Jeanneke Pis

Tout le monde connait le Manneken Pis, ce petit bonhomme en bronze, haut comme trois pommes et ayant pris pour habitude de porter des accoutrements absolument incongrus (voir la liste complète ici), parce qu’il est un des symboles de Bruxelles, comme en France la Tour Eiffel. Son histoire, elle, est moins connue et on retrouve des traces sur Wikipédia:

La statuette aurait été commandée en 1619 à Jérôme Duquesnoy. Celle-ci fut protégée par les Bruxellois lors du siège de la ville par les Français en 1695. La statue actuelle serait une réplique, l’original ayant disparu dans les années 1960. Continue reading “Jeanneke Pis”

Le jaune des peupliers, le vent dans les arbres

Parce que les envies de mon enfant sont comme les appels de la nature, pressants et impossibles à contrarier, je l’ai emmené au parc, mon Phaidon ACM en édition de poche pour me plonger dans les beautés de l’Europe du Nord, en surveillant le zouzou qui m’a étonné en se balançant tout seul sur le portique, un coup en avant, un coup en arrière, avec ses petites jambes opérant un mouvement de balancier qui m’endormait doucement, et je me serais volontiers laissé bercer un peu plus si je n’avais dû subir les ronrons des souffleurs de feuilles.
Kenya m’a rapporté trois feuilles jaunes et encore épaisses de sève de peupliers avant qu’elles ne soient emportées par ce vent fou et bruyant et il m’a demandé de les mettre dans mon livre pour en faire des marque-page. Alors je les ai séchées et coincées dans mon livre.
Et puis je me suis demandé si j’allais penser à raconter mes vacances. Pas plus longtemps qu’un battement de cil, pas plus longtemps que le vol langoureux et discret d’un papillon, je me suis posé cette question ridicule en ne cherchant pas de réponse, la laissant retomber comme une feuille tancée par la tempête.
Nicolas Bouvier disait qu’on ne ne connait le monde que si l’on n’a vu les hommes. Et dire que j’étais parti sans me soucier de savoir que pour tout préambule, le monde commence en bas de chez moi.

Moksha, l'ultime récompense

Voici plusieurs semaines que je parcours ce site et ces lignes. Elles s’appellent Yamuna Dasi, Shanti Karuna ou Shaila Wala, elles sont anonymes et hindoues et leur point commun est d’avoir connu les tragédies de la vie, le suicide, le veuvage, la perte d’un enfant ou la misère la plus extrême. Fazal Sheikh, une américaine est partie à la rencontre de ces femmes brisées, de ces femmes voilées souhaitant ne pas montrer leur visage ou au contraire exposant leur figure blessée par la vie et les coups, ou apaisée, et elle en a tiré un livre sombre, rempli d’images fortes et dures, d’ambiances sombres et vaporeuses. Moksha est une oeuvre superbe, imposante et silencieuse.

MokshaMoksha

Sur la page d’accueil, retrouvez les autres livres de Fazal Sheikh.

Serpents et piercings, Hitomi Kanehara

Tokyo, les bas-quartiers, Shinjuku, voici le décor d’une jeunesse apparemment en perdition. Serpents et piercings, (Hebi ni piasu) est l’oeuvre d’une toute jeune romancière japonaise née en 1983, Hitomi Kanehara, enfant terrible de la scène underground ayant vendu près de deux millions d’exemplaires de son livre écrit en anglais, déjà couronné par le prestigieux prix Ryûnosuke Akutagawa.

shinjukuPhoto © Kaidohmaru’

Serpents et piercings, c’est l’histoire d’un trou, un trou dans la langue, celui que s’est fait Ama, son copain, avant de se la sectionner et d’en faire une langue fourchue. C’est ainsi qu’on fait la découverte d’une toute jeune femme, Lui, qui ne désire plus qu’une seule chose, se faire trouer la langue et avoir elle aussi une langue de serpent. De sa rencontre avec Shiba-san, le tatoueur punk sadique, naîtra l’envie de se faire tatouer un dragon enlacé avec un Ki-Rin. Les trois personnages s’enlacent eux aussi telles les volutes des Malboro Menthol qu’ils fument à longueur de journée et impriment sur Lui leur empreinte. Un trio infernal et pas si désespéré qu’il en a l’air, oiseaux de nuit imbibés d’alcool, de sexe et de mort. Lui s’autodétruit, dit d’elle qu’elle a toute l’intelligence et le sens moral d’une gueunon, tandis qu’Ama ne cesse de veiller sur elle, la couvant comme un oiseau couve sa nichée et cela malgré la désinvolture avec laquelle elle le traîte. Shiba-san, lui voudrait se marier avec Lui, même si au bout du compte, il ne désire qu’une seule chose, qu’elle lui demande de la tuer, certainement pour atteindre la jouissance après laquelle il court désespérément. Derrière l’apparente crasse morbide des punks se cache en fait un monde stérilisé, stérile, duquel ne peut rien naître, pas même un amour et où finalement seuls les secrets et les désirs ont leur place.

