C’est un objet de tristesse, pour celui qui traverse cette grande ville ou voyage dans les campagnes, que de voir les rues, les routes et le seuil des masures encombrés de mendiantes, suivies de trois, quatre ou six enfants, tous en guenilles, importunant le passant de leurs mains tendues. Ces mères, plutôt que de travailler pour gagner honnêtement leur vie, sont forcées de passer leur temps à arpenter le pavé, à mendier la pitance de leurs nourrissons sans défense qui, en grandissant, deviendront voleurs faute de trouver du travail, quitteront leur cher Pays natal afin d’aller combattre pour le prétendant d’Espagne, ou partiront encore se vendre aux îles Barbades. Je pense que chacun s’accorde à reconnaître que ce nombre phénoménal d’enfants pendus aux bras, au dos ou aux talons de leur mère, et fréquemment de leur père, constitue dans le déplorable état présent du royaume une très grande charge supplémentaire ; par conséquent, celui qui trouverait un moyen équitable, simple et peu onéreux de faire participer ces enfants à la richesse commune mériterait si bien de l’intérêt public qu’on lui élèverait pour le moins une statue comme bienfaiteur de la nation. Mais mon intention n’est pas, loin de là, de m’en tenir aux seuls enfants des mendiants avérés ; mon projet se conçoit à une bien plus vaste échelle et se propose d’englober tous les enfants d’un âge donné dont les parents sont en vérité aussi incapables d’assurer la subsistance que ceux qui nous demandent la charité dans les rues. Pour ma part, j’ai consacré plusieurs années à réfléchir à ce sujet capital, à examiner avec attention les différents projets des autres penseurs, et y ai toujours trouvé de grossières erreurs de calcul. Il est vrai qu’une mère peut sustenter son nouveau-né de son lait durant toute une année solaire sans recours ou presque à une autre nourriture, du moins avec un complément alimentaire dont le coût ne dépasse pas deux shillings, somme qu’elle pourra aisément se procurer, ou l’équivalent en reliefs de table, par la mendicité, et c’est précisément à l’âge d’un an que je me propose de prendre en charge ces enfants, de sorte qu’au lieu d’être un fardeau pour leurs parents ou leur paroisse et de manquer de pain et de vêtements, ils puissent contribuer à nourrir et, partiellement, à vêtir des multitudes. Mon projet comporte encore cet autre avantage de faire cesser les avortements volontaires et cette horrible pratique des femmes, hélas trop fréquente dans notre société, qui assassinent leurs bâtards, sacrifiant, me semble-t-il, ces bébés innocents pour s’éviter les dépenses plus que la honte, pratique qui tirerait des larmes de compassion du cúur le plus sauvage et le plus inhumain. Etant généralement admis que la population de ce royaume s’élève à un million et demi d’âmes, je déduis qu’il y a environ deux cent mille couples dont la femme est reproductrice, chiffre duquel je retranche environ trente mille couples qui sont capables de subvenir aux besoins de leurs enfants, bien que je craigne qu’il n’y en ait guère autant, compte tenu de la détresse actuelle du royaume, mais cela posé, il nous reste cent soixante-dix mille reproductrices. J’en retranche encore cinquante mille pour tenir compte des fausses couches ou des enfants qui meurent de maladie ou d’accident au cours de la première année. Il reste donc cent vingt mille enfants nés chaque année de parents pauvres. Comment élever et assurer l’avenir de ces multitudes, telle est donc la question puisque, ainsi que je l’ai déjà dit, dans l’état actuel des choses, toutes les méthodes proposées à ce jour se sont révélées totalement impossibles à appliquer, du fait qu’on ne peut trouver d’emploi pour ces gens ni dans l’artisanat ni dans l’agriculture ; que nous ne construisons pas de nouveaux bâtiments (du moins dans les campagnes), pas plus que nous ne cultivons la terre ; il est rare que ces enfants puissent vivre de rapines avant l’âge de six ans, à l’exception de sujets particulièrement doués, bien qu’ils apprennent les rudiments du métier, je dois le reconnaître, beaucoup plus tôt : durant cette période, néanmoins, ils ne peuvent être tenus que pour des apprentis délinquants, ainsi que me l’a rapporté une importante personnalité du comté de