Désirs tubulaires

Les journées de silence m’envahissent, le tonnerre a grondé hier soir, zébrant la nuit de traces acérées blanchâtres, je m’endors sur le bord de mes rêves. La semaine n’en avait que quatre mais m’a épuisé. Alors ce matin, tandis que je me dis que je devrais me reposer, je prends un peu l’air sur le balcon quand la maison dort encore. Je vais terminer ce livre de Bouvier qu’injustement je délaisse sur ma table de chevet et qui devrait être terminé depuis longtemps, mais comme souvent avec les bonnes choses, on aimerait que ça ne s’arrête pas. Aujourd’hui précisément, j’aurais aimé un peu de calme et de platitude, mais il y a toujours un événement qui en décide autrement ; les choses ne vont jamais comme on le souhaiterait — j’ai des envies de solitude soudaine, l’humanité (il lui faudrait une majuscule) m’emmerde et j’ai envie de le lui rendre. Après tout, pourquoi pas moi.
Je prends la main de Kenya et je l’emmène dans la salle à manger. A deux pas de moi, je regarde ses joues qui ont pris la couleur de l’abricot, de petites taches de son, légèrement parsemées lui font un air à la fois malicieux et candide. Mon appareil photo à la main, je lui dis qu’à compter d’aujourd’hui, je ferai une photo de lui par jour. Il sourit, l’idée le séduit, je le connais, il en sera fier comme un petit banc.

kai_olaf_hesse

Photo © After Images (From America) par Kai-Olaf Hesse

C’est décidé, aujourd’hui, je me retire. Je vais prendre l’air, je vais marcher, l’air me pèse. Pas pour longtemps.
Dans mes affaires, j’ai quelques carnets noirs, certains encore vierges, planqués sous d’autres affaires entassées dans des cartons. J’ai également, dans un carton qui traine dans le couloir depuis quelques mois, toute cette manne que j’ai rédigé depuis 1995, l’année où j’ai commencé. Je ne sais vraiment pas quoi en faire. Je ne relirai rien de tout ça, je ne les ferai pas lire non plus, mais je ne pense pas que je puisse les jeter non plus. Qu’adviendra-t-il de tout cela si un jour je disparaissais prématurément — ça veut dire quoi prématurément, exactement ? Il n’en adviendra rien, très certainement, ou alors tout finira dans une benne à ordures, même si je meurs vieux.

J’avais besoin de me changer les idées, alors je me suis tourné vers ma voiture qui restait en plan depuis quelques mois — j’ai souri ou plutôt ri jaune lorsque j’ai vu une frêle mousse verte garnir le rebord de mes fenêtres, sur les joints — sur le parking. Évidemment, la batterie était complètement déchargée et les niveaux à zéro. Impossible de la recharger avec les câbles, j’ai dû en racheter une autre. Niveaux de liquide de refroidissement, huile, liquide de direction assistée et même lave-glace — j’ai poussé la perfection jusqu’à racheter des essuie-glace tout neufs. J’ai jeté tout ce qui trainait à l’intérieur, tout ce qui n’y avait pas sa place, passé un coup de chiffon sur les plastiques — si ma voiture avait été une Panhard & Levassor, j’aurais pu dire sur les boiseries — et le tableau de bord. Je l’ai ensuite emmenée au lavage automatique — profites-en cocotte, je n’aime pas comme tous ces blaireaux passer mon temps à te bichonner — pour lui rendre une nouvelle jeunesse. Un dernier coup d’aspirateur et te voici prête à battre la campagne comme aux temps glorieux — avec tes 102 000 kilomètres tu es un peu mon âme guerrière, mon double routier…

Voilà, au moins ça m’aura occupé toute une journée. A présent, je vais mettre un peu d’ordre chez moi — l’ennui me taraude —, je vais ranger ces cartons qui trainent et certainement encore découvrir des trésors que je pensais perdus à jamais et que je prépare une bonne fois pour toutes le rapatriement de mes livres.*

Enfin, pour conclure, mon fils, racontant que sa maîtresse a passé son week-end dans le Périgord, me dit : « Papa, la maîtresse est allée en Cromagnie. »
Un peu surpris, je lui demande de me préciser. Il me répond avec un sourire dont je ne sais si c’est  du lard ou du cochon « Ben oui, la Cromagnie, c’est le pays des Hommes de Cro-Magnon !?»

