Node™ n°1

Forcément, comme souvent en ce moment il pleut, il pleut beaucoup, tout le temps, fort, peu, averses ou pas du tout quelques instants et puis ça repart doucement ou pas, ou fort et beaucoup, ça s’enchaîne, alors ce matin, quand je me suis levé, la première chose que j’ai faite c’est de regarder s’il pleuvait et oui, il pleuvait, comme un peu tous les jours depuis que Sarkozy est président, ce n’est pas de sa faute, mais ça joue certainement, on pourrait presque y croire mais je ne me suis pas laissé démonter, j’ai piqué le parapluie de mon fils, mais je suis quand même arrivé à la gare les pieds trempés, le bas du pantalon, c’est du ramie ça sèche vite, un coup de vitamines avec le café, histoire d’émerger un peu plus vite que ça s’il vous plait merci j’ai un train à prendre et puis j’ai passé une partie de ma nuit à bouquiner jusqu’à temps que le sommeil m’emporte le bougre, même pas le temps d’éteindre la lumière, espèce de criminel de la lecture qui lit jusqu’à plus soif tous les jours de la semaine, même ceux qui n’existent pas, voire même plus, alors nécessairement, pour se réveiller, c’est pas du Pink Martini qu’il faut se fourrer dans les oreilles, mais plutôt David Guetta, Love don’t let me go, voilà tout, faut écouter ça parce qu’on a beau penser ce qu’on veut du blondinet électrique, sa musique, elle est construite et c’est pas du beat sans raison, il y a du travail là dedans et c’est bon, surtout pour se réveiller, surtout pour passer devant les contrôleurs du matin, on est le 3, faut contrôler, et j’ai mon ticket, c’est suffisamment rare pour être remarqué, alors je passe tête haute, bêcheur, y’a pas de raison, et puis merde hein, je n’ai dormi que trois heures, certainement moins, criminel va !

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juergen teller

Bon et puisqu’on est là, il est temps de parler un peu de Juergen Teller, un photographe hors norme et un peu branque, qui se plait à prendre en photo des célébrités dans des positions pas possibles – Björk s’est pliée à l’exercice, je ne vous dis que ça – , mais qui a aussi travaillé pour la publicité d'Yves Saint-Laurent mais qu’on croirait tout droit sorti d’une nouvelle de Bukowski, un travail désaxé autour de la lumière crue.

Dans la rue Anatole France, il y a un camion violet qui est là pour nettoyer la cuve à graisse du tabac d’en face, le nettoyage de la cuve à graisse, c’est quelque chose, il faut avoir vécu ça de près pour savoir à quel point ça schlingue la graisse, ça pue pire que la mort, la graisse, peut-être même pire que la merde, parce qu’au moins, la merde, on sait ce qu’il y a dedans, et là pour la coup, dans la rue humide, ça sent mille fois la graisse transvasée, c’est littéralement infâme, et comme aujourd’hui j’ai une grosse forme de type qui n’a dormi que trois heures, je vais m’attaquer aux bases de données, je suis à bloc là. (03 juillet)