Cavan qui m’a assuré ne pas connaître plus d’un ou deux voleurs qualifiés de moins de six ans, dans une région du royaume pourtant renommée pour la pratique compétente et précoce de cet art. Nos marchands m’assurent qu’en dessous de douze ans, les filles pas plus que les garçons ne font de satisfaisants produits négociables, et que même à cet âge, on n’en tire pas plus de trois livres, ou au mieux trois livres et demie à la Bourse, ce qui n’est profitable ni aux parents ni au royaume, les frais de nourriture et de haillons s’élevant au moins à quatre fois cette somme. J’en viens donc à exposer humblement mes propres idées qui, je l’espère, ne soulèveront pas la moindre objection. Un américain très avisé que j’ai connu à Londres m’a assuré qu’un jeune enfant en bonne santé et bien nourri constitue à l’âge d’un an un met délicieux, nutritif et sain, qu’il soit cuit en daube, au pot, rôti à la broche ou au four, et j’ai tout lieu de croire qu’il s’accommode aussi bien en fricassée ou en ragoût. Je porte donc humblement à l’attention du public cette proposition : sur ce chiffre estimé de cent vingt mille enfants, on en garderait vingt mille pour la reproduction, dont un quart seulement de mâles – ce qui est plus que nous n’en accordons aux moutons, aux bovins et aux porcs – la raison en étant que ces enfants sont rarement le fruit du mariage, formalité peu prisée de nos sauvages, et qu’en conséquence, un seul mâle suffira à servir quatre femelles. On mettrait en vente les cent mille autres à l’âge d’un an, pour les proposer aux personnes de bien et de qualité à travers le royaume, non sans recommander à la mère de les laisser téter à satiété pendant le dernier mois, de manière à les rendre dodus, et gras à souhait pour une bonne table. Si l’on reçoit, on pourra faire deux plats d’un enfant, et si l’on dîne en famille, on pourra se contenter d’un quartier, épaule ou gigot, qui, assaisonné d’un peu de sel et de poivre, sera excellent cuit au pot le quatrième jour, particulièrement en hiver. J’ai calculé qu’un nouveau-né pèse en moyenne douze livres, et qu’il peut, en une année solaire, s’il est convenablement nourri, atteindre vingt-huit livres. Je reconnais que ce comestible se révélera quelque peu onéreux, en quoi il conviendra parfaitement aux propriétaires terriens qui, ayant déjà sucé la moelle des pères, semblent les mieux qualifiés pour manger la chair des enfants. On trouvera de la chair de nourrisson toute l’année, mais elle sera plus abondante en mars, ainsi qu’un peu avant et après, car un auteur sérieux, un éminent médecin français, nous assure que grâce aux effets prolifiques du régime à base de poisson, il naît, neuf mois environ après le Carême, plus d’enfants dans les pays catholiques qu’en toute saison ; c’est donc à compter d’un an après le Carême que les marchés seront le mieux fournis, étant donné que la proportion de nourrissons papistes dans le royaume est au moins de trois pour un ; par conséquent, mon projet aura l’avantage supplémentaire de réduire le nombre de papistes parmi nous. Ainsi que je l’ai précisé plus haut, subvenir aux besoins d’un enfant de mendiant (catégorie dans laquelle j’inclus les métayers, les journalistes et les quatre cinquièmes des fermiers) revient à deux shillings par an, haillons inclus, et je crois que pas un gentleman ne rechignera à débourser dix shillings pour un nourrisson de boucherie engraissé à point qui, je le répète, fournira quatre plats d’une viande excellente et nourrissante, que l
Courir avec des ciseaux, Augusten Burroughs
Photo © aga2957
Amherst, Massachusetts, en plein coeur des années 70. Augusten est un jeune adolescent évoluant dans un milieu déjanté, entre une mère folle qui déclame des poèmes, la tête de la femme du pasteur entre les cuisses, et un père alcoolique, totalement absent sauf lorsque ses instincts de tueur prennent le dessus et qui semble ne même pas se souvenir qu’il a deux enfants.
Elle n’a répondu à aucune de mes questions. Elle s’est contentée de garder les yeux fixes droit devant elle, quoique sans vraiment regarder la route, ni regarder dans son rétroviseur, et sans allumer une seule More.
Elle était revenue me chercher, exactement comme elle l’avait promis.
Mais seulement… où était-elle ?
