James Salter est un cas à part. Un personnage peu connu de la littérature américaine, parfois comparé à Vladimir Nabokov pour le style, pour le lyrisme coloré. Attiré par la couverture de son livre récemment réédité, Un sport et un passe-temps (1967), je me suis jeté dedans à corps perdu, m’en délectant intégralement sans rien lire d’autre à côté. Salter est un ancien militaire de l’armée américaine qui a mal tourné – tout dépend du point de vue.
Le livre est composé d’étrange manière. Le narrateur est en France, une France vieillote de la campagne, de la Bourgogne éloignée avec ses maisons de meulière aux grilles forgées, rouillées et ses champs à perte de vue et parle avec une sorte de nostalgie mâtinée de douce langueur.
Autun, silencieuse comme un cimetière. Des toits en tuile, foncés de mousse. L’amphithéâtre. La grande place centrale : le Champ-de-Mars. Maintenant dans le bleu de l’automne, elle réapparaît, cette vieille ville, dans cet automne provincial qui pénètre jusqu’à l’os. L’été est fini. Le jardin dépérit. Les matins se font frisquets. J’ai trente ans, j’ai trente-quatre ans – les années se dessèchent comme les feuilles.
Photo © Ruud Raats
La première partie fonctionne de manière assez étrange puisqu’en fait, elle n’a quasiment aucun rapport avec la suite du récit. C’est une sorte d’introduction à une personnage, à un décor, à cette France rustre et à ses personnages désabusés. L’extrait qui suit est en quelque sorte fondateur pour la compréhension du roman, on y trouve tous les ingrédients.
Je me vois comme un agent provocateur, ou comme un agent double, d’abord d’un côté – celui du vrai – ensuite de l’autre, mais entre les deux, dans les retournements de veste, les soudaines défections, on peut facilement oublier toute allégeance et ne ressentir que la joie profonde, résonnante, d’être au-delà de tout code, d’être complètement indépendant, criminel serait le mot. Comme tout agent, bien sûr, je ne peux divulguer mes sources. Je peux seulement dire qu’il y a des choses que j’ai vues moi-même, d’autres que j’ai découvertes, parce qu’après tout, omettre ne serait-ce qu’un seul mot peut révéler l’existence de quelque chose qui mérite d’être caché, et je suis devenu obsédé à l’idée de la découverte, comme les grands détectives. J’ai lu chaque bout de papier, noté chaque détail.
L’histoire dont on parle est celle de deux jeunes gens, un Américain sans le sou et un peu fou, un dandy cynique et amoureux, Dean, amoureux de la petite Française un peu simple, Anne-Marie, pas vraiment exceptionnelle, mais il l’adore et passe son temps à lui faire l’amour. Cette relation entre ces deux personnages n’est pas une relation chaotique ou compliquée, elle est plutôt de l’ordre du passionnel et comme toute passion, elle n’a rien à voir avec l’amour qui lui, est censé être éternel. Anne-Marie attend énormément de son petit Américain, mais finalement rien d’autre qu’une vie simple de couple, avec ses petites joies et le simple fait de vivre à deux, même sans argent. Rien ne sera comme ils l’entendent tous les deux, et pour Dean, Anne-Marie apparait finalement comme un sport, et un passe-temps…
Il commence à me raconter la mer avec ses rochers, le vieil hôtel. Il décrit la Loire, la soirée hantée à Bagnoles. Il parle presque comme s’il ne pouvait pas se retenir. Tous les détails arrivent, les descriptions, les sensations, les odeurs. Il se tait, rassemble ses souvenirs, continue. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai l’impression qu’il est en train de tout étaler devant moi, l’essence de cette glorieuse vie qu’il a menée en France. Il met le passé en ordre. Il y a certaines choses qu’il faudrait confesser, et il sait que ça m’intéresse. Rien de ce qu’il n’est exceptionnel, mais je reconnais les événements. Je comprends tout ce que nous ne nous disons pas.
Ce qui est étonnant dans cette œuvre, pour un livre de cette époque, 1967, c’est la façon qu’il a de parler du sexe. Ma première impression lorsque j’étais encore en plein dedans, c’est une similitude avec les œuvres d’Heny Miller ou d’Ernest Hemingway, cette même cruauté / crudité. Rien n’est épargné pour le plus grand bien du lecteur. Faire sens, voici tout ce qui intéresse Salter et ça fonctionne à merveille. Je suis sous le charme et j’aime sa façon de parler de l’intimité de Dean et d’Anne-Marie, qu’on soupçonne foncièrement réelle.
Dean sourit. Il l’appuie un peu vers le bas. Elle résiste doucement. Ensuite il la retourne et la sonde. C’est comme un pluie d’amour. Elle le trempe quel que soit l’objet de ses pensées. Comme s’ils étaient dans des chambres séparées, comme s’ils étaient engagés dans des actes isolés, ils s’occupent jusqu’au dernier instant et ensuite restent écroulés, la literie éparse autour d’eux. Ils parlent à voix basse, sans conséquence. A l”extérieur de la fenêtre, des pigeons s’élancent par-dessus les tuiles.
James Salter
Un sport et une passe-temps (A Sport and a Pastime)
Editions de l’Olivier, Collection Points Signatures
j’arrive pas à me souvenir de scènes de sexe chez Hemingway. J’ai pas dû lire les bons livres 🙂
(et puis “agent provocateur” c’est une marque de lingerie – ça devient coquin par ici…)
Des scènes de sexe chez Hemingway, oui, forcément, pas dans le vieil homme et la mer… Par contre, si tu lis l’étrange contrée, tu vas en avoir 🙂
tiens, j’aurais dit dans “En avoir ou pas” (mouhahaha)
Je vois pas de quoi tu parles :p Peut-être aussi “Hommes sans femmes”, je sais pas 😉
“Paradis perdu” me semble aussi un bon candidat.
Ah ben tu vois, finalement, et puis je suis certain que tous ses livres cachent des scènes de sexe là où ne les attend pas…
au détour d’un bois, tu veux dire ? huhuhu
Dans “Pour qui sonne le glas”, il ya des descriptions de quelque chose qui serait l’amour charnel, sans AUCUNE description précise de l’acte en lui-même, juste une façon d’accommoder les phrases de plus en plus rapides, d’abord avec des virgules, puis sans points.
Comment Ernest s’était-il imaginé qu’un travail sur la ponctuation pouvait être le meilleur outil pour exprimer la jouissance masculine?
Bravo.
Point à la ligne.
la ponctuation, c’est la respiration, et quand elle accélère…
Oui ?