John Divola

Un photographe qui dure, qui s’étend dans le temps et que l’on voit au travers des années depuis les 70’s avec ses photos d’emblée démodées, et qui présente sur son site un panorama énorme de son œuvre. Des tonnes de clichés sur l’Amérique décharnée et aussi naturelle qu’une boîte de thon, et des archives impressionnantes, malgré une navigation digne des débuts du web et pour le moins assez peu pratique. John Divola, une photographie de la désolation et de l’isolement.

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Bert Teunissen

La découverte de Bert Teunissen me renvoie à tout un univers pas très éloigné de ce que j’ai pu vivre ves dernières années. Non innocent dans son appellation, On the road se situe dans l’exacte ligne des photos de David Bradford, et de son livre intimiste Drive by shootings, mais également des photos de Nicolas Bouvier, avec cette lumière particulière sur les pages de Dans la vapeur blanche du soleil, et bien évidemment des pages de Jack Kerouac, et de son roman éponyme.

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Et en navigant un peu on y trouve également les portraits “domestic landscapes“, des photos prises au travers de l’Europe et qui ne sont pas sans rappeler les clichés de Depardon à la ferme du Garet… Des documents à la valeur quasi ethnologique.

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Matthew Genitempo

Anatomie de la solitude, entre Wim Wenders et David Lynch, un découpage minutieux de cette vision blanchie et simplifiée à l’extrême, la terre et les corps se rejoignent au royaume du vide absolu. Un lumière crue et des tonnes de choses à dire. Matthew Genitempo.

Un sport et un passe-temps – James Salter

James Salter est un cas à part. Un personnage peu connu de la littérature américaine, parfois comparé à Vladimir Nabokov pour le style, pour le lyrisme coloré. Attiré par la couverture de son livre récemment réédité, Un sport et un passe-temps (1967), je me suis jeté dedans à corps perdu, m’en délectant intégralement sans rien lire d’autre à côté. Salter est un ancien militaire de l’armée américaine qui a mal tourné – tout dépend du point de vue.
Le livre est composé d’étrange manière. Le narrateur est en France, une France vieillote de la campagne, de la Bourgogne éloignée avec ses maisons de meulière aux grilles forgées, rouillées et ses champs à perte de vue et parle avec une sorte de nostalgie mâtinée de douce langueur.

Autun, silencieuse comme un cimetière. Des toits en tuile, foncés de mousse. L’amphithéâtre. La grande place centrale : le Champ-de-Mars. Maintenant dans le bleu de l’automne, elle réapparaît, cette vieille ville, dans cet automne provincial qui pénètre jusqu’à l’os. L’été est fini. Le jardin dépérit. Les matins se font frisquets. J’ai trente ans, j’ai trente-quatre ans – les années se dessèchent comme les feuilles.

Photo © Ruud Raats

La première partie fonctionne de manière assez étrange puisqu’en fait, elle n’a quasiment aucun rapport avec la suite du récit. C’est une sorte d’introduction à une personnage, à un décor, à cette France rustre et à ses personnages désabusés. L’extrait qui suit est en quelque sorte fondateur pour la compréhension du roman, on y trouve tous les ingrédients.

Je me vois comme un agent provocateur, ou comme un agent double, d’abord d’un côté – celui du vrai – ensuite de l’autre, mais entre les deux, dans les retournements de veste, les soudaines défections, on peut facilement oublier toute allégeance et ne ressentir que la joie profonde, résonnante, d’être au-delà de tout code, d’être complètement indépendant, criminel serait le mot. Comme tout agent, bien sûr, je ne peux divulguer mes sources. Je peux seulement dire qu’il y a des choses que j’ai vues moi-même, d’autres que j’ai découvertes, parce qu’après tout, omettre ne serait-ce qu’un seul mot peut révéler l’existence de quelque chose qui mérite d’être caché, et je suis devenu obsédé à l’idée de la découverte, comme les grands détectives. J’ai lu chaque bout de papier, noté chaque détail.

L’histoire dont on parle est celle de deux jeunes gens, un Américain sans le sou et un peu fou, un dandy cynique et amoureux, Dean, amoureux de la petite Française un peu simple, Anne-Marie, pas vraiment exceptionnelle, mais il l’adore et passe son temps à lui faire l’amour. Cette relation entre ces deux personnages n’est pas une relation chaotique ou compliquée, elle est plutôt de l’ordre du passionnel et comme toute passion, elle n’a rien à voir avec l’amour qui lui, est censé être éternel. Anne-Marie attend énormément de son petit Américain, mais finalement rien d’autre qu’une vie simple de couple, avec ses petites joies et le simple fait de vivre à deux, même sans argent. Rien ne sera comme ils l’entendent tous les deux, et pour Dean, Anne-Marie apparait finalement comme un sport, et un passe-temps