Les livres d'un jour

Il y a des livres comme ça qu’on a envie de lire en une seule journée, dans un moment de solitude. Je regarde autour de moi dans mon appartement et je me demande si mon oppression serait moins grande dans plus petit. La question parait saugrenue, mais depuis ce matin, elle me taraude.
Sur mon étagère, il y a les lettres à un jeune poète de Rainer-Maria Rilke. Il me semble que c’est Michèle qui m’avait offert ce livre — je ne l’aurais pas acheté je pense — que je n’ai encore jamais lu. Aujourd’hui, c’est ce que j’ai envie de faire ; lire tous ces gens que par mépris, dédain, manque d’envie, paresse intellectuelle, je n’ai jamais osé lire ; Proust, Dumas, Chateaubriand, Rilke, Goethe peut-être (y a-t-il simplement un intérêt à lire Goethe ?). Les classiques m’intriguent. Hermann Ungar me regarde du coin de l’œil de Gustav Klimt. Proust me nargue terriblement. Et puis il y a tous les autres, les contemporains, les Selby Jr, Bukowski et autres DeLillo.

rainer_maria_rilke

Paris, le 17 février 1903

Confessez-vous à vous-même : mourriez-vous s’il vous était défendu d’écrire ? Ceci surtout: demandez-vous à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : « Suis-je vraiment contraint d’écrire ? » Creusez en vous-même vers la plus profonde réponse. Si cette réponse est affirmative, si vos pouvez faire front à une aussi grave question par un fort et simple :  « Je dois », alors construisez votre vie selon cette nécessité.

Lettres à un jeune poète, Rainer-Maria Rilke
Les cahiers rouges, Grasset.
Traduit en 1937 par Bernard Grasset.

Le pier de Vincent

Ai peint encore une étude sur la plage. Il y a quelques digues de mer, ou môles, —piers, jetées, — il y en a même d’excellents, faits de pierres rongées par le temps et de branches entrelacées. Je me suis installé sur l’un d’eux pour peindre la marée montante, jusqu’à ce qu’elle fût venue si près de moi que j’ai dû sauver tout mon fourbi. Et puis, il y a là entre le village et la mer des arbustes d’un vert foncé bronzâtre, ébouriffés par le vent du large et si réels que plusieurs d’entre eux vous font penser : mais ! c’est le Buisson même de Ruysdaël. Le tram à vapeur vous y mène à présent, on peut donc y arriver même quand on a des bagages ou quand on a des études encore fraîches à ramener.

Manhattan Beach PierPhoto © Szeke

Il faut non seulement remonter de dix, mais de trente ou même de quarante et de cinquante années en arrière, pour retrouver la période où l’on se mit à peindre les dunes, etc…, dans leur aspect véritable. En ces temps-là, les choses étaient plus ruysdaëliennes qu’à présent.
Si l’on veut voir une chose qui évoque l’atmosphère d’un Daubigny, d’un Corot, on doit aller plus loin, là où le terrain est quasiment vierge de pas de baigneurs, etc…
Scheveningue est sans contredit très beau, mais il y a longtemps que la nature n’y est plus vierge ; mais cette virginité de la nature, je l’ai trouvée par extraordinaire au cours de l’excursion dont je t’ai parlé.
Voici à peu près comment était ce « pier » (jetée).
Rarement le silence, la nature seule m’a parlé comme cela, dans ces derniers temps.

Lettre n°307 écrite de La Haye entre décembre 1881 et septembre 1883,
extraite de Lettres à son frère Théo de Vincent Van Gogh,
Les cahiers rouges, Grasset.

