’avait appris à dessiner, entre autres choses, à appréhender les formes et la lumière sur un corps de femme nue entre les volutes bleutées de gitanes filtres qu’il expulsait par ses narines épatées et les senteurs de café épais et corsé qu’on buvait jusqu’à pas d’heure en devisant sur l’art, les formes, la lumière, les communistes et nos souvenirs d’enfance. Un liquide noir coulait dans nos veines, et nos nuits ressemblaient (les miennes en tout cas) à des scènes crispées de tétanie, rendant tout rêve impossible, ce qui me laissait penser qu’un jour j’y laisserais ma peau, et les battements de mon coeur. Son sang à lui était plutôt un mélange d’alcool et de café, ce qui était loin d’être plus sain, mais ça faisait partie du personnage, et moi ce personnage, je l’adorais. Même si comme ça, il faisait un peu dégueulasse. Même beaucoup.

Il s’appelait Dien, il était Viet-Namien. Il avait quitté son pays en 1975 et n’y était jamais retourné, mais son histoire personnelle, c’est pas ce qui m’intéresse et s’il veut la raconter, il le fera lui-même. Pour moi Dien était un type génial, généreux, du haut de son mètre cinquante, il ne payait pas de mine et faisait plutôt rire avec sa chevelure joyeuse qui partaient sur les côtés, ses énormes lunettes en écaille datant de la Guerre de Sécession qui lui mangeaient les joues et sa taille de freluquet vacillant sous l’effet constant de l’alcool. Mais il avait un défaut majeur aux yeux des autres ; un bec de lièvre assez impressionnant qui déformait sa voix au point que personne ne comprenait ce qu’il disait, à part son ami Cam et moi. C’est en partie pour cela que nous nous sommes autant rapprochés.

La muse de Brancusi

Mais la principale raison, c’est que nous avions une relation de maître à élève. Il avait du talent qu’il n’exploitait pas parce qu’il préférait boire, il maniait comme personne le couteau à plâtre et le fusain, avec ses amples gestes dans lesquels on sentait à la fois de la nervosité et de l’assurance, une précision héritée d’on ne sait où, ça ressemblait à quelque chose de terriblement primitif, au sens noble du terme, de l’ordre du tellurique et du somptueux en même temps. Le regarder travailler, ou même saccager mon travail parce que rien ne marchait droit était un bonheur, c’était brut et viril, et je le regardais tailler dans ma terre avec son terrible couteau tranchant qu’il avait toujours dans la poche de ses pantalons en velours, avec une sorte d’admiration, d’affection, car seul lui était en mesure de me dire ce qui fonctionnait ou pas. Je sculptais, je modelais avec une ferveur toute religieuse, dans le respect des enseignements de mon maître. De son côté, s’il y mettait tant de coeur, c’est parce qu’il avait confiance en moi et avait de grand desseins pour moi. Il me voyait indubitablement comme son élève et successeur. Souvent aussi nous nous engueulions, mais pas à propos d’art, sur des sujets idiots.

– Tu fumes trop, regarde toi ! Tu craches tes poumons, un jour tu vas en laisser dans ma terre.
– Ta gueule, qu’il me répondait en faisant la moue.
– Tubard !
– Ta gueule je te dis.
– Tu vas crever, merde. Et puis tu bois trop aussi.
– Ta gueule, t’as compris ? Ta gueule.
– Je t’emmerde…

Et nous partions d’un grand éclat de rire qui se terminait en bourrades dans le dos. J’adorais son rire suraigu d’asiatique alcoolique… En fait, c’était surtout ça qui me faisait rire… L’entendre se marrer était la seule chose capable de me faire cracher mon café…

Au douzième jour, il m’a donné un carton dégueulassé, plein de taches de café et de terre chamottée, un carton pas plus grand qu’une carte de visite, sur lequel étaient écris des mots que j’étais incapable de comprendre. C’était écris en vietnamien, avec ces caractères latins pleins d’accents dans tous les sens.

– C’est quoi ce bordel ? je lui demandai d’un air vaguement intéressé.
– C’est un carton.
– Oui je vois mais c’est quoi ce carton en viet là ?
– C’est un carton, ça se voit pas ?
– Bon ben quand tu seras décidé à me dire ce que c’est, tu sais où me trouver ?
– Ta gueule, prends ça.
– PFff, t’es con alors, je sais pas lire le viet.
– C’est toi qui est con, tu devrais. C’est un carton d’invitation à mon vernissage. Je veux que tu viennes. L’adresse est notée dessus… me dit-il en pouffant.
– Merde, t’es vraiment trop con. Si tu veux que je viennes, t’as intérêt à me dire où c’est, je vais pas m’acheter un dico viet pour tes beaux yeux. C’est quand d’abord ?
– C’est marqué dessus… dit-il en éclatant de rire…
– T’es vraiment le roi des cons.

