La part infime

J’ai pris le chemin le plus court, celui qui incite à en dire le moins possible.
Les mots, je les tranche, j’entaille mes paragraphes, je réduis mes textes et d’une prairie d’herbes hautes, je fais un gazon propret, en choisissant mes mots, en les soupesant.
Et alors, j’ai commencé un travail d’économie qui consiste à tendre vers le moins possible, la plus petite part de moi-même, la part infime.

Symétrie

Seuthopolis

Dans une petite du centre de la Bulgarie, Kazanlak, a été découverte en 1940 l’ancienne ville Thrace de Seuthopolis dont les ruines, très bien conservées, remontent au 4è siècle avant J.-C. Située dans le creux d’une vallée, sa découverte arriva bien tardivement, car il était déjà prévu la construction du réservoir de Koprinka qui devait engloutir totalement les restes de cette civilisation aux origines encore obscures.

Pourtant, en ce début de siècle, l’architecte Zheko Tilev lance l’idée d’un projet grandiose ; construire un barrage autour de la cité antique pour la rendre à nouveau accessible, grâce à une structure isolant la ville du reste du réservoir. Il va même plus loin, car il projette également de reconstruire la ville à l’identique ; le but étant de pouvoir inscrire le site au patrimoine mondial de l’UNESCO et de développer le tourisme dans cette région pauvre de la Bulgarie.

Projet titanesque qui ne manque pas d’inventivité et d’audace, il laisse rêveur: un mur d’un diamètre de 420 mètres, situant la ville à 20 mètres au-dessous du niveau de l’eau et une bague lumineuse sur l’enceinte qui rendrait le site visible de l’espace (si tant est qu’on y aille un jour).

Via Pruned, où l’on peut voir le projet en images.

Fabienne et moi avons décidé de vous emmener dans un tour du monde virtuel. Vous pouvez suivre les étapes de ce voyage sur Google Maps.

L'errance involontaire sur la terre natale

la plaine

Je n’ai pas fait exprès de prendre cette photo. Je me suis arrêté sur le bord de la route là où je n’avais jamais fait que passer sans réellement faire attention à tout ce qui se trouvait autour de moi. Pourtant, cette photo reflète tout ce qu’est ma vie. C’est ma terre natale, ma terre nourricière, c’est Montesson, une petite ville des Yvelines, coincée entre une grande plaine maraîchère et la réputation altière du Vésinet. En prenant cette photo, j’ai honteusement copié – pardon, je rectifie – j’ai scrupuleusement respecté les termes de la photo de l’Errance de Raymond Depardon. Prise de vue verticale, cadrage strictement centré, pas de sujet, une photo qui vit pour elle-même sans rien dire, ne fait que capturer l’essence d’un lieu comme si on y était plongé par hasard… L’essence de l’errance.
Tout se lie, Depardon cite Jacques Rancière, un des professeurs de Paris VIII-Saint-Denis qui m’a le plus marqué[1] dans ma vie d’étudiant: «Une chose est intéressante lorsque la forme naît d’elle même et qu’elle est le produit d’un calcul». La confiance dans le réel comme une forme passive. Cette photo est importante pour moi car elle marque le début de la compréhension de l’image comme un rapport au monde, une mondanité qui prend ses racines dans l’univers connu.

Note:
[1] Rancière est élève d’Althusser, de tradition marxiste.

Abandon et délabrement industriel

J’ai commencé ma plongée dans les univers sombres du délabrement et de l’archéologie industrielle lorsque j’étais adolescent, au contact d’un livre superbe sur l’archéologie des temps modernes – terme qui peut paraître antinomique mais qui reflète l’esprit post-moderniste ou post-industriel – et j’ai commencé à en parler ici avec Stahlseite. Ce qui est fascinant dans ce domaine de la connaissance humaine, c’est de pouvoir approcher une face de l’activité humaine qui a tout à la fois d’éphémère et en même temps de profondément ancré dans la technique et la complexité, ce qui laisse supposer que plus nous apprenons de la technique, plus nous la maîtrisons, moins on éprouve le besoin de la faire perdurer dans le temps, dans une sorte de mouvement à la vitesse exponentielle qui me donne sans arrêt l’impression que la fin des temps ne peut être que l’aboutissement de cette course à la maîtrise de la nature, dans ce qu’elle a de plus artificiel.

