La muse

Pratiquement vingt heures par semaine, pendant plus de cinq ans, j’ai plongé les mains dans la terre, dans le plâtre liquide, j’ai donné des coups de couteau dans le plâtre séché, dans la terre déjà formée, j’ai gratté, j’ai sculpté, j’ai fait de la barbotine… J’ai donné beaucoup, j’ai donné la forme à la pierre. Je passais énormément de temps avec mon maître, Le Tai Dien, un Viet-Namien adorable, tout petit et revêche, qui ne parlait quasiment pas. Il avait une confiance immense en moi et en mon travail, et me disait sans cesse qu’un jour je ferai mieux que lui. J’ai travaillé longuement, ne sortant que quelques pièces tous les ans, à la recherche de la forme et de la matière parfaite. Et puis comme beaucoup de choses, j’ai abandonné. Mon modèle de toujours ? La muse endormie de Brancusi. Et elle était là, face à moi, au détour d’une exposition….

La muse de Brancusi

Un monde d’odeurs

Une fois n’est pas coutume, je me tape encore le train. En fait j’adore prendre le train. C’est plein de monde et plein de vie, ça change de l’expérience solitaire de la voiture et des embouteillages. Et puis j’adore quand les trains sont annulés, comme ça il y a encore plus de monde qui s’entasse dans les mêmes wagons. On se croirait en partance pour la foire aux bestiaux. Alors dans le vieux train métallique qui va à Gare du Nord, je reste près de la porte, à côté d’un grand type qui ferme les yeux. Et ce connard lève un bras pour attraper la barre, me laissant découvrir tout un monde d’odeurs insoupçonnables !!! Les fragrances délicates du dessous de bras déjà croupi à 7h00 !!! J’ai failli en tourner de l’oeil, et puis je me suis résigné à respirer fortement par la bouche pour éviter le massacre. Désolé, mais je descends à la prochaine, je change de wagon, tiens et puis je change de train du coup. Et là je me retrouve dans un RER qui se bonde au fur et à mesure. C’est ça de laisser les trains à l’arrêt sur le quai, ça se remplit tout seul et tout doucement. J’essaie de ne pas décoller les yeux de mon Hunter S. Thompson, mais je ne peux pas m’empêcher de regarder les gens dans leur fureur du matin. Font chier, tout ça !! Train annulé, retardé, plein de monde, bordel de cul !! Pas beau tout ça. Mais j’adore. Les esprits s’échauffent, tandis que je suis dans le désert du Nevada dans une décapotable au coffre rempli de cachetons prohibés.

On entend des gens se plaindre d’avoir les pieds écrasés et puis il y a cette jolie rousse aux yeux bleus qui me regarde. Me regarde pas, j’te dis !!! Une autre regarde la couverture de mon livre avec un sourire amusé, dont je ne sais s’il signifie une sorte d’approbation ou de moquerie, et puis je m’en tape en fait. Un gros type descend : Voilà, 90 kilos en moins dans le wagon. Tout le monde se marre. Le type en face de moi, avec sa gueule mal rasée et son odeur d’eau de Cologne finit de me donner envie de vomir quand je me retrouve avec le col de sa chemise élimé sous les yeux, ça pue le rance. Et puis à Porte de Clichy, je descends pour laisser ces veaux se ruer dehors et c’est tout juste si j’arrive à retrouver ma place. Tant pis, j’ai la poitrine à hauteur de nez d’une Indienne de cinquante ans. Et arrive ce qui doit arriver en pareilles circonstances. Envie d’éternuer violemment, et ça fait un bout de temps déjà que j’ai mon bouquin fermé par manque de place. Une main qui tient le bouquin, l’autre qui essaie de trouver un point d’appui sur la paroi lisse de la porte métallique et cette envie qui me chatouille. Je me suis lâché et j’ai éternué en plein dans la face de la petite Indienne. Pour toute excuse, je lui souris de toutes mes dents avec l’air idiot du crétin satisfait… Je me sentais tellement soulagé. Le métro est plein de nabots. Je vais finir par écrire un bouquin, avec tous ces voyages en train (et ça rime en plus)…

