Sans rougir, j’exhibe parfois la photo de mon permis de conduire, sur laquelle j’arbore une crinière très longue. C’est un des seuls reliquats d’une époque révolue où je m’étais bati un style particulier, tandis que d’autres arboraient blousons noirs, chaînes en tout genre et autres objets métalliques pour ou moins satanistes. Ce style que je portais était à mi-chemin entre le style rustique des pires babas et un style rock’n’roll classique, bottes en daim, blouson en jean et peau de mouton et chemises à fleur à l’appui. C’est à cette époque que je suis tombé en pâmoison devant Rory Gallagher…
A cette époque là, tandis que certains s’énervaient sur les rifs acérés et entendus de Metallica ou Motorhead, j’avais choisi une autre voie, assez déconcertante pour certains. Dans mes oreilles, les groupes Deep Purple, Uriah Heep, Lynyrd Skynyrd (dont la moitié du groupe a tragiquement disparu dans un crash d’avion), mais aussi et surtout Jethro Tull (porté par le fabuleux Ian Anderson, flûte à bec, voic rocailleuse et cache-poussière crasseux) et des gens de la terre comme Stevie Ray Vaughan (également disparu dans un crash d’hélicoptère), Albert King, John Mayall (celui sans qui Clapton ne serait rien, et son mystérieux Blues from Laurel Canyon)…
C’est à ce moment-là que j’ai découvert Rory Gallagher… Un irlandais hirsute à la bouille d’enfant. Je l’ai découvert presque par hasard alors qu’en fin de carrière il venait de sortir un album fabuleux, Fresh Evidence
, influencé par le blues de la Nouvelle-Orléans et notemment Clifton Chenier, un accordéoniste, chantre du style Zydeco (haricot en français cajun)… Sur cet album également un fabuleux The loop
instrumental et endiablé et deux autres titres, Kid Gloves et Empire State Express. Ses deux albums très rock Photo Finish
et Calling Card
sont également des bijoux, mais si vous voulez poursuivre, vous pourrez également écouter un des meilleurs live du bonhomme, Irish tour 74
.
J’ai eu l’insigne honneur de me trouver à ses pieds, par une froide journée de décembre 1994, alors qu’il donnait à l’Olympia son dernier concert parisien et peut-être son dernier concert tout court. Particulièrement en forme de jour là, certes un peu vieilli, j’ai passé trois heures magiques, inoubliables. Il est décédé en 1995 des suites d’un rejet de greffe du foie. Personne comme lui ne savait jouer des harmoniques… Personne comme lui n’avait une voix si étrange et gouailleuse portée par un terrible accent irlandais…