Non, il n’est pas question ici de ce projet qui désormais fait partie des lettres mortes, mais du texte lui-même. Il se trouve que ma bibliothèque a rouvert ses portes après quatre mois de travaux, et j’ai donc pu emprunter à nouveau ce petit livre, cet introuvable de Jack London.
Ayant mal lu les indications notées sur le livre, j’ai enfin compris la raison pour laquelle on ne le trouve nulle part. Il a été distribué en cadeau aux abonnés du magazine Lire en je sais plus quelle année. Je sais que ce sont des choses qui ne se font pas, mais si je livre aujourd’hui ce texte que je me suis amusé à scanner ce matin, c’est uniquement parce que je trouve que ce serait dommage de ne pas faire profiter de ce texte à des gens qui aiment London et qui ne pourraient se procurer le livre. Ambiance portuaire, Corto Maltese et barriques de rhum…
Ecrit en 1911 et publié pour la première fois dans le Saturday Evening Post. Télécharger le zip
Erik Orsenna et son portrait du Gulf-Stream
La première fois que j’ai entendu parler d’Erik Orsenna, c’était lorsqu’il était conseiller culturel de François Mtiterrand, dans les années 80. Les personnages comme lui, proches des grands de ce monde, dans les quasi-secrets d’Etat, sont des gens fascinants de par leur proximité des plus hautes affaires de l’Etat. Il fait partie de ces gens, tels que Jacques Attali ou Régis Debray[1] pour qui j’éprouve à la fois un vif intérêt mais aussi une certaine méfiance, car ce sont des gens capables de tout et surtout du meilleur. Je connaissais Orsenna écrivain, sans pour autant avoir lu aucun de ses livres… Il faisait partie de ces gens qu’on voyait sur les plateaux de télévision, auprès de Bernard Pivot ou de Bernard Rapp et qui parlait avec une telle aisance qu’on ne pouvait faire autrement que de laisser son oreille vagabonder au rythme de ses paroles, la mâchoire légèrement pendante. Aussi, lorsque j’ai appris qu’il avait écrit un livre sur le Gulf-Stream[2], je me suis encore plus méfié. L’incursion d’un romancier dans un domaine aussi confidentiel et surtout aussi peu vendeur que la mer ne pouvait que me laisser encore plus méfiant. Quelques années auparavant, mais pas beaucoup, j’étais tombé en pâmoison devant l’excellent Besoin de mer
de Hervé Hamon. Aussi, lorsque j’ai lu la quatrième de couv’ du livre d’Orsenna, je me suis dit que c’était là un livre pour moi. Dans l’ordre logique des choses, j’ai appris qu’il était résident de la petite île majestueuse de Bréhat, et l’été dernier, je le croisais par hasard à la librairie du Renard à Paimpol, en polo bleu marine et bermuda… De quoi désacraliser un homme qui depuis peu est académicien.
Portrait du Gulf Stream : Eloge des courants, Seuil 2005
Erik Orsenna est écrivain de marine et conseiller d’Etat. Il préside le Centre de la mer (La Corderie Royale, Rochefort).
Photo originale en version haute définition visible sur le site de l’Université du Texas
De retour à Paimpol cet été, je me suis dit qu’il serait logique que j’achète ce livre là où j’avais vu l’homme. C’est un acte significatif pour moi, comme lorsque je me suis acheté Mon frère Yves
de Pierre Loti à Paimpol, tout près de la maison dans laquelle il vivait lorsqu’il a également écrit les fameux Pêcheurs d’Islande
. Le gardant sous le coude, j’avais également décidé de l’endroit et du moment où je me plongerai dans cette lecture. Pour moi, il n’était pas question de le lire ailleurs que dans le train qui allait me ramener à Paris. Je me suis donc lancé une fois installé dans le train, et je m’émerveillai à chaque page de tant d’érudition et de simplicité. Parler des courants marins est une gageure, le sujet n’est pas forcément très démocratique, mais lorsqu’on est amoureux de la mer, on plonge facilement dedans. Je me souviens de ce passage, situé au raz de Sein où Orsenna se définit lui-même comme un collectionneur de courants marins[3]. Quoi qu’il en soit, ce livre est l’expression d’un amour profond pour quelque chose d’impossiblement appréhensible, un courant qui parcourt la mer, influe sur la navigation et surtout décide en partie du climat de l’Europe et réchauffe (de manière relative) les côtes de l’Atlantique.
