Abandon et délabrement industriel

J’ai commencé ma plongée dans les univers sombres du délabrement et de l’archéologie industrielle lorsque j’étais adolescent, au contact d’un livre superbe sur l’archéologie des temps modernes – terme qui peut paraître antinomique mais qui reflète l’esprit post-moderniste ou post-industriel – et j’ai commencé à en parler ici avec Stahlseite. Ce qui est fascinant dans ce domaine de la connaissance humaine, c’est de pouvoir approcher une face de l’activité humaine qui a tout à la fois d’éphémère et en même temps de profondément ancré dans la technique et la complexité, ce qui laisse supposer que plus nous apprenons de la technique, plus nous la maîtrisons, moins on éprouve le besoin de la faire perdurer dans le temps, dans une sorte de mouvement à la vitesse exponentielle qui me donne sans arrêt l’impression que la fin des temps ne peut être que l’aboutissement de cette course à la maîtrise de la nature, dans ce qu’elle a de plus artificiel.

Voici ce que j’ai trouvé de plus beau sur Flickr, une collection rare et nécessairement précieuse.

Une superbe collection foisonnante signée Charles Bodi, Urban Exploration.

En particulier son très beau set consacré à the Hearn, une usine thermale toujours en activité.

Industrial Decay pool.

Mention spéciale à Patrick Boury, un fou qui a au moins 10000 photos à son actif. Passionnant, on pourrait y passer des heures.

Gowanus

Gowanus, une vision dépréciative et anti-conformiste de New-York.

stefano

Visions apocalyptiques et fascinantes d’un monde en rupture avec ses idéologies.

Olena Sullivan

Les explorations urbaines de Ollena Sullivan, parfois colorées, montrent un visage de la ville audacieux.

Encore New-York, presque anecdotique, mais tellement sensuelle…

The Worst Buildings of NYC

Le set est présenté comme contenant les pires constructions de New-York. Point de vue tout à fait subjectif. Personnellement, je trouve que ça ne manque pas d’inventivité et pour une fois, on y voit un New-York au naturel, non surfait dans des habits de fêtes et parfaitement dénudé. Un mythe qui s’effondre, car les mégalopoles n’ont pas toujours le sens de l’harmonie, et finalement, ce sont ces aspects-là, les pires, qui révèlent l’essence d’une ville.

NYC

Jones & Laughlin

Bibliothèque François Miterrand

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Kraftwerk-The_Robots.mp3]

[…] Puis on nous initia aux secrets de l’élément en fusion. Le spectacle était à couper le souffle : malgré une technique parfaite et bien rodée, nous avions l’impression que les choses se passaient de façon aussi primitives que dans les forges de Wieland. Coke, pierre à chaux et fonte brute cuisent dans des fours ouverts, on nettoie ce mélange avec de grands jets d’air comprimé qui répandent de formidables gerbes d’étincelles dans tout l’atelier. Puis le four bascule et l’acier liquide coule en un flot aussi clair que de l’eau dans un énorme chaudron. Derrière un parapet, nous observions les hommes près de nous : vêtus de combinaisons d’amiante, les yeux protégés par des verres bleutés, ils se précipitaient vers l’avant et jetaient des pelletés de minerai de manganèse dans ce mélange incroyablement bouillonnant. Une grue approcha, souleva le chaudron vers les moules et les remplit de ce métal en fusion qui, comprimé en lingots, fut plongé encore tout incandescent dans des bains puis lancé dans une rigole. Un lingot rougeâtre fut catapulté à travers d’immenses ateliers, sais par d’énormes pinces, laminé, relancé, tel un serpent incandescent, et quand il arriva au bout de la rigole les ouvriers l’attrapèrent et le découpèrent en rubans d’acier plus facile à manipuler.
La visite de l’usine dura quatre heures. A la fournaise succédait le vent glacial de janvier qui pénétrait dans les ateliers grands ouverts, la blancheur aveuglante des fours alternait avec la lumière violette de l’atelier de l’étain, le sifflement assourdissant des flammes avec le bruit régulier et agaçant des machines spécialisées, l’odeur du charbon et de souffre avec celle des bains chimiques où l’acier est nettoyé et amalgamé.
Au crépuscule, une foule d’ouvriers quittèrent l’usine en même temps que nous, d’autres arrivaient en masse pour l’équipe de nuit. Les policiers armés contrôlaient leurs papiers.

