Le haut de la colline

Los Angeles by night
Photo © Kolby Kirk

Los Angeles, give me some of you ! Los Angeles, come to me the way I came to you, my feet over your streets, you pretty town I loved you so much, you sad flower in the sand, you pretty town.

John Fante

Quelques mots – dans le brouillard du soir – pour dire qu’il faut aller à l’économie de paroles.
Je me suis laissé aller à quelque chose de complètement fou aujourd’hui, quelque chose qui a répondu à une impulsion primitive et sauvage qui devait être rassasiée. Pour la seconde fois dans ma vie, j’ai acheté Demande à la poussière… Il le fallait, il me fallait ce livre indispensable, l’avoir près de moi, le caresser et le chérir, me plonger dedans pendant qu’il en est encore temps.
Et puis, je me suis remis à écrire, pauvre larve de feignasse, oui je me suis remis à écrire, j’ai repris les armes et puis tout ça, toute cette gangue, c’est ici que ça va se voir, c’est dans ces pages, alors si vous voulez lire, il faudra me demander le mot de passe, un petit mail et puis ce sera parfait, parce que ce seront des mots qui nécessiteront une clef, pour la lecture, la compréhension, ça ne se lit pas comme ça ces choses là, ça ne se jette pas à la face du public sans rien dire, sans énoncer un léger avertissement – attention lecture dangereuse pour la moralité et la pudeur, un peu comme un concours de ticheurtes mouillés sur la plage de Cancún ou un combat de catch féminin dans la boue – ce serait insultant, provocateur, je ne vais pas vous balancer mon linge sale à la figure…
Ah, et puis une autre chose. Je ne vais pas beaucoup être là ces prochains jours. Mais on s’en fiche un peu, non ?

Il écrivait une histoire

Sur la route du nord

Tous les soirs, il écrivait un histoire – une histoire sans intérêt qu’il arrivait à dérouler comme un tapis rouge, comme une invite à l’honneur – enturbanné dans ses draps, affalé sur son oreiller, il composait des histoires communes que son style rendait passionnantes et agréables à lire, les songes l’emportaient souvent, les rêves l’embarquaient sur de grands navires capables de franchir des mers inconnues aux abords d’îles vierges et encore inexplorées, dessinant portulans et cartulaires d’un autre âge.
Tous les soirs, il composait des petits textes dont lui seul avait le secret avant que le sommeil ne l’emporte, entre deux lignes de ses lectures princières et les romans affables de ses contemporains qui eux connaissaient la célébrité et la joie de figurer parmi les rayons des librairies et pour quelques uns des bibliothèques, au regard d’un monde qui ne l’a jamais attendu.
On l’appelait l’écrivain de la nuit, terré chez lui, dégingandé comme un pantin de bois entortillé dans ses draps blancs, ses endormissements secoués par les mots et les phrases qui s’entrelaçaient et se construisaient. De sa dormition émanaient des textes aux couleurs bibliques, aux relents mystiques, fleurant l’encens répandu dans les cathédrales, dans des dimensions surhumaines.
Tous les soirs il écrivait des histoires dans son esprit.
Tous les soirs. Et tous les soirs il s’endormait au beau milieu de ses histoires.
Tous les matins, il se réveillait en se demandant ce qu’il avait bien pu en faire.
Et tous les soirs, il écrivait des histoires.

La part infime

J’ai pris le chemin le plus court, celui qui incite à en dire le moins possible.
Les mots, je les tranche, j’entaille mes paragraphes, je réduis mes textes et d’une prairie d’herbes hautes, je fais un gazon propret, en choisissant mes mots, en les soupesant.
Et alors, j’ai commencé un travail d’économie qui consiste à tendre vers le moins possible, la plus petite part de moi-même, la part infime.

