Profil intérieur

5 janvier 2006, je suis en train de remonter la mezzanine, c’est infernal, il faudrait au moins être 3 pour monter ce bazar. Les vis sont à moitié serrées pour éviter le jeu, mais certaines d’entre elles sont à peine emboîtées. Je tiens les deux montants à bout de bras en prenant mon souffle, je regarde au dessus de moi pour voir si tout tient bien et soudain, je vois la traverse tomber directement sur mon visage. A ce moment là, j’ai pensé tout lâcher et me tirer, mais je risquais de tout faire tomber. Résultat des courses, j’ai quand même tout fait tomber quand je me suis pris le nez des deux mains; je venais de me prendre la traverse en plein dessus dans un bruit mat et grossier d’éclat de bois.

J’ai dü perdre un bon demi-litre de sang, la moquette s’en souvient. Vacillant sur mes jambes, je me suis mis à chialer en criant “Bordel !! Ça fait maaaaaaaal !!! Décrire cette douleur est impossible, mais c’est à l’extrême opposé d’un orgasme. Urgences, radios, le verdict est net: fracture transversale des os près de leur extrémité, avec petits décalages des fragments. Pendant quelques jours, j’ai eu un air canaille de boxeur avec mon pansement en travers du tarin. Résultat, une belle cicatrice (ben oui, fracture ouverte, quand-même) et un beau nez busqué en contrepartie.

L’ORL a été net, je n’avais pas de déviation de la cloison nasale. Pour récupérer la forme d’avant, c’est soit j’attends et ça se recolle tout seul avec 80% de chances que ça reste comme ça, soit je passe sur le billard, deux jours d’hôpital avec des mêches dans le nez. J’ai refusé.

Aujourd’hui, j’ai un nez que je ne reconnais pas, modifiant légèrement la perception que j’avais de mon visage. Il faut croire que c’était écrit. Mektoub.

nez

Wide open

Sorti dans le vent sans vraiment me rendre compte qu’il faisait déjà jour, je me suis soudain aperçu que le vent soufflait fort, trop fort et à peine avais-je marché cinquante mètres que déjà je commençais à avoir mal au crâne, les oreilles en ont pris un coup. Ça m’apprendra à aller chez le coiffeur en pleine saison des cyclones.

J’aurais pu demander de me faire coiffer encore plus court, mais disons qu’après je risquais d’exposer la peau du crâne aux intempéries, et puis après tout, c’est juste histoire de changer de tête quelques temps, de marquer une pause, de se faire beau et propre et d’en profiter. Il paraît que ça repousse de toute façon. Continue reading “Wide open”

Sur le départ, Magnus Mills (All quiet on the Orient Express)

Je les ai lus dans le désordre, les trois livres de Magnus Mills, mais ce n’est pas grave. Il n’en reste plus. Le titre anglais de celui-ci ne se comprend qu’à la lecture du livre et c’est tant mieux; il est des livres qu’il faut lire, se laisser bercer, et la force de celui-ci réside dans le fait qu’on reste du début à la fin dans une sorte de tension portée par le fait que le narrateur doive partir.

Photo © Iraklis

L’action se situe dans une campagne qu’on présume anglaise, verte, luxuriante, froide et touffue. Notre homme a un projet : partir en Inde, mais auparavant, il décide de passer quelques jours dans un camping au bord d’un lac.
Afin de gagner quelques jours de location, il accepte de rendre un service au propriétaire.
Finalement, son séjour s’allonge, il rend d’autres services contre un hébergement plus long et l’on voit se mettre en place une sorte d’économie basée sur le tric, le service rendu.
Le narrateur se prend au jeu, et l’on sent qu’il se sent bien ici, il trouve sa place, c’est du moins ce que les autres personnages lui laissent croire.
Au fur et à mesure, on voit s’installer une spirale dans laquelle il finit par ne plus pouvoir, ou plutôt par ne plus vouloir dire non.
On lui en demande toujours plus, on le loue, on se l’approprie tel une marchandise et, personnellement, j’y vois là la thématique utilisée dans les deux autres livres: l’aliénation.
Jusqu’à la fin, on se demande s’il finira par partir un jour de ce pays duquel il est devenu citoyen. De l’humour et de la terreur, un style simple et enjoué, frisant souvent avec la noirceur à la manière de ses concitoyens anglais.

