Nowhere

Photo © Turkairo

“Pourquoi tu me contactes aussi régulièrement ? Tu t’ennuies tant que ça avec lui ou alors tu penses tout le temps à moi ?”
Elle parut déstabilisée qu’il soit aussi frontal, mais surtout qu’il semble lire aussi facilement en elle.
Au bout d’un moment, il lui a demandé simplement, brusquement, si elle l’aimait toujours.
Pourquoi cette question, lui a-t-elle répondu.
“Pour ne pas que tu me dises non.”
Une fois de plus, elle n’a pas répondu à sa question.
Alors il reprit son livre et attaqua le chapitre suivant.
Il en est toujours au même point. Nulle part.

Motel Orion au creux du velours

Il y a dans le jazz une musique qui fait appel à la danse des étoiles, une musique qui n’existe pas à l’état naturel, une musique cosmique. J’essaie d’apprendre à m’en sortir. J’essaie d’apprendre à trouver les endroits dans lesquels je puisse m’épanouir. Continue d’écrire, continue d’écrire…
Harnaché à des espoirs de dandy défroqué, je courbe l’échine, face à l’océan, face aux remèdes factices avec lesquels je tiens debout, des petits sachets de drogues coincés entre les pages, dans ces replis cachés au sein d’un corps, je me drogue avec le parfum des femmes ou les pages des livres. Au delà de ça, tout n’est que littérature.
A dream about dreaming…
Je pouvais sentir ta peau palpiter sous la paume de mes mains.

1/
Oui, c’est moi
Tu fais quoi ?
Rien et toi ?
Non plus, je t’attends

C’était aussi simple que ça, un rêve de rêve, un rêve dans lequel on n’attend rien, ni personne, ni Godot. On ne cherche plus le temps perdu ou la petite bête.

2/
(tais-toi, je ne veux plus t’entendre)
(…)
(non s’il te plait, tais-toi, je ne veux plus que t’entendre en moi)

Plongée au cœur du pays des choses… Aimer est juste un sortilège qui s’évapore lorsqu’on referme le livre d’histoires. Pulsations et dérisoires envies de corps vite détrônées par le surplus d’égoïsme que l’on porte en soi, dévoré par les songes, harponné par ce qui tire vers le bas.

velvet

[audio:http://theswedishparrot.com/xool/orion.xol]

Orion
Jah Wobble et Bill Laswell

3/
Ce sera peut-être dans cette grande maison faite de planches lasurées, avec toi et avec personne d’autre, ou alors ce ne sera rien, je ne sais pas. Une semaine entière dans cette grande maison aux larges fenêtres donnant sur une plage blanche de l’Oregon. Le grand Pacifique. Couchée sur le dos les yeux au ciel, tes cheveux éparpillés sur le drap, tes lèvres murmurent des mots qu’encore aujourd’hui je peux sentir frôler ma chair.

4/
(tu es partie)
(je t’avoue l’inavouable)
(un petit must)
(et oui, c’est à toi que je pensais)
(personne ne me tuera pour ça)

L'avancée des siècles

Lorsque j’étais à leur pieds, il y a vingt ans de cela, on disait que quelques années auparavant, elles était situés au milieu du désert. Seules quelques habitations étaient construites autour. Aujourd’hui, les villes du Caire et de Gizah se touchent, les constructions ne cessent d’envahir le terrain et la carte postale idyllique des Pyramides sur un fond de coucher de soleil en plein milieu du désert ressemblera plus à un prospectus publicitaire pour une chaîne hôtelière. Aujourd’hui, la civilisation est aux pieds des tombes des Pharaons et bientôt l’encerclera, et la magie disparaitra forcément un peu… Continue reading “L'avancée des siècles”

Moka au bar au Bahar café à Tabriz ou sur les bords du lac salé d'Urmia, Daryâcheh-ye Orumiyeh

J’aimerais, l’espace d’une journée, m’extraire complètement du monde. Voici ce que ce midi j’écrivais. J’aimerais connaître cette sensation de connaître le printemps au moment où celui-ci éclot. Je rêve de printemps dans d’autres pays, dans des pays incongrus entre ici et Hokkaido.