Parmi les anecdotes et les légendes relevées autour des courants, en voici quelques unes qui ont particulièrement retenu mon attention.
Depuis 1753, Benjamin Franklin est… le maître des Postes de sa ville (…) Ses employés postiers ne savent plus répondre à la colère de leur clientèle. Pourquoi les bateaux qui transportent le courrier d’Angleterre en Amérique sont-ils tellement plus lents que les navires marchands américains ? Pourquoi faut-il les attendre deux ou trois semaines de plus ?
C’est ainsi qu’on apprend que Benjamin Franklin fut un de ceux qui s’intéressa de près à notre cher courant marin et qui mettra en évidence que ces retards sont dus à l’influence du courant, qui en l’occurrence est un courant porteur.
Orsenne nous parle à un moment d’un certain Pape qui se nomme de fait Henry Stommel, un universitaire spécialiste de l’océanographie, dont il nous dit, laconiquement:
Et quand il trouvait la mer un peu vide, le Pape inventait des îles…
Nous renvoyant vers une référence de livre dont le titre donne l’eau à la bouche: Lost Islands: The Story of Islands That Have Vanished from Nautical Charts, University of British Columbia Press, 146 pages, 1984.
Dans ce livre, il n’est pas seulement question du Gulf-Stream, mais des courants en général et de leur formation, expliquée soit par la météorologie, soit par le dessin du fond marin, soit par la géographie entreprise sous un angle logique. Aussi lorsque Orsenna nous raconte une anecdote, alors qu’il partageait encore les secrets d’alcôve de l’Elysée, racontée par le vice-amiral Pierre François Forissier, on tombe de haut. L’auteur demande au marin comment les sous-marins utilisent les courants. L’homme de mer lui raconte une histoire, une histoire remontant aux Phéniciens qui s’étaient déjà rendus compte que le détroit de Gibraltar, ce goulet qui marque l’entrée de la Méditerranée, était profondément battu par des courants marins forts. Aussi, pour pouvoir affronter les vents violents venant de l’Ouest et les courants de surface concomitants et ainsi passer le détroit, les Phéniciens ont plongé les mains dans l’eau, ou plutôt leurs amarres, et ils se sont rendus compte qu’avec la profondeur, un puissant courant entraînait l’amarre à contre-courant, d’est en ouest. La solution était toute trouvée. Ils allaient accrocher des sacs de pierres à leurs bateaux, se laissant ainsi traîner par le courant, plus fort que le courant de surface et le vent conjugués.
L’homme n’est pas avare lorsqu’il s’agit de partager son savoir, il nous invite à voyager et à découvrir des courants au nom aussi exotiques qu’oniriques: le Saltstraummen[4], le Corryvreckan [5] ou le Old Sow Whirlpool[6]. Voici le trio de têtes des courants marins les plus violents du monde. Sans parler du Fromveur, plus proche, qui parcourt l’extrémité de notre Finistère.
Le livre est tout de même un peu alarmant, sans être alarmiste et nous met devant dees conclusions qui peuvent faire peur. Le Gulf-Stream nous réchauffe, mais qu’adviendrait-il s’il cessait de couler dans notre direction ?
Liens:
- Le portail des sous-marins
- Le club des Argonautes
- Gulf Stream sur Wikipedia
Notes
[1] Auteur de l’excellentissime Vie et mort de l’image, Une histoire du regard en Occident
sur lequel j’ai passé un peu temps pour mon mémoire de maîtrise.
[2] Découvert au hasard d’une promenade dans la rue de Morlaix où l’on peut voir une des plus célèbres maisons à Pondalez.
[3] A cette lecture, je ne peux m’empêcher de faire un rapprochement avec l’Anti-Oedipe de Deleuze et Guattari. Oser une lecture deleuzienne d’Orsenna est peut-être gonflé, mais la dynamique des flux, cet amour prononcé pour les courants me fait penser aux flux deleuziens, aux flux coupés, notamment lorsqu’il est question de cette initiative pendant la guerre qui consistait à vouloir construire une muraille pour couper le Gulf-Stream et refroidir le climat européen.
