Hiroshima, John Hersey

広島市

Sa mémoire, comme celle du monde, commençait à s’effilocher…

Je tenais absolument à lire ce livre poignant. Au fur et à mesure de sa lecture, je me suis rendu compte de la totale ignorance que j’avais de ces événements. A peine capable de donner la date des deux bombardements d’Hiroshima et Nagasaki, j’étais dans le flou le plus total quand à ce qu’il s’est passé au pays du soleil levant, tandis que la seconde guerre mondiale voyait poindre son crépuscule. En ce sens, je ne remercie aucun de mes profs d’histoire de m’avoir laissé dans les ténèbres de la connaissance au profit du respect du programme.

D’autre part, et sauf le respect dü aux victimes et à leurs descendants, mais on nous rabat les oreilles avec la Shoah, on nous en abreuve jusqu’au dégueulis et du massacre atomique, on n’entend jamais rien. Je m’étonne d’ailleurs de cette capacité de non-ressentiment qu’ont les Japonais à l’encontre de leurs bourreaux. Alors certes, le Japon était engagé contre les Forces Alliées, mais une des choses que montre clairement ce livre, c’est la perte totale de confiance qu’ont eu les Japonais à l’égard de leur empereur Hiro-Hito à ce moment précis.

Au travers du destin de six personnes, six rescapés (hibakusha, 被爆者) de l’explosion (genshi bakudan, l’enfant-bombe originale), John Hersey raconte comment ces gens (un des protagonistes est un prêtre catholique allemand) ont réussi à échapper à l’onde de choc et ce qu’il est advenu d’eux. Dès 1946 il se rend sur place pour en tirer un récit pur et laconique, qui se lit comme un roman. Par ailleurs, le peu de connaissance que j’avais sur le sujet m’a entraîné dans la lecture comme si c’était effectivement un roman.

Personne ne comprenait rien à la chose, ou n’y ajoutai foi (…) Déjà, cependant, des savants japonais étaient entrés dans la ville, armés d’électroscopes de Lauritsen et d’électromètres de Neher ; eux, ne comprenaient que trop bien.

Hersey retourne à Hiroshima en 1985 pour terminer son histoire, et c’est au bout du compte un témoin formidable de l’horreur tue, des destins fracassés des survivants et du mépris des Occidentaux à l’encontre de leurs victimes. On y découvre dans les moindres détails les effets de l’explosion. On frise l’horreur extrême.

Certains avaient les sourcils littéralement calcinés et la peau pendait de leur visage et de leurs mains. D’autres, sous l’effet de la souffrance, avançaient les bras levés, comme portant quelque chose à deux mains. Il en était qui vomissaient en marchant. Beaucoup étaient nus ou n’étaient plus vêtus que de lambeaux de vêtements. Sur certains corps ainsi dénudés, les brûlures s’étaient inscrites en motifs – dessinant les épaulettes d’un maillot de corps, ou des bretelles ; et sur la peau de certaines femmes (étant donné que le blanc repoussait la chaleur dégagée par la bombe, tandis que le noir l’absorbait et servait de conducteur), les fleurs imprimées sur les kimonos.

Plus étonnant encore, la mentalité japonaise est telle qu’on a l’impression que tout le monde a accepté la bombe comme une contrepartie de l’entrée du Japon en guerre, une sorte de dommage collatéral, les Japonais les premiers.

Quant à l’emploi de la bombe, elle ajoutait : “c’était la guerre, et il fallait s’y attendre.” Et puis elle concluait : “Shikata ga nai”, expression japonaise aussi courante que le russe nitchevo, à quoi elle correspond : “On n’y peut rien. Que voulez-vous ! Tant pis !” Le docteur Fuji dit à peu près la même chose au père Kleinsorge, un soir, sur l’emploi de la bombe ; il le dit en allemand : “Das ist nichts zu machen. Il n’y a rien à y faire.”

Hiroshima, John Hersey
10/18, traduction par Georges Belmont et Pascale Haas
Edition augmentée

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