En pleine adolescence tranquille, on suit l’évolution d’Augusten dans un monde qu’il n’a pas souhaité rencontrer, celui des adultes. D’abord soustrait à l’autorité (nulle) de son père, il sera ensuite abandonné par sa mère à son psy, lequel devient son tuteur légal. C’est alors qu’il arrive dans un monde étrange et bigarré dans lequel la figure paternelle et bienveillante du Docteur Finch est celle d”un grand illuminé qui a adopté tous les cas sociaux rencontrés sur son chemin et qui lit l’avenir dans ses étrons qu’il fait sécher sur la table du jardin. Augusten, désabusé, rencontrera dans cette famille hors-norme l’amitié avec Natalie, ses premiers rapports sexuels (assez violents) avec Neil, fils adoptif du psychiatre, et surtout la solitude dans un monde dans lequel il a du mal à trouver sa place.
Je me suis assis sur la canapé-lit, dans le noir, puis je me suis relevé pour aller chercher mes cigarettes dans la cuisine, et je suis revenu m’asseoir. J’en ai allumé une et j’ai fixé les ombres des masques africains sur les murs, les dessins à la plume de ma mère, dans leurs cadres, et toutes ces étagères de livres. Le problème, quand on a personne pour vous dire ce qu’il faut faire, c’est qu’il n’y a personne pour vous dire ce qu’il ne faut pas faire. Je venais de le comprendre.
L’impression que donne Augusten c’est d’avoir incompréhensiblement les pieds sur terre, même si l’on assiste à la métamorphose d’un adolescent en adulte dans un univers foutraque. Sous l’humour, la fausse naïveté, le regard acéré, se cachent en fait la détresse d’un homme qui a souffert, mais il nous montre que c’est aussi comme ça qu’on avance…
Courir avec des ciseaux a été adapté au cinéma en 2005 par Ryan Murphy, un film avec Annette Benning, Brian Cox, Joseph Fiennes, Alec Baldwin et Gwyneth Paltrow.
Le fil de l'horizon, Antonio Tabucchi
Antonio Tabucchi, c’est un peu l’auteur providentiel qu’il faut lire pour voyager et rêver, c’est un auteur splendide et sensuel, malgré l’image froide qu’il donne au premier abord. Lire un livre de Tabucchi est un moment précieux, c’est pour cela que j’ai mis du temps à me décider pour écrire ce billet. Le fil de l’horizon est un petit livre d’une centaine de pages et si le rythme des premières lignes peut laisser un peu sceptique, le peu d’entraînement donner envie de laisser tomber, on se laisse bercer par son écriture poétique et douce, savante et organique. A la lecture de la note s’inscrivant comme une postface[1], on comprend un peu mieux l’ambiance puisque l’auteur avoue lui-même n’avoir pas pris beaucoup de plaisir à écrire ce livre.
Photo © Marco Vissani
Nous sommes dans un port, ce n’est pas par hasard. Spino est employé dans une morgue et la présence d’un cadavre anonyme dans ses murs l’intrigue. Comme pour tromper l’ennui, il va décider de découvrir qui est cet homme dont l’identité semble échapper dès qu’on s’en approche. Le fil de l’horizon ce sont ces détails insignifiants auxquels il s’attache pour résoudre cette énigme obsédante.
Il les a regardé dans les yeux avec insistance, comme le font parfois les prêtres. “Pourquoi vous intéressez-vous à lui ?, ” a-t-il demandé.
“Parce qu’il est mort et que je suis vivant”, a répondu Spino.
Il ne sait pas très bien pourquoi il a dit cela, il lui a semblé que c’était la seule réponse plausible, parce qu’en réalité il n’avait aucune réponse.
L’enquête progresse tout doucement, les scènes se succèdent à un rythme auquel Tabucchi m’a habitué, Spino se rapproche certainement de la réalité, mais au bout du compte, tout lui échappe, plus rien n’a de sens, l’enquête policière patine et se transforme en poème. Le fil de l’horizon, ce sont toutes ces vérités futiles ou subtiles que l’on s’évertue à approfondir, mais qui finalement s’envolent dès qu’on les touche du doigt.
Et le voilà qui erre de nouveau à la recherche de rien, les murs de ces ruelles semblent lui promettre une récompense qu’il ne parvient pas à obtenir, comme si elles dessinaient un parcours de jeu de l’oie fait de cases vides et de pièges dans lequel il déambule en espérant que le dé s’arrête bientôt sur un numéro qui résoudra son énigme. Et pendant ce temps, là-bas, il y a la mer qu’il contemple, les bateaux, les mouettes, les nuages.
Un texte magnifique, indispensable, une rêverie sensuelle à la mode italienne.
