La merveilleuse histoire du général Johann August Suter (L'Or, Blaise Cendrars)

Burnished GoldPhoto © Rexton

Je copie le chapitre suivant dans un gros cahier à couverture en parchemin qui porte des traces de feu. L’encre a pâli, le papier a jauni, l’orthographe est peu sûre, l’écriture, pleine de paragraphes et de queues compliquées, est difficile à déchiffrer, la langue est pleine d’idiotismes, de termes de dialecte bâlois, d’amerenglish. Si la main, d’une gaucherie attendrissante, a souvent hésité, le récit suit son cours, simplement, bêtement. L’homme qui la trace n’a pas une plainte. Il se borne à raconter les événements, à énumérer les faits tels qu’ils se sont passés. Il reste toujours en deçà de la réalité.

Lire les classiques de la littérature n’a jamais été mon fort et même si plusieurs fois, j’ai vu passer sur des listes de lecture le nom très court de ce roman de Blaise Cendrars, L’Or, je n’avais jamais franchi le pas, reléguant le célèbre manchot aux rayons poussiéreux des bibliothèques, à tort. Continue reading “La merveilleuse histoire du général Johann August Suter (L'Or, Blaise Cendrars)”

Votre style à l'enjouement trop forcé finit par agacer (idées cadeaux pour le réveillon de Noël)

Photo © Kevin Dooley

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Le réveillon de Noël est l’occasion rêvée pour sortir ses plus beaux atours de leur gangue de plastique à la vague odeur de naphtaline pour aller diner en ville.
Vous avez certainement déjà reçu votre carton d’invitation pour aller réveillonner rue du Faubourg Saint-Honoré chez une cousine éloignée qui a fait fortune dans la vente de foulards de luxe, et comble d’orgueil, elle a tenu à inviter toute la petite famille, et même la grande, dans son triplex de deux cents mètres carrés. Le soir arrivé, vous avez l’intention de briller, de montrer une fois de plus que vous avez progressé cette année encore et que vos cours de culture générale par correspondance n’ont pas été vains.
Le grand soir arrive, et, les bras chargés de sacs que le Père Noël a pris soin de remplir à votre place – les grands magasins à cette période-là de l’année sont bondés et vous ne vous y retrouvez jamais – vous montez l’escalier recouvert d’une moelleuse moquette rouge. Accueilli par l’hôtesse accorte – diantre, ces années d’opulence l’ont desservie – vous passez dans le salon et vous retrouvez le cousin Marcel, qui lui, par contre, n’a pas changé depuis la dernière fois que vous l’avez vu – toujours aussi mal coiffé et l’haleine d’un boyard noyé dans le purin, le malotru tient absolument à vous embrasser comme il le faisait jadis lorsque vous alliez le visiter à Pâques dans son Vercors natal.
C’est bien joli toutes ces retrouvailles, mais ça ne fait pas avancer le schmilblick et pendant ce temps, la dinde rosit patiemment, enroulée dans son collier de marrons. Une coupette (ne dit-on pas une flûte ? – oui ce soir, vous avez décidé de verser dans le raffinement un tantinet pédant) de Champagne à la main, l’atmosphère se détend doucement – certaines personnes qui sont ici revêtent le caractère de l’inconnu – les années sont passées tellement vite et la vie dans la capitale vous a rendu – disons les mots – un peu concon sur les bords.

Tout le monde le sait, avec la famille et les amis, mieux vaut éviter les discussions dirigées sur la politique, la religion et l’argent – on réservera ces vastes notions pour les joutes verbales avec des inconnus dans des bars mal fréquentés – mais en revanche, rien n’empêche de parler de sexe et d’argent – bien que cela ne soit pas de mise un soir de Noël, vous n’avez pas été invité à une partie de poker entre potes de l’armée, alors rangez cela. Ne reste plus que les travaux de réfection de la cheminée de l’oncle Lucien qui attend encore le maçon et les jérémiades de Juliette qui ne s’en sort pas des défauts de conception de sa cuisine aménagée.
Tout ceci est d’une tristesse à mourir. Vous qui depuis votre installation dans les beaux quartiers tentez d’élever les débats auxquels vous participez, vous voilà dans l’embarras.

Ce que je vous propose, ce sont quelques sujets de discussion qui pourront fort bien alimenter vos soirées, tels de succulents rochers en chocolat pendant une soirée chez l’ambassadeur(drice). Sans vouloir flatuler plus haut que mon postérieur, voici des idées – cadeaux – qui feront mouche à tous les coups.