Symétrie

Le côté couloir

Second floor

Je pense que l’idée du couloir, qui fait que j’ai pris ces photos en hauteur, était très importante. On s’aperçoit d’ailleurs que les images les plus intéressantes ne sont pas celles qui s’approchent de la bonne photographie, mais ce sont plutôt des choses qu’on n’a pas l’habitude de voir en photos. Des coins de route, des choses comme ça, tout le contraire de ce que j’ai fait quand j’avais 30 ou 40 ans. J’ai photographié des choses qui d’ordinaire ne sont pas à photographier, qui ne sont pas interdites mais qui, a priori, ne présentent pas d’intérêt. Des lieux où l’on peut imaginer qu’un jour on s’est trouvé à attendre un autobus, à attendre quelqu’un, parce qu’on était en panne, que l’on a marché et on s’est assis sur un banc, ou en roulant avec une voiture, cette espèce d’observation silencieuse. Et c’est vrai que le côté route ou le côté rail, le côté couloir, avait son importance dans le choix de la prise de vue en hauteur.

Raymond Depardon, Errance

Comment photographier de la même manière après ça ? Depardon dit tout ce que j’ai toujours cherché dans les arts visuels, dans la photographie, l’architecture et l’écriture, tout ce en quoi je suis en recherche. Une démarche simple et décalée, comme si on était toujours à côté du sujet.
Une autre manière de se recentrer dans le monde…

Vous aurez de mes nouvelles (Jean-Paul Dubois)

Portmeirion beach – Photo © Ken Douglas

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Le gardien me tendit un bol de café, j’en avalai une gorgée brûlante et, après avoir remercié le vieil homme, j’allais me recoucher. Tout allait peut-être se passer plus vite que je ne l’avais pensé. J’avais compté sans Adams. Grâce à lui, le temps qui me restait me paraîtrait moins long. Dans l’après-midi, alors que je marchais sur la plage, je remarquais que mes empreintes sur le sable étaient très légères. Cela n’avait rien à voir avec mon poids ou ma façon de marcher. Non, cela tenait à ma façon de vivre, d’effleurer l’existence. J’étais quelqu’un qui ne laissait pas de traces. Quelqu’un qui laissait les choses lisses.
” Prends soin de toi “

Autrefois séduit par l’Amérique m’inquiète et récemment par Vous plaisantez Monsieur Tanner, j’ai réitéré avec succès l’expérience Jean-Paul Dubois. Malgré un nom purement passe-partout, Dubois est un écrivain que j’affectionne particulièrement car beaucoup de choses dans son écriture ne sont pas typiquement de tradition française. Il est de ceux qui écrivent avec l’accent américain, comme d’autres parlent le français avec l’accent québécois. Ses nouvelles, pour la plupart, sont écrites avec du ketchup et de la sauce barbecue, en disent peu mais avec la justesse et la précision laconique des grands auteurs américains, jusqu’au décor, transposable n’importe où, de manière intemporelle, que ce soit sur une plage du Pacifique, dans le désert du Nevada ou bien dans une chambre de bonne parisienne. Un ton juste, des situations improbables, drôles à l’excès mais renfermant toujours une dimension dramatique, et comme dans Vous plaisantez Monsieur Tanner, sous la légèreté de ton, on y décèle une incroyable solitude, celles des hommes seuls qui ne se satisfont pas de leur sort. A lire de toute urgence.

Je crois que je rêvais de quelque chose d’agréable, quelque chose qui n’avait rien à voir avec ma vie. Et puis je me suis réveillé. En écartant les rideaux, je me demandais comment se passaient les choses dans l’immeuble d’en face. Si les types y arrivaient à chaque fois. Si leur femme éprouvaient vraiment du plaisir. Le téléphone a sonné, il était presque midi.
– Je voudrais prendre le reste de mes affaires.
Les Fourmis