Et moi de partir dans un éclat de rire à cause de son rire suraigu d’asiatique alcoolique…

Je me suis pointé à son vernissage. C’était dans un minuscule galerie dans le quartier de la place Monge, dans une petite rue dont je ne sais plus le nom, d’ailleurs, je ne me souviens plus du nom de la galerie non plus. Je suis entré dans la salle toute petite, tellement bondée que les gens avaient la gueule collée sur les toiles de Dien. C’était infernal, il y avait presque plus de monde près du buffet que devant les toiles. Et comment regarder des toiles sans recul ?

Tout ceci n’augurait rien de bon et déjà, je regrettais d’avoir accepté l’invitation, surtout que dans la foule, je n’arrivais même pas à voir Dien, ce petit con devait être caché entre deux autres nabots plus grands que lui. C’était plein de photographes, de peintres, des viets tous plus petits les uns les uns que les autres, des critiques d’art, des gouailleurs, des pochetrons, des journalistes, des gens d’un type absolument indéterminé et quelconque, des femmes, des vieux, des enfants, des cons, et pour finir Dien. Il se cachait, assis et prostré dans un coin, avec un assiette de petits-fours sur les genoux, une coupe de Champagne dans une main tandis que l’autre se faisait bouffer les ongles par les dents déchaussées de mon maître.

– Eh Dien ! Qu’est ce que tu fous, c’est ta fête aujourd’hui, viens voir les gens, ils sont venus pour toi.
– Ta gueule ! (Dien répondait toujours ces mots doux, ou alors par Ah bon, mais rarement à propos, avant d’entrer dans une discussion)
– Ouais, ça je sais… Mais je peux savoir ce que tu fous là ?
– Merde…
– Ah, je le connaissais pas cette réplique.
– Tu me fous la paix oui ? Tu ne vois pas que j’observe les gens ? J’aime pas me faire agresser quand c’est moi qui expose…
– Ouais c’est ça, et ça va ? T’auras assez à bouffer là ?
– Ta gueule.

Je m’écartai de lui pour rejoindre le buffet et me goinfrer de quelques uns de ces petits-fours divins, et prendre une ou deux coupettes de Champagne… Les gens avaient tous des têtes de cons, ou de pique-assiettes. C’était un peu la cour des miracles version milieu un peu branché parisien, même si au fond ici ça ne sentait ni le fric ni la classe mais plutôt l’underground et le rebut. J’étais un peu attristé de voir que mon maître n’était finalement entouré que de branquignols, dont je faisais aussi partie.

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/TomWaits-Underground.mp3]

Une soirée comme une grande aventure, pleine de rencontres, de surprises, mais mieux vaut peut-être ne pas tout savoir. Ainsi allait commencer le treizième jour.

Bartleby & Cie, Enrique Vila-Matas

Barleby & Cie, Enrique Vila-Matas

J’ai acheté ce livre, comme souvent, sur la simple annonce du titre. Un livre dont le titre contient le mot Bartleby est en soi d’une audace folle, car le personnage d'Herman Melville[1], l’inquiétant scribe, est l’archétype du personnage qui a renoncé à tout, et qui renonce même à écrire, en énonçant cette célèbre phrase I would prefer not to, qu’on s’est hasardé à traduire par Je préférerais ne pas ou J’aimerais mieux pas. Personnage pour le moins intriguant, Vila-Matas en fait un nom commun, dénomme le bartleby comme le personnage qui renonce à l’écriture. Le personnage de son roman, anti-héros conformiste par excellence a décidé de reprendre la plume après des années d’abstinence littéraire, pour écrire un livre de notes de bas de pages. Roman sans teneur, ce n’est pas un roman, ce n’est pas non plus un livre érudit sur la question. Ce n’est pas ça, tout en l’étant profondément. Les chapitre sont numérotés comme s’ils faisaient référence à un texte qui n’existe pas. Ici, le négatif de la littérature bat son plein. Livre noir, sombre, c’est une sorte de chant désespéré de l’écrivain qui n’écrit pas.

