Le pli qu'il a au coin des lèvres

John Fante - Bandini

Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais j’ai laissé tomber John Fante, je l’ai oublié dans un coin, je me suis empêtré dans la lecture de Bandini, pourtant passionnante et haute en couleur, telle que peut l’être La route de Los Angeles ou Demande à la poussière, je l’avais posé sur une étagère et lui m’attendait. Il me restait que 70 pages à lire.
Je l’ai repris, j’ai feuilleté et je me suis lancé à nouveau. Je suis vautré dans la poire, mon fils me parle et me demande pourquoi je passe tout mon temps à lire et à écrire. Je lui réponds que ce n’est pas vrai, que je fais d’autres choses, à quoi il ajoute, que “ce n’est pas un métier ça“, alors je lui rétorque que “si, c’est un métier, mais c’est également un loisir, quelque chose qu’on fait parce qu’on aime ça“.
Il est descendu de sa chaise et est venu me faire un câlin.

J’ai relu la superbe postface de Philippe Garnier et son mordant, sa verve et son éclairage. Son ton juste quand il parle de l’homme, de Fante, l’écrivain maudit et brillant.

Parce que toute sa vie, Fante a été en proie aux remords et à la répression, en bon rebelle catholique. S’il parvient à trouver en lui tant de violence et tant de méchanceté pour ses personnages, c’est que Fante était loin d’être un saint – en fait, au dire de certains de ses amis et connaissances, c’était un être particulièrement désagréable et teigneux, qui possédait un sens de l’humour très particulier, et à sens unique. Bezzerides raconte comment un jour à une réunion de la Writers Guild au Hilton il avait insulté ouvertement l’ami avec qui il était, qui se trouvait être homosexuel. « Salut, Al, comment ça marche avec ton pédé de copain ? » Et comment, dans un ascenseur, alors que Bezzerides portait un manteau qu’il aimait particulièrement, couleur fauve, Fante s’était pointé, lui demandant immédiatement « où il avait dégoté ce manteau couleur merde ?» […]

Il n’est que de noter le pli qu’il a au coin des lèvres sur à peu près toutes les photos connues de lui pour se persuader de la véracité de ces histoires. C’est aussi ce qui donne la force à ses bouquins.

John Fante - Bandini

Le décalage horaire d'Olivier Barrot

Olivier Barrot

Monsieur Olivier Barrot, c’est une personne profondément respectable qui sous ses allures discrètes, vêtu d’un costume de tweed sobre et élégant, cache une érudition profonde et sélective, qu’il fait passer avec passion dans l’émission Un livre, un jour qu’il produit depuis 1991. Admirateur de Valery Larbaud, il est également l’auteur d’une vingtaine de livres dont le charmant Décalage Horaire, une ode au voyage sous une forme qu’il est rare de voir encensée.

Olivier Barrot voyage en avion, et aime l’idée de faire trois fois le tour du monde en moins de six mois, de poser le pied par terre puis de repartir, l’important, dit-il, étant d’être ailleurs. Une autre façon de voyager, des sauts de puces provoquant un soudain dépaysement en ayant la sensation parfois enivrante de souffrir de la fatigue du jet lag
Le décalage horaire c’est également voyager avec des livres, de vieilles éditions qui l’accompagnent comme d’anciens compagnons de fortune, dans un mouvement qu’il rapproche des deux œuvres majeures d’Homère, L’Illiade et L’Odyssée, deux piliers d’une même architecture ouvrant les portes du temps et de la notion d’espace.

J’ai bien aimé à Gülüfsan, « le pays des fleurs », le bistrot du marché, les brochettes de mouton, la salade de concombre et d’oignons, la bière locale pression. Les serveuses en jean, comme à Londres ou à Paris, arborent un tee-shirt explicite : « Coca-Cola Turkménistan. »

Son voyage à lui, ce sont des petites touches d’humanité, des moments fugaces de différences ou de similitudes, un monde de couleurs chatoyantes et suaves.
Et citant une vieille dame agréablement parfumée de Shalimar de Guerlain, qu’il connaît et qu’il respecte énormément, il réussit même à la faire mentir sur la notion même de voyage…

