Je suis allé chez le coiffeur… La perspective de changer de tête à peine deux mois après y être allé me réjouissait, et puis cette fois, c’était Carole qui allait me coiffer. Je ne savais pas qui était Carole, mais ce qui est certain, c’est que ce n’était ni Marie qui louche, ni Chantal qui m’a à peine coupé le bout des cheveux la dernière fois. Alors quand le patron m’a dit que j’avais rendez-vous avec Carole, je me suis cogné la tête au plafond. Je me suis donc pointé à l’heure pile, les oreilles propres et mon plus beau sourire. La fille s’avance vers moi, je la trouve superbe, un peu trop maquillée mais belle et j’entends le patron qui lui dit Carole ! … et puis je n’écoute pas la suite. Elle revient vers moi et je lui dis je crois que j’ai rendez-vous avec vous d’un air on ne peut plus innocent… Elle regarde l’agenda et dit Ah non, c’est avec ma collègue et là je me dis que je vais encore me ramasser le tromblon de service, celle qu’on refile aux pouilleux ou aux indigents qui viennent se faire décrasser la tignasse gratuitement.
Je n’ai pas su tout de suite qui c’était et la Carole m’emmène au shampooing, et là, je voyais le truc venir gros comme une maison, ils la cachent dans l’arrière salle avec les serviettes et les bouteilles d’eau oxygénée et ils vont ma l’amener sous un drap blanc afin que je ne sois pas horrifié par les verrues qu’elle avait sur la figure. Pendant ce temps, j’avais déjà le cuir chevelu rincé à l’eau froide Eh merde faites gaffe, c’est fragile ce truc ! et des doigts experts me massaient le haut du crâne, m’extirpant un sourire béat et des roulements d’oeil, tandis qu’un filet de bave commençait à couler le long de ma joue pour finir sous mon pull.
Je suis ensuite passé sur la chaise électrique, celle qui allait me voir décéder dans d’atroces souffrances, aux prises avec une rescapée de la guerre des boutons ou alors une ex-charcutière lassée de l’amour inconsidéré de son mari pour les têtes de veau. Carole est venue me voir et me dit, c’est Carole qui va vous coiffer. Mais Carole c’est vous non ? me suis-je mis à penser. Et ladite Carole est arrivée, et là, attention. J’avais dans le reflet du miroir une grande silhouette élancée, sportive sans excès, une grande amazone aux cheveux noirs de jais relevés en une queue de cheval avec une frange basse. Des yeux noirs, une bouche plutôt large avec des lèvres toutes fines légèrement teintées de rouge figées dans un sourire agréable. Telle qu’elle était habillée, on l’aurait dit sauvageonne sortie d’un conte des bois. Des bottes hautes et fines sur des collants noirs, un pantalon court lui arrivant au-dessus du genou laissant voir la naissance du galbe de ses mollets, un haut moulant sans manche et ras du coup laissait lui voir un tigre tatoué sur l’épaule. Je n’en revenais pas. J’avais derrière moi une pure beauté sortie d’un film de pirates.
Nous avons échangé quelques politesses convenues et elle m’a demandé ce que je voulais.
– Court et puis si vous avez une idée originale, je vous laisse quartier libre.
– Alors par exemple, je ne vais pas vous faire de crête.
– Ça tombe plutôt bien parce que je n’en aurais pas voulu.
– Nan, parce que bon, vous êtes un peu dégarni sur les côtés.
– Pardon ? Vous avez dit dégarni ?
– Oui un peu là…
– OK, je suis un peu dégarni ou alors j’ai un grand front ?
– Un peu des deux.
Je commençais à regretter de lui avoir laissé la responsabilité de ma tête, m’attendant à d’autres gentillesses dans le genre. Elle commença à jouer de la tondeuse et du ciseau, et me regarda avec une étrange tendresse.
– Vous sortez ce soir ?
J’ai fait mon regard plein de méfiance à l’encontre des membres perfides de la gente féminine.
– Euh nan.
– Moi non plus, dit-elle après un long silence.
– Tu veux que je t’invite, c’est ça ?
Je ne l’ai pas dit, mais en gros, c’est ce que j’aurais pu dire. Un autre long silence suivit. Elle souriait toujours.
– Et vous ne sortez jamais le samedi soir ?
– Ben nan, pas trop. Premièrement, j’aime pas trop ça. Et puis j’ai un zouzou.
Et là, Bim, le masque. Elle ne souriait plus. Quoi ? J’ai dit une connerie ?
– Et il a quel âge ?
– 3 ans et demi.
– Euh, mais attendez là, je comprends pas. Vous avez quel âge ?
– 32 pourquoi ?
Elle me regarde dans le reflet du miroir comme si elle avait découvert une chiasse de pigeon sur mon front.
– Waow, vous ne le faites vraiment mais alors vraiment pas.
– Oui, il parait.
Et ensuite, elle ne m’a plus parlé. Je ne sais pas ce que je lui ai fait, mais ça n’a pas eu l’air de lui plaire. C’est comment déjà ? Carole ? Pour la prochaine fois, que je n’oublie pas de demander à être coiffé par Carole.