Sans titre

Désolé, je ne me sens pas inspiré du tout, mais alors pas du tout pour donner un titre à ce billet. Ce n’est ni plus ni moins que mon compte-rendu du dernier Paris-Carnet. Une fois n’est pas coutume, je me suis encore fait désirer. Juste avant de partir, je propose à Ambiome de passer la chercher pas trop loin de chez elle, son manque de motivation évident m’a décidé à prendre un peu les choses en main (merci encore Fabienne, entremetteuse de blogueurs !). Et juste avant de fermer mon navigateur, j’envoie un mail à Romu. Mon téléphone sonne. – Oui, c’est Romuald. – Oui, c’est moi. – Nan, en fait c’est Romuald !! – Ah !!! C’est la dernière fois qu’il se fait passer pour moi. Evidemment, le périph est blindé. On n’avance pas. Je sens mon téléphone prêt à sonner, vibrer, produire des sons bizarres, cracher des flammes, éructer… Ce qui arrive. Un SMS, puis un appel où on me raccroche au nez, je rappelle, plus personne. J’envoie deux SMS. Le téléphone ressonne, c’est Eric. Ouais, ouais, on arrive ma poule. Je suis inquiet, ça n’avance pas. Merde… Fait chier, ils vont tous se barrer, on sera encore à Bercy. Et puis on arrive mais j’ai confondu rue Hénard et rue Erard. Merde. Eric ? Ah tu as un plan, cool, on est place du Colonel Bourgoin, tu peux me guider ? Alors tu prends là tu tournes, et tu te dépêches. Ouais. Tuuuut. Oui allo ? C’est Got ! Qu’est-ce tu fous !!!! J’arrive je suis pas loin, je cours, je vole, j’en peux plus, ma chemise est trempée ! Nan je déconne. Ambiome, marche plus vite, STP, enlève tes sabots !! Merde, elle me dépasse d’une tête ! Bon allez, on y est !

Qui que je vois ? Manue, Got, la petite, toute mignonne, tudieu, elle ressemble à sa mère ! Experte en relations publiques et certainement la plus active des photo-reporters de la soirée ! Atta, je vais dire bonjour. Bonjour Eric, bonjour Romuald. Bonjour Romuald. Euh bonjour, météki ? Franck !!! Oh Franck, ça va ? Merde alors… Et je ne l’ai pas revu. Pas cool. Bonjour Monsieur Dotclear, Romuald, Lithium. Nan ? Pas grave. Ben ouais, mais il code beaucoup en ce moment. Pas grave j’te dis ! Bonjour Anne ! Bon alors attends, j’ai des trucs à faire. Un type se plante devant moi, un maigrichon barbu… Bonjour Capitaine. Romuald, quel plaisir!!! Voilà longtemps qu’on ne vous avait vu ! Il a l’air content de me voir. Merde, il se passe un truc. Alors ça y est ? Je suis connu ? On se sert la main. Je prends mon portable. Bip bip. On me raccroche au nez. Merde. Deuxième fois. Pareil. Sauf que cette fois je regarde autour de moi et je vois la personne regarder son portable et appuyer délibérément sur une touche. Merde, c’est elle. Et elle me raccroche au nez ! Elle doit être furax. Bonjour. Moi c’est Neuro, bonjour. Moi c’est Romuald. oui j’avais cru comprendre. Il se passe un truc ici. Bonjour Cey. Euh bonjour. Euh… désolé. Je ne sais pas quoi dire, j’ai presque honte, y’a de quoi. Bon bref. J’ai rameuté mes petits amis vers Cey qui s’est vite retrouvée entourée de plein de monde. Neuro est parti. Revu juste une fois pour parler pénis, ou objectif, je ne sais plus. Bonjour Romuald, tu te souviens de moi ? Bien sur Benjamin, oh l’autre hé, on ne me la fait pas à moi, par contre, tu as plus de cheveux ! Ambiome n’a pas parlé beaucoup, mais le vin l’a aidé. Et puis elle m’autorise à dire que j’ai dit qu’elle était encore plus jolie en vrai. Elle en a rougi la traitresse ! Par contre, elle ne m’autorise pas à dire qu’elle a postillonné, tant pis, ce sera pour la prochaine. Eric, il est adorable, très attachant, mais il s’éparpille, il parle avec tout le monde en même temps. Romu, volubile, excentrique et enjoué, on dirait un gamin, il navigue comme sur le web. Je l’adore. Je vois Charles Liebert, j’ose pas. Pas vu Lolo² ! T’étais là ou pas ? On va pas y arriver ! Et puis il y a Kerlutihoec, ben ouais je connais Gotlib. Il a beaucoup bu on dirait, il me parle d’Ivan le terrible et des cloches du Kremlin et puis je décroche, je comprends plus rien. Manue, on n’a pas beaucoup discuté, hein ! A remettre. Got, il me passe de la pommade et puis après il me casse, plusieurs fois. Il me fait marrer. Un peu fatigué j’ai l’impression. Un type s’avance vers moi. Tu ne serais pas Romuald ? Si c’est moi, c’est pour un autographe ? Moi c’est Goon. Euh, Goon ? Oui Goon. Euh désolé, je vois pas. Ben c’est bien toi qui a un photoblog ? Entre autre. Oui mais c’est pas moi ! Bon ben je vous laisse, je vais pisser. Une canadienne vient s’assoir avec nous. C’est qui ? Sé pas. On parle de figues, forcément. Et puis il y a Cey. Je n’arrive pas à savoir. Si ça lui fait plaisir d’être là. Elle parle un peu. Je suis timide, j’ose pas, je me fais violence mais je ne veux pas la faire fuir. Elle m’a dit une fois qu’elle était toujours plus jolie sur les photos qu’en vrai. Le truc, c’est que ce n’est pas la même. Bon, je ne veux pas te gêner, mais ce que tu dis est faux. Voilà. Et puis t’es partie super vite. J’allais oublier. Ambiome avait bien ramené ses menottes en léopard !! Et puis Eric aussi !!! Alors c’était vraiment une soirée SM ? Merde, j’ai pas pris mon fouet, moi ! Bon, y’a plein de monde que je n’ai pas vu. Pas bien. Merci les footeux, beaucoup de bruits, c’était chiant. La terrasse s’est vidée d’un seul coup, plus personne.