Il commence à me raconter la mer avec ses rochers, le vieil hôtel. Il décrit la Loire, la soirée hantée à Bagnoles. Il parle presque comme s’il ne pouvait pas se retenir. Tous les détails arrivent, les descriptions, les sensations, les odeurs. Il se tait, rassemble ses souvenirs, continue. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai l’impression qu’il est en train de tout étaler devant moi, l’essence de cette glorieuse vie qu’il a menée en France. Il met le passé en ordre. Il y a certaines choses qu’il faudrait confesser, et il sait que ça m’intéresse. Rien de ce qu’il n’est exceptionnel, mais je reconnais les événements. Je comprends tout ce que nous ne nous disons pas.

Ce qui est étonnant dans cette œuvre, pour un livre de cette époque, 1967, c’est la façon qu’il a de parler du sexe. Ma première impression lorsque j’étais encore en plein dedans, c’est une similitude avec les œuvres d’Heny Miller ou d’Ernest Hemingway, cette même cruauté / crudité. Rien n’est épargné pour le plus grand bien du lecteur. Faire sens, voici tout ce qui intéresse Salter et ça fonctionne à merveille. Je suis sous le charme et j’aime sa façon de parler de l’intimité de Dean et d’Anne-Marie, qu’on soupçonne foncièrement réelle.

Dean sourit. Il l’appuie un peu vers le bas. Elle résiste doucement. Ensuite il la retourne et la sonde. C’est comme un pluie d’amour. Elle le trempe quel que soit l’objet de ses pensées. Comme s’ils étaient dans des chambres séparées, comme s’ils étaient engagés dans des actes isolés, ils s’occupent jusqu’au dernier instant et ensuite restent écroulés, la literie éparse autour d’eux. Ils parlent à voix basse, sans conséquence. A l”extérieur de la fenêtre, des pigeons s’élancent par-dessus les tuiles.

James Salter
Un sport et une passe-temps (A Sport and a Pastime)
Editions de l’Olivier, Collection Points Signatures

Dans le jardin de Strindberg

Lire Strindberg au cœur de l’hiver, c’est une bouffée d’air frais. August Strindberg, que ma joyeuse naïveté avait toujours placé au rang des plus célèbres compositeurs Suédois, comme je viens de l’indiquer, je ne le connaissais pas du tout. C’est collé à la couverture du livre de Sjón que je l’ai trouvé. Sa couverture recouverte d’une peinture de Carl Larsson m’a tout de suite attiré, me rappelant quelque chose de vaguement champêtre et également d’intimement lié à mon enfance.

Outre cela, j’ai découvert un auteur guilleret qui parle de son jardin avec la passion enflammée du connaisseur…

carl-larssonCarl Larsson

Introduire dans son jardin l’automne, les chardons et les mauvaises herbes et ne pas y avoir une seule fleur, c’est aussi aberrant que des buis taillés ou des tilleuls en espalier ! Mais le pire, ce sont ces ficoïdes qui, en pleine canicule, donnent l’illusion de la neige et du givre.

Qui a inventé ces horreurs ? Un ennemi juré des fleurs ? Un jardinier ambitieux qui voulait créer quelque chose de nouveau à n’importe quel prix ? Et comment ce pessimisme a-t-il pu s’imposer ? Y avait-il dans l’air du temps ce penchant pour les souffrances qu’on s’inflige, ou bien s’agissait-il d’une mode qui émergea, prédomina, frappa de paralysie les meilleurs et contraignit même les plus obstinés à se plier ? Allez savoir ! Des vents soufflent de tous les côtés, mais certains ne durent pas longtemps. C’est le cas de celui dont on parle : j’ai vu, avec joie, l’abominable coléus dans le jardinet d’un paysan – dans peu de temps il sera relégué à l’hospice. C’est pourquoi je mise sur le pois de senteur contre l’herbe de la pampa.

Mais on découvre un auteur cynique, qu’on sent à la limite de l’agacement et dans une certaine mesure me fait penser à certains textes de Jonathan Swift. August Strindberg à la pêche…

Cette méthode est d’un bon rapport, mais comme elle se fait à deux, on doit tenir compte des corvées qu’elle implique: le panier à provisions, la bouteille de cognac, la boîte de cigares, sans oublier les disputes. Rien n’est plus incompatible avec une pêche digne de ce nom que la présence de plusieurs personnes dans la même barque, sauf s’il s’agit de mineurs ou de domestiques sur lesquels on exerce une autorité illimitée et qui ne risquent de donner leur avis ni sur l’art de la pêche ni sur le travail du marin.

carl_larssonCarl Larsson

Outre ces moments récréatifs, on  y trouve un naturaliste engagé et sûr de son propos. On y trouve  quelques approximations scientifiques, mais toujours basées sur une observation très fine de son environnement.