Le temps d’arriver assez loin pour installer le mouillage, M. Parker commençait à avoir l’air très malheureux. Il s’était agrippé des deux mains à l’ancre, et il examinait les flots noirs sous ses pieds. Pendant ce temps, Deakin continuait de bricoler la chaîne, l’enroulant en boucles et apportant je ne sais quelles améliorations à la bouée de mouillage.
– Très bien, dis-je. Reculez, Deakin. Nous allons jeter l’ancre.
Avec l’aide de M. Parker, je poussais l’ancre par-dessus bord. Elle coula à pic dans les profondeurs, suivie par la longue chaîne qui cliquetait, et elle disparut en un instant.
Ainsi que Deakin.

Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil, Haruki Murakami

Les saveurs subtiles d’un thé des songes à l’orée du jour d’après me donnent envie de parler de ce livre que j’ai lu récemment. Mon amour pour Murakami reste inébranlable et même si, du fait que Sabah m’avait vivement conseillé de lire celui-ci en particulier et que pour le coup, je me suis comme inexplicablement braqué face à la couverture du livre qu’elle venait de me prêter, je me suis plongé à corps perdu dans cette histoire de solitude et d’amour dans un Japon contemporain.

Japan nightPhoto © tiarescott

Hajime est un jeune enfant complexé. Il est fils unique et conçoit ceci comme une tare. Sa rencontre avec Shimamoto-san, jeune fille tout aussi fille unique et boiteuse de surcroit, va lui faire sentir les choses autrement. La vie, les études, les petits incidents de la vie les font se perdre de vue. Hajime poursuivra sa vie, une petite vie de gratte-papier sans envergure dans laquelle il collectionne les aventures sexuelles, laissant sur le carreau la belle Izumi, qu’il transformera en fantôme, jusqu’à ce qu’il se marie. Sa vie prend alors un nouveau tour puisque son beau-père lui prêtera de quoi ouvrir un club de jazz, puis un autre. La vie rangée prend le dessus et l’enferme, jusqu’à ce que Shimamoto-san surgisse un soir dans son antre.

Elle a beaucoup changé, elle ne boite presque plus et elle est devenue très belle. Leur nouvelle rencontre les bouleversera tous les deux et Hajime se retrouvera malgré lui pris dans une spirale amoureuse qu’il ne voudra pas briser. Pourtant, Shimamoto-san lui demande de faire un choix qui le laissera dans une incroyable solitude.

Quand j’étais fatigué de contempler mes fantasmes, je me mettais debout devant la fenêtre et regardais le paysage. De temps en temps, il me semblait que j’avais été abandonné dans un désert privé de vie. Mes hordes de visions avaient aspiré toutes les couleurs du monde autour de moi, ne laissant que le vide. Tous les objets, tous les paysages, paraissaient plats et vides comme des décors éphémères en carton-pâte, poussiéreux, couleur de sable. Je repensais à cet ancien camarade de lycée qui m’avait un jour donné des nouvelles d’Izumi. Il m’avait dit : “Il y a différentes façons de vivre, et différentes façons de mourir. Mais c’est sans importance. La seule chose qui reste en fin de compte, c’est le désert”.

Kokkyô no minami, taiyô no nishi…

Avant l’heure

Photo © ptrob59

Envie de prendre les mots à bras le corps, de me laisser bercer après cette belle journée d’hiver qui a revêtu des habits printaniers, envie de me laisser porter tout simplement. Les choses de la vie n’ont que rarement de l’importance, et c’est ainsi que je les vois. L’air est chargé de petites particules de bonheur et tout à coup, je n’ai pas envie de réfléchir, juste de sentir.

On m’a fait un compliment aujourd’hui, et comme souvent, ça me met mal à l’aise, je ne sais pas quoi répondre ; on m’a dit que j’écrivais bien, que je parlais bien et que ma culture était impressionnante. Je n’ai pas su quoi répondre au risque de passer tout à coup pour quelqu’un qui manque de modestie, ce qui n’est pas faux en soi. Et puis j’ai reçu un mail troublant, des mots qui auraient pu avoir été écrits sur une lettre de papier gaufré, et tout à coup, je me suis senti étrangement bien, en totale confiance, dans la confidence malgré l’étrangeté.

Je me suis regardé longtemps dans le miroir de la salle de bain et j’y ai vu un visage lisse et encore jeune, des yeux doux bien qu’emplis de malice, des sourcils qui n’inspirent peut-être qu’une légère tristesse, mais c’était moi, je me suis reconnu, c’était bel et bien moi. Il y avait longtemps que je n’avais pas ressenti cela face à mon image. La raison ? Je la connais. Je suis en accord avec moi-même, je ne suis rien d’autre que ce que je suis après avoir longtemps pensé que je pouvais jouer avec des apparences qui ne faisaient que m’éloigner de moi-même. J’aurais pu être meilleur, faire de grandes choses, mais me dire que j’aurais pu être pire me conforte dans l’idée que je suis bien comme je suis. Je m’aime bien, je me supporte, je ne me dégoûte jamais, je suis une bonne compagnie pour mes moments d’homme seul. Et par-dessous tout, je garde au fond de moi mes espoirs d’enfant, mes rêves de gamin, et sur le visage ce sourire discret que l’on me connait.