Entre les canapés tartinés de foie gras bien ferme et la bouteille de Sauternes qui descend bien trop vite à votre goût, osez la canaillerie, tentez le Père Noël, ça marche à tous les coups.

Est-ce que le Père Noël ne serait pas finalement qu’une image patriarcale déficitaire ??

Vous avez surpris tout le monde. Marcel et son haleine de chanteur de l’Armée Rouge vous regarde d’un air suspicieux et se demande si vous n’êtes pas devenu gay. Pour le coup, on entend les mâchoires terminer leur travail de mastication et vous attendez que tout le monde ait bien dégluti pour jauger les réactions.

Rien ne vient ? C’est normal car en fait, ils se demandent si vous n’êtes pas saoul, mais vous n’en êtes qu’à deux coupes de Champagne et votre esprit est encore aiguisé. Afin de relancer le débat, vous expliquez tout de même que vous ne connaissez pas de femme dans l’entourage proche du Bonhomme Noël de par l’iconographie classique et que vous vous demandez si finalement il n’aurait pas été victime d’une déchéance de ses droits parentaux. Montrer une telle image à des enfants en plein épanouissement social n’est peut-être pas très habile dans le processus de leur éducation.
Toujours rien ?
N’embrayez surtout pas sur le petit Jésus et la crèche, on vous a déjà prévenu qu’aborder la Religion, même sous cet aspect, était pour le moins risqué. Tante Jacqueline est très soupe-au-lait et menace déjà de quitter la table en sanglotant. Le Père Noël est une réminiscence païenne certes, mais ne lui rappelez-pas ce souvenir douloureux.
Partons sur autre chose. Nous avons fait le tour tout à l’heure des sujets à ne pas aborder. Celui qui ne risque rien, c’est la philosophie. Voici un domaine qui même s’il souffre de querelles d’écoles, risque facilement de recueillir l’unanimité. Choisissez bien votre notion, car dites-vous que le destin de cette soirée faste est entre vos mains. Aborder la métaphysique ou le principe de non-contradiction serait littéralement suicidaire et vous risqueriez d’entendre les douze coups de minuit depuis le trottoir d’en face, sous une pluie battante et glacée.
Prenez plutôt un thème passe-partout… Le désir. Déclamez ainsi ces mots:

Nous ne sommes en quête du plaisir que lorsque nous souffrons de son absence. Or maintenant nous ne sommes plus dans le manque du plaisir.

Dites bien que vous n’en êtes pas l’auteur, mais que c’est Epicure qui a commis cela. Et comme Marcel ne veut pas être en reste – malgré ses remontées gastriques – , si tout se déroule selon vos plans, il déclamera ces mots de Sartre, pour faire bonne mesure:

Le désir est une conduite d’envoûtement. Il s’agit, puisque je ne puis saisir l’Autre que dans sa facticité objective, de faire engluer sa liberté dans cette facticité : il faut faire qu’elle y soit blablabla…

Dans une telle assemblée, il y a toujours quelqu’un pour évoquer, ou invoquer Schopenhauer, qui se trouvera fort aise de tout ce galimatias. Décidément, Marcel n’est plus aussi drôle que dans vos souvenirs d’enfant et il se demande si Sartre, l’auteur de cette assertion, n’était pas le nom de famille de ce type qui était invité l’autre jour dans la méthode Cauet.
Je vous sens désespéré, au comble de la déprime, poussé dans vos derniers retranchements par la mauvaise volonté que votre famille met à apporter un peu de piquant à cette soirée scintillante. Votre coupe de Champagne est vide et vous ne savez plus vers qui vous tourner, vous vous sentez chancelant car vous ne pouvez plus rien faire et votre image de hâbleur vient d’en prendre un sacré coup derrière les oreilles.

Heureusement, Marcel n’a rien perdu de son esprit fêtard et il a pensé – contrairement à vous, piètre noceur – à amener avec lui l’arme fatale en toute circonstance : la bouteille de Champagne explosive qui libère trente kilos de confettis sur plus de 10m² – sur la notice est inscrite la mention “nettoyer la pièce après usage”. Grâce à l’inénarrable ustensile, Marcel surpris en flagrant délit de flagornerie, l’ambiance revient au beau fixe et les visages reprennent leurs couleurs cramoisies et disons-le franchement, vous passez désormais pour celui qui souhaitait de tout coeur plomber la soirée.