Et puis avec Romu et Ambiome, on s’est bien marré au retour avec ce gamin qui est monté sur ma voiture à République ! Fervent le petit !! Il a quand même dégueulassé mon pare-brise….

Je ne sais pas dire les choses aux gens, mais j’étais content d’être là. De rencontrer des gens que j’avais déjà rencontré. De rencontrer des gens que je ne connaissais que par blog interposé. C’était bien, tout simplement. C’était bon. Merci à vous. A toi, toi et toi, et vous aussi. C’est dans ces moments là que je me dis qu’il y a des gens, dans ce monde, pas très loin de chez soi, des gens exceptionnels.

De la chair

Un titre que l’on aura pu trouver dans les Caractères de Jean de La Bruyère, sauf que l’homme était certes plus prude que je ne le suis en écrivant ces mots. Le train est pour moi une source fantastique d’inspiration, à moins que ce soit littéralement le fait qu’on soit le matin. Une fois encore, je m’assois sur les marches du wagon à deux étages, histoire de casser les bonbons à tous ceux qui voudrait passer par là. A l’étage, au dessus de moi, il y a une paire de jambes interminables et bronzées, au galbe parfait. C’est juste une paire de jambes, avec un buste, un torse, au dessus que j’entr’aperçois et certainement un visage aussi, mais peut-être par peur d’être déçu, je ne cherche pas à savoir qui c’est. Juste une paire de jambes.

Bientôt, tout ça m’a cassé les pieds. J’ai décidé que, tout compte fait, je n’étais peut-être pas écrivain, mais peintre. L’art était peut-être la clef de mon génie. (…) Voilà ce que je lui ai dit: J’ai toujours eu l’instinct d’écriture à l’état latent. Aujourd’hui cet instinct traverse une métamorphose. Cette époque de transition est révolue. Je suis sur le seuil de l’expression.
Couillonnades, il a fait.

John Fante, la route de Los Angeles

torse En ce moment, je pense à l’écriture, au fait d’être sexué de l’écriture. Je pense aussi à tout ces relents de cours de fac, caché au fond de la salle à rêver en écoutant d’une oreille distraite le long flot de paroles du prof, n’en tirant que de temps en temps une substance étrange et compacte. Et puis je me dis que ce n’est pas la vie qui va s’emparer de moi, mais moi qui doit la serrer fort dans mes mains. Rien à voir. C’est comme ça. Je commence à présent à sentir ma chair être envahie de cette tension vitale qu’est le désir et la corporéité. Un mot me revient, Körperlichkeit… Une notion fondamentale dans la philosophie des XIXè et XXè siècles. La corporéité, le fait d’être une chair, un savant entrelacs de corps et d’esprit, qui seraient rendus fous l’un sans l’autre. Je trouve cela d’une beauté excessive, comme j’aime la beauté. C’est ni plus ni moins que l’énergie sexuelle qui oriente l’écriture, lui donne l’impact, la force, la brutalité et la violence. C’est ce qui la valide, l’estampille et l’honore. Si elle n’est pas marquée par la chair intime, elle n’est rien, complètement vidée de sa substance, corps sans vie… Voici le véritable Art de la Faim, celui qu’exerce le vagabond affamé. L’écriture est comme moi, faite pour choquer, pour heurter, rendre sensible, pour exacerber, rendre le jugement difficile et faire passer le convenu pour de la merde. A l’encontre de toutes les conventions, tout le temps. A la fin, je me dis que personne ne peut être moins catholique que je ne le suis… Qu’on me fasse taire, qu’on me tabasse une bonne fois pour toutes, qu’on fasse saigner mon visage pour qu’enfin je ne dise plus rien… De la tuméfaction nait toujours la rancoeur du corps.