Des moments comme ça

Tandis qu’à la télévision s’éloignent avec grâce les quelques notes qu’Ivry Gitlis lance dans le désert caillouteux avec son violon qu’il tend comme un offrande aux dieux païens des immensités arides, je me recueille encore dans le silence des mots de Bouvier. Encore ses mots acheter viagra doctissimo. Encore des mots avec aussi la musique des Déshérités, un inédit de Carl Theodor Dreyer de 1922.
C’est toujours un peu pédant de dire qu’on regarde Arte, ou qu’on l’écoute, mais la juste mesure n’existe pas vraiment dans le paysage télévisuel. Soit on est dans le minable, soit on s’élève un peu et souvent trop.
Bouvier, dans ses Chroniques Japonaises, chapitre XII Livre 1 La lanterne Magique, Yuji parle, ou une leçon de « rien ». Un texte écrit apparemment entre août 45 et octobre 55, entre Tokyo et Hiroshima. Nicolas Bouvier fait parler Yuji, victime de la vie, peut-être aussi de la guerre. Une histoire émouvante de déceptions, de vies simples, brisées, continuées malgré tout. On y lit des histoires de ces gens qui ont vécu blessées mais ne se sont jamais plaint, acceptant l’inhumanité de ceux qui les ont bombardés avec la force tangible du renoncement et l’ombre de l’humilité.
Ce texte m’intrigue et fait du bien à l’âme. Yuji y parle de la lecture de la Bible.

Photo © Stéphane Barbery

Je retournais ces questions dans ma tête en descendant, à pied toujours, vers l’île de Shikoku. Peut-être les chrétiens tenaient-ils la réponse ? Je m’engageai comme interprète chez un missionnaire américain qui installait une école dans la préfecture de Kochi. J’avais très peu à faire et beaucoup à manger. J’employais mon temps libre à dévorer la Bible que je venais de découvrir. Je l’emmenais même aux cabinets. Loth, le feu du ciel sur Sodome, Job… bien ! Mais même Job n’avait pas envoyé sa mère à la fournaise pour satisfaire son goût des sucreries, et il n’était pas Japonais (rire). Le missionnaire, qui connaissait mon histoire et savait que j’étais aux prises avec son livre saint, faisait les cent pas devant la porte fermée, dans l’odeur des tinettes,  attendant sans doute que je découvre le passage qui m’ouvrirait les yeux. J’entendais craquer ses chaussures. J’aurais bien voulu tomber sur ce que je cherchais, pour moi, et pour lui rendre un peu de ce que je lui devais ; mais je ne trouvais pas.

Je me représente cet homme qui parle et dont vous ne connaissez pas l’histoire. J’aurais pu recopier l’intégralité du texte si toutefois j’avais eu le temps et l’envie de partager entièrement ce texte, mais la part de mystère doit demeurer un peu pour ne pas se dévoiler entièrement.

Notre dernière propriétaire, derrière la gare de Yotsuya, pas bien loin de votre chambre, était une veuve qui venait de se convertir au christianisme. Elle priait toute la nuit Saint-Antoine de Padoue pour qu’il lui rende ce que la vie lui avait pris : le mari, les enfants, les kimonos de mariage, les sous. Elle hurlait son nom, vociférait, sanglotait, tapait du pied, et ne voyait bien sûr rien venir. D’une nouvelle religion on attend toujours trop (rire). C’était intenable ; quand je me suis plaint, elle nous a mis à la porte. Nos quelques affaires tenaient dans une charrette à bras qu’elle nous a aidé à charger en chantonnant ; elle semblait avoir oublié Saint-Antoine et ses griefs. Au moment de se quitter, elle s’est excusée, a pris ma main qu’elle a élevée à sa bouche comme pour la baiser et m’a mordu en travers de la paume en me sectionnant deux tendons. Au curé et à la police, elle a dit qu’elle ne pouvait plus supporter mon regard. (Il me montre en riant une fine cicatrice blanche qui coupe à angle droit sa ligne de cœur.)

