Un an de lecture

Quand j’aime un texte, je m’y attarde, je le prends à bras le corps, je ne compte plus les heures, ni les jours, les semaines ou les mois, je m’approprie le texte, je fais corps avec lui, je l’intègre, je l’incorpore, je l’incarne, je le fais mien, je le désire et le charnélise (comment ça ce mot n’existe pas ?), bref, je prends mon temps.

Cela ne m’est arrivé que deux fois. La première fois c’était avec le recueil (tronqué en français) de nouvelles de Kipling, L’homme qui voulut être roi que j’ai mis plus d’un an à lire et que je n’ai d’ailleurs toujours pas terminé. Et hier soir, j’ai enfin terminé ce long poème de plus de 800 pages de Murakami, Les chroniques de l’oiseau à ressort dont j’ai parlé à plusieurs reprises ici. Ce texte ne peut être raconté, c’est impossible. Aujourd’hui, il fait partie de mon passé, il est intégré et vivant en moi, un moment de mon existence, commencé il y a un an… Mais bon, tout ça, c’est moi, je raconte ça mais c’est moi…

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L’esperluette, également appelée perluète, esperluète ou, plus rarement, éperluette (Wikipedia), c’est aussi en anglais ampersand et en français d’aujourd’hui et commercial. Elle aurait été inventée sous Tiron (inventeur de la sténographie)[1], à l’époque de Cicéron.

Il semble qu’elle ait été considérée comme la 27e lettre de l’alphabet. Selon le Trésor de la langue française, le &, dernière lettre de l’alphabet, était appelé ète ; or, à l’école élémentaire, on apprenait aux enfants à réciter l’alphabet en ajoutant « et » « per lui » « ète » après Z, sorte de rime ludique et chantante qui aidait la mémoire. L’usage fit que l’on appela finalement le caractère & perluète ou esperluette.
Une autre hypothèse a été formulée : esperluette viendrait de « espère lue et » (On espère qu’elle soit lue «et»). (Wikipedia)

Dieu que c’est beau !

 

Notes

[1] Si vous souhaitez l’apprendre, il faut aller par . Bon courage !

Où est Cormac ?

Cormac McCarthy Le type sur la photo, celui qui porte un regard si sombre et un visage si renfermé est Cormac McCarthy, considéré aujourd’hui comme un des plus grands écrivains américains vivants.

Pourtant, il est bien loin de caracoler en tête de gondole dans les librairies, car il n’a pas la visibilité d’un Jim Harrison, d’un Phillip Roth ou même d’un Don DeLillo, mais il est certainement un de ceux qui ont su le mieux parler de l’Amérique sale et vulgaire des coins les plus reculés, de la crasse et de la misère. En cela, son écriture est assez proche de celle de Faulkner. J’avais oublié Cormac, je ne pensais plus à lui et les livres de lui dont je dispose sont quelque part (?). L’obscurité du dehors (1968) et Un Enfant de Dieu (1974) sont des livres hallucinants d’un réalisme noir et d’une sensibilité organique qui en font de grandes oeuvres, de ces livres dont on ne ressort pas indemne.

Requiem

Requiem - Antonio Tabucchi En 1992, Antonio Tabucchi a écrit un livre d’une rare beauté. Ecrivain italien, il est également spécialiste de littérature portugaise et traducteur de Fernando Pessoa, mais ce livre écrit en 1992, Requiem, n’est pas écrit dans sa langue natale mais en portugais. Comme Beckett ou Ionesco, Tabucchi est passé par cet exercice de déterritorialisation de la langue en insufflant dans son texte une matière externe pour créer ce qu’il appelle une affection particulière. Malheureusement, comme il le dit lui-même dans sa préface, ses restes de latin n’étaient pas suffisamment bon pour qu’il puisse écrire son Requiem dans la langue dans laquelle on en écrit un d’ordinaire. Ce texte raconte une journée, un rêve dans le Portugal d’aujourd’hui, une ville où se croisent des personnages improbables sous une chaleur de plomb, dans des décors sobres et vidés de leur cohue.

Le personnage dit qu’il est en train de rêver et il rencontre alors des personnages de sa vie, des inconnus hauts en couleurs, des gens drôles et sympathiques, comme dans le plus doux des rêves. Sur un pari au billard, la boule fait une figure improbable et un des personnages centraux apparaît, mais il ne fait qu’une apparition dont on ne saura rien. Ce texte qui pourrait paraître étrange est écrit dans une langue claire et fluide et le rêve arrive à nous transporter jusqu’à cette rencontre avec un personnage sorti d’un autre temps, un type qui n’est autre que Pessoa lui-même. J’ai acheté ce livre il y a dix ans, et lorsque je suis retombé dessus, je l’ai dévoré, comme s’il avait eu besoin de mürir sur son étagère avant d’être consommé. Une belle découverte, une belle rencontre, un moment doux et chaud, comme un rêve sous un arbre, duquel on se réveille avec la lune pour compagne….

Les hommes de ma vie

Ils sont neufs, ont tous pour caractéristiques d’être des écrivains renommés et ont marqué à jamais ma vie de leur mots. En repensant à eux, je me suis également aperçu qu’ils avaient tous un point commun; ils sont beaux. Ils ont inscrit sur leur visage la beauté de leur parole, cette vie qu’ils ont mise au service de la littérature. Certains d’entre eux sont morts, généralement diminués, malades ou dans des circonstances horribles, à l’image d’une vie tourmentée…

 

Sauriez-vous tous les reconnaître ? Indice précieux, j’ai rencontré l’un deux.