Un petit peu chaque jour, avec une tasse de café

chantier en hauteur

Le soir venu, j’ouvre mon gros cahier de brouillon – c’est ce qui est écrit dessus – à spirales, pratique, je rassemble quelques stylos histoire de tout avoir sous la main – je déteste tomber en panne d’encre et je m’aménage mon petit espace de confort, une tasse de café fort dans une petite tasse noire de laquelle s’échappe une fumée légère, au-dessus de la mousse brune, de quoi me rafraîchir aussi, une boisson aux agrumes pétillante, mes notes de travail et je me lance, je récupère mon idée de la veille au soir et j’enchaîne immédiatement – les phrases viennent naturellement, elles coulent et s’articulent, mes idées sont nettes, je sais où je veux en venir et ça fonctionne, c’est clair pour moi et pour mon stylo aussi, ma pensée se matérialise sous forme de mots en connexion directe – c’est tellement agréable de se dire qu’il n’y a plus de frein à ce que je veux écrire. Du travail, de la discipline, la volonté de construire quelque chose d’agréable à lire, un petit peu chaque jour, avec une tasse de café.

Extrêmement expressionniste et incroyablement corps

Je me suis lancé un peu par hasard dans la lecture de ce livre (Extrêmement fort et incroyablement près de Jonathan Safran Foer), dont il faut dire que la couverture, aux éditions Points Seuil, est foncièrement laide et peu attractive. Pourtant, sans connaître l’auteur, mais simplement sur ouï-dire, j’ai eu envie de le lire. La quatrième de couverture ne m’a pas attiré plus que ça non plus. L’histoire d’un petit garçon de 9 ans, surdoué, passionné de l’œuvre de Stephen Hawking et des Beatles et dont le père est décédé dans les attentats du 11 septembre 2001, l’histoire avait tout pour me rebuter et me faire reposer le livre si on ne m’en avait pas parlé. L’auteur lui-même est énervant. Jeune, bardé de diplômes, pressenti comme étant une étoile montante de la littérature, c’est typiquement le profil du type qui tape sur le système.
J’y suis donc allé avec une certaine méfiance, à tâtons, comme lorsqu’on goûte un gratin de choux de Bruxelles et ce que j’y ai découvert m’a vraiment surpris. L’histoire, le fil de l’histoire ne m’a pas plus accroché que ça, je veux dire que je ne m’y suis pas attardé, quelque chose m’a fait manqué l’intérêt que j’aurais pu y trouver, si tant est toutefois qu’il y en ait vraiment un.
Non, ce que j’ai trouvé dans ce livre, à part des illustrations du texte sous forme de photos, des caprices typographiques pas toujours justifiés à mon goût (il paraît que dans l’édition brochée, les noms des personnages ainsi que le nom des couleurs étaient imprimés en couleur – j’y ai échappé, Dieu soit loué, comme le poulet), des pages blanches, des pages noircies, tout un ensemble de surprises qui, disons-le carrément, donnent parfois l’impression d’un remplissage, ce que j’y ai trouvé c’est un expressionnisme de l’écriture[1].

collier de perles

Tu veux quelque chose en particulier ? a-t-il demandé sur mon bras.
Je veux tout en particulier, ai-je dit.
Des magazines d’art?
Oui.
Des magazines de nature ?
Oui.
Politiques ?
Oui.
Autre chose ?
Oui.
Je lui dis de prendre une valise pour pouvoir rapporter un exemplaire de chaque genre.
Je voulais qu’il puisse emporter ses affaires.
Dans mon rêve, le printemps suivait l’été, qui suivait l’automne, qui suivait l’hiver, qui suivait le printemps. Je lui ai préparé un petit déjeuner. Je me suis efforcée qu’il soit délicieux. Je voulais qu’il ait de bons souvenirs, de sorte qu’il revienne peut-être un jour. Ou au moins que je lui manque.
J’ai essuyé le bord de l’assiette avant de la lui donner. Je lui ai étalé la serviette sur les genoux. Il n’a rien dit. Quand l’heure est venue, je suis descendue avec lui.
Il n’y avait rien sur quoi écrire, alors il écrivit sur moi.