Son histoire a quelque chose de tragique et d’immoral, mais on sent en lui la résignation des gens heureux qui même esquintés par la vie ont dans le regard cette force qui les fait voir loin, bien plus loin que les autres.

Lui, c’est un petit homme sec et musical, aussi transparent qu’un flocon de neige. Un regard d’éthéromane qui s’amuse et qui danse, avec la légèreté spectrale et inquiétante de qui est passé par le feu. Je comprends fort bien qu’on lui ait mordu la main. Lorsqu’on rencontre un être vraiment libre on se sent soudain bien nigaud avec tous ses voyages et ses projets…

Toujours Bouvier et son don du mot juste et transcendant. Un réel bonheur qui me donne de la force.

J’en profite pour présenter ce blog (au repos) agrémenté des très belles photos de Stéphane Barbery.

Un sport et un passe-temps – James Salter

James Salter est un cas à part. Un personnage peu connu de la littérature américaine, parfois comparé à Vladimir Nabokov pour le style, pour le lyrisme coloré. Attiré par la couverture de son livre récemment réédité, Un sport et un passe-temps (1967), je me suis jeté dedans à corps perdu, m’en délectant intégralement sans rien lire d’autre à côté. Salter est un ancien militaire de l’armée américaine qui a mal tourné – tout dépend du point de vue.
Le livre est composé d’étrange manière. Le narrateur est en France, une France vieillote de la campagne, de la Bourgogne éloignée avec ses maisons de meulière aux grilles forgées, rouillées et ses champs à perte de vue et parle avec une sorte de nostalgie mâtinée de douce langueur.

Autun, silencieuse comme un cimetière. Des toits en tuile, foncés de mousse. L’amphithéâtre. La grande place centrale : le Champ-de-Mars. Maintenant dans le bleu de l’automne, elle réapparaît, cette vieille ville, dans cet automne provincial qui pénètre jusqu’à l’os. L’été est fini. Le jardin dépérit. Les matins se font frisquets. J’ai trente ans, j’ai trente-quatre ans – les années se dessèchent comme les feuilles.

Photo © Ruud Raats

La première partie fonctionne de manière assez étrange puisqu’en fait, elle n’a quasiment aucun rapport avec la suite du récit. C’est une sorte d’introduction à une personnage, à un décor, à cette France rustre et à ses personnages désabusés. L’extrait qui suit est en quelque sorte fondateur pour la compréhension du roman, on y trouve tous les ingrédients.

Je me vois comme un agent provocateur, ou comme un agent double, d’abord d’un côté – celui du vrai – ensuite de l’autre, mais entre les deux, dans les retournements de veste, les soudaines défections, on peut facilement oublier toute allégeance et ne ressentir que la joie profonde, résonnante, d’être au-delà de tout code, d’être complètement indépendant, criminel serait le mot. Comme tout agent, bien sûr, je ne peux divulguer mes sources. Je peux seulement dire qu’il y a des choses que j’ai vues moi-même, d’autres que j’ai découvertes, parce qu’après tout, omettre ne serait-ce qu’un seul mot peut révéler l’existence de quelque chose qui mérite d’être caché, et je suis devenu obsédé à l’idée de la découverte, comme les grands détectives. J’ai lu chaque bout de papier, noté chaque détail.

L’histoire dont on parle est celle de deux jeunes gens, un Américain sans le sou et un peu fou, un dandy cynique et amoureux, Dean, amoureux de la petite Française un peu simple, Anne-Marie, pas vraiment exceptionnelle, mais il l’adore et passe son temps à lui faire l’amour. Cette relation entre ces deux personnages n’est pas une relation chaotique ou compliquée, elle est plutôt de l’ordre du passionnel et comme toute passion, elle n’a rien à voir avec l’amour qui lui, est censé être éternel. Anne-Marie attend énormément de son petit Américain, mais finalement rien d’autre qu’une vie simple de couple, avec ses petites joies et le simple fait de vivre à deux, même sans argent. Rien ne sera comme ils l’entendent tous les deux, et pour Dean, Anne-Marie apparait finalement comme un sport, et un passe-temps