Notes:
[1] Je me risque à la reproduire ici, mais ce document est un réel plaisir que je souhaite partager.
Shin'yuu
親友
Il était assis l’autre bout de la rame de métro, ce midi tandis que je me rendais au travail, les jambes écartées et les mains tellement serrées l’une contre l’autre que les jointures de ses doigts blanchissaient. Une ombre du passé, un souvenir soudain qui remonte à la surface, un visage familier – je pense que j’ai penché légèrement la tête et froncé les sourcils pour fixer son visage et tenter de mettre un nom sur ces traits rudes, ce nez profilé comme un couteau, ces lèvres fines, de tout petits yeux sombres (verts en fait) profondément enfoncés dans leurs orbites – son crâne rasé – son crâne rasé ? Oui. Rasé. L’air était étouffant. Je suis certain que c’était lui. Christophe.
Lorsque j’étais à la fac, je me suis assis à côté de ce grand type aux cheveux frisés, à la peau luisante lorsque je regardais son profil à la lumière, il transpirait – il faisait chaud dans cette petite salle où nous étions entassés pour écouter les cours passionnants de Jacob Rogozinski – Heidegger, les idiotismes, l’ἀ–λήθεια et les Holzwege. Je me souviendrai toujours de cette tenue qu’il portait ce jour-là – une classe incroyable – de belles chaussures bien cirées, un pantalon cigarette à fines rayures repassé, avec un pli, une chemise blanche impeccable et une veste imperméable à col droit anthracite – autant dire qu’il détonnait un peu dans les couloirs de Saint-Denis – même moi, j’avais l’air d’un paysan à ses côtés.
Nous nous sommes tout de suite plus et le cours à peine terminé, nous sommes allés boire un verre dans un bar du centre. Il ne buvait pas car il avait des problèmes avec l’alcool, il devenait très vite agressif. Nous avons beaucoup parlé – il agitait ses grandes mains en parlant et son visage prenait des expressions démesurées – il me parlait de Jacques Poulain, de Boris Pasternak, mais il avait du mal à saisir les cours d’Alain Badiou. Christophe, l’étudiant sans bac qui avait accédé à la fac avec son expérience professionnelle. Souvent le soir après les cours, nous prenions un verre ensemble et nous parlions toujours énormément, je prenais des notes pour ne pas oublier le flot de nos paroles, je notais tout ça sur mon cahier de cours comme si ce n’était que la continuité des études. Christophe, un garçon fascinant, d’une intelligence rare et fine, somptueuse, il était beau et drôle, nous passions notre temps à faire des joutes verbales et à rire de nos jeux de mots idiots et quatrième degré, à regarder en silence les filles passer et je le voyais gratter son menton toujours mal rasé qui produisait ce bruit caractéristique de poils de barbe – nous étions bien tous les deux – on faisait très intellectuels décadents et nonchalants.
Oui il était beau et doux, Christophe – et puis un jour, je ne l’ai plus revu – il avait disparu – à moins que ce ne fût moi – nous nous sommes perdus de vus – plus rien – du jour au lendemain. Et puis il se trouvait là, devant moi mais un je ne sais quoi de dérangeant. Il avait le crâne rasé, sa peau avait une couleur mate mais il semblait incroyablement nerveux, toujours très bien habillé, mais foncièrement nerveux, agité de soubresauts malsains. Je pense qu’il ma vu et qu’il m’a reconnu. Nous avons plongé notre regard dans celui de l’autre, mais j’ai fini par baisser les yeux, comme accablé par toutes ces années d’absence, loin l’un de l’autre, où nous avons manqué tant de choses ensemble et que nous ne pourrons plus rattraper. J’ai réprimé un sanglot et mes yeux se sont recouverts d’un voile humide.
Je ne l’ai plus regardé. Un dernier regard, juste ce dernier regard lorsque je suis descendu du métro – lui continuait son chemin – nous nous sommes quittés comme ça sans rien – c’était peut-être mieux comme ça – je ne sais pas – il me manque – j’aurais aimé vivre encore tellement de choses avec lui.
Bilan de deux mois d'une certaine inactivité
Je trouve ça effrayant. Voici presque deux mois que je n’ai pas ouvert un journal autre qu’un programme de télévision. Deux mois que je n’ai pas regardé le journal télévisé. Deux mois que je n’écoute pas les informations à la radio, que je ne consulte pas les informations sur Internet et que je ne regarde même pas les gros titres des journaux dans les kiosques et même les journaux d’information gratuits distribués dans le métro. Deux mois que je suis à la ramasse totale en ce qui concerne le monde, l’Europe, la France, je suis complètement largué ; j’entends bien parler de choses et d’autres par mes collègues de travail.