Nervous Bride, Songs: Ohia
[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Nervous _Bride.mp3]

Rendre mes oripeaux

Mon expérience est terminée. J’ai passé toute une journée dans le blog d’une autre, à défaut d’être dans sa peau. Résultat ? Eprouvant d’être une femme, tout au moins dans un blog. Merci Cey pour ta confiance et cette expérience hors du commun (j’exagère à peine).

J’ai tout laissé en état, j’ai éteint la radio en partant, j’ai passé l’aspirateur… Par contre, le chat, un peu chiant non ?

Laisse tomber, j’ai fait. Inutile de discuter avec les rustres, les culs-terreux et les imbéciles. L’homme intelligent choisit avec discernement ses auditeurs.
John Fante, La route de Los Angeles

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Confutatis maledictis

La confession des méchants, dans le Requiem de Mozart m’a une fois de plus envoûté hier soir. Je n’arrive pas à me dire que ce film (Amadeus) a mal vieilli, et objectivement, je ne sais pas si c’est le cas. L’image est toujours très belle, très moderne et la photo toujours aussi raffinée. J’ai vu ce film en 1984, l’année de sa sortie, avec ma mère. Parfois, ma mère a des idées bizarres, car je n’avais que dix ans lorsque j’ai découvert cette oeuvre. Bien lui en a pris, car je reste avec un souvenir très fort de toutes ces scènes très baroques, dans lesquelles Tom Hulce a joué le grand rôle sa vie. Le grand F. Murray Abraham y est également poignant, dans le rôle d’un Salieri rongé par la culpabilité et le remord. Devenu presque fou, mais d’une lucidité hors-norme lorsqu’il parle de mélange d’amour et de haine qu’il éprouve pour Mozart. Un très grand film. Même après une dizaine de visionnages.

amadeus

Confutatis maledictis,
Flammis acribus addictis,
Voca me cum benedictis.
Oro supplex et acclinis,
Cor contritum quasi cinis,
Gere curam mei finis.

Makkurayami no bakeneko

Inoptique n°3

Attention, ce billet risque d’être long, et certainement le dernier avant le prochain, qui lui en l’occurrence risque de se faire désirer quelques temps.

Laissez moi un peu vous dire ce qu’il en est, ce qui se passe chez moi.

Lorsque je lis des blogs comme ceux de Cey et d’Alexandra, je me demande parfois ce que je fais ici. Je n’ai pas cette verve, ce ton accrocheur qui me fait me perdre chez elles, dans leurs mots, dans cette indescriptible ambiance chaleureuse donnant l’impression d’être niché dans le giron d’une femme aimante. Je n’ai ni cette verve, ni cette aisance d’écriture qui me fait défaut, faute de temps, certainement, faute de disponibilité d’esprit. Alors, pour cette raison entre autre, je me désespère et je dois me reconcentrer.

D’autre part, il y a ma vie. Beaucoup de choses la bouscule, préoccupent mon esprit et le rendent lâche, vident ce creuset d’idées que je suis et oblitèrent ma volonté.

Et puis il y a mon écriture, mon écriture a du mal à se fixer, à trouver le bon élan, à être choquée. Je ne fais rien de bon, mais ce n’est pas pour autant que j’arrêterai, même si c’est seul dans mon coin, ou à petites doses.

J’ai des préoccupations et il faut que je me penche dessus.