Anne-Marie Schwarzenbach
Loin de New-York

L'automne en Nouvelle-Angleterre

Feuilles d'automne

De temps en temps, la presse nous apprend qu’un obscur savant, muni de l’équivalent scientifique d’un nuancier, a découvert que les érables du Michigan ou les chênes de Ozarks arborent en fait des teintes encore plus vives. Mais cet ignorant néglige complètement certaines particularités qui font de l’automne en Nouvelle- Angleterre un phénomène indiscutablement unique. Pour commencer, le paysage de notre contrée bénéficie d’un décor qui ne connait pas de rival en Amérique du Nord. Ses églises blanches nimbées de soleil, ses petites fermes pimpantes et ses riches couleurs et ses villages ordonnés en font le complément idéal des riches couleurs qu’offrent la nature. De plus, il existe ici une diversité d’arbres qu’on trouve rarement ailleurs. Chênes, hêtres, trembles, sumacs, quatre espèces d’érables et des centaines d’autres essences fournissent un contraste de couleurs qui éblouit les sens. Enfin et surtout, la région jouit de conditions particulièrement favorables à un équilibre climatique parfaitement harmonieux entre des nuits d’automne fraîches et vivifiantes et des journées chaudes et ensoleillées. Donc que ce soit clair : pendant quelques journées d’octobre, la Nouvelle- Angleterre est le plus bel endroit du monde. Qu’on se le dise.
[…] Or, pour permettre à ces jolies couleurs mordorées de s’exprimer, les arbres continuent à nourrir leurs feuilles même si ces feuilles ne servent plus à rien, sauf à pendre de leur branche pour faire joli.
[…] Il y a plus étrange : certaines espèces d’arbres vont encore plus loin et se mettent à fabrique, à leur détriment, d’autres substances, des anthocyanines, produisant ces magnifiques couleurs rouges et ornagées qui font la gloire de la Nouvelle-Angleterre. En réalité, les arbres de cette partie des Etats-Unis n’en produisent pas plus que les autres, mais il se trouve simplement que le climat et le sol de cette région fournissent des conditions idéales pour l’éclosion de telles couleurs. Sous des climats plus chauds ou plus humides les arbres se donnent autant de mal, mais sans aucun résultat. Personne ne peut expliquer pourquoi les arbres font autant d’efforts alors qu’ils ne gagnent manifestement rien à l’affaire.

Bill Bryson
Notes from a big country

Le site IloveNY permet de suivre en temps réel l’évolution des couleurs des arbres dans l’Etat de New-York.

Un de plus

Désolé mais il faudra vous y faire. Je viens de renouveler mon hébergement pour une année complète. J’ai attendu le dernier moment parce que je ne savais ce que j’allais faire. La tentation a été vive de faire complètement autre chose, ouvrir un compte sur MySpace pour avoir 2700 amis d’un seul coup – je veux dire des vrais amis, dans le monde entier -, Touitter un bon coup histoire de faire comme tous ces gens qui n’ont strictement rien d’autre à dire que… que rien en fait – enfin si, si on considère que “I Get No Sleep” (ce qui ne veut aucunement dire que je n’ai pas de slip) ou 宿題が終わらないのですよー sont des prédicats à la substance universelle. Soupir. J’ai même pensé, seulement l’espace d’un instant suffisamment court pour ne pas succomber, que j’allais continuer de bloguer. Nan, je déconne. Continue reading “Un de plus”

Etranger dans son propre pays

Mes lectures d’été m’ont conduit à prendre un peu de distance avec légèreté en lisant un livre dont je savais pertinemment qu’il ne me ferait pas de noeuds au cerveau tout en me laissant à la fin de la lecture, moins idiot que je ne l’étais au départ. Après la lecture de Motel Blues, je me doutais que lire American Rigolos* de Bill Bryson ne me décevrait pas.

Photo © Kodama

Bryson, né Américain, revient aux Etats-Unis après avoir passé 20 ans de sa vie dans la campagne anglaise. Personne mieux que lui ne peut décrire avec autant d’impartialité son pays dans ses travers comme dans ses qualités puisque c’est son pays, un pays étrange qui a changé pendant ces 20 ans d’absence, et dans lequel il se sent parfois étranger. En 1996, un ami journaliste lui demande d’écrire des petites chroniques sur la vie aux USA, chroniques destinées à être publiées au Royaume-Uni, et au bout du compte, ce sont 75 pièces des trois ou quatre pages chacune, bourrées d’un humour tendre et tout britannique, nous apprenant ce que sont les Etats-Unis dans toute leur absurdité. Il m’avait fait hurler de rire dans Motel Blues, il m’a attendri, fait peur et fait rire aux larmes dans celui-ci. Mais sous l’humour se cache aussi l’énergie feutrée du désespoir et l’angoisse de vivre dans un pays qui semble avoir perdu la raison.