Depuis que j’ai écrit ces mots, il s’est passé beaucoup de choses, des choses pas gaies du tout, des renoncements, des hésitations, des fractures, des pas en avant, des pas en arrière, j’ai complètement lâché l’écriture, je me suis retiré du monde, j’ai tenté de sourire, je me suis dit qu’il fallait que j’arrête de bloguer au vu du nombre considérable de commentaires que je n’arrive plus à gérer, je me suis pris pour John Cage, j’ai eu envie de mourir, mais pas longtemps, j’ai eu une réunion de service, je me suis battu contre le département Communication pour exprimer mon point de vue (oui, je sais, on s’en fout), j’ai pris une photo de mon chat, j’ai enfin parlé à Laurent, je me suis surpris à rire avec des gens que je détestais, j’ai été dans une colère dingue, je me suis calmé, je me suis senti rejeté, alors j’ai rejeté, je me suis dit que j’allais effacer mon blog, j’ai dit merde à mon père, j’ai vu mon téléphone sonner et je n’ai pas pu répondre parce que j’étais déjà en ligne, j’ai enragé, j’ai fulminé, j’ai mal dormi, très mal dormi, je me suis senti à deux doigts de péter un câble, je me suis calmé, j’ai eu envie d’appeler une vieille amie, et mon amie m’a appelé parce que je l’avais appelée sans m’en rendre compte, une voix chaleureuse et tendre, j’ai fait de l’aérophagie, j’ai sauté un repas, je n’ai pas sniffé de colle parce que je ne me drogue pas (le café ça compte pas), j’ai été contacté par un extra-terrestre chinois, j’ai terminé de publier mes derniers moleskines, lesquels ont toujours autant de succès (suffisamment rare pour être signalé), j’ai mangé une pizza, j’ai vécu la guerre grève, les bagarres dans le RER, les flics qui déboulent, les tickets de métro qui ne passent pas dans les tourniquets, je me suis noyé dans un ruisseau, enfin je crois, je ne passerai pas à la télévision, je ne suis pas allé à Paris-Carnet, j’ai eu un cadeau, la saison 1 de Magnum en DVD, j’ai vu le Lauréat, j’ai fait une machine de couleur, j’ai passé l’aspirateur dans la chambre, je suis allé faire des courses, j’ai rendu mes livres à la bibliothèque, j’ai rêvé d’Adolfo Bioy Casares, je me suis rendu compte que j’étais pétri de ténèbres, j’ai beaucoup pensé, mais j’ai eu aussi beaucoup la tête complètement vide, je me suis demandé si je n’allais pas m’acheter un nouveau nom de domaine, laisser tomber mon blog, repartir de zéro, j’ai étrangement passé une très bonne semaine au boulot, et comme pour faire bonne mesure, j’ai essayé de chialer un bon coup comme pour faire sortir toutes les scories qui me polluent l’existence mais rien ne sort, complètement à sec, alors je me suis imaginé allongé dans un lit aux draps couleurs expresso et les yeux fermés, j’écoutais le bruit de l’océan.

Grains de café et noyaux de cerises

Un billet après trois jours. Trois jours hors-circuit, trois jours dans ma coquille, accompagné d’O’Hanlon, d’Adolfo Bioy Casares, d’Ella Maillart et de Paul Bowles, trois jours de confusion, à peine vécus, juste survolés.

Samedi à Paris, le quartier étudiant, les travées vertes et les lignes de train abandonnées de la rue Belliard, l’étrange calme du troisième genre de la rue Leibniz, les petites rues sombres et anciennes du quartier latin, la rue Galande, la rue Maître Albert, la rue des Ecoles, des souvenirs d’étudiant qui remontent à la surface. Il faisait beau.

Paris N&B

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16h12

16h12, c’est un peu comme un boite à chaussure dans laquelle on aurait mis plein de vieux souvenirs. On retrouve des tasses à café, des vieux journaux, des odeurs particulières comme celle de la pizza pepperoni millésimée. Un grand fatras amusant qui ne manque jamais de me faire sourire.

16h12

Avec vue sur l'amer

Il y avait un peu de monde dans les rues. Je n’ai plus rien écouté, je me suis fermé comme une huître et les autres parlaient – parlaient sans arrêt – rien ne passait – on a dû me parler d’un anniversaire, mais je n’ai pas écouté, je n’aime pas écouter les sinistres conversations qui s’épuisent dans les ténèbres – les mots qui ne s’inscrivent nulle part – qui flottent dans l’Ukiyo-e pour finalement ne jamais redescendre. Il faisait très chaud, certainement, je crois me souvenir, mais surtout il faisait nuit. A Paris – une rue perpendiculaire à la Seine et qui part de l’île Saint-Louis – des boutiques luxueuses mais éteintes à l’intérieur desquelles on a parfois l’impression de voir des ombres flottantes – signes de vies imaginaires où l’on voit tout en noir et blanc – résidus d’activités de journées bruyantes lorsque les vêtements collent sur la peau comme – comme je ne sais pas – des gens dont on aimerait bien partager la vie ne serait-ce que quelques instants – ou toute une vie…