[4] Au large des Lofoten, Norvège
[5] Aux alentours de l’Île de Jura, dans les Nouvelles-Hébrides, Australie
[6] Au Nouveau-Brunswick, Canada
Dupuytren & Orfila
Deux des musées parisiens les plus hors-normes sont certainement les musées Dupuytren (Couvent des Cordeliers) & Orfila (rue des Saint-Pères), que tout étudiant en médecine ou en anatomie se doit de connaître.
Le musée Dupuytren est le musée de l’anatomie pathologique que l’on appelle également tératologie. Rassemblant des collections impressionnantes à vocation pédagogique, on y trouvera moulages, pièces glycérinées et autres foetus enfermés dans des bocaux.
Le musée, connu depuis 1847 sous le nom de musée Orfila, est un ensemble d’¢une grande richesse réunissant des collections et des préparations anatomiques humaines et animales, des reconstructions embryologiques et neuro-anatomiques, des pièces anthropologiques, des moulages de cerveaux de diverses origines, préparés, rassemblés ou recueillis depuis presque deux siècles par la succession des conservateurs du musée. L’importance, la variété et la qualité de ces documents dépassent de beaucoup l’intérêt que présentait le musée Orfila installé rue de l’école de Médecine. Le musée actuel occupe, depuis 1953, les vastes salles d’exposition et les galeries du huitième étage de la Faculté de Médecine de la rue des Saints-Pères. (Département d’anatomie)
Motel Blues
Je n’ai pas l’habitude, et j’aime encore moins ça, de parler des livres que je suis en train de lire, même si je sais qu’au fond je n’en serai pas déçu et que je ne risque somme toute pas grand chose, mais il faut absolument que je dévoile au grand jour cette découverte. Comme souvent chez moi, les livres que je lis sont des découvertes nées d’un mot entendu, d’un conseil lancé à la cantonade, bref, d’un moment suspendu que je finis toujours par attraper au vol. Quelques jours avant d’entrer dans la librairie La Procure à Saint-Sulpice (oui, je sais, c’est une librairie catholique, et alors ? C’est une bonne librairie), j’ai discuté avec Fabienne de Bill Bryson, inconnu parmi les inconnus dans mon bataillon culturel, pour des raisons qui ne regardent personne – non mais, et je n’avais encore entré la totalité des orteils qui composent mes deux pieds dans ce petit temple de la lecture que je tombais sur le rayon Voyages, un simple étal posé à l’entrée, entre l’alarme incendie et le détecteur d’objets volés. Sur une pile en particulier se trouvait un livre à la couverture marron et jaune, a priori pas très engageant, mais sur laquelle était collée une étiquette Notre coup de coeur
. Le coup de coeur des libraires d’une échoppe catholique pouvait me laisser croire que j’allais tomber bien bas si toutefois je me Procure-ai ce livre. Le nom sur la couverture ne me disait rien, mais le titre, Motel Blues
me plut tout de suite. Bill Bryson, Bill Bryson, bon sang, mais c’est bien sur ! L’auteur en personne. Fabienne ne m’avait pas spécialement parlé de l’oeuvre du bonhomme, simplement de Bill Bryson. Alors je me suis jeté à l’eau, pensant que ça ne pouvait pas totalement être un hasard.
[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Burma%20shave.mp3]
Et depuis que j’ai commencé à le lire, principalement dans le train, je me surprends à éclater de rire face à tant d’humour. Comme je le disais, parler d’un livre qu’on n’a pas fini n’est pas facile. Je ne peux en aucun cas vous raconter l’histoire, si ce n’est que c’est une traversée des Etats-Unis depuis Des Moines, Iowa[1], dans une grosse Buick. Hilarant, Bill[2] Bryson dépeint un monde de bouseux et de simples d’esprit, mais avec tendresse, jamais méchamment, et très sincèrement c’est à hurler de rire, un livre dans lequel il est impossible de s’ennuyer, même si au bout du compte on tient entre ses mains un document d’une rare valeur ethnographique.
Je me demande si les gens du coin adoptent ces prononciations parce que ce sont des culs-terreux sans éducation ou bien si, connaissant parfaitement la prononciation correcte, ils s’en fichent carrément et se moquent de passer pour des culs-terreux sans éducation.
Absolument décapant et jubilatoire, on appréciera aussi son humour pince sans-rire.
La serveuse arriva.
Vous avez choisi ?