Il commence à me raconter la mer avec ses rochers, le vieil hôtel. Il décrit la Loire, la soirée hantée à Bagnoles. Il parle presque comme s’il ne pouvait pas se retenir. Tous les détails arrivent, les descriptions, les sensations, les odeurs. Il se tait, rassemble ses souvenirs, continue. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai l’impression qu’il est en train de tout étaler devant moi, l’essence de cette glorieuse vie qu’il a menée en France. Il met le passé en ordre. Il y a certaines choses qu’il faudrait confesser, et il sait que ça m’intéresse. Rien de ce qu’il n’est exceptionnel, mais je reconnais les événements. Je comprends tout ce que nous ne nous disons pas.

Ce qui est étonnant dans cette œuvre, pour un livre de cette époque, 1967, c’est la façon qu’il a de parler du sexe. Ma première impression lorsque j’étais encore en plein dedans, c’est une similitude avec les œuvres d’Heny Miller ou d’Ernest Hemingway, cette même cruauté / crudité. Rien n’est épargné pour le plus grand bien du lecteur. Faire sens, voici tout ce qui intéresse Salter et ça fonctionne à merveille. Je suis sous le charme et j’aime sa façon de parler de l’intimité de Dean et d’Anne-Marie, qu’on soupçonne foncièrement réelle.

Dean sourit. Il l’appuie un peu vers le bas. Elle résiste doucement. Ensuite il la retourne et la sonde. C’est comme un pluie d’amour. Elle le trempe quel que soit l’objet de ses pensées. Comme s’ils étaient dans des chambres séparées, comme s’ils étaient engagés dans des actes isolés, ils s’occupent jusqu’au dernier instant et ensuite restent écroulés, la literie éparse autour d’eux. Ils parlent à voix basse, sans conséquence. A l”extérieur de la fenêtre, des pigeons s’élancent par-dessus les tuiles.

James Salter
Un sport et une passe-temps (A Sport and a Pastime)
Editions de l’Olivier, Collection Points Signatures

Dans le jardin de Strindberg

Lire Strindberg au cœur de l’hiver, c’est une bouffée d’air frais. August Strindberg, que ma joyeuse naïveté avait toujours placé au rang des plus célèbres compositeurs Suédois, comme je viens de l’indiquer, je ne le connaissais pas du tout. C’est collé à la couverture du livre de Sjón que je l’ai trouvé. Sa couverture recouverte d’une peinture de Carl Larsson m’a tout de suite attiré, me rappelant quelque chose de vaguement champêtre et également d’intimement lié à mon enfance.

Outre cela, j’ai découvert un auteur guilleret qui parle de son jardin avec la passion enflammée du connaisseur…

carl-larssonCarl Larsson

Introduire dans son jardin l’automne, les chardons et les mauvaises herbes et ne pas y avoir une seule fleur, c’est aussi aberrant que des buis taillés ou des tilleuls en espalier ! Mais le pire, ce sont ces ficoïdes qui, en pleine canicule, donnent l’illusion de la neige et du givre.

Qui a inventé ces horreurs ? Un ennemi juré des fleurs ? Un jardinier ambitieux qui voulait créer quelque chose de nouveau à n’importe quel prix ? Et comment ce pessimisme a-t-il pu s’imposer ? Y avait-il dans l’air du temps ce penchant pour les souffrances qu’on s’inflige, ou bien s’agissait-il d’une mode qui émergea, prédomina, frappa de paralysie les meilleurs et contraignit même les plus obstinés à se plier ? Allez savoir ! Des vents soufflent de tous les côtés, mais certains ne durent pas longtemps. C’est le cas de celui dont on parle : j’ai vu, avec joie, l’abominable coléus dans le jardinet d’un paysan – dans peu de temps il sera relégué à l’hospice. C’est pourquoi je mise sur le pois de senteur contre l’herbe de la pampa.

