Todd Hido fait partie de ces gens que la fioriture embarrasse, que le détail ennuie profondément et que les histoires ne passionnent pas.
Repéré il y a quelques temps chez VVork, je me suis décidé à en savoir plus sur cet homme qui traîte des sujets aussi déroutants que divers et pour qui la question du design de son site n’a pas l’air cruciale.
Né dans l’Ohio en 1968, il est diplomé depuis 1991 de la School of the Museum of Fine Arts de Houston et depuis 1996 du California College of Arts. Consacré par l’exposition de ses photographies au Guggenheim, il est un digne successeur de Stephen Shore, avec ceci en plus que ces sujets se tiennent malgré leur diversité.
Femmes déprimées dans des chambres glauques, racontant peut-être des histoires sordides de prostituées dans des motels miteux, intérieurs vides et sans vie, extérieurs de nuit dans les banlieues pauvres d’une Californie mal connue, maisons habitées uniquement éclairées de l’intérieur, paysages délavés et brumeux, Hido joue avec la lumière, les halos et les ambiances particulières liées aux caprices de la météo, des photos dans lesquelles le soleil ne joue jamais aucun rôle, acteur subalterne de la vie quotidienne.
Il joue avec notre côté obscur, se déplace dans la ville en n’ayant rien de particulier à nous dire, photographie les femmes en ne nous disant rien de leur histoire, laquelle ne peut même pas se lire dans leurs yeux vides et leur expression neutre.
Je crois qu’on a besoin d’un bon café
Je ne sais pas pourquoi j’écris ce billet parce que je me doute que tous les fous furieux des aventures de l’agent spécial Dale Cooper sont déjà au courant. La saison 1 de Twin Peaks est désormais disponible à la vente en DVD. Même si on regrettera apparemment une réalisation prise par dessus la jambe, le principal est là. Twin Peaks existe désormais en DVD. Saison 2 prévue pour la fin de l’année. Et comme dirait Cooper, « Je crois qu’on a besoin d’un bon café. »
Côté bonus, hormis une introduction de chaque épisode par la Femme à la bûche (du style : « Cette chanson se terminera sur trois notes aiguës comme de funestes battements de tambour »), on a le droit d’hésiter entre intense foutage de gueule et gigantesque poil dans la main. Les acteurs parlent de tout, sauf de Twin Peaks. Ainsi, les trente secondes d’entretien avec Kimmy Robertson alias Lucy se résument à filmer le trou qu’une taupe a creusé dans son jardin. A noter, tout de même, une interview de Mark Frost, co-créateur de la série, par deux journalistes de la revue de fans Wrapped In Plastic (« Enveloppée dans du plastique »), mais de Lynch, rien : « Lynch n’aime pas revenir sur le passé », regrette Pierre Olivier.
Via Ecrans.
Delerm du temps
Delerm est une feignasse. Il écrit un livre de 94 pages tous les cinq ans. Le genre de livre qu’on ne met pas plus d’une semaine à écrire tant les pages sont aérées, traversées par d’immenses courants d’air typographiques. Aussi, je me dis que quand on ne fait que ça de sa vie, quand on a tout son temps pour écrire, peut-être peut-on se fouler un peu plus. Je m’étais mis dans l’idée de ne lire pendant une certaine période que des petits livres, voire des fascicules. M’en voilà revenu. Delerm est une feignasse, je répète, d’une flemme molle et d’une écriture qui l’est tout autant. C’est un livre sur les petits riens (Enregistrements pirates) sur tous ces signes qui font sens, volés à la vie du quotidien. C’est mou et sans difficulté, et sans beaucoup d’émotions non plus, rien n’accroche. Parfois, on éprouve un soubresaut, mais ça ne dure pas, ce n’est pas non plus une révolution. C’est dommage parce que ça commençait bien avec cette femme qui promène son chien, les mains dans les poches. Continue reading “Delerm du temps”
Pétasse
Construit sur le latin pedere, péter. Dans sa préhistoire, cette injure s’adressait à une femme que l’on cherche à déconsidérer en l’assimilant à une prostituée ; aujourd’hui, “une pétasse” désigne de manière plus vague une femme dont le comportement et la faculté de raisonnement paraissent dignes de mépris.
Variantes: grognasse, pouffiasse, roulure.
Registre courant: idiote, femme de mauvaise vie.
Registre soutenu: sirène de fond, Vénus de grande surface.
Si vous voulez en savoir plus, n’hésitez pas à vous procurer le petit livre des gros mots, écrit joyeusement par le professeur de lettres modernes Gilles Guilleron, le tout pour la modique somme de 2.90€. Je vous rassure, les représentants de la gent masculine en prennent tout autant pour leur grade. Rien de tel pour passer un bon moment dans les transports en commun en souriant bêtement.