En date du 21 septembre 1927, Hélène Hoppenot écrit dans son journal : « Un voyage si court n’est que la parodie d’un vrai voyage. Ne plus s’occuper de rien, osciller entre le ciel et la mer, voilà le vrai bonheur. »

Extrêmement expressionniste et incroyablement corps

Je me suis lancé un peu par hasard dans la lecture de ce livre (Extrêmement fort et incroyablement près de Jonathan Safran Foer), dont il faut dire que la couverture, aux éditions Points Seuil, est foncièrement laide et peu attractive. Pourtant, sans connaître l’auteur, mais simplement sur ouï-dire, j’ai eu envie de le lire. La quatrième de couverture ne m’a pas attiré plus que ça non plus. L’histoire d’un petit garçon de 9 ans, surdoué, passionné de l’œuvre de Stephen Hawking et des Beatles et dont le père est décédé dans les attentats du 11 septembre 2001, l’histoire avait tout pour me rebuter et me faire reposer le livre si on ne m’en avait pas parlé. L’auteur lui-même est énervant. Jeune, bardé de diplômes, pressenti comme étant une étoile montante de la littérature, c’est typiquement le profil du type qui tape sur le système.
J’y suis donc allé avec une certaine méfiance, à tâtons, comme lorsqu’on goûte un gratin de choux de Bruxelles et ce que j’y ai découvert m’a vraiment surpris. L’histoire, le fil de l’histoire ne m’a pas plus accroché que ça, je veux dire que je ne m’y suis pas attardé, quelque chose m’a fait manqué l’intérêt que j’aurais pu y trouver, si tant est toutefois qu’il y en ait vraiment un.
Non, ce que j’ai trouvé dans ce livre, à part des illustrations du texte sous forme de photos, des caprices typographiques pas toujours justifiés à mon goût (il paraît que dans l’édition brochée, les noms des personnages ainsi que le nom des couleurs étaient imprimés en couleur – j’y ai échappé, Dieu soit loué, comme le poulet), des pages blanches, des pages noircies, tout un ensemble de surprises qui, disons-le carrément, donnent parfois l’impression d’un remplissage, ce que j’y ai trouvé c’est un expressionnisme de l’écriture[1].

collier de perles

Tu veux quelque chose en particulier ? a-t-il demandé sur mon bras.
Je veux tout en particulier, ai-je dit.
Des magazines d’art?
Oui.
Des magazines de nature ?
Oui.
Politiques ?
Oui.
Autre chose ?
Oui.
Je lui dis de prendre une valise pour pouvoir rapporter un exemplaire de chaque genre.
Je voulais qu’il puisse emporter ses affaires.
Dans mon rêve, le printemps suivait l’été, qui suivait l’automne, qui suivait l’hiver, qui suivait le printemps. Je lui ai préparé un petit déjeuner. Je me suis efforcée qu’il soit délicieux. Je voulais qu’il ait de bons souvenirs, de sorte qu’il revienne peut-être un jour. Ou au moins que je lui manque.
J’ai essuyé le bord de l’assiette avant de la lui donner. Je lui ai étalé la serviette sur les genoux. Il n’a rien dit. Quand l’heure est venue, je suis descendue avec lui.
Il n’y avait rien sur quoi écrire, alors il écrivit sur moi.

Les personnages sont d’une profondeur excessive mais nécessaire à la tension que l’auteur semble vouloir faire passer pour tendre son histoire, même si le petit Oskar est profondément agaçant, malgré son mal-être et sa fausse candeur ; c’est typiquement le genre de môme à qui on a envie de donner des gifles. Sa mère, effacée, toute en relief, oscillant entre les pleurs et robustesse reste finalement un personnage d’arrière-plan qui laisse peu de traces. En revanche, deux personnes se démarquent nettement dans des échanges de lettres, dans des mots incroyablement forts, charnels et brutaux. Tout d’abord, la grand-mère d’Oskar, que finalement on voit assez peu intervenir dans le cours de l’histoire, puis le Locataire, un personnage vigoureux, manipulant la terre et ne parlant pas, aux mots Oui et Non tatoués dans les paumes des mains. Ces deux spectres du passé sont comme des liaisons avec le présent et le futur, d’une tension, d’une profondeur rarement exprimée dans un livre et j’ai tout de suite ramené cette sensation à celle que l’on éprouve face à la peinture expressionniste.
Il y a aussi dans ce livre un rapport au corps et à l’écriture qui ne m’a pas échappé. Les thématiques de l’écriture, de la chair, de l’écriture dans (et de) la chair y sont fortement représentés, bien que sous-jacents, dans des accents qui rappellent la pensée du de chiasme tactile, du touchant et du touché de Merleau-Ponty.

