Cette ville a tout de l’ancienne cité opulente, fortement imprégnée par la présence des religieux. A deux pas de Paimpol, et au confluent des rias du Jaudy et du Guindy, Tréguier surplombe fièrement un bras de mer de ses bâtisses sombres et austères. Ceux qui arrivent ici en hiver sont rebutés par l’atmosphère suintante d’humidité et par le caractère sévère des façades d’anciens bâtiments. Ancien évêché, la cathédrale impose sa masse et sa hauteur sur une place qui offre au regard de multiples facettes. Je suis tombé en pâmoison face à ces ruelles sombres, à ces maisons à colombages et l’atmosphère unique qui y règne. J’en avais déjà parlé et je ne me lasserai jamais d’en parler. Quelques photos des visages de Tréguier.
Flesh like marble
Du côté du marché Saint-Pierre, lorsque finalement j’ai réussi à abandonner ma voiture sur le boulevard Rochechouard (ce qui relève de la performance un samedi), je me suis dit qu’il faudrait un jour faire un choix dans cette ville impossible qu’est Paris. Les piétons et les voitures ne peuvent pas cohabiter plus longtemps. Je me souviens d’un temps où marcher à Paris était encore agréable. Que l’on soit d’un côté ou de l’autre, la situation est impossible. Le piéton maugrée car la voiture ne laisse pas les priorités et se comporte comme un phacochère au milieu des flamands roses (la métaphore peut paraître audacieuse, car le piéton ressemble lui aussi souvent à un phacochère, mais il est susceptible). De son côté, l’automobiliste est furieux car lorsqu’un piéton s’engage, il rameute avec lui ses fâcheux congénères et lorsque le troupeau a fini sa course, le feu est passé au rouge.
J’ai fait la bêtise de prendre ma voiture et cette fois-ci, je décide qu’on ne m’y reprendra plus. Terminé. Il va falloir un jour se décider à interdire les voitures à Paris. Tout est à gagner, les piétons seront plus libres de circuler et n’énerveront plus les automobilistes, certains quartiers étant complètement saturés par les deux populations. C’est sans compter les innombrables petites ruelles où les trottoirs sont quasiment inexistants. Bref, je comprends pourquoi je n’aimais pas aller à Paris en voiture, mais ce temps est désormais révolu. Paris se fera désormais à pied.
Ce quartier est vraiment particulier et il me rappelle mon enfance lorsque ma grand-mère m’emmenait chez Reine, chez Dreyfus ou chez Moline, le trio de choc, indéfectibles icônes des acheteurs compulsifs de tissus et autres passementeries. J’aime les gens qui flânent ici, l’air détaché du touriste de passage ou concentré de celui qui fait vraiment ses courses, j’aime ces japonaises qui rient à pleines dents et ces femmes aux cheveux de jais, aux yeux sombres, ces hommes avec leurs mètres en bois qui passent leurs journées à découper du tissu et à distribuer des notes griffonnées sur des petits calepins ressemblant à des billets de tombola, j’aime ces gens qui s’engouffrent par les portes battantes, qui montent et descendent les escaliers, tâtent les tissus, déroulent des mètres de lainages, s’étonnent de la qualité des tissus ou au contraire de leur incroyable côté kitsch.
Un peu plus tard, en partant, j’emprunte la rue Caulaincourt et je passe sur le cimetière de Montmartre, un lieu au charme fou. La rue Caulaincourt a elle-même beaucoup de charme, avec ses épaisses frondaisons. Lorsque le soir commence à tomber, il y fait sombre tout de suite et tout au long de la rue au pied du Sacré-Coeur et jusqu’à la rue Custine, une ambiance de vieux Paris règne, même si les magasins sont désormais très bobo.
Dimanche, c’est dans un autre quartier que je suis allé. Descente à Rambuteau, j’ai descendu la rue de Bretagne qui n’a rien de très sympatique, si ce n’est lorsqu’on arrive devant une grande batisse fraîchement rénové. Sur le trottoir d’en face, on découvre entre deux boutiques, l’entrée d’un marché au nom étrange: le marché des Enfants Rouges. Lorsque nous passons, les gens de la voirie nettoient à grands coups de jets des monceaux de papiers et de fruits pourris, faisant monter une odeur de poisson et d’eau de javel pas très agréable. Dans les parages se trouve une vitrine qui attire mon attention. Ici, on ne vent rien, on entrepose simplement des mannequins…
La rue vieille du temple, un peu plus loin, descend vers l’Hôtel de Ville et se rétrécit au fur et à mesure. Nous marchons un peu pour aller à notre destination. Ici, la population est beaucoup plus bigarrée qu’à Montmartre, mais tout ici semble surfait, fortement marqué par un argent facile et absolument hautain. Les gens ici ne sont pas sympathiques et portent sur leurs visages la marque de l’appartenance à une tribu dont peu de gens font partie. Pourtant, ceci n’arrive pas à gâcher l’ambiance particulière de ces rues étroites. C’est étrange.
Nous allons chez Muji, un magasin très tendance proposant des objets au design épuré, mais pas forcément très pertinent dans le choix des objets. Ce qui n’est pas cher est très gadget et ce qui est cher est souvent trop cher pour ce que c’est. Sinon, c’est toujours agréable d’aller y faire un tour, même si l’agencement des deux magasins n’est absolument pas zen et engendre des confrontations inutiles. Ne supportant plus la chaleur et le monde, je sors avec mon fils, qui ne se prive pas pour interpeler les passants et faire son clown. Il a du mal à tenir en place, mais il est tellement mignon.