Comme le dit l’auteur dire un gros mot contient un certaine charge émotive libératoire. Faites le test vous-même en disant “maison de tolérance, matière fécale” puis “bordel de merde”. Ben oui, ça change tout.
Le diable et la haute mer
Photo © Mgjefferies
L’humour et la connaissance précise de la marine de Kipling. Un enchantement dont j’arrive encore à me réjouir à chaque instant.
L’Haliotis avait le choix et ce qu’il choisit déclencha le dénouement.
Escomptant son moindre tirant d’eau, il essaya de se tirer dans le nord vers un bas fond propice.
L’obus, qui arriva en traversant la cabine du premier mécanicien, fut un cent-vingt-cinq à charge, non d’éclatement mais de tir.
On avait visé pour qu’il passât en travers de sa route et c’est évidemment pourquoi il était venu flanquer par terre le portrait de la femme – fort jolie fille d’ailleurs – du premier mécanicien.
Il réduisant en bois à allumettes la toilette d’acajou de cet officier, franchit le couloir de la chambre des machines, et, frappant un grillage, tomba juste devant la machine avant, où il éclata, coupa net les boulons reliant la bielle avec la manivelle antérieure. On se doute des conséquences. […]
En bas, on entendait qu’il se passait quelque chose.
Ça ronflait, ça cliquetait, ronronnait, grondait, tocquetait.
Le bruit ne dura guère plus d’une minute.
C’était les machines qui, sous l’inspiration du moment, s’adaptaient aux circonstances.
M. Wardrop, un pied sur le grillage supérieur, se pencha pour prêter l’oreille et laissa échapper un grognement douloureux.
On ne stoppe pas en trois secondes des machines marchant à douze noeuds à l’heure, sans y jeter du désarroi.
Dans un nuage de vapeur, l’Haliotis chassa sur son erre en geignant comme un cheval blessé.
Rien à faire.
L’obus à charge réduite avait réglé la situation.
Rudyard Kipling,
in Un beau dimanche anglais.
Traduit par Albert Savine, 1931,
Albin Michel
Le texte original est disponible sur le projet Gutenberg, sous le titre The Devil and the deep sea, in The day’s work.
Terre des lieux
– Toujours pareil. Il ne parlait que damnation, jamais de nous. Vous décoiffez tant soit peu une jeune fille, vous alliez droit comme une flèche en enfer.
Auquel il ne croit pas du tout. Il croit aux “lieux” (Ker en breton). Il connait dans l’île des lieux – bien circonscrits : un roc fendu par la foudre, une souche de cornouiller qu’on a toujours vue là et qui ne veut pas mourir – pleins de force, d’efficace et de bonté. C’est là qu’il faut aller se recueillir, demander, remercier. Ailleurs, à l’église qu’on laisse un peu aux femmes, c’est du temps perdu.
Nicolas Bouvier,
Journal d’Aran et d’autres lieux.*
On sous-estime souvent l’importance des lieux dans les cultures populaires. Qui n’a jamais foulé les terres chargées d’histoires et de légendes ne peut avoir idée de ce qu’ils représentent en terme de charge émotionnelle et religieuse. On se retrouve transporté dans des temps morts, de la veine de ceux dont parle Loti lorsqu’il se perd dans les remparts du monastère Sainte-Catherine, en plein Sinaï.
* Non, désolé, ce livre ne parle pas de poissons.
Les slips des filles
Les filles ne portent pas de slip, mais des culottes, parce que les filles sont des êtres civilisés, sensuels, charmants et sans défaut. Pourtant, Nick Hornby démonte un peu le mythe avec ces mots d’une justesse hilarante. In Haute Fidélité.
J’étais un peu inquiet de l’effet que ça me ferait de revenir à l’appart ce soir, mais tout va bien : cette sensation précaire de bien-être que j’ai depuis ce matin ne m’a pas quitté. Et puis, de toute façon, ça ne sera pas dans cet état éternellement, avec ses affaires un peu partout. Elle va bientôt venir les chercher, et cette atmosphère de boudoir – avec le roman de Julian Barnes ouvert au pied du lit, les slips dans le panier à linge – va se dissiper. (J’ai été affreusement déçu par les slips des filles quand j’ai commencé à vivre en concubinage. Je ne me suis jamais remis de cette découverte : elles font comme les garçons. Elles se gardent leurs plus beaux dessous pour les jours où elles savent qu’elles vont coucher avec quelqu’un. Quant on vit avec une femme, les vieux slips Monoprix délavés, rétrécis, informes font soudain leur apparition sur tous les radiateurs ; vos rêves lascifs d’écolier, où l’âge adulte apparaissait vautré dans la lingerie fine à jamais, dans les siècles des siècles… ces rêves retournent à la poussière.)
