L'art est mort (ou comment on a tué l'esthétique)

J’ai cessé d’avoir contact avec certaines choses, par dépit ou par ras-le-bol. En ce qui concerne la philosophie, j’ai cessé d’entrer en contact avec elle à partir du moment où, comme le préconisait Deleuze, “il faut savoir sortir de la philosophie par la philosophie”. Je me suis attelé à comprendre certaines choses et puis lorsque je me suis rendu compte que j’arrivais aux limites des possibilités de ma connaissance, j’ai tout arrêté, raison pour laquelle je n’ai pas présenté ma maîtrise. J’avais presque terminé mon travail sur la métaphore, j’avais cerné certaines choses concernant Artaud, Lewis Carroll, Theodor Edward Lawrence et puis je me suis rendu compte que la philosophie ne servait pas à se regarder le nombril et à se masturber l’esprit en essayant de décortiquer les concepts sans cesse et de manière itérative.

Musée d'Art Moderne

C’est dans cette démarche que je me suis intéressé à l’art. L’exposition “le mouvement en images” au Centre Pompidou m’a donné à avoir de très bonnes œuvres majeures de l’art contemporain mais aussi certainement ce qui se fait de pire.

Que ce soit au travers d’expériences cinétiques, de happenings délirants ou de l’art conceptuel, il me semble que l’art contemporain, contrairement à l’art moderne, a manqué une marche dans le train logique de l’histoire. Avec Hegel, nous avons découvert la fin de l’histoire, avec Kant, la mort de la philosophie (“Kant a envoyé à Dieu ses gardes ontologiques pour le tuer”), avec Nietzsche, la fin de la religion. Alors quoi ? Que nous reste-t-il ? On pourrait dire qu’il nous reste l’Art. Je crois que c’est Camus qui disait que “si le monde était simple, on n’aurait pas besoin d’art”, ce qui signifie bien la vocation pédagogique et révélatrice de l’art. On dit souvent qu’il est l’expression humaine de la nature, qu’il donne à voir ce que la perception ne permet pas de voir de prime abord, dans un mouvement de dé-voilement heideggerien (ἀλήθεια), dans laquelle la vérité se voile lorsqu’on l’approche de trop près.

Musée d'Art Moderne

Aussi, dans cette démarche, on comprend d’emblée presque toute l’histoire de l’art. Des primitifs flamands à l’impressionnisme en passant par la Renaissance, le classique, le baroque et Titien, on voit se dessiner un mouvement au travers de l’art religieux. L’art qui montre, l’art qui apprend, la peinture et la sculpture qui dévoilent les textes religieux ou qui embrigadent. L’art a toujours eu deux niveaux de compréhension ; un niveau immanent et un niveau transcendant. L’immanent est de l’ordre de l’esthétique (αἰσθητικός, la sensation), c’est qui provoque le sentiment de répulsion ou d’excitation. Le transcendant, c’est tout ce qui dans l’art fait partie de l’intellect, la réflexion qu’inspire une œuvre d’art.

Nous y sommes, c’est là que le bât blesse. L’art contemporain ne provoque plus la sensation, il laisse froid et ne permet pas d’être lu sans mode d’emploi. C’est là que tout part en sucette. A quoi sert l’art s’il devient tout à coup réservé à une élite qui pour le coup est obligée de se droguer pour comprendre ce qu’on lui montre. Lorsqu’on arrive au début du vingtième siècle, avec Brancusi, Francis Bacon, Miró, Jackson Pollock, Pierre Soulages, et bien d’autres, on arrive encore à comprendre parce qu’il y a un sens pictural, un sens de l’œuvre, une sémantique élaborée qui fait encore sens, mais lorsqu’on arrive à l’art conceptuel, la monstruosité des happenings de ces gens qui exposent de la merde en boîte de conserve ou qui s’exposent nus en criant des jurons à l’envi, il n’y a plus rien à comprendre, c’est du vent, c’est n’importe quoi. On en a fini avec l’art. Ces gens ont tué l’art, ils n’apportent rien et tuent toute démarche esthétique.

Musée d'Art Moderne

Plus grave encore, ce qui a été perdu dans l’art, c’est le niveau social. Là où l’art avait cette vocation de décorer les églises, lorsque les peintures de Veronese ornaient les Scuole de Venise pour apprendre aux jeunes peintres, où l’on magnifiait la grandeur politique et religieuse, il n’y a aujourd’hui plus rien. Lorsque je vois ce peintre belge qui barbouille ses toiles de ses propres excréments, je ne vois pas ce qu’il y a de social là-dedans. C’est en partie pour cela que je ne m’intéresse plus à l’art contemporain, principalement parce qu’il n’y a rien dedans. Ce n’est pas bien difficile de se défaire du vide. Et si l’on réfléchit bien, les seuls artistes contemporains qui gardent encore cet aspect social des choses, ce sont les architectes. Eux seuls ont encore à l’esprit des préoccupations sociales, leur vision des choses va au-delà de la simple beauté des choses puisqu’ils réfléchissent avec la notion d’espace, d’occupation, de territorialité, c’est là les seules préoccupations qui doivent encore conduire l’art. D’ailleurs, ce sont là des notions philosophiques, que l’on ne trouve presque plus dans la peinture.