Voici ce que j’ai trouvé de plus beau sur Flickr, une collection rare et nécessairement précieuse.

Une superbe collection foisonnante signée Charles Bodi, Urban Exploration.

En particulier son très beau set consacré à the Hearn, une usine thermale toujours en activité.

Industrial Decay pool.

Mention spéciale à Patrick Boury, un fou qui a au moins 10000 photos à son actif. Passionnant, on pourrait y passer des heures.

Gowanus

Gowanus, une vision dépréciative et anti-conformiste de New-York.

stefano

Visions apocalyptiques et fascinantes d’un monde en rupture avec ses idéologies.

Olena Sullivan

Les explorations urbaines de Ollena Sullivan, parfois colorées, montrent un visage de la ville audacieux.

Encore New-York, presque anecdotique, mais tellement sensuelle…

Sato Shintaro et Pawel Jaszczuk

Sato Shintaro

Le Japon de nuit comme on a rarement l’occasion de le voir, chez Shintaro Sato. Une réédition d’un billet léger que j’ai écrit il y a quelques mois (euh non, deux ans en fait), car j’ai passé à nouveau un moment très agréable en visionnant les couleurs éclatantes et la vision chaotique de la ville japonaise sous les feux des lumières, la lueur du fatras des enseignes publicitaires.

Sato Shintaro

Via BLDG.

Et je profite de ce thème sur la nuit japonaise pour faire un détour par un photographe polonais, Pawel Jaszczuk, qui, vivant au pays du soleil levant, a une vision très particulière des nuits tokyoïtes, au travers notamment de séances très spéciales.

pawel jaszczuk

La boîte en métal, dix crayons

Il y avait bien quinze ans que je n’avais pas pris autant de plaisir à dessiner.
Alors certes, ce n’est pas encore du grand art, mais j’ai retrouvé mes réflexes de vieux routard. Je dis toujours que pour savoir dessiner, il faut commencer par savoir dessiner une perspective, le reste, c’est du flan, de la fioriture, du brouhaha.
Ce carnet est tout petit, moins de dix centimètres de longueur.
Errances urbaines au bout de la mine…

SK-04

Les autres se trouvent ici… À suivre.

Votre style à l'enjouement trop forcé finit par agacer (idées cadeaux pour le réveillon de Noël)

Photo © Kevin Dooley

[audio:http://theswedishparrot.com/xool/nkc_tcs.xol]

Le réveillon de Noël est l’occasion rêvée pour sortir ses plus beaux atours de leur gangue de plastique à la vague odeur de naphtaline pour aller diner en ville.
Vous avez certainement déjà reçu votre carton d’invitation pour aller réveillonner rue du Faubourg Saint-Honoré chez une cousine éloignée qui a fait fortune dans la vente de foulards de luxe, et comble d’orgueil, elle a tenu à inviter toute la petite famille, et même la grande, dans son triplex de deux cents mètres carrés. Le soir arrivé, vous avez l’intention de briller, de montrer une fois de plus que vous avez progressé cette année encore et que vos cours de culture générale par correspondance n’ont pas été vains.
Le grand soir arrive, et, les bras chargés de sacs que le Père Noël a pris soin de remplir à votre place – les grands magasins à cette période-là de l’année sont bondés et vous ne vous y retrouvez jamais – vous montez l’escalier recouvert d’une moelleuse moquette rouge. Accueilli par l’hôtesse accorte – diantre, ces années d’opulence l’ont desservie – vous passez dans le salon et vous retrouvez le cousin Marcel, qui lui, par contre, n’a pas changé depuis la dernière fois que vous l’avez vu – toujours aussi mal coiffé et l’haleine d’un boyard noyé dans le purin, le malotru tient absolument à vous embrasser comme il le faisait jadis lorsque vous alliez le visiter à Pâques dans son Vercors natal.
C’est bien joli toutes ces retrouvailles, mais ça ne fait pas avancer le schmilblick et pendant ce temps, la dinde rosit patiemment, enroulée dans son collier de marrons. Une coupette (ne dit-on pas une flûte ? – oui ce soir, vous avez décidé de verser dans le raffinement un tantinet pédant) de Champagne à la main, l’atmosphère se détend doucement – certaines personnes qui sont ici revêtent le caractère de l’inconnu – les années sont passées tellement vite et la vie dans la capitale vous a rendu – disons les mots – un peu concon sur les bords.