De temps en temps Fabienne me glisse une info importante, du genre les affrontements de Gare du Nord (c’est sur ma ligne de train et c’est depuis Genève que j’apprends l’événement) ou alors un massacre dans une école américaine.
Ce n’est pas que je m’en fous, c’est juste que ça ne m’intéresse pas. J’ai vécu toute une période complètement engoncé dans l’information à en avoir des nausées, à décortiquer les canards, à zapper entre les chaînes d’info, à n’écouter que France Info dans ma voiture et aujourd’hui, plus rien.
Croyez-le ou non, ça ne me manque pas et ça fait un bien fou, comme si je m’étais écarté du monde pendant quelques temps, je m’en trouve comme lavé des impuretés du monde, rendu vierge de tous les éléments extérieurs. L’effet sur le moral est saisissant, j’ai comme l’impression d’être entre parenthèses dans ce monde. Et pour le coup, je n’ai aucune envie d’y retourner.
Pour le coup, je me demande quel monstre social je suis devenu. Parfois on me dit “Ohhlalalala (*5), tu as entendu cette histoire ???” et je calme le jeu en disant NON d’emblée, alors on me regarde comme si j’étais atteint d’une forme rare du virus de Marbourg.
Pourtant, je lis énormément, sur tous supports, je regarde parfois d’un oeil distrait la télévision (ce n’est pas pour autant que je l’écoute), j’aime éplucher les pages grand format de CB News, j’agrège plus de 270 fils de news dans mon lecteur RSS dont plus de la moitié est consacrée au design, à l’architecture, aux tendances, au marketing, à la photo, aux voyages, mais rien sur l’actualité. Parfois j’attrape quelques bribes sur tel ou tel blog, mais je saute, “mark all read”, je zappe, je rends les armes. Pas de temps ni de place dans ma vie pour ces choses.
Mais promis, le soir du 22 avril, à 20h00, je serai planté devant ma télé avec un bol de cacahuètes. J’adore lancer des saletés aux singes…*
PS: Message personnel à l’espèce de trou du cul de chauffeur de taxi (vous aurez remarqué le non-emploi particulièrement bien adapté de l’oxymoron dont l’exact opposé s’appelle un pléonasme) qui :
- S’est mis sur la file de droite pour tourner à gauche au feu sur le pont d’Asnières.
- S’est permis de gueuler parce que j’empruntais la voie la plus à droite et que par conséquent je lui bloquais le passage (il a très certainement dû oublier comme 96% des Français qu’on roule TOUJOURS !!! Bordel !! sur la file la plus à droite).
- S’est amusé à me faire une queue de poisson puis s’est pris pour Starsky et Hutchinson (sauf qu’il roulait dans une grosse Mercos baveuse et rutilante) en se mettant en travers de ma route, certainement dans l’espoir que je m’arrêtasse (emploi parfaitement maîtrisé du subjonctif imparfait) pour me laisser défoncer la gueule à coup de cric.
- A eu l’air passablement étonné, voire apeuré lorsque j’ai accéléré pour passer la quatrième et le contourner à peine à quelques centimètres d’un coup de volant savamment maîtrisé (la pratique, jeune padawan, la pratique !).
- M’a gentiment gratifié d’un appel de phare que je garde planté dans mon coeur telle une épine de Rosa Rugosa, marquant pour l’éternité mon esprit mortifié.
Sache donc, gentil connard, que, malgré le fait que mon coeur a quelques instants battu très fort, j’ai pris un pied fou à te foutre une trouille qui, je le souhaite de toute mon âme, te servira de leçon.
En espérant également que tu aies tâché ton siège…
Sur ces entrefaites, je tire ma révérence, le temps d’une nuit.
* http://www.mangerbouger.fr/
Bernard Khoury / DW5 – Club B 018
Bernard Khoury et DW5 c’est une association de gens talentueux chapeautée par un architecte ayant principalement oeuvré à la reconstruction du Liban dévasté. Beyrouth est son terrain de jeu et après avoir étudié à Rhode Island, il est devenu un des créateurs les plus prolifiques et les plus originaux de sa génération. Une de ses oeuvres les plus touchantes est la construction du club B 018 sur le lieu d’un massacre particulièrement sordide. Symbole de la mise en quarantaine des réfugiés et de l’époque du colonialisme, l’endroit est à présent doté d’une discothèque, un lieu de vie gai et enjoué dont la signification ne peut échapper, comme si l’exorcisme du passé sombre ne pouvait être effacé que par l’existence d’un espace voué à l’insouciance. Ce club est enterré, affleurant à peine à la surface, et son toit amovible permet une vue à ciel ouvert. Une réalisation importante et chargée de sens.