Une rumeur gronde au fond de la pièce, Marcel est aussi pâle qu’une paire de fesses, se tient le ventre comme si quelque chose n’allait pas et finit par vomir le foie gras et les huîtres – chacun ira de son hypothèse hasardeuse sur le contenu stomacal – sur le tapis afghan de la cousine éloignée, au mépris de la serviette que lui tendait Jacqueline, qui avait vu le coup venir et espérant opérer une soudaine transmutation du morceau de tissu en sac à vomi. Pendant que se déroule cette scène d’horreur, Rufy, le bichon frisé d’Odette, a entamé la séance d’ouverture des cadeaux sans attendre le coup de feu. Quel cabot ce Rufy…

Sacré Marcel, quel boute-en-train ! Finalement, il aura eu raison de la famille et le rendez-vous pris pour l’année prochaine n’est plus désormais qu’une lointaine chimère, à votre grand soulagement. Votre opus des œuvres complètes de Stevenson dans la poche, vous quittez le somptueux appartement sous la pluie froide en vous disant que rien ne vaut une balade à Paris un soir d’hiver et que les citations c’est bien joli, mais ça ne nourrit pas son homme, ni même les réveillons…

Christmas Tree

Note de bas de page: je n’écrirai certainement rien d’autre avant Noël, ni même avant l’année prochaine, alors pour une fois, faisons simple et concis.
Je vous souhaite à tous un excellent Noël et de joyeuses fêtes de fin d’année.

Unravel

Trois versions vidéo d’une même chanson (la meilleure est à mon sens celle qu’elle chante au son du clavecin), une chanson mythique qui donne la chair de poule et qui me plonge dans l’ambiance froide et bleutée d’un pays aux traditions millénaires – Björk utilise les mêmes techniques vocales que ses ancêtres chanteurs de sagas – , issue de l’album Homogenic (1997).
Rien à faire, des années après, j’ai toujours la même sensation à l’écoute du voile sucrée de ce petit bout de femme passionnée, les mêmes images, les mêmes souvenirs, la même nostalgie. Continue reading “Unravel”

Valeria

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C’est étrange parfois. Le hasard des rencontres, la beauté funeste de la symétrie des êtres, la coïncidence heureuse ou hasardeuse… Moi qui croyais au destin, moi qui pensais que lorsque tout concorde à faire se rencontrer les âmes qui se veulent, je me suis rendu compte que la métaphysique n’était pas pour moi. Woody Allen disait:

Je me suis fait recaler à l’examen de métaphysique : j’avais copié dans l’âme de mon voisin.

Valeria

Et puis, je ne sais pas, j’avais envie de ça depuis longtemps. Je voulais parler de Valeria Bruni-Tedeschi parce que c’est une femme que j’aime beaucoup. Pas au point d’être à l’affût de sa carrière mais depuis le film Une femme pour moi (“la chaleur, ça fait vraiment faire n’importe quoi”), je pense à elle, à son visage et à son étrangeté, à cette façon qu’elle a de changer et de ne montrer que ce qu’elle veut.

Lettres sauvages C-15

Il y a quelques temps, je l’ai redécouverte dans Télérama, avec un visage de femme différent, peut-être la marque du temps qui fait son office, doucement, mais qui la rend incroyablement belle, d’une beauté sauvage et sensuelle. Je regarde ces photos, je regarde ces photos, je regarde ces photos… Elle a dix ans de plus que moi.

Valeria

Ça me dérange un peu de parler d’elle tandis que sa soeur, la beauté lisse, froide et creuse – l’archétype même de la beauté qui me laisse de marbre – fait la une des tabloïds parce qu’elle se tape le nain le plus célèbre de France, et puis en fait, il semblerait que je n’ai pas grand-chose à en dire. Juste quelques mots pour dire que je le voue une vénération sans nom.

Elle est incroyablement belle et je ne sais pas comment le dire. Peut-être comme ça…

Motrice n°16019

La plateforme était envahie du bruit monotone et régulier des roues métalliques sur les rails à grande vitesse – seul – la tête posée contre la vitre qui tremblait – je regardais les tampons exercer leur travail sous la pression du wagon contre la motrice, l’attelage qui grinçait sous le coup de la vitesse – sur les côtés et sous moi le paysage et le ballast défilaient à vive allure me donnant le vertige et exerçant sur mon regard la fascination des instants que je ne peux partager avec personne – en ce moment, toute mon émotion passe par le regard et la vue seule me procure le trop-plein de sensations dont j’ai besoin.

