Rashômon et autres contes, Ryûnosuke Akutagawa

rashomon, Ryünosuke Akutagawa

Je réédite aujourd’hui ces citations tirées de Rashômon et autres contes. La première est extraite du conte qui donne son titre au livre. Je vous livre ça en brut car c’est un extrait du livre qui démontre toute la puissance de narration de l’auteur. Les sujets traîtés dans ce livre sont très délicats: le cannibalisme, l’infanticide, le crime, mais ils sont traîtés d’une façon propre à l’imagerie orientale, ce qui les rend presque pûrs et dénués de fioritures. Ce sont des contes très forts, des petites pièces à considérer comme des trésors… Je vous laisse découvrir.

L’auteur écrivait tout à l’heure : “Un homme de basse condition était là à attendre une accalmie de la pluie.” A vrai dire, cet homme n’avait rien à faire, même si la pluie cessait de tomber. En temps ordinaire, il aurait dû rentrer chez son patron. Mais ce dernier l’avait congédié quatre ou cinq jours auparavant. A cette époque-lé, la ville de Kyôto, comme je l’ai déjà dit, était sous le coup d’une désolation peu commune. Aussi la disgrâce de cette homme renvoyé par le patron qu’il avait servi depuis longtemps n’en était-elle en réalité qu’une conséquence insignifiante. Il aurait donc mieux valu dire : ” Un homme de basse condition, dépourvu de tous moyens, était bloqué par la pluie, sans savoir où aller”, qu’écrire : “Une homme de basse condition était là à attendre l’accalmie”. De plus, l’aspect du ciel, ce jour-là, contribuait sensiblement à la dépression morale de cet homme de l’époque de Heian. La pluie qui avait commencé à tomber vers la fin de l’heure de singe ne paraissait guère devoir cesser. Depuis quelque temps, l’homme, absorbé par le problème urgent de sa vie de demain – cherchant à résoudre une question qu’il savait sans solution -, écoutait, d’un air absent, en ruminant ses pensées décousues, le bruissement de la pluie qui tombait sur l’avenue de Suzaku.

Rashômon

A ces mots du Paravent des Figures infernales, il me semble que l’aspect terrifiant de cette peinture s’impose immédiatement. Des scènes de l’Enfer, il en est d’autres. Mais les toiles de Yoshihide différaient par leur composition de celles de ses collègues. Les Dix Rois et leur suite étaient relégués, rapetissés, dans un coin du Paravent et dans tout l’espace libre tourbillonaient des flammes puissantes au point de roussir le Mont des Glaives et les Arbres hérissés de sabres. De sorte que, hormis les robes jaunes et bleues à la chinoise des suppôts de l’Enfer ça et là dispersés, les langues de feu impétueuses remplissaient tout l’espace dans lequel dansaient avec furie, en forme de swastika, des fumées noires tracées en éclaboussure d’encre et des étincelles de feu projetées en poudre dorée.

(…)Tous ces personnages, dans les tourbillons de flammes et de fumées, en proie aux tortures infligées par les geôliers infernaux à tête de boeuf et de cheval, fuyaient en tous sens, telles des feuilles mortes dispersées par une bourrasque. Ces femmes plus recroquevillées que des araignées, dont les cheveux s’enroulent autour des dents d’une fourche, figuraient-elles des sorcières ? Cet homme à la tête en bas comme une chauve-souris au repos, la poitrine perforée par une lance, n’était-il pas quelque jeune gouverneur de province ? Et ces innombrables damnés flagellés de fouets de fer, écrasés sous un rocher que mille hommes auraient peine à mouvoir, déchirés par de monstrueux oiseaux, mordus par les mâchoires d’un dragon venimeux… Autant de tortures que de réprouvés.

Satori no shimai

SatoriTerminer un livre est toujours douloureux. Celui de Kerouac, Satori à Paris m’a suivi quelques temps, et m’a apporté une vision particulièrement aiguisée de cette illumination dont il a été victime. D’autant plus que Jack Kerouac reprend ici son vrai nom, Jean-Louis Lebris de Kérouac (ker, la maison, ouac, le champ) pour aller à la recherche de ses ancêtres du côté de Brest. Un doux moment passé avec lui, sur la route, en train, dans les cafés ou dans la rue. Morceaux choisis.

Je crois que les femmes commencent par m’aimer, et puis elles se rendent compte que je suis ivre de la terre entière et elles comprennent alors que je ne puis me concentrer que elles seules bien longtemps. Cela les rend jalouses. Car je suis un dément amoureux de Dieu. Eh oui.
D’ailleurs la lubricité n’est pas mon lot, elle me fait rougir : – tout dépend de la femme.