Le bibliomane, Charles Nodier
Vous avez tous connu ce bon Théodore, sur la tombe duquel je viens jeter des fleurs, en priant le ciel que la terre lui soit légère. Ces deux lambeaux de phrase, qui sont aussi de votre connaissance, vous annoncent assez que je me propose de lui consacrer quelques pages de notice nécrologique ou d’oraison funèbre. Il y a vingt ans que Théodore s’était retiré du monde pour travailler ou pour ne rien faire : lequel des deux, c’était un grand secret. Il songeait, et l’on ne savait à quoi il songeait. Il passait sa vie au milieu des livres, et ne s’occupait que de livres, ce qui avait donné lieu à quelques-uns de penser qu’il composait un livre qui rendrait tous les livres inutiles ; mais ils se trompaient évidemment. Théodore avait tiré trop bon parti de ses études pour ignorer que ce livre est fait il y a trois cents ans. C’est le treizième chapitre du livre premier de Rabelais. Théodore ne parlait plus, ne riait plus, ne jouait plus, ne mangeait plus, n’allait plus ni au bal, ni à la comédie. Les femmes qu’il avait aimées dans sa jeunesse n’attiraient plus ses regards, ou tout au plus il ne les regardait qu’au pied ; et quand une chaussure élégante de quelque brillante couleur avait frappé son attention : « Hélas ! disait-il en tirant un gémissement profond de sa poitrine, voilà bien du maroquin perdu ! » Il avait autrefois sacrifié à la mode : les mémoires du temps nous apprennent qu’il est le premier qui ait noué la cravate à gauche, malgré l’autorité de Garat qui la nouait à droite, et en dépit du vulgaire qui s’obstine encore aujourd’hui à la nouer au milieu. Théodore ne se souciait plus de la mode. Il n’a eu pendant vingt ans qu’une dispute avec son tailleur : Continue reading “Le bibliomane, Charles Nodier”
Pulse
Loin d’être calme, je vis chaque moment à toute vitesse, la tête en ébullition… Je n’arrive pas à me concentrer, je carbure au café quinze heures par jour, je commence à m’organiser dans tous les sens, je classe mes affaires, je repère où chaque chose se trouve et je me construis des espaces de rangement strictement virtuels.
En fait, je lis beaucoup de choses, à droite et à gauche, je fais ce qu’il ne faut pas faire, je compare mon écriture à ce qu’ont fait les autres avant moi. Je suis seul dans ce que je fais, je n’ai personne pour me seconder, pas de secrétaire, pas de nègre, je suis tout seul avec mon clavier, mes carnets et mes stylos… Je me rends compte au fur et à mesure que je trouve moi-même les réponses à mes questions sur le fait d’écrire en lisant et relisant ce que j’ai fait dans chacun de mes univers. J’y vois des imbrications, un immense jeu de lego qui se met en place. Et j’adore ça, je suis incroyablement excité (je sais, c’est un peu tout le temps) et je commence à avoir de l’espoir. J’entrevois clairement la possibilité d’écrire plus, mieux, de manière quasiment militaire, et je le fais.
[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/02%20-%20Before%20You%20Leave.mp3]
Tu sens les pulsations ? Tu sens comme ça bouge ? Hmmm… Je ne compte plus les fois où je me suis lamenté sur ma paresse et mon manque de volonté, mais tout ça semble être du passé, depuis quelques temps déjà. Je me sens comme un adolescent au purgatoire… Mêmes émois… Aujourd’hui, il est temps de se mettre en route, à l’ancienne, comme au temps où l’on partait sur les routes désertiques avec une grande bagnole avec une seule banquette à l’avant… Un parfum de désert, une traversée des grands espaces que je ne pensais plus possible…
C’est certain qu’Amiens n’est pas le désert, quoique c’est une ville en plein milieu des champs. J’aime me lancer sur cette autoroute A16, alors que le soir est tombé, que le brouillard fin enveloppe la campagne. La vitesse est grisante, il n’y a pas grand monde; je colle mes mains sur le volant, je m’enfonce dans mon siège et j’écrase le champignon pour faire des accélérations spectaculaires qui ne font rire que moi. Le moment de folie passé, je roule tranquillement en regardant l’horizon, en m’imaginant au volant d’une Chevrolet Impala sillonnant le routes de l’Iowa, mais bien vite, je vois des champs de betteraves à perte de vue et je suis au volant d’une 206 qui sent encore l’usine.
