J’ai profité hier du beau temps et de mon fils pour l’emmener à la piscine. Je n’y avais pas mis les pieds depuis pas mal de temps, depuis un mois de juillet particulièrement chaud et poisseux. Il n’y avait pas grand-monde dans le bassin ; un groupe d’adolescents qui se jetaient de l’eau à la figure, deux petits aux grands yeux qui prenaient des cours de natation, une grand-mère qui faisait des longueurs et des largeurs indistinctement, un quinqua qui peu préoccupé par la présence des autres faisait ses longueurs en dos crawlé et lunettes de plongée et qui distribuait régulièrement d’amples baffes à toute personne se trouvant sur son passage — certainement un de ces cadres sup qui vient ici pour se détendre avant une signature de contrat —, et nous deux.
La piscine était ouverte en grand sur les coups de 16h00 et c’est sous un beau soleil qu’on a pu se baigner au calme, sur le dos ou bien le ventre. Le train passe juste à côté et cet endroit a un air carrément surréaliste au beau milieu de la ville. En marinant petitement dans l’eau aux senteurs de chlore, jetant un coup d’œil de temps à mon fils qui faisant la nage du petit chien progressait lentement d’un bord à l’autre, je sentais mon corps se nettoyer doucement, étrangement dans ce lieu commun, et imaginant la douche que j’allais pouvoir prendre après pour me débarrasser du reste des scories, je savais dans quel bien-être j’allais me trouver en sortant d’ici. Je repensais alors à ces mots de Bouvier lus quelques jours auparavant.
On paie vingt-trois yens d’entrée, on reçoit un panier pour déposer ses vêtements, puis accroupi devant les robinets en rampes qui font le tour de pièce d’eau, on se savonne et on se rince avant d’aller rejoindre dans la piscine bouillante (quarante-huit à cinquante-deux degrés centigrades) des voisins soudain expansifs et bavards. Nulle part vous ne trouverez les Japonais si accessibles. Certains députés profitent même de ce « relâchement » et vont prendre jusqu’à dix bains par jour juste avant le scrutin pour endoctriner des électeurs béats et désarmés, dans l’eau jusqu’au menton.
Au sento(1) d’Araki-Cho, l’heure de pointe suit la sortie du cinéma local. Les jeunes arrivent en bandes : des casseurs éblouis ou nostalgiques, selon le film qu’ils viennent de voir, occupent le bassin et font des vagues. Vers minuit la place reste aux paisibles, aux vrais amateurs qui marinent, les yeux fermés, ou s’amusent avec les jouets – cygnes en plastique, sous-marins miniatures – oubliés par les gosses.(1) (銭湯, sentō)
Nicolas Bouvier, Chronique japonaise, 1956, l’année du singe.
ah ! la mémé qui zigzague, le quinqua qui se noie (on l’espère), le petit chien dans le bassin…
les députés en campagne qui descendent au sento, en France : on en rêverait (enfin : pas de tous les partis… je ne citerai pas de nom, costard-cravate-e.n.a.)
Non non, qu’ils restent à leur place !!