Je l’ai déjà dit, c’est une jeune Bretonne d’une beauté extraordinaire, inoubliable, que l’on voudrait croquer séance tenante, avec ses yeux verts comme la mer[1], ses cheveux bleu-noir et ses petites dents de devant légèrement écartées et telles que si elle avait rencontré un dentiste lui proposant des les redresser, chacun des hommes de notre planète aurait ficelé le cuistre à l’encolure du cheval de bois de Troie, pour lui permettre de jeter un coup d’oeil sur la captive Hélène, avant que Paris n’ai assiégé son Gaulois Gullet, ce traître libidineux.
Elle portait un pull blanc tricoté, des bracelets en or et autres fanfreluches: quand elle m’a regardé de ses yeux couleur de mer, j’ai fait oui de la tête et ai failli la saluer, mais je me suis contenté de me dire qu’une femme pareille, c’était le grabuge et la bisbille; à d’autres que moi, paisible berger mit le cognac. – J’aurais voulu être un eunuque, pour jouer avec de tels creux et de telles bosses pendant deux semaines.

Tous me décochèrent des regards absolument noirs quand ils entendirent mon nom, comme s’ils se marmonnaient intérieurement: Kerouac, je peux écrire dix fois mieux que ce cinglé de beatnik, et je le prouverai avec ce manuscrit intitulé Silence au Lip, tout sur la manière dont Renard entre dans le hall en allumant une cigarette, et refuse de voir le triste et informe sourire de l’héroïne, une lesbienne sans histoire, dont le père vient de mourir en essayant de violer un élan, à la bataille de Cuckamonga; et Philippe, l’intellectuel, entre, au chapitre suivant, en allumant une cigarette avec un bond existentiel à travers la page blanche que je laisse ensuite, le tout se terminant par un monologue de la même eau, etc., tout ce qu’il sait faire, ce Kerouac, c’est d’écrire des histoires, hhan.

Personnellement, ça me donne envie d’en lire un peu beaucoup plus.

 

Notes

[1] En breton, le bleu de la mer et le vert des arbres se disent d’un seul mot: glas ou glaz (NdMoi)

Un an de lecture

Quand j’aime un texte, je m’y attarde, je le prends à bras le corps, je ne compte plus les heures, ni les jours, les semaines ou les mois, je m’approprie le texte, je fais corps avec lui, je l’intègre, je l’incorpore, je l’incarne, je le fais mien, je le désire et le charnélise (comment ça ce mot n’existe pas ?), bref, je prends mon temps.

Cela ne m’est arrivé que deux fois. La première fois c’était avec le recueil (tronqué en français) de nouvelles de Kipling, L’homme qui voulut être roi que j’ai mis plus d’un an à lire et que je n’ai d’ailleurs toujours pas terminé. Et hier soir, j’ai enfin terminé ce long poème de plus de 800 pages de Murakami, Les chroniques de l’oiseau à ressort dont j’ai parlé à plusieurs reprises ici. Ce texte ne peut être raconté, c’est impossible. Aujourd’hui, il fait partie de mon passé, il est intégré et vivant en moi, un moment de mon existence, commencé il y a un an… Mais bon, tout ça, c’est moi, je raconte ça mais c’est moi…

&

L’esperluette, également appelée perluète, esperluète ou, plus rarement, éperluette (Wikipedia), c’est aussi en anglais ampersand et en français d’aujourd’hui et commercial. Elle aurait été inventée sous Tiron (inventeur de la sténographie)[1], à l’époque de Cicéron.

Il semble qu’elle ait été considérée comme la 27e lettre de l’alphabet. Selon le Trésor de la langue française, le &, dernière lettre de l’alphabet, était appelé ète ; or, à l’école élémentaire, on apprenait aux enfants à réciter l’alphabet en ajoutant « et » « per lui » « ète » après Z, sorte de rime ludique et chantante qui aidait la mémoire. L’usage fit que l’on appela finalement le caractère & perluète ou esperluette.
Une autre hypothèse a été formulée : esperluette viendrait de « espère lue et » (On espère qu’elle soit lue «et»). (Wikipedia)

Dieu que c’est beau !

 

Notes

[1] Si vous souhaitez l’apprendre, il faut aller par . Bon courage !

Où est Cormac ?

Cormac McCarthy Le type sur la photo, celui qui porte un regard si sombre et un visage si renfermé est Cormac McCarthy, considéré aujourd’hui comme un des plus grands écrivains américains vivants.

Pourtant, il est bien loin de caracoler en tête de gondole dans les librairies, car il n’a pas la visibilité d’un Jim Harrison, d’un Phillip Roth ou même d’un Don DeLillo, mais il est certainement un de ceux qui ont su le mieux parler de l’Amérique sale et vulgaire des coins les plus reculés, de la crasse et de la misère. En cela, son écriture est assez proche de celle de Faulkner. J’avais oublié Cormac, je ne pensais plus à lui et les livres de lui dont je dispose sont quelque part (?). L’obscurité du dehors (1968) et Un Enfant de Dieu (1974) sont des livres hallucinants d’un réalisme noir et d’une sensibilité organique qui en font de grandes oeuvres, de ces livres dont on ne ressort pas indemne.