– Excusez-moi, il me faut encore quelques minutes.
– Sans problème, dit-elle, prenez votre temps.
Elle disparut de mon champ de vision, compta jusqu’à cinq et revint.Vous avez choisi, maintenant ?
– Désolé, j’ai vraiment besoin de plus de temps.
– ça va, dit-elle et elle repartit.
Cette fois-ci, elle dut bien compter jusqu’à vingt mais j’étais toujours loin d’avoir compris les centaines d’options qui s’offraient à moi, heureux client de la Pizza Hut, quant elle revint prendre la commande.
– V’s êtes pas du genre rapide, vous ! fit-elle remarquer gaiement.
J’étais gêné.Désolé, je ne suis plus dans le coup, je… je sors de prison.
Ses yeux s’agrandirent.Sans blague ?
– Oui, j’ai assassiné une serveuse qui me bousculait.
Alors on comprendra aisément que j’ai une irrésistible envie de parler de ce bouquin. Ce matin, dans le train, les yeux encore éblouis par cette petite blonde aux cheveux désordonnés faisant claquer ses talons penchés sur l’asphalte neuve, dont je n’ai même pas vu le visage, et écoeuré par trop de parfums trop frais, je ne savais plus si je devais rester à écouter Tom Waits[3] ou lire Bill Bryson. Tom ou Bill, Bill ou Tom, Boll ou Tim ? Finalement, l’envie de sourire l’a emporté sur le blues lancinant….
Notes
[1] Oui, quand on parle d’une ville aux USA, il faut toujours préciser le nom de l’état, sinon on pourrait croire que ça se trouve en dehors des frontières, chez les barbares
[2] Foutus Américains qui ne peuvent s’empêcher de raccourcir leurs prénom. William devient Bill, Thomas devient Tom, Herbert devient Herbie, mais quand ce sont des prénoms simples, c’est pas assez compliqué. Norma Jean devient Marylin, quand on n’en est pas à itérer à la manière de John John ou dans un grand souci d’originalité de perpétuer le même prénom sur quatorze générations en ajoutant un junior.
[3] Etrange coïncidence, lorsque Bryson sort du Kentucky pour entrer dans le Tennessee, il croise une pancarte publicitaire pour la marque Burma Shave, qui est également un de mes titres préférés de Tom Waits.
Gosh it’s good !
Je le dis tout de go, la forme revient. Non non… ça ne me dérange pas de prendre le train. Si c’est pour vivre quelques bons moments avant de réellement commencer sa journée, je suis preneur. Et ça commence fort. Puisqu’une fois arrivé, je me suis retrouvé face au tout nouvel ascenseur de la gare, celui qui vient d’être aménagé pour permettre aux – allez, soyons fair-play – personnes à mobilité réduite – Dieu que ça sonne social et bien-pensant – de traverser les voies sans se prendre les pieds roues dans les rails, ascenseur donc, devant lequel une troupe était amassée, extatique et concentrée, face à la personne qui était terrorisée derrière les vitres fumées de la cage de verre. Estimant que suffisamment de monde était agglutiné et ne pensant pouvoir être d’aucune aide – et puis bon, j’étais quand même là principalement pour prendre le train – je me suis esquivé comme tout bon citoyen l’aurait fait en pareille circonstance. Simplement, le guichetier n’était pas à son poste et un écriteau disait de prendre son billet sur le quai. Où ça ? Par terre ? J’en prends un au hasard parmi les mégots et les détritus ? Dommage, je n’avais sur moi qu’un billet de 10 dollars[1], ce qui m’interdisait de prendre mon billet au distributeur. Qu’à celà ne tienne, je me tenais prêt à enjamber le tourniquet dès lors que l’attention des gens alentour serait détournée. Le guichetier est passé à côté de moi, qui, sagement, avais les bras croisés comme si de rien n’était. Un train est arrivé est j’ai profité de la cohue pour commettre mon forfait. Sur le quai, en tête de train, je respirais l’air, tendrement, presque avec extase, lorsque j’ai été happé par une conversation entre deux flics occupés à regarder une voiture monter sur le camion de la fourrière et qui s’étaient faits interpeller par une vieille aux cheveux noirs de jais remontés en chignon, comme dans les vieux films américains. Messieurs, une dame est coincée dans l’ascenseur !! – Oui et alors ? – Ben vous pourriez faire