Tous les toits dégorgeaient. Dans le caniveau, sous une croûte de neige noire, on percevait un ruissellement cordial et précipité. Le soleil nous chauffait la joue, les peupliers s’étiraient en craquant contre un ciel redevenu léger. Profonde et lente poussée dans les têtes, les os et les cœurs. Les projets prenaient forme. C’était Bahar, le printemps.

Quitter Tabriz in L’usage du monde
Nicolas Bouvier

En quelque sorte, je n’ai rien fait de ces vacances. Mon fils, lui, semble avoir trouvé sa chambre et ses jouets et ne réclame plus la télé. Il a l’air heureux et affiche de temps en temps ce sourire de clown qui m’arrache des sourires à tout bout de champs. Je voulais lire La Voie Cruelle, d’Ella Maillart mais rien. Je n’ai pas avancé d’un poil dans le livre de Kawakami Hiromi, me suis plongé dans l’univers du trait simple de Tanigushi Jirô, dans ces manga sans petit garçon aux jambes propulsées par des réacteurs ou même sans collégiennes en jupettes montrant leur culotte à tous les passants. Non, les manga de Tanigushi sont des histoires simples d’hommes et de femmes qui s’entendent ou qui ne s’entendent pas, de parents qui vivent leur vie de tranquille dans une petite ville de province au nord de Tokyo et du temps qui file tellement qu’on finit par se retrouver à la fin des vacances sans avoir pu faire quoi ce que soit pour changer le cours des choses… En plus, je n’ai rien trouvé de plus drôle que de chopper une saloperie de staphylocoque.

Quand l’autobus de Téhéran n’était pas resté bloqué sur la route et nous apportait quelque chose, nous transportions précieusement cette manne jusqu’à notre gargote du Bazar où les portions de riz brillaient comme neige sous des cages remplies d’oiseaux engourdis par la fumée des pipes et le vapeur des thés. Là seulement, le ventre plein et les mains lavées, nous épelions lentement, sans en perdre une syllabe, ces messages d’un autre monde. J’aurais trouvé ces lectures plus agréables encore si je n’avais pas toujours été le premier à terminer. Thierry recevait de son amie Flo de véritables volumes que, pour tromper ma faim, j’essayais vainement de déchiffrer à l’envers. J’avais des attachements du genre qui n’écrit pas, et j’étais le plus souvent celui qui, retour du guichet, reçoit dans le dos la bonne tape consolatrice.

Tabriz – Azerbâyjân in L’usage du monde
Nicolas Bouvier

Demain, il semblerait que ce soit l’heure du retour, pas très envie. Je n’ai pas l’impression de m’être reposé. Au contraire, je m’imaginerai bien faire une cure de sommeil. Là, tout de suite, je me sens l’âme d’un battant, mais toujours la tête là où il ne faudrait pas. Je ne sais pas si la journée de demain sera vraiment productive.

Je regarde ce lac étrange, le lac Urmia, ou Oroumieh (دریاچه ارومیه Daryâcheh-ye Orumiyeh en Persan, زه ریاچه ی ورمێ en Kurde et  ارومیه گولو , ارومیه گولی en Azéri) découvert au hasard tandis que je cherchais sur la carte à quoi pouvait ressembler de loin Tabriz. Un peu plus à l’est de cette grande ville se trouve un lac en forme de haricot de 140 kilomètres sur 55. Lorsqu’on s’en rapproche, on y découvre comme une grosse verrue ; une sorte de volcan au bord du lac salé, profond de seulement 16 mètres au maximum, dans lequel aucun poisson ne peut vivre, et au bord duquel on aimerait pouvoir regarder l’eau couleur de lait. On voit également sur l’image satellite un pont dont il semblerait que la construction ait été reprise après la Révolution et qui, selon l’échelle doit mesurer quelque chose comme 14km. Le lac est lardé de 102 îles, refuges pour de nombreuses espèces endémiques. Le sel y dessine des arabesques lumineuses et on y trouve de drôles d’installations, certainement des marais salants.

Moi qui croyais vivre frugalement, j’avais l’impression que mon bonnet miteux, ma veste râpée, mes bottes beuglaient l’aisance et le ventre plein.