Et puis il y a le coup de poignard, quelque chose qui m’a fait un mal énorme et qui me fait me remettre en question. Je sais que je suis quelqu’un qui a gagné en cynisme, parce que la vie ne me fait pas forcément de cadeaux. Dans ces conditions, il est souvent bon de ne pas focaliser son attention sur les autres et de relativiser le malheur du monde. Bien sur, tout est triste, tout est moche, mais ce qui nous est le plus proche est aussi ce qui nous touche le plus. Il est parfois bon de se tenir à l’écart et de regarder le monde d’un œil distrait. Je ne pense pas être quelqu’un de mauvais. Mais lorsque j’entends des mots qui cinglent et qui me fouettent la chair, c’est plus fort que moi, je ne peux rester de marbre et tout avaler sans rien dire. Ou plutôt si, j’ai envie de me taire et de plus encore me renfermer sur moi-même. J’ai besoin de temps, de repli sur moi-même, temps pendant lequel je vais me plonger dans une torpeur, face à moi, face à mes peurs, mes incompréhensions, mes attitudes, le fondement même de cette personnalité que je me suis construit. Je dois retrouver des choses dans un tas de fumier qui a déjà été retourné dans tous les sens.

Face aux ténèbres[1], je vais devenir changeant comme ce chat maléfique qui se transforme en homme[2]

La conscience fait de nous tous des égoïstes.

Oscar Wilde

borne

Hier soir, tandis qu’à moitié endormi dans une sorte de félicité inhabituelle je tentais de sentir l’air frais du dehors, je me suis réveillé à cause du chat qui miaulait. Etrange coïncidence. J’ai eu du mal à me rendormir.

Finalement ce billet aura été moins long que prévu.

Et puis merde, pour l’instant j’arrête mon blog… Je ne peux pas continuer dans ces conditions.

A plus tard…

 

Notes

[1] Makkurayami – 真っ暗闇な – まっくらやみ

[2] Bakeneko – 化け猫 – ばけねこ

Avec sa voix

En me couchant hier soir, j’ai pris plusieurs livres, histoire de grappiller un peu. Je me suis retrouvé au lit avec Joseph Conrad, Soren Kierkegaard, Héraclite et Ernest Hemingway. Il n’y avait pas assez de place pour tout le monde. J’ai enfin retrouvé les mots de Conrad, dans Youth, dans son étonnante préface écrite en 1917:

Au coeur des ténèbres aussi suscita un certain intérêt dès le début, et de ses sources on peut dire au moins ceci: il est bien connu que les curieux vont fureter dans toutes sortes d’endroits (où ils n’ont rien à faire) pour en ressortir avec toute sorte de butin. Cette histoire et une autre qui ne se trouve pas dans ce volume constituent tout le butin que j’ai rapporté du centre de l’Afrique, où, vraiment, je n’avais rien à faire.

J’adore cette idée qu’un roman ait pu naitre dans des circonstances hasardeuses, au gré d’expériences contrariantes dont apparemment l’auteur n’a aucune nostalgie, et surtout qu’un tel livre ait pu être écrit par quelqu’un dont la présence, de son propre aveu, était totalement incongrue, voire inadéquate. En lisant ces mots, je crois entendre la voix grasseyante de Conrad.

J’ouvre ensuite le journal du séducteur de Kierkegaard et décidément, ce monsieur est ennuyeux, je n’arrive pas à entrer dedans, même s’il faut l’avouer, son style est très léger. Je n’entends pas sa voix me parler.

Je jette mon dévolu sur Héraclite et ses fragments, un livre fâcheux que j’avais acheté quand j’étais encore étudiant, un beau livre illustré sur papier vergé. Je dis fâcheux car Héraclite est un monsieur embarrassant. Ses phrases absolument sibyllines sont pourtant d’une clarté inimaginable. Ses mots sont précis, pointus, absolument clairs, mais le sens est d’une telle profondeur que chaque phrase en est insupportablement chargée de sens et lance mon esprit dans des envolées lyriques sans fondement. Je retrouve un de ces fragments qui m’a tant fait réfléchir:

Taille du soleil; largeur d’un pied d’homme (peri megethous eliou, euros podos anthropeiou)

Héraclite n’a pas l’air, mais c’est un des penseurs les plus profonds de la Grêce antique. En parcourant quelques uns de ces fragments, je me retrouve emprisonné dans une ambiance étrange, pleine de questions et de blancheur. Je lève les yeux et mon regard tombe sur une reproduction d’une petite statue de Zeus. Etrange coïncidence. Sentant que je vacille et que mes certitudes sont à nouveaux ébranlées, je jette Héraclite à travers la pièce.

Et je me venge sur Hemingway, une courte nouvelle nommée Simple enquête, et là, je ne comprends plus ce que je lis, je suis complètement endormi, l’esprit comme le corps. Je relirai cette nouvelle plus tard. Il fait silence, il fait bon, l’air est un peu moite et je m’endors doucement.

