Koyaanisqatsi

Autant commencer par le début. Ce soir, j’entre dans ma bulle, les pieds en l’air sur le canapé, j’ai failli m’endormir sur Rilke ; sur les Lettres. Du jour harassant à la pensée néantisée le pas se franchit facilement. J’ai pris de quoi boire un peu — je bois j’ai très soif en ce moment — calfeutré sous mon silence les oreilles encore dévoilées mais non et les dents lavées — sous la couette et ici plusieurs lieux ; des grands noms s’affichent là ; Francis Ford Coppola, Philip Glass et en tout une réalisation pour une trilogie étalée sur 25 ans.
Koyaanisqatsi, premier volet de la trilogie des Qatsi.

koyaanisqatsi

Des mots ici pour l’histoire, la petite et la grande.
Pour information, toutes les vidéos des Qatsi sont téléchargeables gratuitement sur Google Vidéo.

Regarder les baleines

Être avec ceux qui passent six mois de l’année à compter les baleines au loin. A Palos Verdes, un soir d’été sur la jetée face à cet Océan qu’on dit Pacifique malgré tous les dangers qui en émanent.
J’aurais aimé pouvoir faire ça ce soir en sortant du travail. On se moquait de moi quand je disais que le jour où je vivrais au bord de l’Océan — celui-ci ou celui-là — en sortant du travail, je pourrais me rendre sur la plage et regarder l’Océan, l’hiver ou l’été. On me disait « Tu verras, tu n’en feras rien et tu seras comme les autres, tu n’iras plus. » On se moquait de moi, et on aura encore certainement l’occasion de le faire. So what ?
Ce soir, la pluie tombait lourde au sortir du bâtiment de la rue Anatole France sur les cheveux en bataille de m’être posé trop longtemps la question de savoir si ces chiffres en valaient la peine, à la retourner dans tous les sens, et puis finalement je me suis mis à penser à tout autre chose. J’ai lâché mon clavier. Il était tard et j’avais la sensation d’être seul sur le plateau. A 20h00, ce sont des choses qui arrivent. Le calme perceptible d’une soirée d’averses.

palos-verdesPhoto © Palos Verdes Blog

Mais dans le train, tout l’exotisme iodé de la côte ouest des Etats-Unis s’est trouvé balayé par la vue de la Seine sous un soleil de pluie, une palette de gris mâtiné de jaune doré dans une trouée nuageuse. A côté de moi un japonais avait enlevé ses chaussures et a posé ses chaussettes de tennis encore un peu blanches sur la banquette face à lui ; je pense qu’il énervait tout le monde à feuilleter son livre très vite et très bruyamment et surtout, je crois que l’odeur, c’était lui. Dans le tunnel, un type faisait la manche ; il m’a fait sourire lorsqu’il a dit qu’il risquait de se prendre la sauce en sortant et que ça l’ennuyait parce qu’il avait un dîner en ville ce soir. On s’est souri mutuellement et je lui ai donné une pièce ; j’aurais aimé lui donner plus, mais il avait l’air heureux comme ça, alors tant mieux.
J’ai continué mon trajet avec Darko dans les oreilles, avec Malcolm Lowry sur les genoux — j’ai repris sa lecture ce soir après avoir terminé Keret. Lowry parle de l’Océan comme personne. J’ai du mal à imaginer comment un type qui buvait autant peut parler comme ça de l’eau de la mer.
J’aurais aimé parler avec elle qui était là et qui n’avait pas le temps. Le mystère m’irrite parfois. Impatient à l’extrême.
Aujourd’hui était une journée pour moi, une journée belle et fluide. Une journée pour une peau inconnue.