Et c’est soudain; c’est le drame. J’ai dû pêcher dans une autre vie, faire beaucoup de mal à des gens très bien, tuer des animaux. Bref, mauvais karma.
Je n’ai même pas parlé des livres que j’ai lu ces derniers temps, ce documentaire bouleversant de John Hersey sur Hiroshima, ce livre divertissant et parfois rude d’Augusten Burroughs, Courir avec des ciseaux, et tous ceux que j’ai entâmé ou entassé sur la tablette qui me sert de table de chevet. J’avais envie de passer à autre chose. Tout à coup, Kerouac, Bukowski, les auteurs japonais, John Fante, mes livres d’architecture, Henry Miller (c’est très californien tout ça), tous ceux qui m’accompagnent d’ordinaire m’ont paru dramatique, trop peu en phase avec la légèreté dont j’avais besoin ces derniers temps. Alors j’ai fait quelque chose que je ne croyais plus possible depuis bien longtemps; lire une oeuvre du XVIIè siècle d’un ecclésiastique britannique. Présentées comme ça, les choses manquent de piquant, c’est certain. J’avais essayé de me plonger dans une matinée d’amour pur de Yukio Mishima (ce nom résonne avec une certaine poésie à mes oreilles, plus que son vrai nom, Kimitake Hiraoka), mais les nouvelles m’ennuient pour le moment. C’est donc avec une certaine joie que je me suis permis de reprendre une lecture qui devait dater d’au moins sept ou huit ans : The Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman de Laurence Sterne, volume 1. C’est un texte étonnant, mais j’en ai encore lu trop peu pour pouvoir disserter dessus. La moitié du livre est consacré aux notes de Guy Jouvet, traducteur génialissime qui a su respecter les caprices typographiques de l’auteur. J’aime ces livres savants qui digressent à l’infini et finissent par nous emporter dans un labyrinthe sans fin de connaissances, un peu à la manière des écrits conjoints de Gilles Deleuze et Felix Guattari. Par exemple, j’ai appris hier soir qu’il existait, selon Ambroise Paré, trois niveaux corporels des esprits, mais évidemment, l’intérêt universel de la chose sur ce blog reste somme toute assez limité. Cette lecture est incroyable, impertinente, drôle, terriblement érudite, annotée de citations de Montaigne, La Bruyère et dirigée par les opinions mêmes du traducteur / commentateur.
Il faudrait aussi se replonger dans un livre que j’ai dévoré autrefois pendant mes études, Principes fondamentaux de l’histoire de l’art : Le problème de l’évolution du style dans l’art moderne de Heinrich Wölfflin. Alors oui, ça parait pédant de placer ça dans une conversation entre le fromage et le dessert, ou alors (et attention, c’est du vécu) au square en rencontrant un couple autrefois ami, poussette et chien en laisse à la clef (Elle dit: je suis désolée, je ne vous invite pas à manger en ce moment, on est plein dans les cartons. Ce que à quoi j’ai répondu intérieurement: “Merci de tout coeur !” Elle reprend: “Mais on peut toujours aller se faire une balade au parc ?” et moi de penser “C’est ça ouais, compte là-dessus, plutôt crever d’une chaude-pisse”), mais au bout du compte, ce livre est très facile à lire et apprend les différences fondamentales entre le style classique et le baroque, dans la courte évolution qui a fait basculer l’un dans l’autre. Non ? Toujours pas convaincu ? Alors on y comprend mieux comment Titien (Bon dieu, il s’appelle Tiziano Vecceli non ? On ne peut pas lui foutre la paix en l’appelant par son vrai nom ?) a révolutionné l’art en son temps. Je n’essaie pas de vous convaincre, je parle en l’air, c’est tout. Et puis lisez aussi Elie Faure et Ernst Gombrich, ça ne peut que faire du bien…
Euh… J’ai parlé du livre de Régis Debray (pauvre homme affublé d’un prénom aussi ridicule, que Dieu pardonne ses parents) Vie et mort de l’¢image. Une histoire du regard en Occident ? Non alors j’en touche deux mots. Ce livre est en fait sa thèse de doctorat, dirigée par François Dagognet, celui-là même qui a fait sa carrière sur les détritus et les sécrétions corporelles (comprenne qui pourra). Et… c’est tout. On ne badine pas avec les grandes oeuvres – avec l’amour non plus.