Photo © junku-newcleus

Un livre grandiose et sombre, dans la pure lignée d’un Akutagawa inspiré, moins désespéré qu’un Ryū Murakami, et dont toute la superbe tient dans ce style sans entrave, à dix mille lieues de la rudesse japonaise. Oeuvre authentique d’une future prix Nobel de littérature ?

Un petit théâtre de marionnettes

Samedi, c’était jour de fête. Pour mon fils, première kermesse, première invitation pour un anniversaire – chez une fille !! -, premières fois tendres et joyeuses, toute une semaine ressassées en demandant à l’envi combien de dodos il reste… A l’école le matin, pas de coup de main, l’effervescence, la joie et les rires, des enfants surexcités qui courent dans tous les sens et comme rarement, les parents, les mères et les pères, grand-pères et grand-mères, amis, oncles et tantes et toute la famille si possible, ou alors en comité restreint, appareils photos et caméscopes de prix en bandoulière, la bonne occasion pour faire étalage de ses richesses ou de son expertise en matière d’image, c’est selon si l’on a encore quelque chose à prouver. Continue reading “Un petit théâtre de marionnettes”

Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public

C’est un objet de tristesse, pour celui qui traverse cette grande ville ou voyage dans les campagnes, que de voir les rues, les routes et le seuil des masures encombrés de mendiantes, suivies de trois, quatre ou six enfants, tous en guenilles, importunant le passant de leurs mains tendues. Ces mères, plutôt que de travailler pour gagner honnêtement leur vie, sont forcées de passer leur temps à arpenter le pavé, à mendier la pitance de leurs nourrissons sans défense qui, en grandissant, deviendront voleurs faute de trouver du travail, quitteront leur cher Pays natal afin d’aller combattre pour le prétendant d’Espagne, ou partiront encore se vendre aux îles Barbades. Je pense que chacun s’accorde à reconnaître que ce nombre phénoménal d’enfants pendus aux bras, au dos ou aux talons de leur mère, et fréquemment de leur père, constitue dans le déplorable état présent du royaume une très grande charge supplémentaire ; par conséquent, celui qui trouverait un moyen équitable, simple et peu onéreux de faire participer ces enfants à la richesse commune mériterait si bien de l’intérêt public qu’on lui élèverait pour le moins une statue comme bienfaiteur de la nation. Mais mon intention n’est pas, loin de là, de m’en tenir aux seuls enfants des mendiants avérés ; mon projet se conçoit à une bien plus vaste échelle et se propose d’englober tous les enfants d’un âge donné dont les parents sont en vérité aussi incapables d’assurer la subsistance que ceux qui nous demandent la charité dans les rues. Pour ma part, j’ai consacré plusieurs années à réfléchir à ce sujet capital, à examiner avec attention les différents projets des autres penseurs, et y ai toujours trouvé de grossières erreurs de calcul. Il est vrai qu’une mère peut sustenter son nouveau-né de son lait durant toute une année solaire sans recours ou presque à une autre nourriture, du moins avec un complément alimentaire dont le coût ne dépasse pas deux shillings, somme qu’elle pourra aisément se procurer, ou l’équivalent en reliefs de table, par la mendicité, et c’est précisément à l’âge d’un an que je me propose de prendre en charge ces enfants, de sorte qu’au lieu d’être un fardeau pour leurs parents ou leur paroisse et de manquer de pain et de vêtements, ils puissent contribuer à nourrir et, partiellement, à vêtir des multitudes. Mon projet comporte encore cet autre avantage de faire cesser les avortements volontaires et cette horrible pratique des femmes, hélas trop fréquente dans notre société, qui assassinent leurs bâtards, sacrifiant, me semble-t-il, ces bébés innocents pour s’éviter les dépenses plus que la honte, pratique qui tirerait des larmes de compassion du cúur le plus sauvage et le plus inhumain. Etant généralement admis que la population de ce royaume s’élève à un million et demi d’âmes, je déduis qu’il y a environ deux cent mille couples dont la femme est reproductrice, chiffre duquel je retranche environ trente mille couples qui sont capables de subvenir aux besoins de leurs enfants, bien que je craigne qu’il n’y en ait guère autant, compte tenu de la détresse actuelle du royaume, mais cela posé, il nous reste cent soixante-dix mille reproductrices. J’en retranche encore cinquante mille pour tenir compte des fausses couches ou des enfants qui meurent de maladie ou d’accident au cours de la première année. Il reste donc cent vingt mille enfants nés chaque année de parents pauvres. Comment élever et assurer l’avenir de ces multitudes, telle est donc la question puisque, ainsi