Les livres d'un jour

Il y a des livres comme ça qu’on a envie de lire en une seule journée, dans un moment de solitude. Je regarde autour de moi dans mon appartement et je me demande si mon oppression serait moins grande dans plus petit. La question parait saugrenue, mais depuis ce matin, elle me taraude.
Sur mon étagère, il y a les lettres à un jeune poète de Rainer-Maria Rilke. Il me semble que c’est Michèle qui m’avait offert ce livre — je ne l’aurais pas acheté je pense — que je n’ai encore jamais lu. Aujourd’hui, c’est ce que j’ai envie de faire ; lire tous ces gens que par mépris, dédain, manque d’envie, paresse intellectuelle, je n’ai jamais osé lire ; Proust, Dumas, Chateaubriand, Rilke, Goethe peut-être (y a-t-il simplement un intérêt à lire Goethe ?). Les classiques m’intriguent. Hermann Ungar me regarde du coin de l’œil de Gustav Klimt. Proust me nargue terriblement. Et puis il y a tous les autres, les contemporains, les Selby Jr, Bukowski et autres DeLillo.

rainer_maria_rilke

Paris, le 17 février 1903

Confessez-vous à vous-même : mourriez-vous s’il vous était défendu d’écrire ? Ceci surtout: demandez-vous à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : « Suis-je vraiment contraint d’écrire ? » Creusez en vous-même vers la plus profonde réponse. Si cette réponse est affirmative, si vos pouvez faire front à une aussi grave question par un fort et simple :  « Je dois », alors construisez votre vie selon cette nécessité.

Lettres à un jeune poète, Rainer-Maria Rilke
Les cahiers rouges, Grasset.
Traduit en 1937 par Bernard Grasset.

Le pier de Vincent

Ai peint encore une étude sur la plage. Il y a quelques digues de mer, ou môles, —piers, jetées, — il y en a même d’excellents, faits de pierres rongées par le temps et de branches entrelacées. Je me suis installé sur l’un d’eux pour peindre la marée montante, jusqu’à ce qu’elle fût venue si près de moi que j’ai dû sauver tout mon fourbi. Et puis, il y a là entre le village et la mer des arbustes d’un vert foncé bronzâtre, ébouriffés par le vent du large et si réels que plusieurs d’entre eux vous font penser : mais ! c’est le Buisson même de Ruysdaël. Le tram à vapeur vous y mène à présent, on peut donc y arriver même quand on a des bagages ou quand on a des études encore fraîches à ramener.

Manhattan Beach PierPhoto © Szeke

Il faut non seulement remonter de dix, mais de trente ou même de quarante et de cinquante années en arrière, pour retrouver la période où l’on se mit à peindre les dunes, etc…, dans leur aspect véritable. En ces temps-là, les choses étaient plus ruysdaëliennes qu’à présent.
Si l’on veut voir une chose qui évoque l’atmosphère d’un Daubigny, d’un Corot, on doit aller plus loin, là où le terrain est quasiment vierge de pas de baigneurs, etc…
Scheveningue est sans contredit très beau, mais il y a longtemps que la nature n’y est plus vierge ; mais cette virginité de la nature, je l’ai trouvée par extraordinaire au cours de l’excursion dont je t’ai parlé.
Voici à peu près comment était ce « pier » (jetée).
Rarement le silence, la nature seule m’a parlé comme cela, dans ces derniers temps.

Lettre n°307 écrite de La Haye entre décembre 1881 et septembre 1883,
extraite de Lettres à son frère Théo de Vincent Van Gogh,
Les cahiers rouges, Grasset.

You see what I mean – Gaspillage

Tu sais, j’ai essayé une fois, parce que ça faisait longtemps que je me disais qu’il fallait que ça se termine comme ça. Plus je me regardais dans le miroir, plus je me disais que ce n’était plus possible, que ce n’était plus moi et que j’en avais marre de trop prendre sur moi. Je m’imaginais dans 20 ans, toujours au même endroit, toujours là alors que les autres ne faisaient qu’avancer, et moi non… Insupportable.
J’ai fait mon sac, quelques affaires, et j’ai utilisé le peu d’argent que j’avais pour prendre un billet d’avion, grandes distances, première destination, c’était New Delhi. Il fallait que ça cesse. Trop de gaspillage depuis trop longtemps.
Et maintenant ? Ben maintenant, je me sens en vie… Continue reading “You see what I mean – Gaspillage”