J’aurais aimé… être… architecte. J’aurais pu si j’avais travaillé.
J’aurais aimé… être… journaliste. Je n’ai jamais essayé.
Et si finalement je devenais écrivain? (dis-je en pouffant).
Ce ne sont pas les choses elles-mêmes qui tourmentent les hommes, mais les opinions qu’ils forment sur les choses.
Epictète, Encheiridion
J’ai une mémoire prodigieuse pour certaines choses, c’est déjà ça non ? Comme chacune des notes de la Marche Funèbre pour la Reine Mary, d’Henry Purcell… – je suis incapable de me souvenir de ce que j’ai fait hier, mais la partition, ça oui, c’est comme si elle était imprimée sur ma rétine – Montez le son, et je vous demande un peu de recueillement pour cette pauvre Mary qui repose par six pieds sous la terre d’Albion – on parle bien de la Reine d’Angleterre, pas du RMS, le paquebot, on est d’accord ?
[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Purcell.mp3]
Comme pour faire contraste avec le superbe portrait de Mary, je pense tout à coup à la grossièreté, dans ce qu’elle a de plus global. A ces mots que je prononce parfois au grand désespoir des gens que je côtoie, à ces textes que je me refuse de censurer parce qu’ils sont ce qu’ils doivent être au moment où je les écris, à toutes ces choses que la morale réprouve. Il me semble qu’on peut tout à fait se gratter les couilles en public, le tout étant de le faire avec élégance. La grossièreté ne trouve de sens que si elle est accompagné de son corrélaire, l’élégance. En disant cela, je pense à la dernière publicité Chanel, pour un rouge à lèvre. On y voit une blonde qui est à mon sens censée représenter le désir, la chair, l’envie, mais le problème c’est que cette poupée donne l’effet totalement opposé. Elle est d’un vulgaire affligeant, on croirait voir un pute fraichement débarquée d’Ukraine, tout ce qu’il y a de plus vulgaire et de repoussant chez la pétasse de luxe. Alors oui, je préfère me gratter les couilles en public avec mon charme habituel plutôt que de subir les charmes éventés d’une catin du port de Hambourg essayant de provoquer en moi des émois sexuels en trémoussant son cul enturbanné avec des lèvres qui me rappellent une danseuse de peep-show dans une rue commerçante de Copenhague (les voyages forment la jeunesse parait-il). Où se trouve la grossièreté ? Dans les mots de Bukowski ou dans les images surfaites d’une publicité pour un rouge à lèvres ? Ou encore dans les mots de cette épitaphe qui ornera ma tombe ?…
Je vous emmerde… Et vous me le rendez bien.
Ceci ne s’adresse pas forcément qu’aux lecteurs du Parisien (bon dieu que ce journal est minable, l’expression même de la vulgarité – encore – d’un certain lectorat)… Je suis de retour, c’est indiscutable (pas de fausse modestie), avec mes stylos Pilot Tech-Point V7, mon envie de crustacés, mes mains et mes doigts dans lesquels on peut voir, selon la lumière, soit la main câleuse du scribe ou la main délicate de l’intellectuel – merde, ce ne sont que des mains après tout – et puis mon irrésistible envie d’être tout pour quelqu’un. Dans ma réclusion, je souffre de la solitude de celui qui désormais ne va faire qu’attendre. Et Dieu sait que je peux être patient pour ce genre de chose, même si ça me ronge les chairs.
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Je vais ressortir mes pinceaux, mes carnets et je vais me remettre à peindre avec cette technique si particulière qui consiste à peindre avec du thé. Avec ce soleil, quelques idées en tête, je rêve de navires et de marées lointaines…
Repartir vers le large…
Comique tripier
Quand la viande prend place dans les galeries, on arrive bien loin d’un Francis Bacon (sans jeu de mot) inspiré, et ça en devient presque comique.
Via Another Company.
Comique tripier
Quand la viande prend place dans les galeries, on arrive bien loin d’un Francis Bacon (sans jeu de mot) inspiré, et ça en devient presque comique.
Via Another Company.