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Café de l'AtelierCafé de l’Atelier, rue d’Orsel

J’étais assis à la terrasse d’un café. Il faisait vraiment très chaud – dans cette nuit parisienne et bruyante – des fanatiques quelconques devaient crier pour je ne sais quelle raison – je m’en fous – et… le temps s’étire comme dans ces moments où l’on est plongé dans un livre – tout à coup – plus rien n’existe autour et on est plongé dans une dimension sans dimension – le temps de l’horloge s’arrête et un autre prend sa place…

Théâtre de l'AtelierThéâtre de l’Atelier, rue d’Orsel

Je me sens bien – j’ai mal – je ne sais pas – où est-elle ? Qui… Combien de temps ? Impossible à dire – des années et des lumières – un poème en forme de grâce – les yeux grands fermés – des mots qui s’entrechoquent – je suis saoul ? Non pas encore – attends encore un peu – il faut que je bouge… Comment ça ? Oui il faut que je me remue, je ne peux pas rester là comme ça sans bouger mes jambes commencent à fourmiller mon corps s’emballe j’ai chaud je suis excité je bouge dans tous les sens je me sens agité et perclus de micro-douleurs enfantines bègues stridentes et surannées pour me soigner je pense à autre chose bon Dieu je suis excité c’est quoi comment ça tu ne le sais pas ? Si bien sur je sais ce que c’est… Grand impatient va ! – oui – et alors – je ne suis pas là – je ne suis plus là… tu ne m’as pas appelé – je ne t’ai pas entendu – tu ne m’as pas attendu – ta voix !! Où es-tu…

Tu as filé.

Et je suis là… un peu triste… mauvaise journée – non, c’est pas ça – mais c’est un tout – l’impression que rien ne changera – je ne sais pas – je suis fatigué là et je n’ai pas envie de penser.

Il y avait un peu de monde dans les rues. Il faisait vraiment chaud. J’étais assis à la terrasse d’un café.

Un 27 mars

Cherchez le caban ! Cherchez le caban ! Cherchez le caban !
Non. Aujourd’hui Romuald* ne porte pas son caban mais sa veste en cuir. Agneau.
Et aujourd’hui je vais faire ça. Etre doux comme un agneau.
Même avec cette folle qui parle tout fort dans le train, ses cinq centimètres d’épaisseur de fond de teint sur les joues et son air de poupée de porcelaine défraichie.
Même avec Benjamin qui tous les jours de la semaine me demande comment ça va ? et à qui je réponds bien et toi ? et qui me dit invariablement “comme un (jour de la semaine, faites votre choix)”.
Même avec la chinoise du café d’en face qui décidément est vraiment aimable comme une porte de prison.
Par contre, si vous lisez un quotidien sportif, ne me demandez pas d’être gentil, et sortez de mon champs de vision. Ça, je peux pas. (quand je pense qu’on a cru me vanner en me sortant que le PSG était je sais pas quoi, non mais vraiment, ça me fait une belle jambe).

* (tiens, d’ailleurs, comment dit-on ? Romuald ou Romu-Ald ?)