Voyage

Je me mets à rêver des Voyages de Raymond Depardon (éditions Hazan), un livre de photos qui se lit comme un roman – même avec peu de textes – laconiques, jetés là comme pour faire bonne mesure.
L’Afrique au quotidien en tête de livre.
Mon regard vagabonde sur les éclairs laissées comme une route lumineuse par le pantographe sur le caténaire.

Voyage

Je saute quelques pages pour retrouver ces photos d’une femme qu’il a aimé, une femme aux cheveux courts, au visage lisse et fermé. Elle me rappelle quelqu’un – à moins que ce soit moi qui cherche absolument à trouver une ressemblance.

Voyage

Des photos au grain parfait, sensuel, des photos humaines où le cadrage parfait n’est parfois pas tout à fait droit – l’inclusion d’un peu d’humanité de l’autre côté de l’objectif.
Le train continue sa course en cahotant – mon regard reste fixé sur ces numéros peints en blanc sur la tôle rouge vif : 16019.

Café Madeleine

Vitrine

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J’aime beaucoup cette photo que j’ai prise l’année dernière, à peu près à la même époque. C’était une belle journée d’hiver ensoleillée, une journée tendre et froide pendant laquelle je suis monté au tout dernier étage d’un grand magasin pour admirer les toits parisiens et les reflets argentés des vitres, les tons opaques des toits en zinc et tout en bas la foule grouillante et bruyante.
Pour moi, cette photo c’est Paris. C’est Paris tel que je l’aime, capitale du luxe aux rues illuminées, le Paris que j’aime de plus en plus. Cette photo, je l’ai prise aux abords d’un magasin luxueux de la rue Tronchet, aux environs de la Madeleine, à deux pas des Grands Magasins. On y voit le reflet (je m’en suis rendu compte aujourd’hui) du Café Madeleine qui se trouve juste en face. Ce que j’aime aussi, c’est que pendant que je prenais la photo, j’avais l’impression qu’elle me regardait et que c’était pour moi qu’elle prenait la pose. Une certaine vision de l’hiver…

Grands Magasins de Paris

Grands Magasins de Paris

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Métonymie hivernale

Fougères de givre

L’hiver m’inspire, il me délivre d’un poids, il me fait passer pour le contraire d’un ours et me révèle dans ce rejet de l’hibernation dans un savoureux mélange d’odeurs subtiles. L’hiver me fait revivre.
J’ai passé ces derniers jours dans une torpeur noire parce que j’étais malade, je me suis retrouvé pendant plus d’une semaine enfermé entre les murs de mon esprit, mon audition étant pratiquement réduite à néant, des jours et des jours passés dans un monde du silence, coupé du monde extérieur et terrifié à l’idée que mon esprit n’arrivait plus à fonctionner à son rythme de croisière. J’ai senti l’inertie me frôler, m’envahir doucement, me frigorifier tendrement, et c’est alors que je me suis repris en main parce que je sentais mon coeur s’arrêter. J’ai vécu des moments durs pour diverses raisons que je n’ai pas envie d’évoquer.
Je n’ai pas envie non plus de dire tout ce que ça implique pour moi.
A présent, l’esprit de Noël est là, il a commencé à nous envahir, même si cette année la fête n’aura pas la saveur sucrée des autres années. Et à ce propos, voici de quoi s’en imprégner un peu avec cette chanson extraite de la première version du Grinch de Dr Seuss. Le chanteur s’appelle Thurl Ravenscroft. C’est une voix profonde et puissante qui a traversé l’âge d’or du cinéma hollywoodien ainsi que de nombreux films d’animation Disney. Un aperçu de son timbre sur Beware of the Blog.

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Grinch.mp3]

Spumescence

Bien. En fait, je crois que ça se voit, c’est suffisamment manifeste pour ne pas être dit explicitement, mais il faut que je l’avoue.
Je suis en train de faire une pause, parce que c’est comme ça, pas de raison à donner, juste un mot pour vous dire que je n’ai pas envie d’écrire.
Parce que l’écume est souvent stérile.
Retour prévu un jour de beau temps.