Mes concitoyens se sont si bien accoutumés aux progrès constants de la technologie que dans les années soixante ils en sont arrivés à imaginer que les machines devraient tout faire à leur place.
Je me rappelle avec précision le jour où j’ai compris que ce n’était pas forcément une très bonne idée. En 1961 ou 1962, mon père avait reçu pour Noël un couteau électrique, un des premiers modèles, donc un engin assez impressionnant. Peut-être ma mémoire me joue-t-elle des tours, mais il me semble bien le voir en train d’enfiler des gants de chantier et de mettre des lunettes de protection avant de brancher la prise. Une chose est sûre : au moment où il a voulu découper la dinde, celle-ci s’est désintégrée dans un nuage de charpie blanche et la lame a attaqué le plat dans une gerbe d’étincelles bleues. Puis l’appareil a sauté des mains de mon père, traversé la table et disparu de la pièce tel un Gremlin. Je crois qu’on ne l’a jamais revu, mais certains prétendent l’avoir entendu parfois, tard dans la nuit, se cogner contre un pied de table.

L’humour de Bryson contraste terriblement avec celui de ces concitoyens, avec qui il désespère de pouvoir plaisanter. C’en est affligeant:

Tout a commencé de manière très innocente. Peu de temps après notre emménagement, un des arbres de notre voisin est tombé. Un matin, j’ai remarqué qu’il le débitait et en chargeait les morceaux sur la galerie de sa voiture. C’était un arbre très touffu et les branches débordaient largement du toit.
– Et alors ? On essaie de camoufler sa voiture ? lui ai-je lancé, très pince-sans-rire.
Il m’a dévisagé un moment.
– Mais non, pas du tout, m’a-t-il expliqué le plus sérieusement du monde. La tempête de l’autre soir a fait tomber notre arbre et maintenant je dois emmener les branches à la décharge.

Bryson a une explication, que l’on trouve également chez Anne-Marie Schwarzenbach **:

L’ironie est ici le mot clé, bien sûr. Les Américains ne l’emploient pas beaucoup. (Ici je fais de l’ironie : en réalité ils ne l’emploient jamais.) On peut presque s’en réjouir. L’ironie est cousine du cynisme, et le cynisme n’est pas un trait vertueux. Les Américains – pas tous, mais bon nombre d’entre eux – n’aiment ni l’une ni l’autre. Leur attitude dans la vie de tous les jours est confiante, directe et littérale au point d’en être attendrissante. Ils ne s’attendent pas à ce que les conversations dérivent en joutes verbales sophistiquées. Tout écart les déstabilise.

* Le titre original est “I’m a stranger here myself, notes from a big country
** in Loin de New-York

[SpAb]

Un univers coloré entre Chicago, Los Angeles, New-York et Venise.
Des photos proches de la vie de tous les jours, et une mention spéciale à New-York Season One.

[SpAb]

Du partage numérique des images

Quoi de plus agréable qu’un billet sur un blog, ou d’une page sur un site, dont l’intérêt peut-être suscité par une illustration pertinente autant qu’agréable ? C’est dans cette démarche que je me dis que pour illustrer un billet critique sur la lecture d’un livre, rien ne vaut une belle photo en rapport avec son ressenti sur la lecture et les émotions suscitées.

C’est donc tout naturellement que dernièrement, je me suis tourné vers Flickr en faisant des recherches thématiques ou transversales. Il se trouvent que certaines photos sont sous licence Creative Commons et selon les termes du contrat, utilisables librement ou non dans un cadre non commercial avec revendication de la paternité, ce qui est assez sympathique puisque les créations peuvent être dans ce contexte utilisées librement si toutefois on mentionne le nom de l’auteur. Toutefois, en recherchant une photo de taxi new-yorkais, je me suis rendu compte que la plupart des photos disponibles étaient encore “All rights reserved“, ce qui j’avoue a eu le don de m’agacer. Bien évidemment, les auteurs sont libres de leur choix, mais dans ce cas, pourquoi partager ses photos sur Internet si on ne peut pas les utiliser ? C’est aller à mon sens à la pêche aux ennuis.

Que peut-on faire avec des photos consultables librement sur Internet ?

  • Les enregistrer sur son PC.
  • Les utiliser sur un blog ou un site.
  • (Les revendre).
  • (Les revendre cher).
  • (Les envoyer dans une capsule pour communiquer avec les extra-terrestres).

Sincèrement, je ne vois pas l’intérêt de partager quelque chose d’aussi statique. Une utilisation raisonnée des créations d’autrui ne peut à mon sens qu’être la mesure commune. D’autre part, je me vois mal demander à l’auteur la permission d’utiliser une photo pour écrire un billet.

Se réserver tous les droits sur des créations librement consultables est à mon sens absurde alors qu’on peut simplement les protéger en en interdisant un usage commercial par un petit sigle.