Mais on découvre un auteur cynique, qu’on sent à la limite de l’agacement et dans une certaine mesure me fait penser à certains textes de Jonathan Swift. August Strindberg à la pêche…

Cette méthode est d’un bon rapport, mais comme elle se fait à deux, on doit tenir compte des corvées qu’elle implique: le panier à provisions, la bouteille de cognac, la boîte de cigares, sans oublier les disputes. Rien n’est plus incompatible avec une pêche digne de ce nom que la présence de plusieurs personnes dans la même barque, sauf s’il s’agit de mineurs ou de domestiques sur lesquels on exerce une autorité illimitée et qui ne risquent de donner leur avis ni sur l’art de la pêche ni sur le travail du marin.

carl_larssonCarl Larsson

Outre ces moments récréatifs, on  y trouve un naturaliste engagé et sûr de son propos. On y trouve  quelques approximations scientifiques, mais toujours basées sur une observation très fine de son environnement.

L’évolution n’est peut-être qu’un mouvement vers l’avant ou vers l’arrière, une transformation sans conséquences ? Les lois de la nature ne seraient alors qu’un reflet subjectif de nos cerveaux avides d’ordres qui veulent détecter une détermination dans toute chose.

Je n’ai jamais rien lu d’autre de lui, et en lisant la postface du livre, on découvre que ce livre n’était en quelque sorte rien d’autre qu’une prose alimentaire, mais dont les auteurs avouent que son style y reste égal et toujours d’une grande clarté.

« Pour avoir le temps de traduire les pièces, je dois dès demain commencer un livre de merde sur la pêche à la ligne, la chasse, le jardinage, etc. – une lecture de Noël ! Affreux ! »

Lettre à Edvard Brandes, 4 septembre 1888.

August Strindberg, Mon jardin et autres histoires naturelles

Titre original : Blomstermålningar och djurstycken

Editions Actes Sud, 2005

Le moindre des mondes – Sjón

Pour trouver celui-ci j’ai du me compromettre jusqu’aux tréfonds du rayon littérature scandinave (je crois, ou alors était-ce littérature nordique, l’Islande ne faisant pas vraiment partie de la Scandinavie) d’un supermarché de la culture. On trouve parfois de réels petis bijoux lorsqu’on sort un peu des étalages dits “têtes de gondoles” ou des présentoirs destinés à servir une soupe fade et clairettre qu’on finit par retrouver entre toutes les mains des lectrices de trains de banlieue.Non, moi je peux m’enorgueillir de lire vraiment en sortant des parcours habituels en suivant toujours les miens. Ce qui m’a amené à Sjón (de son vrai nom Sigurjón Birgir Sigúrdsson), c’est un étrange concours de circonstances, mais c’est avant tout la quatrième de couv’, rédigée par Marie Darieussecq, présentant une histoire de métamorphoses. J’ai également appris que Sjón était poète et parolier pour la plus célèbre des Islandaises, Björk. Il est notamment l’auteur des paroles de Bachelorette et surtout d’Isobel que je tiens pour une de ses plus belles chansons. L’homme avait donc de grandes chances de me plaire et il le fit.

renard_roux

Le moindre des mondes, le titre en français, est étrangement traduit et ne reflète pas vraiment ce que veut dire son titre islandais, Skugga-Baldur. Baldur Skuggason est un des personnages de cette histoire sombre, à mille lieux du folklore islandais. Baldur Skuggason c’est Baldur fils de Skukka – l’Ombre, Skugga-Baldur c’est Baldur de l’Ombre, un personnage ambivalent, à la fois violent et déterminé lorsqu’il part à la chasse à la renarde rousse (le titre anglais du roman est The Blue Fox) dans la tempête de neige jusqu’à se retrouver pris dans une avalanche dévastatrice. Son histoire ouvre le roman, sa traque ouvre le bal dans des mots suaves et froids, dans un poème chanté comme on peut en trouver dans les longues sagas de ce pays mystérieux.