Tout le monde le sait, avec la famille et les amis, mieux vaut éviter les discussions dirigées sur la politique, la religion et l’argent – on réservera ces vastes notions pour les joutes verbales avec des inconnus dans des bars mal fréquentés – mais en revanche, rien n’empêche de parler de sexe et d’argent – bien que cela ne soit pas de mise un soir de Noël, vous n’avez pas été invité à une partie de poker entre potes de l’armée, alors rangez cela. Ne reste plus que les travaux de réfection de la cheminée de l’oncle Lucien qui attend encore le maçon et les jérémiades de Juliette qui ne s’en sort pas des défauts de conception de sa cuisine aménagée.
Tout ceci est d’une tristesse à mourir. Vous qui depuis votre installation dans les beaux quartiers tentez d’élever les débats auxquels vous participez, vous voilà dans l’embarras.

Ce que je vous propose, ce sont quelques sujets de discussion qui pourront fort bien alimenter vos soirées, tels de succulents rochers en chocolat pendant une soirée chez l’ambassadeur(drice). Sans vouloir flatuler plus haut que mon postérieur, voici des idées – cadeaux – qui feront mouche à tous les coups.

Entre les canapés tartinés de foie gras bien ferme et la bouteille de Sauternes qui descend bien trop vite à votre goût, osez la canaillerie, tentez le Père Noël, ça marche à tous les coups.

Est-ce que le Père Noël ne serait pas finalement qu’une image patriarcale déficitaire ??

Vous avez surpris tout le monde. Marcel et son haleine de chanteur de l’Armée Rouge vous regarde d’un air suspicieux et se demande si vous n’êtes pas devenu gay. Pour le coup, on entend les mâchoires terminer leur travail de mastication et vous attendez que tout le monde ait bien dégluti pour jauger les réactions.

Rien ne vient ? C’est normal car en fait, ils se demandent si vous n’êtes pas saoul, mais vous n’en êtes qu’à deux coupes de Champagne et votre esprit est encore aiguisé. Afin de relancer le débat, vous expliquez tout de même que vous ne connaissez pas de femme dans l’entourage proche du Bonhomme Noël de par l’iconographie classique et que vous vous demandez si finalement il n’aurait pas été victime d’une déchéance de ses droits parentaux. Montrer une telle image à des enfants en plein épanouissement social n’est peut-être pas très habile dans le processus de leur éducation.
Toujours rien ?
N’embrayez surtout pas sur le petit Jésus et la crèche, on vous a déjà prévenu qu’aborder la Religion, même sous cet aspect, était pour le moins risqué. Tante Jacqueline est très soupe-au-lait et menace déjà de quitter la table en sanglotant. Le Père Noël est une réminiscence païenne certes, mais ne lui rappelez-pas ce souvenir douloureux.
Partons sur autre chose. Nous avons fait le tour tout à l’heure des sujets à ne pas aborder. Celui qui ne risque rien, c’est la philosophie. Voici un domaine qui même s’il souffre de querelles d’écoles, risque facilement de recueillir l’unanimité. Choisissez bien votre notion, car dites-vous que le destin de cette soirée faste est entre vos mains. Aborder la métaphysique ou le principe de non-contradiction serait littéralement suicidaire et vous risqueriez d’entendre les douze coups de minuit depuis le trottoir d’en face, sous une pluie battante et glacée.
Prenez plutôt un thème passe-partout… Le désir. Déclamez ainsi ces mots:

Nous ne sommes en quête du plaisir que lorsque nous souffrons de son absence. Or maintenant nous ne sommes plus dans le manque du plaisir.