kekchose nan ? – Madame, z’êtes bien gentille mais on en vient et on s’est faits jeter par l’agent SNCF qui nous a demandé de ne pas nous acharner sur les portes comme ça, c’est qu’il y tient apparemment à son nouvel ascenseur ! – Ben oui mais comment on fait là ? – Ben on circule là, c’est qu’on n’a pas que ça à faire nous autres. C’est alors que j’ai plongé le nez dans le bouquin de Bryson, un léger sourire aux lèvres. J’aime le monde qui bouge. Dans le train, je suis resté assis sur les marches qui menaient à l’étage supérieur, entravant la course effrénée de dames parfumées comme des toilettes après usage et d’hommes qui, eux, feraient bien de masquer les odeurs avec le parfum de leur femme. Au cours de ma lecture ennivrante m’arrachant à chaque fin de phrase un sourire béat, je n’ai été dérangé que par quelques effluves d’haleine encore pleines de sommeil. Et après, qu’on me dise que les Français se lavent les dents le matin ! Arrivé à Pereire, toujours sans billet, j’ai bien été obligé de sauter à nouveau par dessus la barrière, et cela malgré le fait que j’ai le genou engoncé dans sa gangue orthopédique, sous les yeux ébahis d’une vieille dame, comme si je venais de courir un 110 mètres en haies en moins de dix secondes. Dans le métro, une place réservée m’attendait, aux côtés d’une jeune fille blonde charmante, qui dormait les jambes écartées, sa jupe relativement courte légèrement remontée. La grande classe. Je jette toujours un coup d’oeil à ce que lisent les gens, et je crois que je ne m’y ferais jamais. En sortant de la station, une quadra élégante tient sa jupe, parfaitement au courant que lorsqu’on sort d’ici, souffle un vent de force 6 à 7 sur l’échelle de Beaufort. Et comme chaque histoire qui commence avec un ascenseur, celle-ci se termine avec un ascenseur, puisqu’arrivé dans le hall de mon bureau, je me suis pressé pour prendre celui qui arrivait, mais celle qui était dedans et faisait mine de se recoiffer n’a pas du juger bon de m’attendre. Une envie de pisser me vrillait la vessie et j’ai pris sur moi pour monter les escaliers quatre à quatre, constatant avec effroi que la femme de ménage était encore là, et passait la serpillère dans les toilettes. J’avais le choix entre inonder la moquette de mon bureau ou détruire son travail impeccable en laissant des traces de tennis sur le carrelage noir. Mon esprit de sacrifice a ses limites et je lui adressai un sourire complaisant en courant vers la tinette.
Une fois assis, mon café passé, un barbu a frappé à la porte. Il portait les cheveux longs, relevés en chignon. Tiens, encore un chignon. J’essaie d’appeler Benjamin, mais ça sonne occupé. – Oui et alors ? – Ben il n’est pas là ? – Ben nan, mais il ne vient jamais ici. – Ah ? Il ne travaille pas ici ? – Ben nan, il travaille en dessous. – Oh ben mince, ben pardon de t’avoir dérangé. – Pas de mal. Je sens que je vais bien me marrer aujourd’hui.
Notes
[1] Désolé mais je déteste nommer la monnaie qui est la mienne et au vu de la presque équivalence de nos écus avec le dollar américain, cela ne dérangera personne, et puis ça fait un peu far-west ou film de truand.
Balade japonaise
Au fil de mes lectures, j’ai trouvé quelques petites perles, certaines anciennes, d’autres toutes fraîches.
Japan Time est un blog précieux, calme, égrénant ses billets à un rythme lancinant. Le dernier en date montre un visage particulier du Japon, celui des métiers imaginaires. Immédiatement captivé par le titre, je me suis délecté de cette douce lecture. Il faut que je dise à l’auteur que j’attends les autres volets avec impatience.
Il m’est revenu en mémoire le court billet de David sur le Blog du Japon sur les pêcheurs. Là aussi, j’aimerais en savoir un peu plus, voir des photos des ports et de l’activité de la pêche au Pays du Soleil Levant, qui comme le rappelle l’auteur, est avant tout une île.
Un peu plus loin, un site dont j’avais déjà parlé. Tokyo les yeux fermés regroupe des fichiers audio d’ambiance sonore dans le Japon moderne, au restaurant, à Akihabara ou à l’usine.