L’usage du monde
Nicolas Bouvier

tabriz-azerbayjan

Voilà, je suis prêt à repartir dans de nouvelles aventures littéraires avec des gens bien. Encore Loti, Bouvier, Hugo Pratt, Ella Maillart et peut-être aussi Walter Scott, un amour de jeunesse. Et puis j’ai rêvé cette nuit, de ce que je pourrais faire avec mes carnets.

Etape n°4: Voir Tabriz et le lac Urmia sur Google Maps.

Moka au bar au seuil de la Porte des cent mille peines

Je tente d’y mettre un peu les formes. C’est un jour un peu particulier, comme le sont tous les autres jours. Je me suis réveillé ce matin avec une drôle d’impression, ce genre d’impression qui vous dicte que quelque chose d’important est en train de se passer. Oui, j’ai des envies de voyage, mais je n’ai toujours pas les moyens de voyager, rien de nouveau là-dessous. Lundi, j’ai passé la journée avec Florence et ses enfants, une collègue avec qui je ne travaille plus depuis environ un an et demi et nous avons beaucoup parlé. Le temps a passé vite, j’étais bien avec elle, à ses côtés, une amie, quelqu’un de rare. Elle a la peau bronzée comme si en retournant vivre dans le sud, elle avait repris sa couleur naturelle ; elle revit et porte en elle quelque chose de plus serein qu’autrefois, des histoires personnelles sans doute, des histoires de femme ; elle me demande si elle a grossi. Non, je réponds non même pas par politesse. Elle parle beaucoup Florence, ça m’arrange, je ne suis pas d’un naturel bavard et je ne suis pas fort pour mener une discussion ; je suis peut-être trop impatient pour passer du temps sur un seul sujet. Je ne m’ennuie pourtant pas avec elle. Tout m’est agréable ; le sourire de sa petite fille est un bonheur. Je me rappelle de Florence le jour où elle m’a embauché. Je me rappelle ses lunettes, sa jupe, son air assuré. Une jolie fille. Un sacré bout de femme. Des années après, finalement, rien n’a vraiment changé même si elle vous dira forcément le contraire. Non, rien n’a changé en fait. Si ce n’est qu’aujourd’hui, nous nous parlons, nous nous confessons, elle n’est plus ma responsable mais mon amie. Je veux que les choses restent comme ça.

Un rayon de soleil. Les gouttes de pluie sur les pivoines sont les larmes de joie d’une chair à vif.

Olivier Germain-Thomas, Le Bénarès-Kyôto

[audio:http://theswedishparrot.com/xool/Drut Tintal.xol]

Et puis surtout, si rien n’a vraiment changé, c’est quand même un peu comme si je pouvais voir les mêmes personnages, les mêmes décors, mais comme au travers d’un prisme, ou plutôt, au travers d’un miroir, dans lequel tout à coup on perd ses repères parce qu’on voit tout par symétrie.
De mon côté, je n’arrive pas à éclore. Je me regarde dans le miroir et je n’y vois plus celui que je voyais avant, rien à voir. Même mon regard a changé. Je suis peut-être plus triste non ? Je suis peut-être un peu moins inconstant, plus tourmenté, plus en proie à des impulsions que je ne connais pas, et par transparence, je me découvre également un calme intérieur, une force et une manière de me poser que je ne connais guère plus. C’est très étrange à décrire. C’est comme si je pouvais à la fois sentir le vent dans la plaine et son odeur sur ma peau d’un côté et de l’autre, le silence d’une chaude journée et le soleil au-dessus de la tête de l’autre.
Rien de contradictoire, mais des choses différentes s’imbriquant…