Certains livres laissent pantois car leur histoire est forte. Ici, on sait d’emblée que tout sera distendu par un contexte dramatique, aux traits forcés, et au sortir de la lecture, au demeurant relativement facile, on finit épuisé par tant d’émotions et d’intensité, le tout encapsulé dans une écriture à la puissance rare.
Je pensais n’avoir pas grand-chose à dire de ce livre, mais finalement, j’en tire une grande satisfaction, même si je sais, ou je me doute, que j’aurais certainement du mal à retrouver une telle illusion.

Notes:
[1] L’expressionnisme est la projection d’une subjectivité qui tend à déformer la réalité pour inspirer au spectateur une réaction émotionnelle. Les représentations sont souvent basées sur des visions angoissantes, déformant et stylisant la réalité pour atteindre la plus grande intensité expressive. Celles-ci sont le reflet de la vision pessimiste que les expressionnistes ont de leur époque, hantée par la menace de la Première Guerre mondiale. Les œuvres expressionnistes mettent souvent en scène des symboles, influencées par la psychanalyse naissante et les recherches du symbolisme. (Source Wikipédia)

Unravel

Trois versions vidéo d’une même chanson (la meilleure est à mon sens celle qu’elle chante au son du clavecin), une chanson mythique qui donne la chair de poule et qui me plonge dans l’ambiance froide et bleutée d’un pays aux traditions millénaires – Björk utilise les mêmes techniques vocales que ses ancêtres chanteurs de sagas – , issue de l’album Homogenic (1997).
Rien à faire, des années après, j’ai toujours la même sensation à l’écoute du voile sucrée de ce petit bout de femme passionnée, les mêmes images, les mêmes souvenirs, la même nostalgie. Continue reading “Unravel”

Valeria

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Clube_Da_Esquina.mp3]

C’est étrange parfois. Le hasard des rencontres, la beauté funeste de la symétrie des êtres, la coïncidence heureuse ou hasardeuse… Moi qui croyais au destin, moi qui pensais que lorsque tout concorde à faire se rencontrer les âmes qui se veulent, je me suis rendu compte que la métaphysique n’était pas pour moi. Woody Allen disait:

Je me suis fait recaler à l’examen de métaphysique : j’avais copié dans l’âme de mon voisin.

Valeria

Et puis, je ne sais pas, j’avais envie de ça depuis longtemps. Je voulais parler de Valeria Bruni-Tedeschi parce que c’est une femme que j’aime beaucoup. Pas au point d’être à l’affût de sa carrière mais depuis le film Une femme pour moi (“la chaleur, ça fait vraiment faire n’importe quoi”), je pense à elle, à son visage et à son étrangeté, à cette façon qu’elle a de changer et de ne montrer que ce qu’elle veut.

Lettres sauvages C-15

Il y a quelques temps, je l’ai redécouverte dans Télérama, avec un visage de femme différent, peut-être la marque du temps qui fait son office, doucement, mais qui la rend incroyablement belle, d’une beauté sauvage et sensuelle. Je regarde ces photos, je regarde ces photos, je regarde ces photos… Elle a dix ans de plus que moi.

Valeria

Ça me dérange un peu de parler d’elle tandis que sa soeur, la beauté lisse, froide et creuse – l’archétype même de la beauté qui me laisse de marbre – fait la une des tabloïds parce qu’elle se tape le nain le plus célèbre de France, et puis en fait, il semblerait que je n’ai pas grand-chose à en dire. Juste quelques mots pour dire que je le voue une vénération sans nom.

Elle est incroyablement belle et je ne sais pas comment le dire. Peut-être comme ça…