Et voilà, deux coups de cuiller à pots et le sort du slip de fille est réglé.
Les trois dames de la Kasbah
Fleurs d’ennui* est un livre de Pierre Loti, un recueil dans lequel on trouve cet étrange conte. Un conte mystérieux et sombre dans lequel il nous embarque dans la Kasbah d'Alger, imposante et fière. Elsagarray, Guiaberry, Kerboul et Le Hello sont quatre marins français envoyés par delà la Méditerranée, qui, dans leur dérive nocturne se perdent dans les ruelles tortueuses et parfois illuminées par de discrètes lampes de la vieille forteresse, face à la mer et au port. L’ambiance y est magique et on pourrait presque y entendre la plainte triste d’un oud… Au coeur de la Kasbah, trois femmes sommeillent dans un silence de mort.
Quand elles avaient fini de peindre leur visage de blanc et de rose, et leurs grands yeux de noir et de henné, elles restaient assises par terre, dans une petite cour très profonde, où régnaient un silence mystérieux et une fraîcheur souterraine.
Photo © David Wilmot
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Moksha, l'ultime récompense
Voici plusieurs semaines que je parcours ce site et ces lignes. Elles s’appellent Yamuna Dasi, Shanti Karuna ou Shaila Wala, elles sont anonymes et hindoues et leur point commun est d’avoir connu les tragédies de la vie, le suicide, le veuvage, la perte d’un enfant ou la misère la plus extrême. Fazal Sheikh, une américaine est partie à la rencontre de ces femmes brisées, de ces femmes voilées souhaitant ne pas montrer leur visage ou au contraire exposant leur figure blessée par la vie et les coups, ou apaisée, et elle en a tiré un livre sombre, rempli d’images fortes et dures, d’ambiances sombres et vaporeuses. Moksha est une oeuvre superbe, imposante et silencieuse.
Sur la page d’accueil, retrouvez les autres livres de Fazal Sheikh.
Minuscules écrits autour de personnages d'un quotidien qui n'aurait pas de nom
1.
Deux femmes sont debout dans le couloir du RER. Elles parlent entre elles dans une langue qui me semble totalement inconnue. Elles ont une peau noire assez claire et un nez retroussé. Incapable de me concentrer, j’essaie de trouver une ressemblance avec une langue que je connais, mais au milieu du discours fluide, sont intercalés des mots français et des mots créoles qui rendent mon écoute difficile. Au bout d’un moment, après m’être imprégné de ce flux agréable, je me rends compte que c’est du portugais, mais pas n’importe lequel, un portugais du Brésil, doux et léger, pas râpeux comme peut l’être celui des campagnes portugaises. Je les regarde parler entre elles, apparemment de tout et de rien, la conversation a l’air moins passionnante que la musicalité avec laquelle elles s’expriment.
2.
Je la remarque tout de suite parce qu’elle parle fort dans son téléphone alors que le silence règne dans le train. C’est le genre de fille que la discrétion n’étouffe pas. On a vite fait de catégoriser les gens et celle-ci fait partie de l’espèce de plus en plus répandue de Petassus Maximus, ça se voit tout de suite. Elle porte sur elle un morceau de tissu informe rayé noir et or qui lui va du bas des épaules au haut des genoux qui n’arrête pas de découvrir ses épaules, ce qui est certainement l’effet recherché. Gloss sur les lèvres, lunettes de soleil teintée, bagues énormes, elle est toute jeune et déjà complètement envasée dans le monde de l’apparence. Je ne retiendrai qu’une seule chose d’elle, son parfum doux que j’ai pu sentir malgré la distance. Un parfum reconnaissable puisque j’ai déjà pu le sentir des dizaines de fois.
3.
Train de 8h11. Sur le quai du train, elle ne peut qu’attirer les regards. Elle porte un pantalon court qui s’arrête sous le genou, fait d’une étoffe lisse et luisante comme le satin. Légèrement évasé à partir du genou, il enveloppe ses fesses avec magnificence, dans une courbe parfaite, laissant deviner des formes généreuses qu’elle doit savoir agréables au regard. Un jour, j’ai dit à une femme concernée par mes dires que j’adorais les femmes qui épousaient parfaitement leur pantalon. C’est exactement le cas. Lorsque de profil, je regarde avec envie ce magnifique fessier, je peux deviner la courbe de sa cuisse, ses fesses bombées et relevées, et de face, l’étoffe serrée peut même laisser deviner le dessin délicat de ses lèvres. Décidément trop absorbé par cette vision heureuse, je délaisse son visage que je trouve quelconque et sans intérêt. Certaines femmes ne sont parfois qu’en partie désirables.