BouddhaPhoto © Mattvn

Je sais, je verse dans le bouddhisme depuis quelques mois, mais rien de dangereux dans tout cela, je ne suis pas dans un schéma qui me dépasserait et quoi qu’il en soit, je ne suis jamais dans la réponse, mais toujours trop dans la question pour me laisser tordre aussi facilement par une religion. Simplement, lorsqu’on découvre le bouddhisme et son pendant animiste japonais, le shintô et que l’on fait connaissance des kami, on a tout à coup envie de se connecter à cette spiritualité qui, une fois passée l’apparente et exotique excentricité, n’est qu’une manière intime de vivre la nature. Ni plus ni moins qu’un autre versant du pythagorisme.
J’ai fait mes premiers pas et je constate avec étonnement qu’après avoir appris mes premiers kanji, mes hiragana et mes katakana, je commence à avoir une compréhension assez intuitive et naturelle du japonais. Je souris à l’idée que ça finisse par rentrer sans trop forcer. Je ne sais pas jusqu’où je pourrais l’apprendre, mais ce qui est certain c’est qu’un jour, je partirai vivre au Japon, qui sait pour combien de temps. Il y a quelques temps encore, je me disais que je passerai un an au Japon. Aujourd’hui, je me dis que j’y finirai certainement mes jours, avec la connaissance intime et respectueuse que j’en ai. Je ne rêve pas d’un Japon à prendre en photo, mais d’un Japon de rencontres, d’hommes et de femmes qui se mettent à parler et d’un Japon encore plein d’esprits malicieux et cruels, où les vieux meurent de l’arthrite des rizières.

A présent, j’ai envie de prendre mon temps, rien ne pourra me retenir.
Je n’ai pas la vie devant moi, j’ai une vie devant moi.
Je suis né voyageur, on m’a fait nomade, je me suis rendu esclave d’une vie que je ne voulais pas. A moi de terminer le travail et de redevenir ce pour quoi je suis fait et destiné.

Certains hommes passent leur vie à détruire ce qu’ils sont pour devenir ce qu’ils auraient dû être.

Ce Français, qui est grand et sec, yeux gris, moustaches, presque blondes, mais petites, ma été amené par les carabiniers. M Raimbeaux n’a pas de passeport et n’a pu me prouver son identité. Les pièces qu’il m’a exhibées sont des procurations passées devant nous avec un S(ieur) Labatut, dont l’intéressé aurait été son fondé de pouvoir. Je vous serais (sic) obligé, Monsieur le Consul, de bien vouloir me renseigner sur cet individu dont les allures sont quelque peu louches.

Tels sont les mots du vice-consul de France en Ethiopie, Alexandre Merciniez, rapportés par Olivier Frebourg in un Homme à la mer (2004, Mercure de France), lorsqu’il interpelle à Massaouah celui qui porte le nom d’Arthur Rimbaud, qui déjà ne vit plus sa vie de poète, mais devient expert en commerce au pays de la Reine de Sabah.

Dis-moi quelles sont tes histoires et tes voyages, je te dirais qui tu pourrais être.
Et puis il y a la beauté de la rencontre, la beauté des autres. La simple altérité, pour le reste on verra plus tard. Chaque chose en son temps.

Je mets ma main sur son ventre. Je respire à son rythme.
– Il faut brûler là où ça brûle.
Elle pose sa tête sur mon épaule.
– Je ne veux pas être aimée pour mon sexe.
– On verra plus tard pour l’amour. Commencez par le feu.

Olivier Germain-Thomas, Le Bénarès-Kyôto

Je sais ce que je fais, où je vais, pour une fois. J’aurais pu me dire que je dois partir avec mon appareil photo, mais c’est une contrainte, au delà du fait qu’il faut pour le recharger une source électrique — y a-t-il seulement l’électricité dans les déserts que je traverserai ? — car ce n’est pas simplement l’œil qui voyage, mais l’âme en entier. Il y a quelque chose à attraper, de l’ordre de l’universel.

L’universel n’est pas une illusion ; il est d’approche multiple. Uni à une femme, on peut imaginer avoir intégré son monde. Arrive l’aube…
Encore ceci, avant de revenir aux paysages, je pense maintenant qu’il n’y a pas de « tout autre » dans les cultures, et qu’après avoir gratté les langages, on se trouve devant un homme qui pète et prie, meurt et se ment, court après son ombre.

Olivier Germain-Thomas, Le Bénarès-Kyôto

Je sais donc où je vais, je construis une ontologie du raffinement. Je prépare mon voyage, sous quelque forme qu’il existe. Je me prépare au rythme des saisons, je ne veux guère aller plus vite.