que je l’ai déjà dit, dans l’état actuel des choses, toutes les méthodes proposées à ce jour se sont révélées totalement impossibles à appliquer, du fait qu’on ne peut trouver d’emploi pour ces gens ni dans l’artisanat ni dans l’agriculture ; que nous ne construisons pas de nouveaux bâtiments (du moins dans les campagnes), pas plus que nous ne cultivons la terre ; il est rare que ces enfants puissent vivre de rapines avant l’âge de six ans, à l’exception de sujets particulièrement doués, bien qu’ils apprennent les rudiments du métier, je dois le reconnaître, beaucoup plus tôt : durant cette période, néanmoins, ils ne peuvent être tenus que pour des apprentis délinquants, ainsi que me l’a rapporté une importante personnalité du comté de Cavan qui m’a assuré ne pas connaître plus d’un ou deux voleurs qualifiés de moins de six ans, dans une région du royaume pourtant renommée pour la pratique compétente et précoce de cet art. Nos marchands m’assurent qu’en dessous de douze ans, les filles pas plus que les garçons ne font de satisfaisants produits négociables, et que même à cet âge, on n’en tire pas plus de trois livres, ou au mieux trois livres et demie à la Bourse, ce qui n’est profitable ni aux parents ni au royaume, les frais de nourriture et de haillons s’élevant au moins à quatre fois cette somme. J’en viens donc à exposer humblement mes propres idées qui, je l’espère, ne soulèveront pas la moindre objection. Un américain très avisé que j’ai connu à Londres m’a assuré qu’un jeune enfant en bonne santé et bien nourri constitue à l’âge d’un an un met délicieux, nutritif et sain, qu’il soit cuit en daube, au pot, rôti à la broche ou au four, et j’ai tout lieu de croire qu’il s’accommode aussi bien en fricassée ou en ragoût. Je porte donc humblement à l’attention du public cette proposition : sur ce chiffre estimé de cent vingt mille enfants, on en garderait vingt mille pour la reproduction, dont un quart seulement de mâles – ce qui est plus que nous n’en accordons aux moutons, aux bovins et aux porcs – la raison en étant que ces enfants sont rarement le fruit du mariage, formalité peu prisée de nos sauvages, et qu’en conséquence, un seul mâle suffira à servir quatre femelles. On mettrait en vente les cent mille autres à l’âge d’un an, pour les proposer aux personnes de bien et de qualité à travers le royaume, non sans recommander à la mère de les laisser téter à satiété pendant le dernier mois, de manière à les rendre dodus, et gras à souhait pour une bonne table. Si l’on reçoit, on pourra faire deux plats d’un enfant, et si l’on dîne en famille, on pourra se contenter d’un quartier, épaule ou gigot, qui, assaisonné d’un peu de sel et de poivre, sera excellent cuit au pot le quatrième jour, particulièrement en hiver. J’ai calculé qu’un nouveau-né pèse en moyenne douze livres, et qu’il peut, en une année solaire, s’il est convenablement nourri, atteindre vingt-huit livres. Je reconnais que ce comestible se révélera quelque peu onéreux, en quoi il conviendra parfaitement aux propriétaires terriens qui, ayant déjà sucé la moelle des pères, semblent les mieux qualifiés pour manger la chair des enfants. On trouvera de la chair de nourrisson toute l’année, mais elle sera plus abondante en mars, ainsi qu’un peu avant et après, car un auteur sérieux, un éminent médecin français, nous assure que grâce aux effets prolifiques du régime à base de poisson, il naît, neuf mois environ après le Carême, plus d’enfants dans les pays catholiques qu’en toute saison ; c’est donc à compter d’un an après le Carême que les marchés seront le mieux fournis, étant donné que la proportion de nourrissons papistes dans le royaume est au moins de trois pour un ; par conséquent, mon projet aura l’avantage supplémentaire de réduire le nombre de papistes parmi nous. Ainsi que je l’ai précisé plus haut, subvenir aux besoins d’un enfant de mendiant (catégorie dans laquelle j’inclus les métayers, les journalistes et les quatre cinquièmes des fermiers) revient à deux shillings par an, haillons inclus, et je crois que pas un gentleman ne rechignera à débourser dix shillings pour un nourrisson de boucherie engraissé à point qui, je le répète, fournira quatre plats d’une viande excellente et nourrissante, que l

Courir avec des ciseaux, Augusten Burroughs

ScissorsPhoto © aga2957

Amherst, Massachusetts, en plein coeur des années 70. Augusten est un jeune adolescent évoluant dans un milieu déjanté, entre une mère folle qui déclame des poèmes, la tête de la femme du pasteur entre les cuisses, et un père alcoolique, totalement absent sauf lorsque ses instincts de tueur prennent le dessus et qui semble ne même pas se souvenir qu’il a deux enfants.