Le réveil somptueux

Souvent le matin, je me réveille en me demandant si c’est arrivé, si tout autour de moi a changé, si la vie a enfin réussi à prendre d’autres couleurs et si je n’ai pas enfin été transposé ailleurs. Mais non. Tout est à sa place. Immuablement, stoïquement, en me regardant avec impertinence. Alors je sais que ça va recommencer pour toute une journée encore, et qu’il y a peu de chances pour que de tels changements espérés puissent survenir pendant la journée. Je continue, alors. Je me lève, je me lave et je pars, presque toujours avec le même rythme même si je comprends bien vite que toutes les journées n’ont pas la même couleur, rien n’est jamais pareil. Et pourtant, ce n’est pas exceptionnel, ce n’est rien. It’s nothing… Donc ça va recommencer. Je regarde dans le train toutes ces figures affreuses se repaitre de leur immonde dégueulis imprimé sur papier gaufré, certains sont beaux, d’autres ne m’inspirent qu’une vive répulsion à m’en donner envie de vomir. Je n’ai pas envie de lire et pourtant, je me plonge tout de même dans les pages sucrées de Fante, parce qu’il vaut mieux ça que le sombre gouffre du n’importe quoi. Je commence déjà à avoir faim, mes yeux trainent partout, je cherche quelque chose, je ne sais même pas si je pourrais le trouver un jour. Une ritournelle me trotte dans la tête, je sais que c’est un vieux blues, un saxophone couinant dans un coin. Pour la première fois de la journée, je vois mon visage reflété dans les vitres sales de miasmes des portes du métro, et je suis soudain effrayé par deux grosses poches fixées sous les yeux. Bordel, où est-ce que j’ai attrapé cette cochonnerie de fatigue ? Une fois de plus, ne pas se laisser abattre, sous aucun prétexte. Reprendre pied tout seul, puisque rien ne change, puisque rien ne se fait tout seul. Bon dieu de paresse !

Supûtoniku no koibito, les amants du Spoutnik

Les amants du SpoutnikLes amants du Spoutnik

Sous ce titre étrange se cache ni plus ni moins que le formidable roman de Haruki Murakami, Les amants du Spoutnik, un livre au titre étrange qu’on ne peut comprendre qu’en lisant.

De temps en temps, les orbites de nos satellites se croisent, et nous parvenons enfin à nous rencontrer. Nos coeurs réussissent peut-être même à se toucher. Mais juste un très bref instant. Sitôt après, nous connaissons de nouveau la solitude absolue. Jusqu’à ce que nous nous consumions et soyons réduits à néant.


Ma première impression à la fin de la lecture a été que j’avais entre les mains, une sorte de roman préparatoire aux Chroniques de l’oiseau à ressort. Mais c’est plus que ça, évidemment. C’est avant tout une très belle réflexion sur l’acte d’écriture.

Ecrire un roman est presque pareil. Tu peux construire une magnifique porte incrustée d’ossements anciens, cela seul ne donnera pas vie à ton roman. Les fictions ne sont pas de ce monde. Pour relier une histoire à notre monde à nous, il faut une cérémonie magique, un baptême.

Ce livre est l’histoire de deux histoires d’amour qui s’entrecroisent pour n’aboutir à rien. Trois personnages, un aime l’autre qui en aime un autre qui n’aime personne. C’est aussi l’histoire d’une disparition étrange, à la limite du possible et de l’occurrence désabusée d’un homme qui ne fait que passer dans les vies des autres, un personnage qui ressemble étrangement à ce personnage fantomatique des Chroniques, Toru Okada.

Pourtant, je ne serai plus jamais le même. Mon entourage ne s’en rendra pas compte, parce que rien dans mon apparence n’aura changé. Mais quelque chose en moi aura disparu, se sera consumé. Du sang a été versé. Quelqu’un, quelque chose, a quitté l’intérieur de mon être. En baissant la tête, sans un mot. Une porte s’est ouverte, une porte s’est refermée. Une lumière s’est éteinte. Aujourd’hui, celui que j’étais vit son dernier jour. Il contemple son dernier crépuscule. Quand l’aube se lèvera, celui que je suis maintenant aura disparu et un autre habitera ce corps.

C’est un livre duquel on ne ressort pas indemne, ça remue les tripes et donne conscience à quel point nous dépendons des relations que nous avons les autres. C’est un livre rare et intîme, précieux, qui se dévore sans possibilité de s’arrêter alors que le rythme en est très doux. Une chose belle, à lire absolument.