Il a froid aux mains et sa mère tire les manches de son pull pour les lui protéger, mais cela ne l’empêche pas de prendre son goüter sur le banc d’un parc, ni même de faire une glissade sur le toboggan. Ce petit garnement est tellement irrésistible qu’il arrive même à se faire payer un pot de glace à la vanille par le serveur du Starbucks de la rue des Archives. Entre nos doigts, la chaleur du moka apporte un peu de réconfort et surtout un irrésistible goüt de chocolat blanc et de cannelle.
Sur le chemin du retour, dans la chaleur du métro, le petit zouzou commence à s’éteindre, et sur le chemin entre la station et la voiture, il marche doucement à mes côtés. Arrivé devant la voiture, je lui enlève son imperméable, mais je m’aperçois qu’il a déjà les yeux fermés et dort debout. Son sommeil se poursuivra jusqu’à la maison, sur le canapé. Finalement, ça cartoone aura raison de son sommeil, il ne quittera pas le canapé et sa position allongée pour regarder les dessins animés, alors que dans la maison flotte une odeur de soupe à l’oseille qui me transporte des années en arrière. Cette ambiance de dimanche soir constitue un des moments préférés de ma semaine, rien n’y est comme les autres jours, les lumières basses, les esprits reposés et les odeurs mettent ces instants entre parenthèses.
Rory Gallagher living in the past…
Sans rougir, j’exhibe parfois la photo de mon permis de conduire, sur laquelle j’arbore une crinière très longue. C’est un des seuls reliquats d’une époque révolue où je m’étais bati un style particulier, tandis que d’autres arboraient blousons noirs, chaînes en tout genre et autres objets métalliques pour ou moins satanistes. Ce style que je portais était à mi-chemin entre le style rustique des pires babas et un style rock’n’roll classique, bottes en daim, blouson en jean et peau de mouton et chemises à fleur à l’appui. C’est à cette époque que je suis tombé en pâmoison devant Rory Gallagher…
A cette époque là, tandis que certains s’énervaient sur les rifs acérés et entendus de Metallica ou Motorhead, j’avais choisi une autre voie, assez déconcertante pour certains. Dans mes oreilles, les groupes Deep Purple, Uriah Heep, Lynyrd Skynyrd (dont la moitié du groupe a tragiquement disparu dans un crash d’avion), mais aussi et surtout Jethro Tull (porté par le fabuleux Ian Anderson, flûte à bec, voic rocailleuse et cache-poussière crasseux) et des gens de la terre comme Stevie Ray Vaughan (également disparu dans un crash d’hélicoptère), Albert King, John Mayall (celui sans qui Clapton ne serait rien, et son mystérieux Blues from Laurel Canyon)…
C’est à ce moment-là que j’ai découvert Rory Gallagher… Un irlandais hirsute à la bouille d’enfant. Je l’ai découvert presque par hasard alors qu’en fin de carrière il venait de sortir un album fabuleux, Fresh Evidence
, influencé par le blues de la Nouvelle-Orléans et notemment Clifton Chenier, un accordéoniste, chantre du style Zydeco (haricot en français cajun)… Sur cet album également un fabuleux The loop
instrumental et endiablé et deux autres titres, Kid Gloves et Empire State Express. Ses deux albums très rock Photo Finish
et Calling Card
sont également des bijoux, mais si vous voulez poursuivre, vous pourrez également écouter un des meilleurs live du bonhomme, Irish tour 74
.
J’ai eu l’insigne honneur de me trouver à ses pieds, par une froide journée de décembre 1994, alors qu’il donnait à l’Olympia son dernier concert parisien et peut-être son dernier concert tout court. Particulièrement en forme de jour là, certes un peu vieilli, j’ai passé trois heures magiques, inoubliables. Il est décédé en 1995 des suites d’un rejet de greffe du foie. Personne comme lui ne savait jouer des harmoniques… Personne comme lui n’avait une voix si étrange et gouailleuse portée par un terrible accent irlandais…
Après le tremblement de terre – Haruki Murakami
Six histoires, six destins liés entre eux par le fait que le tremblement de terre de Kobe de 1995 est passé sur la vie de ces six personnages. Un livre poignant sans être fataliste, une description minutieuse des séismes intérieurs…
Depuis la lecture de ce livre, je me suis plongé à corps perdu dans l’oeuvre de Murakami, auteur rare, d’une sensibilité à fleur de peau, il est de ces gens qui vous terrifient par leur vision du monde absolutiste. Dans ce livre, on découvre six histoires très personnelles dans un Japon en état de choc post-traumatique. Les ombres du passé ressurgissent et taraudent nos héros, ou plutôt doit-on dire nos anti-héros, car ces gens sont vous et moi, des gens du quotidien, notre voisin ou notre ami, tous ces gens qui gravitent autour de nous et recèlent en eux une part d’ombre délicate et violente. Un charme et une pudeur toute japonaise se dégagent de ces quelques pages précieuses.
– Elle dit qu’il y a une pierre au fond de votre corps. Un pierre blanche et dure. De la taille d’un poing d’enfant. Elle ne sait pas d’où elle vient.
– Une pierre ? répéta Satsuki.
– Il y a des caractères inscrits dessus, mais comme c’est en Japonais, elle ne peut pas les déchiffrer. Il y a quelque chose d’écrit en noir, à l’encre de Chine, en tout petits caractères. C’est une pierre assez ancienne, vous avez dû vivre de longues années en la portant en vous. Il faut que vous jetiez cette pierre quelque part. Sinon, quand vous serez morte et qu’on vous aura incinérée, la pierre demeurera.
Lieu de lecture de ce livre: Parc Monceau, Paris.