La merveilleuse histoire du général Johann August Suter (L'Or, Blaise Cendrars)

Burnished GoldPhoto © Rexton

Je copie le chapitre suivant dans un gros cahier à couverture en parchemin qui porte des traces de feu. L’encre a pâli, le papier a jauni, l’orthographe est peu sûre, l’écriture, pleine de paragraphes et de queues compliquées, est difficile à déchiffrer, la langue est pleine d’idiotismes, de termes de dialecte bâlois, d’amerenglish. Si la main, d’une gaucherie attendrissante, a souvent hésité, le récit suit son cours, simplement, bêtement. L’homme qui la trace n’a pas une plainte. Il se borne à raconter les événements, à énumérer les faits tels qu’ils se sont passés. Il reste toujours en deçà de la réalité.

Lire les classiques de la littérature n’a jamais été mon fort et même si plusieurs fois, j’ai vu passer sur des listes de lecture le nom très court de ce roman de Blaise Cendrars, L’Or, je n’avais jamais franchi le pas, reléguant le célèbre manchot aux rayons poussiéreux des bibliothèques, à tort.
Sur les conseils avisés, ou plutôt la suggestion d’une personne à présent disparue, je me suis plongé dans cette lecture étonnante. Si je n’avais été happé par la formidable préface de Francis Lacassin (L’aventurier tué par son rêve), je n’aurais peut-être jamais parcouru le reste du livre. En effet, l’éclairage était pour moi nécessaire. Cette histoire (ré-)écrite en quarante pour satisfaire l’impatience de l’éditeur, raconte la ruine de Suter, un helvète aventurier, une ruine fallacieuse et sournoise née de la soif de l’or et fera la célébrité de Cendrars.

Et c’est là, chez les Indiens, qu’il apprend l’existence d’un autre pays, s’étendant encore beaucoup plus loin à l’ouest, bien au-delà des montagnes Rocheuses, au-delà des vastes déserts de sable.
Enfin il sait le nom.
La Californie.

[Johann August Sutter]] est un personnage réel ; on peut dire qu’il est le fondateur de la Californie car c’est le premier qui y installa une colonie sur les terres arides de la côte ouest et y découvrit l’incroyable richesse du sol. Pourtant, l’histoire qu’en fera Cendrars n’est pas une réécriture de l’histoire, ni même un roman, mais plutôt une réappropriation.

[…] une histoire merveilleuse que je me mis tout à coup à élaguer et à dépouiller pour en faire une histoire vraie.

L’or de Cendrars a également un dimension mythologique. Suter est l’exact opposé d’un [[Midas], découvrant l’or et se ruinant seul. La raison historique de cette ruine est la découverte du métal précieux sur ses terres dont il revendique la propriété. Pourtant, la nouvelle se répandant et les cupides chasseurs d’or accourant sur ses terres vont retourner ses terres, ravager le terrain comme des sauvages pour en extraire la manne, et pendant des années, Suter va tenter de faire valoir ses droits sur ces terres face à l’Etat, pratiquement en vain. Il ne lui restera finalement plus rien.

Comme on le verra par la suite, il eût mieux valu pour Johann August Suter, alors au faîte de la réussite, de la richesse et de la grandeur, que ce charriot n’arriva pas, qu’il coulât à pic au fond d’une rivière, qu’il s’embourbât à jamais dans une fondrière, qu’il versât dans un précipice de la montagne ou que ses nombreux attelages de bœufs soient décimés par une épidémie.

Pourtant, malgré l’importance de l’œuvre, on lui reprochera souvent d’avoir procédé à une réécriture falsifiée de l’histoire. Lui ne voyait pas les choses comme ça:

«J’ai fait œuvre d’artiste, et non pas d’historien, un livre synthétique et non pas analytique, une multiplication et non pas une addition, un portrait vivant du général et non pas le déshabillage d’une momie.
«Une œuvre de fiction.
«Un roman.
«C’était mon droit le plus absolu. Ma seule raison d’être un écrivain.»

Cendrars laisse derrière lui un texte admirable scandant avec force cette double réalité qu’a vécu Sutter, le conflit entre la vanité et l’orgueil en toile de fond, un document romancé, une histoire sublime et incomparable qui demeure la belle appropriation de l’Histoire. Et comme le dit Lacassin, « Avec ses inexactitudes voulues ou involontaires, Sutter’s Gold aura eu au moins le mérite de pousser les Américains à s’intéresser à leur passé. »

Notes
[1] Sutter est un personnage familier de Cendrars, tous deux Suisses expatriés. Cendrars l’écrira toujours Suter et non Sutter, comme pour mettre une distance entre le personnage historique et l’anti-héros qu’il bâtit.

2 Replies to “La merveilleuse histoire du général Johann August Suter (L'Or, Blaise Cendrars)”

  1. tout ce qui brille n’est pas or mais il arrive qu’on découvre une pépite dans la roche qui semblait juste sombre et humide…

    tes lectures de 2007 auront été marquées par quelques très belles découvertes, d’auteurs suisses notamment (et oui j’en suis très fière, je suis chauvine si je veux) 🙂

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