Felix, Robert Walser

death in the snow

Robert Walser est un personnage hors du commun. Peu connu de son vivant, il fut encensé par des personnages tels que Kafka et Robert Musil mais ne connut jamais de gloire auprès du grand public. Auteur allemand installé en Suisse, il passa une partie de sa vie interné en hôpital psychiatrique et sa mort tragique, un jour de Noël, arriva tandis qu’il se promenait dans la neige.

Felix est une sorte de pièce de théâtre écrite en solitaire tandis qu’il était enfermé et provient de ses fameux microgrammes. Texte court, c’est une ode à la jeunesse, à l’établissement de la personnalité au travers des différentes époques de la vie, à la recherche des fondements de la personnalité, et même si le texte reste dans sa forme profondément classique, l’impertinence et l’insolence du personnage de Felix restent profondément contemporaines. Courts moments de vie, d’une vie rêvée ou réelle, peu importe, on rit, on est ému, on se sent emporté dans une autre époque, rigide et froide, dans laquelle la jeunesse était encore un mauvais moment à passer et une ère de répression et de modelage social débridé.
Un texte sublime, rare, édité dans une collection miniature helvète, Mini Zoé.

Photo © MontanaRaven

Celui qui ne savait pas

Qui ne savait pas quoi ? Qui ne savait pas quoi dire, qui ne savait pas où il en était. Certes les enjeux d’un blog restent d’une toute relative importance, mais il faut savoir que pour moi, mon blog est comme une deuxième peau. C’est un rideau de fumée que je jette aux yeux du monde pour éviter de trop me dévoiler. Etrange attitude quand on sait tout ce que j’ai dit à propos de moi. Pourtant, ce n’est pas l’envie qui me manque de parler de moi, de faire comme certains, de prendre la monde entier à parti et de me dévoiler. Entre ce que je fais découvrir de mon univers, ce que je n’ai pas envie de dire parce que je ne veux pas laisser trop la porte ouverte à des personnes qui n’ont pas à venir fouiller ma vie, et ce que je ne veux pas dire car cela requiert une certaine discrétion aux yeux de ceux que je connais et qui semble plus facile à dire à des personnes qu’on ne connait pas suffisamment pour que cela impacte leur vision de votre personne (je reprends mon souffle), entre tout cela, je ne sais plus où se situe mon écriture.

Le Scintillement

J’ai séduit une partie de mon lectorat en révélant certains aspects de ma personnalité qu’on dit parfois complexe, alors qu’il me semble n’être qu’immanence, en jetant en patûre aux brebis égarées des morceaux de mon écriture, aux choses imaginées que j’ai pu dire, et aujourd’hui, je ne dis plus rien. Je continue d’écrire, certes, mais dans une certaine mesure, et pas publiquement. Ce rapport au lectorat me manque, et l’envie de renouer avec le plaisir de partager un peu de ceci avec vous me donne des fourmis.

Le fond existe, mais je me demande encore comment mettre cela en valeur. Il existera toujours un gouffre entre ce que je désire et ce qui est réellement et ce qu’il est possible de faire.

Il sera question d’un huîtrier, de deux lecteurs divergents, d’un Bartleby déguisé en ange de la mort, d’un voleur de rêves et d’autres personnages encore.

Je n’ai pas le droit de garder tout ça pour moi…

La conjuration des imbéciles – John Kennedy Toole

John Kennedy Toole

Lorsque je me suis mis en tête d’écrire un billet sur ce livre totalement hors-norme, je me suis dit que je ne parlerai pas de l’auteur, mais de l’oeuvre uniquement, et à y regarder de plus près, je me rends compte que c’est là un exercice quasiment impossible. John Kennedy Toole est un personnage absolument à part dans l’histoire de la littérature car désespéré de ne trouver d’éditeur pour son manuscrit qu’il considérait comme un chef d’oeuvre, il se donna la mort en 1969. Pourtant, quelques années après sa mort et grâce aux efforts de sa mère pour démarcher les maisons d’édition, l’écrivain Walker Percy décida de publier le manuscrit (A Confederacy of Dunces) qui se verra décerner le Prix Pulitzer de la fiction à titre posthume. Une belle aventure pour le livre, une tragédie pour l’homme. De santé physique et mentale fragile, son état se dégrada tandis qu’il se débattait pour trouver quelqu’un pour l’éditer. Continue reading “La conjuration des imbéciles – John Kennedy Toole”