Dites bien que vous n’en êtes pas l’auteur, mais que c’est Epicure qui a commis cela. Et comme Marcel ne veut pas être en reste – malgré ses remontées gastriques – , si tout se déroule selon vos plans, il déclamera ces mots de Sartre, pour faire bonne mesure:

Le désir est une conduite d’envoûtement. Il s’agit, puisque je ne puis saisir l’Autre que dans sa facticité objective, de faire engluer sa liberté dans cette facticité : il faut faire qu’elle y soit blablabla…

Dans une telle assemblée, il y a toujours quelqu’un pour évoquer, ou invoquer Schopenhauer, qui se trouvera fort aise de tout ce galimatias. Décidément, Marcel n’est plus aussi drôle que dans vos souvenirs d’enfant et il se demande si Sartre, l’auteur de cette assertion, n’était pas le nom de famille de ce type qui était invité l’autre jour dans la méthode Cauet.
Je vous sens désespéré, au comble de la déprime, poussé dans vos derniers retranchements par la mauvaise volonté que votre famille met à apporter un peu de piquant à cette soirée scintillante. Votre coupe de Champagne est vide et vous ne savez plus vers qui vous tourner, vous vous sentez chancelant car vous ne pouvez plus rien faire et votre image de hâbleur vient d’en prendre un sacré coup derrière les oreilles.

Heureusement, Marcel n’a rien perdu de son esprit fêtard et il a pensé – contrairement à vous, piètre noceur – à amener avec lui l’arme fatale en toute circonstance : la bouteille de Champagne explosive qui libère trente kilos de confettis sur plus de 10m² – sur la notice est inscrite la mention “nettoyer la pièce après usage”. Grâce à l’inénarrable ustensile, Marcel surpris en flagrant délit de flagornerie, l’ambiance revient au beau fixe et les visages reprennent leurs couleurs cramoisies et disons-le franchement, vous passez désormais pour celui qui souhaitait de tout coeur plomber la soirée.

Une rumeur gronde au fond de la pièce, Marcel est aussi pâle qu’une paire de fesses, se tient le ventre comme si quelque chose n’allait pas et finit par vomir le foie gras et les huîtres – chacun ira de son hypothèse hasardeuse sur le contenu stomacal – sur le tapis afghan de la cousine éloignée, au mépris de la serviette que lui tendait Jacqueline, qui avait vu le coup venir et espérant opérer une soudaine transmutation du morceau de tissu en sac à vomi. Pendant que se déroule cette scène d’horreur, Rufy, le bichon frisé d’Odette, a entamé la séance d’ouverture des cadeaux sans attendre le coup de feu. Quel cabot ce Rufy…

Sacré Marcel, quel boute-en-train ! Finalement, il aura eu raison de la famille et le rendez-vous pris pour l’année prochaine n’est plus désormais qu’une lointaine chimère, à votre grand soulagement. Votre opus des œuvres complètes de Stevenson dans la poche, vous quittez le somptueux appartement sous la pluie froide en vous disant que rien ne vaut une balade à Paris un soir d’hiver et que les citations c’est bien joli, mais ça ne nourrit pas son homme, ni même les réveillons…

Christmas Tree

Note de bas de page: je n’écrirai certainement rien d’autre avant Noël, ni même avant l’année prochaine, alors pour une fois, faisons simple et concis.
Je vous souhaite à tous un excellent Noël et de joyeuses fêtes de fin d’année.

Matt Hoyle

Les photographies de Matt Hoyle sont pleines de vie, elles sont le reflet d’une certaine idée de l’Amérique.
Ses clichés très retravaillés sont superbement composés, comme des tableaux d’Edward Hopper. Un univers haut en couleurs, un travail qui passe du naturel à la vision cinématographique sans qu’on s’en rende vraiment compte.

Matt Hoyle

The Worst Buildings of NYC

Le set est présenté comme contenant les pires constructions de New-York. Point de vue tout à fait subjectif. Personnellement, je trouve que ça ne manque pas d’inventivité et pour une fois, on y voit un New-York au naturel, non surfait dans des habits de fêtes et parfaitement dénudé. Un mythe qui s’effondre, car les mégalopoles n’ont pas toujours le sens de l’harmonie, et finalement, ce sont ces aspects-là, les pires, qui révèlent l’essence d’une ville.

NYC