Les personnages sont d’une profondeur excessive mais nécessaire à la tension que l’auteur semble vouloir faire passer pour tendre son histoire, même si le petit Oskar est profondément agaçant, malgré son mal-être et sa fausse candeur ; c’est typiquement le genre de môme à qui on a envie de donner des gifles. Sa mère, effacée, toute en relief, oscillant entre les pleurs et robustesse reste finalement un personnage d’arrière-plan qui laisse peu de traces. En revanche, deux personnes se démarquent nettement dans des échanges de lettres, dans des mots incroyablement forts, charnels et brutaux. Tout d’abord, la grand-mère d’Oskar, que finalement on voit assez peu intervenir dans le cours de l’histoire, puis le Locataire, un personnage vigoureux, manipulant la terre et ne parlant pas, aux mots Oui et Non tatoués dans les paumes des mains. Ces deux spectres du passé sont comme des liaisons avec le présent et le futur, d’une tension, d’une profondeur rarement exprimée dans un livre et j’ai tout de suite ramené cette sensation à celle que l’on éprouve face à la peinture expressionniste.
Il y a aussi dans ce livre un rapport au corps et à l’écriture qui ne m’a pas échappé. Les thématiques de l’écriture, de la chair, de l’écriture dans (et de) la chair y sont fortement représentés, bien que sous-jacents, dans des accents qui rappellent la pensée du de chiasme tactile, du touchant et du touché de Merleau-Ponty.

Certains livres laissent pantois car leur histoire est forte. Ici, on sait d’emblée que tout sera distendu par un contexte dramatique, aux traits forcés, et au sortir de la lecture, au demeurant relativement facile, on finit épuisé par tant d’émotions et d’intensité, le tout encapsulé dans une écriture à la puissance rare.
Je pensais n’avoir pas grand-chose à dire de ce livre, mais finalement, j’en tire une grande satisfaction, même si je sais, ou je me doute, que j’aurais certainement du mal à retrouver une telle illusion.

Notes:
[1] L’expressionnisme est la projection d’une subjectivité qui tend à déformer la réalité pour inspirer au spectateur une réaction émotionnelle. Les représentations sont souvent basées sur des visions angoissantes, déformant et stylisant la réalité pour atteindre la plus grande intensité expressive. Celles-ci sont le reflet de la vision pessimiste que les expressionnistes ont de leur époque, hantée par la menace de la Première Guerre mondiale. Les œuvres expressionnistes mettent souvent en scène des symboles, influencées par la psychanalyse naissante et les recherches du symbolisme. (Source Wikipédia)

La merveilleuse histoire du général Johann August Suter (L'Or, Blaise Cendrars)

Burnished GoldPhoto © Rexton

Je copie le chapitre suivant dans un gros cahier à couverture en parchemin qui porte des traces de feu. L’encre a pâli, le papier a jauni, l’orthographe est peu sûre, l’écriture, pleine de paragraphes et de queues compliquées, est difficile à déchiffrer, la langue est pleine d’idiotismes, de termes de dialecte bâlois, d’amerenglish. Si la main, d’une gaucherie attendrissante, a souvent hésité, le récit suit son cours, simplement, bêtement. L’homme qui la trace n’a pas une plainte. Il se borne à raconter les événements, à énumérer les faits tels qu’ils se sont passés. Il reste toujours en deçà de la réalité.

Lire les classiques de la littérature n’a jamais été mon fort et même si plusieurs fois, j’ai vu passer sur des listes de lecture le nom très court de ce roman de Blaise Cendrars, L’Or, je n’avais jamais franchi le pas, reléguant le célèbre manchot aux rayons poussiéreux des bibliothèques, à tort. Continue reading “La merveilleuse histoire du général Johann August Suter (L'Or, Blaise Cendrars)”

Muji Seisekihyou 成績表

Dernier né de ma collection, un petit carnet tout simple sur lequel j’écris quand l’envie m’en prends. Rien de fantastique, juste des pages que je griffonne de ma plus belle écriture et sur lequel je dessine à la va-vite, selon l’air du temps.
Un journal léger sans prétention…

Muji Seisekihyou