Un 23 mars

Pourquoi faut-il toujours qu’il y ait un trouble-fête dans le même wagon que moi ? Je ne comprends pas, je dois les attirer. Celui-ci était imposant, le genre de type qui prend de l’espace par sa simple présence, et puis, il lisait le Figaro. Bon. Il a le droit. Et au bout de quelques minutes, j’ai trouvé qu’il y avait une odeur bizarre. J’ai un très mauvais odorat; parfois je détecte des odeurs très subtiles mais en général, je suis un peu handicapé de l’odorat, surtout le matin, je ne sens rien pendant une bonne heure après m’être levé. Mais là, ça sentait vraiment bizarre. Un type appuyé sur la vitre d’en face se bouchait carrément le nez. Finalement, j’en ai conclu que ça sentait la merde. Ouais, la merde. Alors j’ai essayé de trouver l’origine de l’odeur et je me suis dit que ça devait être les pages du journal. Après tout, les pages roses du Figaro sont parfaites au cas où l’on manque de papier toilettes, alors je ne me suis pas étonné plus que ça, mais le doute persistait et je me suis demandé si ce n’était pas le type qui puait comme ça. Il avait l’air d’un comptable (et je ne dis pas ça parce que mon père est comptable et que je sais à quoi ressemble un comptable) ou d’un huissier, enfin quelque chose de pas sympa, mais il ne faisait pas du tout propre sur lui, et puis il s’est mis à tousser avec un volume sonore qui m’a soutiré un regard abasourdi. Je n’en revenais pas, on se serait crü à l’opéra… Il m’a détruit les deux tympans… Du sang coulait de mes oreilles… Et puis ça sentait la merde encore plus fort, une infection. J’ai fini par changer de wagon…

J’ai fini ma journée en lisant Ulysse coincé dans mes oreillers et je me suis dit qu’il fallait que j’arrête ça. Joyce me fait l’effet d’un café trop fort. Lui et sa mer d’Irlande, son flot de paroles et ses mots valises m’entortillent les neurones.

Et puis il y avait une voix qui me parlait, sur les lignes, je n’arrivais pas à suivre. J’entendais des mots prononcés pour moi… Je ne voulais pas m’endormir et continuer à les écouter.

Un 21 mars

En sortant du boulot, je passe devant le café d’en face. Il y fait sombre. Seules quelques lumières sont allumées, des appliques en verre dépoli fichées aux murs. Sur les tables, de jolis petits photophores ouvragés diffusent une lumière fantômatique sur les visages de deux filles attablées, devisant avec passion autour d’un verre haut rempli d’un liquide transparent, une rondelle de citron vert comme posée en équilibre sur le rebord. Il fait froid, le vent souffle fort et me fait pleurer. Je me sens envahi par une vague de tristesse en les regardant, sans vraiment savoir pourquoi.

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J’imagine simplement qu’elles doivent être amies et qu’elles se racontent des choses qui ne passionnent qu’elles, mais c’est le principe de l’amitié non ? Etrangement, je ne peux pas regarder leur visage – leurs contours m’échappent – je ne les vois pas vraiment – elles sont comme transparentes – de simples ombres au coeur chaud qui s’animent au son de la discussion… Moi aussi j’aurais aimé m’assoir sur un de ces tabourets hauts plantés au pied du comptoir, avec un ami – une amie – discuter – boire un verre – ou sans rien dire – penser tout haut – sentir du regard et boire encore – sentir l’ivresse monter et se dire qu’on ne va pas rentrer tout de suite – non il fait froid dehors et puis je n’ai pas faim – l’alcool brûle l’estomac – non allez, viens, on ne rentre pas, je ne suis pas fatigué – S’il vous plaît, nous allons fermer – Non attendez, on finit notre verre… Juste une minute – Tu disais quoi ? – Bon allez viens, on va trouver un autre café – j’ai envie de boire un dernier verre – je ne t’ai pas dit ? Il faut que je te raconte ça – derrière les rideaux rouge – pour éviter les courants d’air – assieds-toi – un autre whisky – j’ai mal au crâne – je vais rentrer me coucher – déjà – il fait froid dehors. Il n’y a plus personne dans les rues – ils sont tous rentrés chez eux – et alors ? qu’est-ce que vous vous êtes dit ? – Rien on est rentrés chez nous sans un regard – Il fait froid non ? J’ai les mains douces, mais avec ce froid elles ont tendance à devenir sèches… Regarde – touche – elles sont douces n’est-ce pas ? Le temps passe vite quand on discute comme ça, tu ne trouves pas ? Je ne t’ai pas dit au fait ? – Nous allons fermer, merci – de rien – on y va ? Non attends je n’ai pas envie de rentrer – J’ai envie de boire encore, je ne vois plus mon verre – je ne me sens pas bien – tu peux m’appeler un taxi s’il te plait ? – Allez viens. Non merci. Il est encore tôt, je dois rentrer chez moi. Les lumières se sont tues, les flammèches sont mortes, il fait nuit noire.
Et vous avez parlé de quoi sinon ? De rien, je suis rentré directement, j’étais fatigué. Et puis je ne sais pas, je me sentais las, je n’avais pas envie de parler.
Tu as vu ? Je me suis rasé…