Elle n’a répondu à aucune de mes questions. Elle s’est contentée de garder les yeux fixes droit devant elle, quoique sans vraiment regarder la route, ni regarder dans son rétroviseur, et sans allumer une seule More.
Elle était revenue me chercher, exactement comme elle l’avait promis.
Mais seulement… où était-elle ?

En pleine adolescence tranquille, on suit l’évolution d’Augusten dans un monde qu’il n’a pas souhaité rencontrer, celui des adultes. D’abord soustrait à l’autorité (nulle) de son père, il sera ensuite abandonné par sa mère à son psy, lequel devient son tuteur légal. C’est alors qu’il arrive dans un monde étrange et bigarré dans lequel la figure paternelle et bienveillante du Docteur Finch est celle d”un grand illuminé qui a adopté tous les cas sociaux rencontrés sur son chemin et qui lit l’avenir dans ses étrons qu’il fait sécher sur la table du jardin. Augusten, désabusé, rencontrera dans cette famille hors-norme l’amitié avec Natalie, ses premiers rapports sexuels (assez violents) avec Neil, fils adoptif du psychiatre, et surtout la solitude dans un monde dans lequel il a du mal à trouver sa place.

Je me suis assis sur la canapé-lit, dans le noir, puis je me suis relevé pour aller chercher mes cigarettes dans la cuisine, et je suis revenu m’asseoir. J’en ai allumé une et j’ai fixé les ombres des masques africains sur les murs, les dessins à la plume de ma mère, dans leurs cadres, et toutes ces étagères de livres. Le problème, quand on a personne pour vous dire ce qu’il faut faire, c’est qu’il n’y a personne pour vous dire ce qu’il ne faut pas faire. Je venais de le comprendre.

L’impression que donne Augusten c’est d’avoir incompréhensiblement les pieds sur terre, même si l’on assiste à la métamorphose d’un adolescent en adulte dans un univers foutraque. Sous l’humour, la fausse naïveté, le regard acéré, se cachent en fait la détresse d’un homme qui a souffert, mais il nous montre que c’est aussi comme ça qu’on avance…

Courir avec des ciseaux a été adapté au cinéma en 2005 par Ryan Murphy, un film avec Annette Benning, Brian Cox, Joseph Fiennes, Alec Baldwin et Gwyneth Paltrow.

Poussé par le vent du large

Dehors, le vent souffle fort. J’aime le vent, il bouscule tout, chasse les poussières, donne un coup de neuf à tout ce qu’il touche, imprime sur la peau des odeurs de frais…
La peau…

Parfois, il ne suffit pas d’avoir envie de se battre, encore faut-il en avoir les moyens, et plutôt que s’obstiner, au risque de tout gâcher, de tout casser inutilement, il vaut mieux laisser prendre le large, dire aux gens qu’on n’insistera pas parce que ce serait égoïste de continuer comme ça et qu’on risque de se faire mal. Alors oui, ça fait mal, ça fait atrocement mal, ça donne presque envie de se sortir les entrailles du ventre, de pleurer un bon coup en pensant naïvement que ça passera.
Les larmes…
Et puis je sais que ça ne passera pas. Rien n’est aussi simple, parce que certaines histoires n’ont pas pour vocation d’être simples. Au bout du chemin, il ne me reste qu’une solitude infinie, compagne de tous les instants, cette vieille fille de l’enfer, cette chienne qui a décidé de ne pas casser sa pipe.

Pourtant, je continue d’avoir de l’espoir, c’est certainement mon côté… mon côté quoi d’ailleurs ? Je dois me reprendre, et je me connais, je sais que je le peux… le temps d’une chanson qui me berce comme lorsque j’étais enfant, la douceur protectrice de bras dans lesquels on a envie de se blottir pour respirer la tendresse… un baiser tendre… des mains qui caressent… Ce n’était pas un rêve…

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/19%20-%20Jethro%20Tull%20-%20Nursie.mp3]

Tiptoes in silence ’round my bed
And quiets the raindrops over my head.
With her everlasting smile
She stills my fever for a while.
Oh, nursie dear I’m glad you’re here
To brush away my pain…