Renoncement à l’écriture, agraphisme, notes sans texte, paralysie de l’écrivain, égarements, soleils noirs de la littérature, tout est passé en revue avec méticulosité. Le narrateur se pose la question de savoir ce qui pourra advenir de la pulsion négative dans l’écriture, et sous le coup de l’excitation, de la fébrilité du style sous ses doigts, doit sans cesse s’arrêter d’écrire.

Le livre nous inspire une réflexion sur la fin de la littérature. Tous les livres ne sont que des notes en bas de page, on ne peut plus écrire de livres. La mémoire fixée par l’écriture permet tout de même de sauver de l’oubli.

Si l’on a besoin de fumer pour écrire, soit on le fait à la Bogart, la fumée vrillée dans l’oeil (pour un style rauque), soit il faut accepter que le cendrier s’approprie l’essentiel de la cigarette. Juan Benet.

Quelques cas marquants d’agraphisme ou de bartlebys:

  • Samuel Beckett qui parce que l’anglais lui a pourri la vie. Il écrit en français parce que selon lui, c’est une langue plus pauvre et plus simple.
  • Marcel Benamou, l’Oulipien qui a écrit Pourquoi je n’ai écris aucun de mes livres, dit lui même que les livres qu’il n’a pas écrit ne sont pas néant mais comme en suspension.
  • Marguerite Duras, pour qui écrire, c’est ne pas parler et dont l’histoire de sa vie n’existe pas.
  • Robert Walser le micrographe, pour qui écrire en tout petit semblait être une manière de désincarner l’écrit, dit qu’il est un zéro à gauche, l’arrêt avant l’arrivée, dans une sorte d’esthétique de la confusion.
  • Pepin Bello, ami de Lorca, Dalì­ et Buñuel est et demeure l’écrivain sans oeuvre, qui écrivait pour ne pas publier, en disant dans un ultime sursaut de cynisme que c’était pour déconner.
  • Susan Sontag, pour qui il faut abandonner l’art pour écrire.
  • Giacomo Leopardi, pour qui écrire traduit l’impossibilité d’un art supérieur.
  • Paul Valéry qui malgré ses 29000 pages de cahier, dans son Monsieur Teste, dit que plus on écrit, moins on parle.
  • Fogwill qui prétend écrire pour ne pas être écrit (et en cela rejoint un point particulier de la pensée de Deleuze)
  • Marcel Schwob, dans son étonnant Pétrone, décrit un être qui cesse d’écrire à partir du moment où il commence à vivre ce qu’il avait imaginé dans son écriture.
  • Oscar Wilde enfin, qui cesse d’écrire lorsqu’il a saisi le sens de la vie, pour s’adonner à la paresse.

Un maître mot; la littérature est sa propre négation.

Notes

[1] De son vrai nom Herman Melvil.

Le sacrifice de Tarkovsky

Le sacrifice de Tarkovsky

Andrei Tarkovsky signe son dernier film en 1986 avant de mourir. Le Sacrifice (Offret) est étrangement un film testament d’une oeuvre compliquée.

Ce film est avant tout, esthétiquement parlant édifiant. Dans un décor aux allures scandinaves, sous une lumière froide et argentée, c’est un film typiquement septentrional. La lumière y est magnifique et les personnages d’une gravité exacerbée. En s’imprégnant de l’ambiance, on pourrait se croire dans un film d'Ingmar Bergman. Le réalisateur russe nous offre une palette de personnages énigmatiques magistralement servis par Erland Josephson (acteur bergmanien s’il en est), Susan Fleetwood, Guðrún Gísladóttir et un petit garçon du nom de Tommy Kjellqvist, qui dans le film est simplement appelé Gossen, petit garçon. On y voit même apparaitre Valérie Mairesse.

Sur fond de guerre nucléaire, se déroule une cérémonie d’anniversaire sur les côtes suédoises. Le sacrifice sera celui d’Alexandre, le personnage principal, qui devra, pour sauver le monde accomplir un acte sacré. Rares sont les films autant imprégnés de gravité, de poésie sourde et rentenue et d’un sentiment prégnant de beauté presque métaphysique.

Goharshad

Goharshad

Au fil de mes recherches récentes, j’ai emprunté à la bibliothèque Photographies et carnets de voyage de Bruce Chatwin, par David King et Francis Wyndham.

