Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais j’ai laissé tomber John Fante, je l’ai oublié dans un coin, je me suis empêtré dans la lecture de Bandini, pourtant passionnante et haute en couleur, telle que peut l’être La route de Los Angeles ou Demande à la poussière, je l’avais posé sur une étagère et lui m’attendait. Il me restait que 70 pages à lire.
Je l’ai repris, j’ai feuilleté et je me suis lancé à nouveau. Je suis vautré dans la poire, mon fils me parle et me demande pourquoi je passe tout mon temps à lire et à écrire. Je lui réponds que ce n’est pas vrai, que je fais d’autres choses, à quoi il ajoute, que “ce n’est pas un métier ça“, alors je lui rétorque que “si, c’est un métier, mais c’est également un loisir, quelque chose qu’on fait parce qu’on aime ça“.
Il est descendu de sa chaise et est venu me faire un câlin.
J’ai relu la superbe postface de Philippe Garnier et son mordant, sa verve et son éclairage. Son ton juste quand il parle de l’homme, de Fante, l’écrivain maudit et brillant.
Parce que toute sa vie, Fante a été en proie aux remords et à la répression, en bon rebelle catholique. S’il parvient à trouver en lui tant de violence et tant de méchanceté pour ses personnages, c’est que Fante était loin d’être un saint – en fait, au dire de certains de ses amis et connaissances, c’était un être particulièrement désagréable et teigneux, qui possédait un sens de l’humour très particulier, et à sens unique. Bezzerides raconte comment un jour à une réunion de la Writers Guild au Hilton il avait insulté ouvertement l’ami avec qui il était, qui se trouvait être homosexuel. « Salut, Al, comment ça marche avec ton pédé de copain ? » Et comment, dans un ascenseur, alors que Bezzerides portait un manteau qu’il aimait particulièrement, couleur fauve, Fante s’était pointé, lui demandant immédiatement « où il avait dégoté ce manteau couleur merde ?» […]
Il n’est que de noter le pli qu’il a au coin des lèvres sur à peu près toutes les photos connues de lui pour se persuader de la véracité de ces histoires. C’est aussi ce qui donne la force à ses bouquins.
Tu me l’as fait découvrir dans Demande à la poussière. Ma moue dubitative initiale a vite laissé la place à un sourire en coin. Dire de Fante qu’il est irrévérencieux, ça l’aurait probablement fait éclater de rire et il aurait dit “je t’emmerde”. Fante souffre, son alter ego Bandini aussi, ce sont des écorchés vifs qui ont un besoin viscéral d’écrire mais aussi de casser tout ce qu’ils touchent; ils cherchent frénétiquement la sérénité et grattent toujours là où ça fait mal.
Hier soir, par un heureux hasard, je me suis plongée dans La Route de Los Angeles et après quelques pages à peine, je savais que je m’étais embarquée dans une drôle de galère. Fante fait partie de ces auteurs qu’on adopte très vite ou qu’on jette contre le mur.
Le destin de Fante ressemble à celui personnages de Bukowski, maudit et délaissé, sans arrêt sur la brèche, toujours à attendre quelque chose, et sous ses airs bourrus, c’est un homme d’une grande sensibilité, et un grand écrivain révélé pour ma part par Auster…