Pulse

Loin d’être calme, je vis chaque moment à toute vitesse, la tête en ébullition… Je n’arrive pas à me concentrer, je carbure au café quinze heures par jour, je commence à m’organiser dans tous les sens, je classe mes affaires, je repère où chaque chose se trouve et je me construis des espaces de rangement strictement virtuels.

En fait, je lis beaucoup de choses, à droite et à gauche, je fais ce qu’il ne faut pas faire, je compare mon écriture à ce qu’ont fait les autres avant moi. Je suis seul dans ce que je fais, je n’ai personne pour me seconder, pas de secrétaire, pas de nègre, je suis tout seul avec mon clavier, mes carnets et mes stylos… Je me rends compte au fur et à mesure que je trouve moi-même les réponses à mes questions sur le fait d’écrire en lisant et relisant ce que j’ai fait dans chacun de mes univers. J’y vois des imbrications, un immense jeu de lego qui se met en place. Et j’adore ça, je suis incroyablement excité (je sais, c’est un peu tout le temps) et je commence à avoir de l’espoir. J’entrevois clairement la possibilité d’écrire plus, mieux, de manière quasiment militaire, et je le fais.

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/02%20-%20Before%20You%20Leave.mp3]

Tu sens les pulsations ? Tu sens comme ça bouge ? Hmmm… Je ne compte plus les fois où je me suis lamenté sur ma paresse et mon manque de volonté, mais tout ça semble être du passé, depuis quelques temps déjà. Je me sens comme un adolescent au purgatoire… Mêmes émois… Aujourd’hui, il est temps de se mettre en route, à l’ancienne, comme au temps où l’on partait sur les routes désertiques avec une grande bagnole avec une seule banquette à l’avant… Un parfum de désert, une traversée des grands espaces que je ne pensais plus possible…

C’est certain qu’Amiens n’est pas le désert, quoique c’est une ville en plein milieu des champs. J’aime me lancer sur cette autoroute A16, alors que le soir est tombé, que le brouillard fin enveloppe la campagne. La vitesse est grisante, il n’y a pas grand monde; je colle mes mains sur le volant, je m’enfonce dans mon siège et j’écrase le champignon pour faire des accélérations spectaculaires qui ne font rire que moi. Le moment de folie passé, je roule tranquillement en regardant l’horizon, en m’imaginant au volant d’une Chevrolet Impala sillonnant le routes de l’Iowa, mais bien vite, je vois des champs de betteraves à perte de vue et je suis au volant d’une 206 qui sent encore l’usine.

Et c’est soudain; c’est le drame. J’ai dû pêcher dans une autre vie, faire beaucoup de mal à des gens très bien, tuer des animaux. Bref, mauvais karma.