Mis à part de très beaux textes extraits des Moleskine de Bruce Chatwin sur ses Voyages en Mauritanie et en Afghanistan, entre autres on découvre de magnifiques photos des quatre coins du monde (Chatwin, ex-expert en art chez Sotheby’s, à la fois écrivain et photographe esthète) n’illustrant pas du tout le texte mais donnant à voir la vision du monde d’un personnage hors-norme de la littérature. On découvre des clichés d’une rigueur extrême. Armé de son Leica, on le découvre jaloux de ses photos, ne sortant son appareil que lorsqu’il se trouvait seul, shootant des portes et des toits de tôles ondulées, composant des clichés à la composition stricte, aux couleurs vives, témoins d’une époque ou d’une particularité régionale.

Au milieu de ce joyeux fatras jouissif, se trouve une photo qui a attiré mon attention. Il s’agit d’un toit de mausolée, passablement détruit. Il se trouve en fait que c’est le Mausolée de Gohar Shad, un chef d’oeuvre d’architecture musulmane datant du XVè siècle et d’une sobriété sans égale. Pas très loin de là se trouve également la grande mosquée, visible de loin avec son magnifique dôme bleu et ses dorures. Un sommet de l’abstraction en art, des couleurs chatoyantes, qui se passent de commentaires.

Liens:

Ecrire une histoire autour de photos

Couleurs d'automne

Nous sommes au mois de novembre, le soleil n’est pas très loin mais déjà il fait froid et la pluie, hier, a recouvert le sol de milliers d’étincelles dans lesquelles on voit se refléter les lumières de la ville. Les vacances d’été paraissent déjà lointaines et tout ce qui en reste, ce sont quelques photos prise ça et là, d’endroits que je connais et où j’aime retourner à cause de leur familiarité. Ils me procurent la sensation d’être chez moi ailleurs que chez moi, de me sentir bien ailleurs que là où je vis. C’est comme ça, je n’y peux rien. Je suis comme la bernique, je m’attache au premier rocher que je trouve.

Les feuilles ne se ramassent plus à la pelle, mais au souffleur à essence. C’est une ritournelle que j’aime écouter.

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/feuilles.mp3] Continue reading “Ecrire une histoire autour de photos”

Nostalgiques de tous les pays, unissez-vous…

Billet rédigé en collaboration avec Fabienne.

Leonid Brejnev

L’Est, le grand Est, celui qui pendant des années, au coeur du XXe siècle, a jeté une ombre glacée sur le monde en terrorisant les foules, iconographie du bolchévik, couteau entre les dents à la clef…Cet Est-là n’existe plus, il fait désormais partie du passé, même si quelques soubresauts inoffensifs se font parfois ressentir ça et là, mais de manière marginale. Pendant longtemps, tout ce qui se trouvait sur le territoire de l’ex-URSS (les Républiques soviétiques comme les pays satellites, de la Pologne à la Bulgarie) faisait peur, et rappelle certainement encore aujourd’hui de mauvais souvenirs. Evidemment, l’URSS, ce sont les goulags, la déportation, la répression politique et la répression tout court, des millions de morts, l’esclavage, le stalinisme…. Bref, un tableau bien sombre dans un paysageIouru Andropov immense et glacial. Je me souviens encore que lorsque j’étais tout gamin, j’ai vu se succéder à la tête de l’URSS des hommes à la mine renfrognée et austère : Leonid Brejnev, Iouri Andropov et Konstantin Tchernenko… Je me souviens également d’avoir étudié l’URSS lorsque j’étais au collège, ses innombrables républiques, les kolkhozes et les sovkhozes, la NEP[1], l’Industrialisation et les Grandes Purges. Tout ceci paraissait à la fois tellement barbare et tellement intriguant. En plein milieu du XXè siècle et après une guerre qui a fait des millions des morts, l’enfant que j’étais découvrait un monde sombre, dans lequel les films de James Bond m’avaient déjà trempé.

L’URSS, c’était aussi une menace. Une menace très concrète et très proche de nous. Berlin et son mur, ce sont plus que de simples notions, c’était une réalité avec laquelle nous qui sommes nés pendant la Guerre froide ou pendant cette période étrange qu’on appelait “la détente”, nous avons grandi. Je me souviens très bien des quelques informations, des quelques images qui nous parvenaient de par delà le rideau de fer: les files de gens qui attendaient dans le froid devant les commerces aux étals aussi vides que leurs regards, l’annonce de la mort d’un premier secrétaire du Parti, avec 4 ou 5 jours de retard, les défilés militaires sur la Place Rouge, et les tentatives de centaines de désespérés pour passer à l’Ouest.