Une bizarrerie sur Alive in Tokyo. Et de magnifiques photos sur Made in Tokyo, juste avant la tempête. Et en dernière minute, des photos superbes de la côte de Yakushima chez Antipixel.
Je découvre également Here and the Japan, un blog sur le Japon au travers de ses objets et de ses lieux. Etrangement dépeuplé.
Running Fence, Sonoma and Marin Counties, California, 1972-76 : Christo & Jeanne-Claude
Après The Gates, événement grandiose que vous n’avez pas pu manquer, découvrez une autre oeuvre de Christo & Jeanne-Claude, Running Fence
.
Running Fence, Sonoma and Marin Counties, California, 1972-76, une oeuvre magistrale, haute en symbolique que je vous invite à découvrir de toute urgence avec des photos magnifiques.
The Gates, sur Flickr Blog, le tag et en particulier les superbes photos de Nachosan.
Jeunesse, Joseph Conrad
Un des plus beaux livres qu’il m’ait été donné de lire ces derniers temps. J’avais déjà lu Conrad il y a quelques temps, mais je n’étais alors peut-être pas assez mûr pour cela. Ce qui est très étrange dans cette nouvelle, c’est le commencement. Marlow est attablé avec d’autres hommes et commence tout de suite à parler, jusqu’à la fin. Il n’y a pas vraiment de justification à ce départ précipité, mais cela donne un souffle épique très intéressant. J’adore les récits d’aventures et celui-ci est une vraie
galère
, mais admirablement racontée, dans un style très pur et concis. Une lecture à enfourcher de suite.
Préface de l’auteur:
« Au coeur des ténèbres » aussi suscita un certain intérêt dès le début, et de ses sources on peut dire au moins ceci : il est bien connu que les curieux vont fureter dans toutes sortes d’endroits (où ils n’ont rien à faire) pour en ressortir avec toute sorte de butin. Cette histoire et une autre qui ne se trouve pas dans ce volume constituent tout le butin que j’ai rapporté du centre de l’Afrique, où vraiment, je n’avais rien à faire.
Et on pompait toujours. Pas de changement de temps. La mer était blanche comme une nappe d’écume, comme un chaudron de lait en ébullition. Pas une échancrure dans les nuages, pas une seule âme même de la taille d’une main, ne fût-ce que pendant dix secondes. Il n’y avait pas de ciel pour nous, il n’y avait pas d’étoiles pour nous, ni soleil ni univers, rien que des nuages rageurs et une mer en furie.
Chomo, la sculpture et l'art total
Il était peu connu du grand public, vivait comme un ermite dans la forêt, à l’abri des regards indiscrets et loin du monde parisien de l’art, et pourtant, il était un des plus grands artistes du XXème siècle et a inspiré bon nombre d’artistes.
Chef du “Village d’Art Préludien”, il vivait presque comme un clochard, moitié Facteur Cheval, moitié Dali, et de son recoin de la forêt de Fontainebleau, il a réussi à faire sortir la scultpture de ses galeries pour en faire un art naturel, brut et extérieur. Recycleur à la César, il était pourtant bien plus, une sorte de magicien poète qui parlait de lui à la 3ème personne.
« A ceux qui rentrent le soir couverts de terre dorée, aux têtes penchées quand se couche la lumière là-bas où la pensée et la mémoire se perdent ».
Chomo le grand, marabout des bois, il a profondément marqué toutes mes oeuvres, si modestes soient-elles.
L’homme est mort en 1999, devenu cette fois-ci complètement fou.
Hwang Sok-Yong
La nouvelle est un genre beaucoup plus familier au lecteur coréen qu’à son homologue français. Cette préférence ne tient pas, selon Hwang Sok-Yong, à une différence de goüt, mais bien plutôt aux conditions socio-économiques qui ont été celles de la production littéraire en Corée jusqu’à aujourd’hui. Les écrivains, explique t-il, ne savaient pas se faire payer. Ils écrivaient une nouvelle et se faisaient offrir un repas en paiement par le journal auquel ils la confiaient. Une nouvelle, un repas… Hwang Sok-Yong, lui, s’est battu pour donner à l’écrivain un statut de travailleur qui doit être payé pour sa production.