Je lui réponds que, du sud au nord, j’ai eu l’occasion d’avancer à la vitesse du printemps et que j’ai pu ainsi constater que l’ordre des saisons était respecté.

Olivier Germain-Thomas, Le Bénarès-Kyôto

Je ne sais si telle sera ma vie, je ne sais pas à quoi elle ressemblera et surtout, je ne sais pas encore où je vais et il est possible que rien au final ne ressemble à ce que j’imagine, mais j’emmènerai dans mon sac le Poisson-Scorpion de Nicolas Bouvier et les Indian Tales de Rudyard Kipling et je finirais peut-être comme le narrateur de cette superbe nouvelle écrite par ce dernier.

InariPhoto © Paco Alcantara

I should like to die like the bazar-woman–on a clean, cool mat with a pipe of good stuff between my lips. When I feel I’m going, I shall ask Tsin-ling for them, and he can draw my sixty rupees a month, fresh and fresh, as long as he pleases, and watch the black and red dragons have their last big fight together; and then..

Rudyard Kipling, The Gate of a Hundred Sorrows

J’aimerais mourir comme la femme du bazar sur une nappe propre, bien fraîche, une pipe de bonne drogue entre les lèvres. Quand je sentirai que je m’en vais, je demanderai cela à Tsin-ling, et il pourra toucher mes soixante roupies, régulièrement, un mois après l’autre, aussi longtemps qu’il lui plaira. Alors je m’étendrai bien tranquille et à l’aise, pour regarder les dragons noirs et rouges combattre ensemble leur dernier grand combat ; puis…

Rudyard Kipling, la Porte des cent mille peines, 1884,
Traduit par Louis Fabulet et Robert d’Humières

Note de bas de page : discrètement, tout doucement, je voulais que ce billet revête une forme particulière parce qu’avec quelques jours d’avance, ce blog fête ses six ans et de plus, c’était le numéro 1500, mine de rien, il lui fallait bien plus de 1500 mots…

You see what I mean – Trois

Trois, pas plus…

n° 28 Trois

Trois

« You see what I mean » comme une affirmation, ou comme une question, une question qui amène une réponse à l’autre bout du monde, ou plutôt deux questions qui interrogent le monde et par lequel on répond avec l’œil du spectateur au travers de l’objectif. C’est le défi auquel nous nous plions Fabienne et moi, une fois par semaine autour d’un thème choisi d’un commun accord. L’orientation choisie, nous nous faisons la surprise de l’image avec notre personnalité, notre regard, notre sensibilité, pour donner naissance à de nouvelles perspectives qui étonneront certainement autant les visiteurs curieux que les auteurs.

J'ai pris le train de dix-huit heures vingt-six ou un autre

A 5h30, je me réveille, vraiment mal dans ma peau, accablé de sommeil.
A 6h60, sans avoir pu me rendormir, après avoir tourné une heure, entourbillonné dans la couette un peu lâche et frippée, je me lève sans attendre que le réveil crache sa musique.
A 7h71 je suis sous la douche. Frotte partout, dans les coins.
A 8h01 en train de commencer à me préparer pour partir. Je traîne, je désagrège mes flux, je regarde par la fenêtre pendant que mon expresso coule.
Mon fils ne se presse pas, comme tous les matins, ça m’énerve et je commence à fulminer doucement.
A 8h20, je suis devant l’école pour le déposer. Nous nous embrassons. Tous les jours, c’est un déchirement.
A 9h30, j’arrive au boulot déjà exténué, les yeux qui brulent, la migraine qui me cajole. Je ne me lève que pour aller faire chauffer l’eau pour le thé.
A 13h00, ou un peu avant, je lève le camp pour aller me chercher de quoi déjeuner, j’ai mis mon nez dehors cinq minutes, le temps de souffler un peu.
A 13h87, je reviens devant mon PC et je mange mes pâtes au curry en surfant distraitement quelques minutes, et déjà je recommence à bosser, je n’aime pas perdre mon temps.
Parfois je discute sur MSN avec des inconnu(te)s.
L’après-midi, c’est le marathon. Je fonce jusqu’à 16h30 sans relever la tête, une pause de cinq minutes et je repars.
Ce soir je pars tôt, 17h50, ça fait pâle comparé aux 20h00 réguliers. Mais je vais chercher mon fils à l’école. Je vois toujours les mêmes têtes, toujours les mêmes inconnus.
A 18h96, je passe l’aspirateur, je lave le sol, fais la vaisselle, étends le linge, change la litière qui pue l’enfer, désodorise avec un flacon de mûre sauvage.
A 21h74, je me mets à table. A 21h30 je couche mon fils, lui donne son lait du soir et je sors mon portable pour commencer à bosser.
Ce soir je fais des tableaux croisés dynamiques pour visualiser les fichiers agrégés par niveau.
Il faut que je rende tout ça demain pour respecter le planning que je m’impose tout seul comme un grand. Barré je suis.
Je referme mon portable à minuit, j’ai les yeux effondrés.
Qui me demandait l’autre jour si mes journées n’avaient pas plus de vingt-quatre heures ? Parfois non, parfois, je m’endors à 21h00 devant la télé comme une immense bouse, en sueur, exsudant mes douleurs de la journée avant de tituber vers mon lit.