Le tire-jus vert-pituite de l'aède

Le tire-jus vert-pituite de l'aède

Tandis que Buck Mullingan fait frire son bacon, Stephen Dedalus pointe du doigt le miroir brisé, symbole de l’art Irlandais encensé par Haines l’anglais. Récitant cockney et grasseyant ses vers à la mer nourricière, Thalatta ! Thalatta ! La bile verte et glaireuse recueillis dans le bol de porcelaine blanche à côté du lit du mort tourne vite au gros bouillon et du haut de sa tour, le jésuite joue l’étiquette, préfère ne pas enfiler le pantalon gris donné en cadeau et laisser sa mère mourir. Il en rougit, le traître ! Nouvelle traduction d’un texte mythique, j’y plonge vigoureusement les doigts comme dans la besace d’un malandrin, sourire béat et béant…. 1157 pages et enfin j’ai dépassé la 26 !

Un train pour nulle part

Hier matin, j’ai trouvé qu’il n’y avait pas beaucoup de monde dans le train. Mon RER est arrivé à l’heure, tout le monde s’est engouffré dans le train pour Gare du Nord et il ne restait plus personne sur le quai.
Le train était vide et j’ai pu poser mes fesses sans problèmes. C’est une fois arrivé au boulot, à la même heure que d’habitude que j’ai appris que c’était un jour de grève. Quand je pense à tous ces cons qui ont du se trainer cul à cul sur la route.

Du coup, le soir, je savais plus ou moins à quoi m’attendre. Et effectivement, arrivé à Pereire, mon train avait une demi-heure de retard. Comme je déteste perdre du temps et passer mon temps à ne rien faire, je suis sorti de la gare, un gare pourrie et sale, indigne de ce nom. Je pense qu’il existe des stations de métro à New-York plus propres que celle-ci. Quand on sait que cette station se trouve dans le 17ème arrondissement (dont Mme de Panafieu est maire), donc un les plus beaux quartiers de Paris, je trouve ça déplorable.

Donc, je sors de cette gare, pour faire un tour en attendant mon train.

Et je suis attiré par quelqu’un qui parle fort dans un micro. Rue Puvis de Chavannes, un attroupement bloque le rue en son milieu, et je vois un homme, éclairé par une lumière froide et crue, entouré d’une foule guindée, derrière un pupitre de plexi, faisant l’apologie d’un homme, en citant des phrases d’inspiration religieuse orthodoxe. Sur le mur derrière lui, visiblement une plaque allait être dévoilée, attendant derrière son rideau qu’on la laisse respirer.

J’ai écouté le discours, intrigué, en regardant l’heure, histoire de ne pas louper mon train, et je craignais de devoir partir avant d’avoir su de qui il était question. Et finalement, le voile s’est levé, et j’ai découvert que l’on inaugurait là une plaque en l’honneur d'Andrei Tarkowski, dont le 17 rue Puvis de Chavannes a été la dernière demeure.

Un moment intense de recueillement s’en est ensuivi. J’étais ému de voir tous ces gens se recueillir sur cette plaque, respectant la mémoire d’un homme mort il y a 20 ans et dont ces derniers temps j’avais fait l’apologie, à propos de son film Le Sacrifice.

Un hasard… Une rencontre comme je les aime.

Histoire du jeune homme aux tartelettes à la crème

Robert Louis Stevenson

Hier soir, je me suis plongé dans l’épais volume des oeuvres complètes de Robert Louis Stevenson[1], un des deux livres édités chez la Pléiade dont je dispose. Au coeur de cette ouvrage, regroupant entre autres The Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde, Treasure Island, se trouve un volume que l’on n’a pas l’habitude de citer au regarder d’un des plus célèbres écrivains écossais, The New Arabian Nights. Attiré par le titre, a fortiori par le titre du premier cycle dans lequel se trouve la nouvelle Story of the Young Man with the Cream Tarts (1878), The Suicide Club. Ambiance victorienne et brouillards londoniens, un prince de Bohème, Florizel, et son fidèle maître de chevaux, le colonel Geraldine sillonnent les bas quartiers, se vautrant dans la luxure sous des habits de pacotille. La rencontre du jeune homme aux tartelettes à la crème va les plonger dans une société secrète vouée au culte la mort par procuration, dans laquelle on fera brièvement la rencontre de l’économiste Malthus. Une nouvelle baroque et haute en couleur, un tantinet moralisatrice, mais d’un style flamboyant et enchanteur.

Notes

[1] De son vrai nom Robert Lewis Balfour Stevenson