Le monde, avant la chute de l’URSS, était bipolaire: les gentils à l’Ouest versus les méchants à l’Est; la liberté d’expression, le commerce et la prospérité du côté des USA (modèle indiscuté alors) versus le mutisme, les prix contrôlés et la déchéance du côté de Moscou; les champions blacks versus les nageuses est-allemandes. C’était là notre monde et la situation semblait figée, figée dans ce froid immense qui régnait des chantiers navals de Gdansk au port de Vladivostok.

Pourtant, il y a quelques années de cela, lors de la période chaotique et alcoolisée pendant laquelle a régné un certain Boris Eltsine, successeur putschiste du regretté Gorbatchev, je me souviens de ces images perturbantes pour un adolescent qui visiblement en perdait son latin. Des foules amassées sur la Place Rouge portant la banière rouge marquée en jaune de la faucille et du marteau, haranguaient les passants et réclamaient le retour au Communisme… Je découvrais les néo-communistes au travers de mon petit écran.

Depuis cette époque, on a diabolisé tout ce bloc qui est à l’est, aujourd’hui déchu…

J’ai posé quelques questions à Romu parce que je sais que l’univers qu’il représente sur son blog est pétri de cette iconographie. Ses réponses sont pour le moins surprenantes.

Moi: Pour toi, qu’est ce qui est attirant dans la Russie ? L’est, Le communisme?
Romu: Une époque dont on n’a jamais vraiment rien su, des lieux interdits et dont il ne reste que des traces éparpillées. Le Grand Meaulne quoi…
Moi: Et pourquoi tes blogs font référence à la Russie ?
Romu: Pour cette raison, ce sont des traces, comme dans une centaine d’années, il restera des traces sublimées de cet Internet.

Il m’a ensuite parlé de ce logo, en haut à droite de son blog.

Le petit bonhomme avec la kalash, c’est l’Ampfelmann, le bonhomme des feux d’Allemagne de l’est créé par un génie du design est-allemand. A la chute du mur, tous les est berlinois étaient pour le libéralisme, l’Ouest et les USA. Puis ensuite, ils ont commencé à réaliser.
Le temps est passé et les mécontentements se sont tassés.
Jusqu’au jour ou par souci d’uniformité, l’Ouest a voulu enlever les bonshommes des feux. Tollé général, manifs…
Les feux sont restés, finalement et l’année suivante, le parti communiste a fait 40 % aux législatives…
L’Ouest, c’est ce genre d’anecdotes irrationnelles.

Place Rouge

Au final, il reste une iconographie qui commence à être reprise et dont on a réussi à évacuer le sens non vertueux, un pays immense et encore mystérieux qui contient une histoire complexe, riche, à l’image de la longueur de ses frontières, une iconographie pour nostalgiques du grandiose.


Notes

[1] Nouvelle Economie Politique

Simon Leys, les naufragés du Batavia et Prosper

Je suis un grand théoricien du voyage immobile – Mobilis in mobile -, et depuis mon fauteuil, permettez-moi de conter cette histoire et ce livre. Rares sont les oeuvres, si condensées soient-elles, qui pourvoient le voyage à si haute dose. Je ne suis pourtant pas amateur de documents, mais les histoires comme celles-ci, sorties du néant au sein de mon univers sont des perles dont je me plais à me tresser des colliers. Laissez-moi broder cette tunique avec mes mots.Le livre de Simon Leys[1] commence en ces termes:

Il vous est venu une superbe idée dont vous rêveriez de faire un livre? Ne vous empressez pas de passer à l’exécution ; ce n’est pas nécessaire, car vous pouvez être sür que, tôt ou tard, quelqu’un d’autre aura la même idée… et en fera un usage parfait.

Leys raconte comment il tarda à écrire le livre qu’il mit des années à préparer et comment finalement, il fut supplanté par un nommé Mike Dash qui a écrit après lequel, selon ses termes, Il ne me reste plus rien à dire. On sent la détresse de l’homme de ne pas s’être attelé à la tâche avant qu’il ne soit trop tard. Une thématique à la Bartleby sur le fait de ne pas écrire. Toutefois, il rend justice à l’homme, auteur d’un Batavia’s Graveyard[2]

Et maintenant, en publiant les quelques pages qui suivent, mon seul souhait est qu’elle puisse vous inspirer le désir de lire son livre.