A présent, je peux à nouveau parler de moi sans me faire peur.

L'art est mort (ou comment on a tué l'esthétique)

J’ai cessé d’avoir contact avec certaines choses, par dépit ou par ras-le-bol. En ce qui concerne la philosophie, j’ai cessé d’entrer en contact avec elle à partir du moment où, comme le préconisait Deleuze, “il faut savoir sortir de la philosophie par la philosophie”. Je me suis attelé à comprendre certaines choses et puis lorsque je me suis rendu compte que j’arrivais aux limites des possibilités de ma connaissance, j’ai tout arrêté, raison pour laquelle je n’ai pas présenté ma maîtrise. J’avais presque terminé mon travail sur la métaphore, j’avais cerné certaines choses concernant Artaud, Lewis Carroll, Theodor Edward Lawrence et puis je me suis rendu compte que la philosophie ne servait pas à se regarder le nombril et à se masturber l’esprit en essayant de décortiquer les concepts sans cesse et de manière itérative.

Musée d'Art Moderne

C’est dans cette démarche que je me suis intéressé à l’art. L’exposition “le mouvement en images” au Centre Pompidou m’a donné à avoir de très bonnes œuvres majeures de l’art contemporain mais aussi certainement ce qui se fait de pire.

Que ce soit au travers d’expériences cinétiques, de happenings délirants ou de l’art conceptuel, il me semble que l’art contemporain, contrairement à l’art moderne, a manqué une marche dans le train logique de l’histoire. Avec Hegel, nous avons découvert la fin de l’histoire, avec Kant, la mort de la philosophie (“Kant a envoyé à Dieu ses gardes ontologiques pour le tuer”), avec Nietzsche, la fin de la religion. Alors quoi ? Que nous reste-t-il ? On pourrait dire qu’il nous reste l’Art. Je crois que c’est Camus qui disait que “si le monde était simple, on n’aurait pas besoin d’art”, ce qui signifie bien la vocation pédagogique et révélatrice de l’art. On dit souvent qu’il est l’expression humaine de la nature, qu’il donne à voir ce que la perception ne permet pas de voir de prime abord, dans un mouvement de dé-voilement heideggerien (ἀλήθεια), dans laquelle la vérité se voile lorsqu’on l’approche de trop près.

Musée d'Art Moderne

Aussi, dans cette démarche, on comprend d’emblée presque toute l’histoire de l’art. Des primitifs flamands à l’impressionnisme en passant par la Renaissance, le classique, le baroque et Titien, on voit se dessiner un mouvement au travers de l’art religieux. L’art qui montre, l’art qui apprend, la peinture et la sculpture qui dévoilent les textes religieux ou qui embrigadent. L’art a toujours eu deux niveaux de compréhension ; un niveau immanent et un niveau transcendant. L’immanent est de l’ordre de l’esthétique (αἰσθητικός, la sensation), c’est qui provoque le sentiment de répulsion ou d’excitation. Le transcendant, c’est tout ce qui dans l’art fait partie de l’intellect, la réflexion qu’inspire une œuvre d’art.

Nous y sommes, c’est là que le bât blesse. L’art contemporain ne provoque plus la sensation, il laisse froid et ne permet pas d’être lu sans mode d’emploi. C’est là que tout part en sucette. A quoi sert l’art s’il devient tout à coup réservé à une élite qui pour le coup est obligée de se droguer pour comprendre ce qu’on lui montre. Lorsqu’on arrive au début du vingtième siècle, avec Brancusi, Francis Bacon, Miró, Jackson Pollock, Pierre Soulages, et bien d’autres, on arrive encore à comprendre parce qu’il y a un sens pictural, un sens de l’œuvre, une sémantique élaborée qui fait encore sens, mais lorsqu’on arrive à l’art conceptuel, la monstruosité des happenings de ces gens qui exposent de la merde en boîte de conserve ou qui s’exposent nus en criant des jurons à l’envi, il n’y a plus rien à comprendre, c’est du vent, c’est n’importe quoi. On en a fini avec l’art. Ces gens ont tué l’art, ils n’apportent rien et tuent toute démarche esthétique.

