Ai peint encore une étude sur la plage. Il y a quelques digues de mer, ou môles, —piers, jetées, — il y en a même d’excellents, faits de pierres rongées par le temps et de branches entrelacées. Je me suis installé sur l’un d’eux pour peindre la marée montante, jusqu’à ce qu’elle fût venue si près de moi que j’ai dû sauver tout mon fourbi. Et puis, il y a là entre le village et la mer des arbustes d’un vert foncé bronzâtre, ébouriffés par le vent du large et si réels que plusieurs d’entre eux vous font penser : mais ! c’est le Buisson même de Ruysdaël. Le tram à vapeur vous y mène à présent, on peut donc y arriver même quand on a des bagages ou quand on a des études encore fraîches à ramener.
Photo © Szeke
Il faut non seulement remonter de dix, mais de trente ou même de quarante et de cinquante années en arrière, pour retrouver la période où l’on se mit à peindre les dunes, etc…, dans leur aspect véritable. En ces temps-là, les choses étaient plus ruysdaëliennes qu’à présent.
Si l’on veut voir une chose qui évoque l’atmosphère d’un Daubigny, d’un Corot, on doit aller plus loin, là où le terrain est quasiment vierge de pas de baigneurs, etc…
Scheveningue est sans contredit très beau, mais il y a longtemps que la nature n’y est plus vierge ; mais cette virginité de la nature, je l’ai trouvée par extraordinaire au cours de l’excursion dont je t’ai parlé.
Voici à peu près comment était ce « pier » (jetée).
Rarement le silence, la nature seule m’a parlé comme cela, dans ces derniers temps.
Lettre n°307 écrite de La Haye entre décembre 1881 et septembre 1883,
extraite de Lettres à son frère Théo de Vincent Van Gogh,
Les cahiers rouges, Grasset.