Requiem

Requiem - Antonio Tabucchi En 1992, Antonio Tabucchi a écrit un livre d’une rare beauté. Ecrivain italien, il est également spécialiste de littérature portugaise et traducteur de Fernando Pessoa, mais ce livre écrit en 1992, Requiem, n’est pas écrit dans sa langue natale mais en portugais. Comme Beckett ou Ionesco, Tabucchi est passé par cet exercice de déterritorialisation de la langue en insufflant dans son texte une matière externe pour créer ce qu’il appelle une affection particulière. Malheureusement, comme il le dit lui-même dans sa préface, ses restes de latin n’étaient pas suffisamment bon pour qu’il puisse écrire son Requiem dans la langue dans laquelle on en écrit un d’ordinaire. Ce texte raconte une journée, un rêve dans le Portugal d’aujourd’hui, une ville où se croisent des personnages improbables sous une chaleur de plomb, dans des décors sobres et vidés de leur cohue.

Le personnage dit qu’il est en train de rêver et il rencontre alors des personnages de sa vie, des inconnus hauts en couleurs, des gens drôles et sympathiques, comme dans le plus doux des rêves. Sur un pari au billard, la boule fait une figure improbable et un des personnages centraux apparaît, mais il ne fait qu’une apparition dont on ne saura rien. Ce texte qui pourrait paraître étrange est écrit dans une langue claire et fluide et le rêve arrive à nous transporter jusqu’à cette rencontre avec un personnage sorti d’un autre temps, un type qui n’est autre que Pessoa lui-même. J’ai acheté ce livre il y a dix ans, et lorsque je suis retombé dessus, je l’ai dévoré, comme s’il avait eu besoin de mürir sur son étagère avant d’être consommé. Une belle découverte, une belle rencontre, un moment doux et chaud, comme un rêve sous un arbre, duquel on se réveille avec la lune pour compagne….

Les hommes de ma vie

Ils sont neufs, ont tous pour caractéristiques d’être des écrivains renommés et ont marqué à jamais ma vie de leur mots. En repensant à eux, je me suis également aperçu qu’ils avaient tous un point commun; ils sont beaux. Ils ont inscrit sur leur visage la beauté de leur parole, cette vie qu’ils ont mise au service de la littérature. Certains d’entre eux sont morts, généralement diminués, malades ou dans des circonstances horribles, à l’image d’une vie tourmentée…

 

Sauriez-vous tous les reconnaître ? Indice précieux, j’ai rencontré l’un deux.

Etienne Mineur

Le blog d’un type né en mai 68, ça ne manque pas de charme, c’est plein d’infos passionnantes et m’est d’avis que son nom de famille ne l’a pas plongé dans le cinéma par hasard…

Trouvé via Polylogue.

Le banc

J’étais coiffé n’importe comment, mais ce n’est pas grave.

Le vent ne soufflait pas beaucoup, là où j’étais assis. Je me suis posé sur un banc, n’importe lequel et je me suis pris la tête dans les mains. Il y avait du soleil, un soleil bas de fin d’après-midi.

J’étais habillé n’importe comment, avec mon tee-shirt troué et mon gilet blanc complètement déformé, mais ce n’est pas grave.

Et j’ai soudain eu sommeil alors je me suis allongé, un de ces envies qui prend par surprise et qui ne laisse aucune chance à la lutte. Le soleil caressait doucement ma peau. J’ai ouvert les yeux et je me suis retrouvé sous les branches de pruniers bourgeonnants, de fines goutelettes venant piquer suavement mon visage. J’ai aimé ça.

Je n’avais pas ma place ici, mais ce n’est pas grave.

Le sommeil m’a gagné, j’avais terriblement envie de sombrer, mais finalement, j’avais encore plus envie de profiter de cet instant de félicité, de sentir l’odeur frais sur mon visage et sur mes mains. Mon bras droit pendait et de ma main, je pouvais toucher le sable grossier.

J’avais mal au fesses, mais ce n’est pas grave.

Le vent passait sous mon tee-shirt et je sentais mon gilet pendre de chaque côté de mon corps. Le soleil était bon, l’air était bon. Au loin, les cris des enfants qui jouaient me tenaient éveillé et présent dans ce monde. Tout ici était bon. Le soleil frappait les murs blancs des immeubles et leur donnait une belle couleur, tandis qu’au loin, le ciel plombé d’un gris de taupe contrastait étrangement.

Le soleil a disparu, mais ce n’est pas grave. J’ai remonté la fermeture éclair de mon gilet, je me suis levé et je suis parti.

C’était bon. C’est le printemps.