Le livre est composé de deux documents. Les naufragés du Batavia est un document relatant une tragédie qui en son temps marqua plus les esprits que ne le fit en son temps le naufrage du Titanic, les deux histoires étant reliées par le fait que ces deux naufrages ont eu lieu alors que l’orgueil de leur détenteur était particulièrement exacerbé, dans des contextes historiques presque similaires. Prosper est le récit d’une marée, une pêche sur un des derniers thoniers[3] bretons en 1958. Deux histoires qui n’ont comme point commun que la mer. D’un côté le malheur de terriers embarqués et l’incompétence de marins médiocres, de l’autre des hommes d’expérience, rudes et silencieux, pêchant par amour du large.

L’histoire du Batavia est une histoire tragique. Un navire de la VOC (Vereenigde Oostindische Compagnie[4]), le Batavia, après avoir fait escale au Cap, part pour Java. Tout tourne autour de trois hommes. Francisco Polsaert est un haut-fonctionnaire peu au fait avec les choses de la marine. De plus, il est d’une constitution fragile. C’est lui le subrécargue du navire, le commandant. Vient ensuite Ariaen Jacbosz, un homme colérique et porté sur la boisson, violent. C’est lui le skipper. Un troisième, engagé au petit bonheur la chance, passe relativement inaperçu. Il s’appelle Jeronimus Cornelisz ou Corneliszoon et son métier est apothicaire. Il fuit les Pays-Bas non pas parce que son affaire a connu les malchances de la faillite mais à cause de ses fréquentations avec un homme nommé Torrentius (de son vrai nom Johannes Symoonisz). Torrentius est un personnage étrange qui a réussi a échapper à la peine de mort pour ses activités pour le moins obscure, et s’est finalement retrouvé à la cours du roi d’Angleterre comme peintre officiel. Toutefois, il peint peu et retourne dans son pays où il meurt dans la misère. De cette existence chaotique ne subsiste qu’un seul tableau, les autres ayant été brulés. Ce tableau, Still Life with Bridle est une allégorie de la tempérance, ce qui assez étrange lorsqu’on sait que l’homme a été accusé de lubricité et autres excès en tous genre.

Le bateau se dirige donc vers Java, mais les connaissances en navigation sont encore légères à cette époque, le skipper est mauvais matelot et le navire est drossé sur l’Archipel des Houtman Abrolhos, un récif corallien lardé de hauts-fonds. La coque se fiche sur une barrière de corail et n’en ressortira jamais. Les réfugiés s’amassent sur des petites ilots avec vivres et armes, pendant que déjà le subrécargue et le skipper projettent de mettre une yole à l’eau pour rejoindre Java et chercher du secours. L’opération se fera de nuit pour ne pas entrainer de bousculades. C’est là que l’histoire devient dramatique, puisque la personnalité psychotique de Cornelisz va s’éveiller. Ayant déjà tenté une mutinerie alors que le navire était encore à flot, il embrigade des hommes pour exercer un pouvoir sans merci sur les trois cent personnes entassées là. L’horreur commence, la moindre incartade est punie de mort dans des conditions affreuses, les enfants sont égorgés, les femmes violées, et les exécutions se succèdent. Cornelisz étend son pouvoir en divisant les rescapés sur plusieurs îles, souhaitant que sans leur aide ils périssent d’inanition, mais un groupe se détache. Pendant plusieurs semaines les massacres vont se succéder et les animosités s’exacerber, puisque le groupe situé sur l’île la plus grande va finalement se rebeller et Cornelisz sera finalement maitrisé juste avant que Polsaert et Jacbosz ne reviennent avec les secours. Sur les îles où cohabitèrent plus de trois cents rescapés, seule une petite cinquante retrouva la terre ferme. Les autres périrent sous la violence des séides de Cornelisz et de sa folie dévastatrice et inexplicable, à tel point qu’une des îles porte le nom de Cimetière du Batavia. Cornelisz finit pendu sur l’île.

Une histoire bouversante, à découvrir en détail dans le livre de Simon Leys.

Liens:

Notes

[1] De son vrai nom Pierre Ryckmans, essayiste, écrivain et sinologue Belge.
[2] Traduit en français sous le titre l’Archipel des Hérétiques, chez Lattès en 2002.
[3] Le thonier est un bateau armé de tangons (espar fixé au mât qui écarte le point d’écoute d’un foc par petit temps ou maintient le bras d’un spi. Il est réglé par une balancine et un hale-bas.) destinés à tirer des lignes en surface.
[4] Compagnie néerlandaise des Indes orientales