Je n’ai même pas parlé des livres que j’ai lu ces derniers temps, ce documentaire bouleversant de John Hersey sur Hiroshima, ce livre divertissant et parfois rude d’Augusten Burroughs, Courir avec des ciseaux, et tous ceux que j’ai entâmé ou entassé sur la tablette qui me sert de table de chevet. J’avais envie de passer à autre chose. Tout à coup, Kerouac, Bukowski, les auteurs japonais, John Fante, mes livres d’architecture, Henry Miller (c’est très californien tout ça), tous ceux qui m’accompagnent d’ordinaire m’ont paru dramatique, trop peu en phase avec la légèreté dont j’avais besoin ces derniers temps. Alors j’ai fait quelque chose que je ne croyais plus possible depuis bien longtemps; lire une oeuvre du XVIIè siècle d’un ecclésiastique britannique. Présentées comme ça, les choses manquent de piquant, c’est certain. J’avais essayé de me plonger dans une matinée d’amour pur de Yukio Mishima (ce nom résonne avec une certaine poésie à mes oreilles, plus que son vrai nom, Kimitake Hiraoka), mais les nouvelles m’ennuient pour le moment. C’est donc avec une certaine joie que je me suis permis de reprendre une lecture qui devait dater d’au moins sept ou huit ans : The Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman de Laurence Sterne, volume 1. C’est un texte étonnant, mais j’en ai encore lu trop peu pour pouvoir disserter dessus. La moitié du livre est consacré aux notes de Guy Jouvet, traducteur génialissime qui a su respecter les caprices typographiques de l’auteur. J’aime ces livres savants qui digressent à l’infini et finissent par nous emporter dans un labyrinthe sans fin de connaissances, un peu à la manière des écrits conjoints de Gilles Deleuze et Felix Guattari. Par exemple, j’ai appris hier soir qu’il existait, selon Ambroise Paré, trois niveaux corporels des esprits, mais évidemment, l’intérêt universel de la chose sur ce blog reste somme toute assez limité. Cette lecture est incroyable, impertinente, drôle, terriblement érudite, annotée de citations de Montaigne, La Bruyère et dirigée par les opinions mêmes du traducteur / commentateur.

Il faudrait aussi se replonger dans un livre que j’ai dévoré autrefois pendant mes études, Principes fondamentaux de l’histoire de l’art : Le problème de l’évolution du style dans l’art moderne de Heinrich Wölfflin. Alors oui, ça parait pédant de placer ça dans une conversation entre le fromage et le dessert, ou alors (et attention, c’est du vécu) au square en rencontrant un couple autrefois ami, poussette et chien en laisse à la clef (Elle dit: je suis désolée, je ne vous invite pas à manger en ce moment, on est plein dans les cartons. Ce que à quoi j’ai répondu intérieurement: “Merci de tout coeur !” Elle reprend: “Mais on peut toujours aller se faire une balade au parc ?” et moi de penser “C’est ça ouais, compte là-dessus, plutôt crever d’une chaude-pisse”), mais au bout du compte, ce livre est très facile à lire et apprend les différences fondamentales entre le style classique et le baroque, dans la courte évolution qui a fait basculer l’un dans l’autre. Non ? Toujours pas convaincu ? Alors on y comprend mieux comment Titien (Bon dieu, il s’appelle Tiziano Vecceli non ? On ne peut pas lui foutre la paix en l’appelant par son vrai nom ?) a révolutionné l’art en son temps. Je n’essaie pas de vous convaincre, je parle en l’air, c’est tout. Et puis lisez aussi Elie Faure et Ernst Gombrich, ça ne peut que faire du bien…

Euh… J’ai parlé du livre de Régis Debray (pauvre homme affublé d’un prénom aussi ridicule, que Dieu pardonne ses parents) Vie et mort de l’¢image. Une histoire du regard en Occident ? Non alors j’en touche deux mots. Ce livre est en fait sa thèse de doctorat, dirigée par François Dagognet, celui-là même qui a fait sa carrière sur les détritus et les sécrétions corporelles (comprenne qui pourra). Et… c’est tout. On ne badine pas avec les grandes oeuvres – avec l’amour non plus.

J’aurais aimé… être… architecte. J’aurais pu si j’avais travaillé.
J’aurais aimé… être… journaliste. Je n’ai jamais essayé.
Et si finalement je devenais écrivain? (dis-je en pouffant).