L’évolution n’est peut-être qu’un mouvement vers l’avant ou vers l’arrière, une transformation sans conséquences ? Les lois de la nature ne seraient alors qu’un reflet subjectif de nos cerveaux avides d’ordres qui veulent détecter une détermination dans toute chose.

Je n’ai jamais rien lu d’autre de lui, et en lisant la postface du livre, on découvre que ce livre n’était en quelque sorte rien d’autre qu’une prose alimentaire, mais dont les auteurs avouent que son style y reste égal et toujours d’une grande clarté.

« Pour avoir le temps de traduire les pièces, je dois dès demain commencer un livre de merde sur la pêche à la ligne, la chasse, le jardinage, etc. – une lecture de Noël ! Affreux ! »

Lettre à Edvard Brandes, 4 septembre 1888.

August Strindberg, Mon jardin et autres histoires naturelles

Titre original : Blomstermålningar och djurstycken

Editions Actes Sud, 2005

Le moindre des mondes – Sjón

Pour trouver celui-ci j’ai du me compromettre jusqu’aux tréfonds du rayon littérature scandinave (je crois, ou alors était-ce littérature nordique, l’Islande ne faisant pas vraiment partie de la Scandinavie) d’un supermarché de la culture. On trouve parfois de réels petis bijoux lorsqu’on sort un peu des étalages dits “têtes de gondoles” ou des présentoirs destinés à servir une soupe fade et clairettre qu’on finit par retrouver entre toutes les mains des lectrices de trains de banlieue.Non, moi je peux m’enorgueillir de lire vraiment en sortant des parcours habituels en suivant toujours les miens. Ce qui m’a amené à Sjón (de son vrai nom Sigurjón Birgir Sigúrdsson), c’est un étrange concours de circonstances, mais c’est avant tout la quatrième de couv’, rédigée par Marie Darieussecq, présentant une histoire de métamorphoses. J’ai également appris que Sjón était poète et parolier pour la plus célèbre des Islandaises, Björk. Il est notamment l’auteur des paroles de Bachelorette et surtout d’Isobel que je tiens pour une de ses plus belles chansons. L’homme avait donc de grandes chances de me plaire et il le fit.

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Le moindre des mondes, le titre en français, est étrangement traduit et ne reflète pas vraiment ce que veut dire son titre islandais, Skugga-Baldur. Baldur Skuggason est un des personnages de cette histoire sombre, à mille lieux du folklore islandais. Baldur Skuggason c’est Baldur fils de Skukka – l’Ombre, Skugga-Baldur c’est Baldur de l’Ombre, un personnage ambivalent, à la fois violent et déterminé lorsqu’il part à la chasse à la renarde rousse (le titre anglais du roman est The Blue Fox) dans la tempête de neige jusqu’à se retrouver pris dans une avalanche dévastatrice. Son histoire ouvre le roman, sa traque ouvre le bal dans des mots suaves et froids, dans un poème chanté comme on peut en trouver dans les longues sagas de ce pays mystérieux.

Les feux du jour allaient s’éteindre.
Les salles de la voûte céleste s’étaient suffisamment obscurcies pour que les sœurs des aurores boréales entament leur allègre danse du voile.
Dans une féerie de couleurs, elles tournoyaient, légères et agiles sur la vaste scène des cieux, drapées de robes flavescentes, arborant des colliers de perles qui se disloquaient ici et là au gré de leurs ondulations frénétiques. C’est dans les instants qui suivent le crépuscule que ce spectacle est le plus distinct.
Ensuite, le rideau tombe ; la nuit prend le pouvoir.

L’histoire de Baldur de l’Ombre va se mêler étrangement avec celle de deux autres personnages, un botaniste du nom de Friðrik Friðjónsson et une trisomique du nom d’Abba, dont l’histoire remonte à des temps déjà anciens, autour de la découverte de deux paquets que la fille portait avec elle lorsqu’on l’a trouvée seule à bord d’un navire. Baldur le Révérend est emprisonné dans la neige, dans sa gangue de peaux, la dépouille de la renarde blottie contre sa poitrine.
Derrière cette histoire de morts, de renards et de neige, d’amitiés et de haines sauvages se cache un récit à la langue claire et violente, bien loin des idées toutes faites autour d’une Islande aussi sombre et rude que peuvent être claires les eaux des fjords.

– J’ai vu l’Univers ! Il est constitué de poèmes !
Les Danois se dirent qu’il avait parlé là en «rigtig Islændig », c’est-à-dire en authentique Islandais.

Le moindre des mondes, Sjón
Editions Rivage
Reykjavík, 2005