J’adore ma vie
autant que la maudis

Pas besoin de titre

Je n’ai pas pour habitude de commenter l’actualité, parce que je ne suis pas suffisamment assidu pour pouvoir avoir un regard critique, parce que je ne veux pas être taxé d’opportuniste, parce que je n’aime pas, tandis que je m’efforce de faire croire ici que le monde n’est que beauté et bons sentiments, rompre l’harmonie de ce lieu que j’habite de mon esprit, mais parfois je fais une percée, particulièrement choqué par ce que je vois, sans que qui que ce soit n’ait à me donner les clefs pour déchiffrer.
Simplement, je crois que ces images-là, il faut les voir, s’en imprégner, parce qu’elle signifie plus que tous les commentaires qu’on pourra faire sur la situation. Continue reading “Pas besoin de titre”

Moka au bar sur les hauteurs de la Nouvelle Fleur ou aux racines de l'orthodoxie éthiopienne à Axoum

Payez-moi pour que je parte en voyage, que je vous ramène de superbes images prises au hasard d’une rencontre, le genou d’une fille dépassant d’une colonnade ambrée et que je vous écrive des textes à vous faire rêver plutôt que de me laisser continuer à vous raconter ma vie palpitante de casanier fauché.
Naïvement, je pensais qu’il y avait encore un empereur en Chine ou en Mandchourie — il parait que ce n’est pas très beau d’ailleurs la Mandchourie (满洲 Mǎnzhōu ou 满族国 Mǎnzú guó, pays ou royaume du peuple mandchou – ᠮᠠᠨᠵᡠ ᡤᡳᠰᡠᠨ manju gisun) mais ce doit être une pauvre réflexion de touriste déçu et incapable de savourer — tout ça parce que j’ai lu les lignes d’un homme qui fantasme cette rencontre avec l’Empereur du Milieu. J’ai reposé le livre et me suis demandé où pouvait se trouver cet homme, où serait sa place dans le bastion du communisme capitaliste, alors j’ai posé la question à François qui secrètement a bien dû se foutre de moi — je suis vraiment à côté de la plaque en ce moment. Mais au moins ma candeur pourrait-elle me servir de prétexte à écrire de grandes sagas sans queue ni tête.