Ce ne sont pas les choses elles-mêmes qui tourmentent les hommes, mais les opinions qu’ils forment sur les choses.
Epictète, Encheiridion

J’ai une mémoire prodigieuse pour certaines choses, c’est déjà ça non ? Comme chacune des notes de la Marche Funèbre pour la Reine Mary, d’Henry Purcell… – je suis incapable de me souvenir de ce que j’ai fait hier, mais la partition, ça oui, c’est comme si elle était imprimée sur ma rétine – Montez le son, et je vous demande un peu de recueillement pour cette pauvre Mary qui repose par six pieds sous la terre d’Albion – on parle bien de la Reine d’Angleterre, pas du RMS, le paquebot, on est d’accord ?

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Purcell.mp3]

Queen Mary

Comme pour faire contraste avec le superbe portrait de Mary, je pense tout à coup à la grossièreté, dans ce qu’elle a de plus global. A ces mots que je prononce parfois au grand désespoir des gens que je côtoie, à ces textes que je me refuse de censurer parce qu’ils sont ce qu’ils doivent être au moment où je les écris, à toutes ces choses que la morale réprouve. Il me semble qu’on peut tout à fait se gratter les couilles en public, le tout étant de le faire avec élégance. La grossièreté ne trouve de sens que si elle est accompagné de son corrélaire, l’élégance. En disant cela, je pense à la dernière publicité Chanel, pour un rouge à lèvre. On y voit une blonde qui est à mon sens censée représenter le désir, la chair, l’envie, mais le problème c’est que cette poupée donne l’effet totalement opposé. Elle est d’un vulgaire affligeant, on croirait voir un pute fraichement débarquée d’Ukraine, tout ce qu’il y a de plus vulgaire et de repoussant chez la pétasse de luxe. Alors oui, je préfère me gratter les couilles en public avec mon charme habituel plutôt que de subir les charmes éventés d’une catin du port de Hambourg essayant de provoquer en moi des émois sexuels en trémoussant son cul enturbanné avec des lèvres qui me rappellent une danseuse de peep-show dans une rue commerçante de Copenhague (les voyages forment la jeunesse parait-il). Où se trouve la grossièreté ? Dans les mots de Bukowski ou dans les images surfaites d’une publicité pour un rouge à lèvres ? Ou encore dans les mots de cette épitaphe qui ornera ma tombe ?…

Je vous emmerde… Et vous me le rendez bien.

Ceci ne s’adresse pas forcément qu’aux lecteurs du Parisien (bon dieu que ce journal est minable, l’expression même de la vulgarité – encore – d’un certain lectorat)… Je suis de retour, c’est indiscutable (pas de fausse modestie), avec mes stylos Pilot Tech-Point V7, mon envie de crustacés, mes mains et mes doigts dans lesquels on peut voir, selon la lumière, soit la main câleuse du scribe ou la main délicate de l’intellectuel – merde, ce ne sont que des mains après tout – et puis mon irrésistible envie d’être tout pour quelqu’un. Dans ma réclusion, je souffre de la solitude de celui qui désormais ne va faire qu’attendre. Et Dieu sait que je peux être patient pour ce genre de chose, même si ça me ronge les chairs.

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Bee%20Gees%20-%20Saturday%20Night%20Fever%20-%20Disco%20Inferno.mp3]

Je vais ressortir mes pinceaux, mes carnets et je vais me remettre à peindre avec cette technique si particulière qui consiste à peindre avec du thé. Avec ce soleil, quelques idées en tête, je rêve de navires et de marées lointaines…

Repartir vers le large…

Et maintenant ?

Après une journée harassante, pour se délasser en compagnie d’un café serré juste avant d’aller se coucher, des notes bleues légères comme l’air, fermez les yeux et je vous emmène au pays des cuivres…

1958, Miles Davis et John Coltrane… On se demande bien ce qui est peut être fait de mieux…