Etienne Mineur

Le blog d’un type né en mai 68, ça ne manque pas de charme, c’est plein d’infos passionnantes et m’est d’avis que son nom de famille ne l’a pas plongé dans le cinéma par hasard…

Trouvé via Polylogue.

Le banc

J’étais coiffé n’importe comment, mais ce n’est pas grave.

Le vent ne soufflait pas beaucoup, là où j’étais assis. Je me suis posé sur un banc, n’importe lequel et je me suis pris la tête dans les mains. Il y avait du soleil, un soleil bas de fin d’après-midi.

J’étais habillé n’importe comment, avec mon tee-shirt troué et mon gilet blanc complètement déformé, mais ce n’est pas grave.

Et j’ai soudain eu sommeil alors je me suis allongé, un de ces envies qui prend par surprise et qui ne laisse aucune chance à la lutte. Le soleil caressait doucement ma peau. J’ai ouvert les yeux et je me suis retrouvé sous les branches de pruniers bourgeonnants, de fines goutelettes venant piquer suavement mon visage. J’ai aimé ça.

Je n’avais pas ma place ici, mais ce n’est pas grave.

Le sommeil m’a gagné, j’avais terriblement envie de sombrer, mais finalement, j’avais encore plus envie de profiter de cet instant de félicité, de sentir l’odeur frais sur mon visage et sur mes mains. Mon bras droit pendait et de ma main, je pouvais toucher le sable grossier.

J’avais mal au fesses, mais ce n’est pas grave.

Le vent passait sous mon tee-shirt et je sentais mon gilet pendre de chaque côté de mon corps. Le soleil était bon, l’air était bon. Au loin, les cris des enfants qui jouaient me tenaient éveillé et présent dans ce monde. Tout ici était bon. Le soleil frappait les murs blancs des immeubles et leur donnait une belle couleur, tandis qu’au loin, le ciel plombé d’un gris de taupe contrastait étrangement.

Le soleil a disparu, mais ce n’est pas grave. J’ai remonté la fermeture éclair de mon gilet, je me suis levé et je suis parti.

C’était bon. C’est le printemps.

La peur de la nature

J’ai lu autrefois un livre de François Terrasson, La peur de la nature, un ouvrage richement illustré dont le propos était de montrer que la destruction que l’homme exerce sur la nature provient d’une part de son passé et des peurs ancestrales qu’il puise dans la mémoire collective, d’autre part, dans des tréfonds psychanalytiques auxquels je n’adhère pas du tout. Bref, ce n’est pas le propos. J’ai pris cette série de photo en Bretagne, dans le coeur de l‘Argoat (la terre des bois), dans la vallée du Perrier, et ce jour là, il régnait une ambiance étrange, quelque chose d’intemporel et de surnaturel, de l’ordre de ce qui se passe dans le film Blair Witch, une peur incompréhensible régnant partout autour de nous. La lumière, l’absence totale de promeneurs, le silence, tout concourait à engendrer le malaise.

Pourtant, il ne s’est rien passé, car il ne devait rien se passer. Mais inévitablement, la peur est là, reste, rend suspicieux, donne mal au coeur, de jour uniquement. Je me suis alors demandé si je pouvais franchir le pas, soit de me retrouver seul de jour dans un tel lieu, soit accompagné de nuit au même endroit. Résolument, n’étant pas peureux de nature, ni spécialement angoissé, la réponse est non. Absolument pas. La nature me fait effectivement peur. Incroyablement peur.

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Derborence – Ramuz

Il est des rencontres littéraires fortuites qui frappent comme des coups de tonnerre. Fabienne m’a fait découvrir un auteur que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam, un écrivain suisse du nom de Charles-Ferdinand Ramuz. J’ai reçu un livre rouge des Carnets de Grasset, sur lequel étaient inscrites en grandes lettres blanches Derborence, un livre datant de 1936.

Derborence - Ramuz

Comme souvent avec les livres d’auteurs que je ne connais pas, j’éprouve une sorte de répulsion car l’impression d’arriver sur des chemins déroutants m’est désagréable, c’est la raison pour laquelle je n’ai pas tout de suite ouvert le livre. Je l’ai regardé, soupesé, j’ai lu la quatrième de couv’, et j’ai fini par me plonger dedans.

Je ne le savais pas, mais ce village de montagne, Derborence, existe réellement, et la catastrophe dont il est question ici a bien eu lieu, ce qui ajoute une dimension, après coup, totalement fantastique au roman.

Le livre de Ramuz est écrit dans un style limpide, simple, n’éveillant aucune suspiscion quant à une éventuelle mise en pathos de la part de cet auteur, souvent qualifié de régionaliste. L’emploi du on y est récurrent et il se trouve un je ne sais quoi, une couleur particulière à cette écriture qui la rend chaleureuse et sensuelle. La vie des gens simples de la montagne face à la mort, face au fantastique et à la résurgence du passé et de ses fantômes est incroyablement bien racontée, sans condescendance, avec un regard franc et un parler qui ne singe pas, qui s’adapte et fait passer l’oeuvre pour un petit bijou. Une lecture que je vous conseille vivement.