Musée d'Art Moderne

Plus grave encore, ce qui a été perdu dans l’art, c’est le niveau social. Là où l’art avait cette vocation de décorer les églises, lorsque les peintures de Veronese ornaient les Scuole de Venise pour apprendre aux jeunes peintres, où l’on magnifiait la grandeur politique et religieuse, il n’y a aujourd’hui plus rien. Lorsque je vois ce peintre belge qui barbouille ses toiles de ses propres excréments, je ne vois pas ce qu’il y a de social là-dedans. C’est en partie pour cela que je ne m’intéresse plus à l’art contemporain, principalement parce qu’il n’y a rien dedans. Ce n’est pas bien difficile de se défaire du vide. Et si l’on réfléchit bien, les seuls artistes contemporains qui gardent encore cet aspect social des choses, ce sont les architectes. Eux seuls ont encore à l’esprit des préoccupations sociales, leur vision des choses va au-delà de la simple beauté des choses puisqu’ils réfléchissent avec la notion d’espace, d’occupation, de territorialité, c’est là les seules préoccupations qui doivent encore conduire l’art. D’ailleurs, ce sont là des notions philosophiques, que l’on ne trouve presque plus dans la peinture.

Gvozdariki

Un site d’une exceptionnelle richesse graphique. Tout est en russe, mais cliquer sur des liens auxquels on ne comprend rien devient ici un jeu de piste passionnant. Du mouvement, des animations, des peintures qui ont quelque chose des maîtres de la peinture flamande, ce site a vraiment du charme.

Vladimir Gvozdariki

Vladimir Gvozdev via BibliOdyssey.

Felix, Robert Walser

death in the snow

Robert Walser est un personnage hors du commun. Peu connu de son vivant, il fut encensé par des personnages tels que Kafka et Robert Musil mais ne connut jamais de gloire auprès du grand public. Auteur allemand installé en Suisse, il passa une partie de sa vie interné en hôpital psychiatrique et sa mort tragique, un jour de Noël, arriva tandis qu’il se promenait dans la neige.

Felix est une sorte de pièce de théâtre écrite en solitaire tandis qu’il était enfermé et provient de ses fameux microgrammes. Texte court, c’est une ode à la jeunesse, à l’établissement de la personnalité au travers des différentes époques de la vie, à la recherche des fondements de la personnalité, et même si le texte reste dans sa forme profondément classique, l’impertinence et l’insolence du personnage de Felix restent profondément contemporaines. Courts moments de vie, d’une vie rêvée ou réelle, peu importe, on rit, on est ému, on se sent emporté dans une autre époque, rigide et froide, dans laquelle la jeunesse était encore un mauvais moment à passer et une ère de répression et de modelage social débridé.
Un texte sublime, rare, édité dans une collection miniature helvète, Mini Zoé.

Photo © MontanaRaven

Celui qui ne savait pas

Qui ne savait pas quoi ? Qui ne savait pas quoi dire, qui ne savait pas où il en était. Certes les enjeux d’un blog restent d’une toute relative importance, mais il faut savoir que pour moi, mon blog est comme une deuxième peau. C’est un rideau de fumée que je jette aux yeux du monde pour éviter de trop me dévoiler. Etrange attitude quand on sait tout ce que j’ai dit à propos de moi. Pourtant, ce n’est pas l’envie qui me manque de parler de moi, de faire comme certains, de prendre la monde entier à parti et de me dévoiler. Entre ce que je fais découvrir de mon univers, ce que je n’ai pas envie de dire parce que je ne veux pas laisser trop la porte ouverte à des personnes qui n’ont pas à venir fouiller ma vie, et ce que je ne veux pas dire car cela requiert une certaine discrétion aux yeux de ceux que je connais et qui semble plus facile à dire à des personnes qu’on ne connait pas suffisamment pour que cela impacte leur vision de votre personne (je reprends mon souffle), entre tout cela, je ne sais plus où se situe mon écriture.

Le Scintillement

J’ai séduit une partie de mon lectorat en révélant certains aspects de ma personnalité qu’on dit parfois complexe, alors qu’il me semble n’être qu’immanence, en jetant en patûre aux brebis égarées des morceaux de mon écriture, aux choses imaginées que j’ai pu dire, et aujourd’hui, je ne dis plus rien. Je continue d’écrire, certes, mais dans une certaine mesure, et pas publiquement. Ce rapport au lectorat me manque, et l’envie de renouer avec le plaisir de partager un peu de ceci avec vous me donne des fourmis.

Le fond existe, mais je me demande encore comment mettre cela en valeur. Il existera toujours un gouffre entre ce que je désire et ce qui est réellement et ce qu’il est possible de faire.

Il sera question d’un huîtrier, de deux lecteurs divergents, d’un Bartleby déguisé en ange de la mort, d’un voleur de rêves et d’autres personnages encore.

Je n’ai pas le droit de garder tout ça pour moi…