Introduction à La route de Sampo
La route de Sampo (Sampo kaneunkil)
Herbes folles
Un récit de l’enfance dans la guerre fratricide coréenne. Des paysages surréalistes, des fous qui errent dans les rues et un enfant qui ne comprend pas le sens d’une guerre qui rallonge les données temporelles, dans un monde que plus personne ne comprend. Un récit autobiographique à peine masqué, à peine transformé.
Marchant d’un pas lourd derrière les adultes dans la poussière des chemins, j’ai vu des morts pourrir comme des chiens sous le soleil. Ils dégageaient la même odeur que la sauce de soja quand on la fait bouillir.
Oeils-de-biche
Les soldats coréens reviennent du Viet-Nam, mais chez eux, personnes ne les considère comme des héros et même chez eux ils sont considérés comme des parias, des profiteurs et des abrutis. C’est l’histoire d’une dépression post-guerre qui est racontée ici, aussi sordidement que possible.
J’ai tout juste saisi le mot taihan dans leur bouche – il revenait sans cesse dans leur bouche – qui veut dire Corée dans leur langue. Je ne m’étais pas rendu compte dès le début qu’ils se foutaient de moi, si bien que je m’en voulais de leur avoir acheté des trucs.
Les ambitions d’un champion de ssireum
La campagne coréenne se transforme et avec elle les carrières, les métiers, les parcours. Cette nouvelle raconte l’histoire tourmentée, crasseuse d’un lutteur de ssireum, une lutte traditionnelle coréenne. D’une personne naïve et solide, on comprend les motivations, les espoirs et les désenchantements.
Le grand Ilbong a compris, alors, qu’il n’échapperait pas à la fatalité du bain public. C’était son destin que de récurer la crasse des gens, le nez sur leurs grosses cuisses. Allez frotte ! frotte d’une main, et de l’autre range les couilles de côté, frotte en les contournant, en les maintenant, en les protégeant, frotte, frotte, sseussak, sseussak, ssakssakssak.
La route de Sampo
Le clou du livre. Dans un paysage digne de Dersou Ouzala, on y rencontre trois personnages plus ou moins marginaux. La route de Sampo est l’expression de la désillusion d’un monde qui change trop vite. Un chef-d’oeuvre à elle toute seule, cette nouvelle a fait l’objet en Corée , de films et de chansons. On comprend vite pourquoi.
Des canards sauvages se posaient sur les champs couverts de neige et repartaient. Une maison abandonnée apparut à un détour du chemin. Un pan de ‘mur’ s’était effondré et le toit de chaume avait un large trou. Son propriétaire l’avait sans doute quittée depuis longtemps déjà pour aller vivre ailleurs.
Monsieur Han (Hanssi Yeondaeki)
Un livre poignant de la part de cet écrivain à fleur de peau que je vous ai déjà présenté avec La Route de Sampo
. Monsieur Han est l’histoire d’un homme pris dans la tourmente d’un pays déchiré. Passer du nord au sud, passer pour un traître des deux côtés lorsqu’on ne peut se résoudre à choisir son camp, voici le thème douloureux traîté d’une manière admirable, parfois crue et violente par cet auteur que déjà je considère comme un des plus grands.
Han Yongdok se retournait de temps en temps,. Sa femme qui le suivait à pas menus ressemblait à une frêle figure dans une peinture pointilliste : des flocons s’étaient posés sur ses cheveux ; son visage, toute sa silhouette s’estompaient au fur et à mesure que la couche de neige s’épaississait sur le sol. Lorsqu’il vit cette vaste étendue blanche qui le séparait de sa femme, une angoisse soudaine s’empara de lui et son cÅ“ur se serra. Le spectacle de sa femme le suivant avec ses enfants qui marchaient tantôt devant elle, tantôt derrière, ne lui semblait ni actuel ni réel, c’était comme une photo ancienne aux teintes déjà fanées.
A bout de forces, il pleurait malgré lui et bavait. Quand il baissait le tête et commençait à somnoler, ils lui injectaient par le nez de l’eau dans laquelle ils avaient mélangé de la poudre de piment. Ses journées, interminables, étaient devenues un enfer. Il n’était plus ni professeur, ni réfugié, il n’était qu’un morceau de chair et d’os offert à la cruauté d’une époque en folie.