Photo © Turkairo

A présent, quelques pas dans ceux de l’homme aux semelles de vent, en Abyssinie. Pas forcément facile de rattacher ces anciennes civilisations avec la géopolitique contemporaine. Il y a encore un mois, je ne savais pas situer l’antique Abyssinie sur une carte — et pour quoi faire de toute façon ? On me reprocherait encore mon absence définitive et irrémédiable de culture scientifique — et aujourd’hui j’apprends que le mythique pays de la reine Makeda, plus connue sous le nom de Reine de Saba (‘מלכת שבאMalkat Shva, ንግሥተ ሳባ Nigista Saba), qui n’est autre que l’Ethiopie (ኢትዮጵያ ou የኢትዮጵያ ፌዴራላዊ ዲሞክራሲያዊ ሪፐብሊክ) — celle de Hailé Selassié (ኃይለ፡ ሥላሴ), du Ras Tafari, d’Arthur Rimbaud ou d’Hugo Pratt (l’homme qui disait: J’ai treize façons de raconter ma vie et je ne sais pas s’il y en a une de vraie, ou même si l’une est plus vraie que l’autre.) — est le seul pays d’Afrique a avoir son propre alphabet, le Ge’ez (ግዕዝ) et sa langue, l’amharique (አማርኛ amarəñña), est la seconde langue sémitique la plus parlée dans le monde après l’arabe, parlée également et étrangement en Israël, mais après tout, le mari de la Reine de Saba, n’était-il pas le fameux Roi Salomon ? Le peuple d’Abyssinie et le Negus (ንጉሥ) en particulier ne se disent-ils pas les descendants directs de Moïse ?

Photo © Turkairo

La capitale de l’Ethiopie est une ville nouvelle. Addis Abeba (ou Addis Ababa (ኣዲስ ኣበባ), nouvelle fleur en amharique) est construite sur un haut plateau, entre 2600 et 2800 mètres depuis le règne de Ménélik II (ምኒልክ) qui décida de rompre la tradition (ou plutôt était-ce son épouse, l’impératrice Taytu Betul) et ne plus habiter l’antique capitale, Axoum (Aksoum, Aksum, አክሱም) que l’on considère encore aujourd’hui comme la capitale de l’église éthiopienne orthodoxe et que certains n’hésitent pas à voir comme le lieu, le réceptacle de l’Arche d’Alliance (אֲרוֹן הָעֵדוּת, Aron ha’Edout, “Arche du témoignage”), enlevée par Ménélik Ier, fils de Salomon et Makeda (car non, l’Arche d’Alliance ne se trouve pas dans un entrepot de l’armée américaine comme nous l’a longtemps laissé croire Indiana Jones)

Photo © Turkairo

Je me plais tous les jours à tenter de déchiffrer ces alphabets que je ne connais pas et que je découvre, qui se dessinent en circonvolution étrange et sans significations ; le ge’ez, le pali (prakrit – प्राकृत), le syriaque (ܠܫܢܐ ܣܘܪܝܝܐ leššānā Suryāyā), l’Araméen, le chinois, le coréen avec ses consonnes et ses voyelles qui posées les unes à côté des autres, combinées en syllabes superposées, dessinent des symétries et des motifs tenant plus de la typographie pure, ses mots qui se terminent par des sons qui ne font pas asiatique comme le eu ou le eum (인천/仁川).

Photo © Turkairo

Au beau milieu de ces rêves d’ailleurs, bêtement indiscipliné, je me rends compte que les gens ont un peu d’épaisseur, et que si les lieux et les langues font l’ailleurs, ce sont avant tout, les gens, les femmes souriantes et les enfants jouant, les vieillards croulant sous le poids des ans et les hommes chassant le gibier sur leurs terres, ce sont avant tout les gens qui font l’ailleurs et leur donnent ces couleurs qui finalement sont les seuls souvenirs que l’on peut ramener dans ses bagages sans risquer de verser dans la contrebande.

Etape n°3 : Voir Axoum sur Google Maps.

Au verre devin

Je relis ce que j’ai écrit. Je retrouve des carnets entamés, oubliés dans des caisses transparentes qui prennent la poussière autant que la lumière.
Je ne me retrouve pas. Ce n’est pas moi qui ai fait ça. On croirait bien venue l’heure de la déréliction. Mais j’imagine que c’est le cheminement normal de tout destin.
Ce soir encore je vais m’endormir l’âme plutôt paisible comme les jours d’avant et les jours d’après risquent alors de ne plus être tout à fait les mêmes. Du haut de ma tour, au vent léger après la chaude journée, minuit passé, je goûte à l’air qui s’apaise avec un dernier verre de vin.

L'arc-en-ciel

Plus bas on rentre chez soi, le clocher de l’église lui, indique pour la seconde fois qu’il est temps d’aller rêver. Moi je somnole déjà dans mes bras.
Le vent commence à se lever, moi il est temps que j’aille me coucher.