Kōban (交番) en 1956

Professions de foi ou de fainéants patentés, métiers sans vocation ou sans travail, je suis toujours fasciné par ces petites anecdotes racontant la vie de tous les jours de ces hommes et femmes qui s’épanouissent dans ces activités qui n’en sont pas vraiment. Cette histoire me rappelle un billet que j’avais rédigé il y a quelques mois sur les kōban, ces étranges petits postes de police discrets disséminés dans Tokyo. Cherchez l’intrus.

koban

Le poste se trouve aux confins du quartier et de l’avenue K. Chaque habitant y a son dossier — origines, âge, casier judiciaire, réputation, conduite, etc. — où les entremetteurs pour les « mariages arrangés » vont soigneusement vérifier l’honorabilité de leurs clients. En dehors de leur heure de judo quotidienne, les trois agents n’ont pratiquement rien à faire de la journée, sinon dessiner sur leur calepin des plans détaillés pour les malheureux qui cherchent une adresse, car la plupart des rues à Tokyo n’ont pas de nom, et les maisons y sont numérotées non pas en séquence mais selon la date de construction. Pour tuer les longs après-midi, ils s’enfoncent dans d’interminables parties de go (c’est une sorte d’halma bien plus subtil, où les pions d’un camp s’efforcent, par des manœuvres d’une traitrise extrême, d’encercler et d’éliminer ceux de l’adversaire). Quand l’un des joueurs se trouve dans une de ces situations critiques où la plus grande circonspection se recommande, il téléphone aux flics d’un poste voisin qui sautent dans la voiture de police et arrivent à fond de train pour examiner l’échiquier et lui prêter main forte. Quand on entend leur sirène, c’est le plus souvent de cela qu’il s’agit : Araki-Cho est un quartier tranquille.

Nicolas Bouvier, Chronique Japonaise,
1956 l’année du singe.

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