Les feux du jour allaient s’éteindre.
Les salles de la voûte céleste s’étaient suffisamment obscurcies pour que les sœurs des aurores boréales entament leur allègre danse du voile.
Dans une féerie de couleurs, elles tournoyaient, légères et agiles sur la vaste scène des cieux, drapées de robes flavescentes, arborant des colliers de perles qui se disloquaient ici et là au gré de leurs ondulations frénétiques. C’est dans les instants qui suivent le crépuscule que ce spectacle est le plus distinct.
Ensuite, le rideau tombe ; la nuit prend le pouvoir.

L’histoire de Baldur de l’Ombre va se mêler étrangement avec celle de deux autres personnages, un botaniste du nom de Friðrik Friðjónsson et une trisomique du nom d’Abba, dont l’histoire remonte à des temps déjà anciens, autour de la découverte de deux paquets que la fille portait avec elle lorsqu’on l’a trouvée seule à bord d’un navire. Baldur le Révérend est emprisonné dans la neige, dans sa gangue de peaux, la dépouille de la renarde blottie contre sa poitrine.
Derrière cette histoire de morts, de renards et de neige, d’amitiés et de haines sauvages se cache un récit à la langue claire et violente, bien loin des idées toutes faites autour d’une Islande aussi sombre et rude que peuvent être claires les eaux des fjords.

– J’ai vu l’Univers ! Il est constitué de poèmes !
Les Danois se dirent qu’il avait parlé là en «rigtig Islændig », c’est-à-dire en authentique Islandais.

Le moindre des mondes, Sjón
Editions Rivage
Reykjavík, 2005

La Shoah et la danse

– En ce moment, je lis Primo Levi.
– Ah ouais…
– …
– Lequel ? Si c’est un homme ?
– Ouais.
– Ah ouais, quand même, c’est pas vraiment léger comme littérature…
– En même temps quand tu lis un livre qui  traite de la Shoah, c’est difficile de faire des claquettes…

Libfly

A cause de l’ami Rasbaille (je dis bien à cause, pas grâce, ou alors grâce à lui j’ai passé beaucoup trop de temps sur Internet, oui, ça ne tient pas), je suis tombé dans Libfly, un site qui fait étrangement penser à Librarything que j’ai découvert en 2005. Le principe du site est le même puisqu’il permet de cataloguer sa bibliothèque en ligne en recherchant des œuvres parmi un catalogue ou directement par son numéro ISBN (équipé de deux moteurs de recherche, un interne et l’autre connecté sur la base ISBN d’Amazon) , de connaître par ce biais combien de lecteurs ont lu ce même livre, l’ont commenté, noté, etc. Tout ce que permet de faire le web d’aujourd’hui.

libfly

Là où ça devient un peu intéressant, c’est que le site propose l’échange de livres. N’importe lequel de vos livres peut ainsi faire l’objet d’un prêt ou d’un échange avec des gens qui a priori se trouvent à proximité. Là où le système pêche un peu c’est que par curiosité, en cherchant sur la carte si j’avais des voisins, je me suis retrouvé sur une Google Map sur laquelle j’ai vainement tenté de me repérer en finissant par m’apercevoir que j’étais en train de rechercher le Plessis-Bouchard sur la route 85, c’est à dire entre Cupertino et Saratoga, donc en Californie (la vraie, celle de Julien Clerc).
J’étais tout de même assez étonné, et pas peu fier de constater que la plupart des livres que j’ai ajoutés n’existaient pas dans la base de données. Concernant Librarything, ce qui rebute d’entrée de jeu, c’est une organisation digne de la chambre de mon fils et le look d’un site comme on en faisait dans les années 70 (comment ça Internet n’existait pas ?), une navigation pas très intuitive et des listes des livres absolument affreuses à consulter.
Libfly mérite tout de même de connaître plus d’utilisateurs pour, à mon sens, commencer à être intéressant.