La merveilleuse histoire du général Johann August Suter (L'Or, Blaise Cendrars)

Burnished GoldPhoto © Rexton

Je copie le chapitre suivant dans un gros cahier à couverture en parchemin qui porte des traces de feu. L’encre a pâli, le papier a jauni, l’orthographe est peu sûre, l’écriture, pleine de paragraphes et de queues compliquées, est difficile à déchiffrer, la langue est pleine d’idiotismes, de termes de dialecte bâlois, d’amerenglish. Si la main, d’une gaucherie attendrissante, a souvent hésité, le récit suit son cours, simplement, bêtement. L’homme qui la trace n’a pas une plainte. Il se borne à raconter les événements, à énumérer les faits tels qu’ils se sont passés. Il reste toujours en deçà de la réalité.

Lire les classiques de la littérature n’a jamais été mon fort et même si plusieurs fois, j’ai vu passer sur des listes de lecture le nom très court de ce roman de Blaise Cendrars, L’Or, je n’avais jamais franchi le pas, reléguant le célèbre manchot aux rayons poussiéreux des bibliothèques, à tort. Continue reading “La merveilleuse histoire du général Johann August Suter (L'Or, Blaise Cendrars)”

Motrice n°16019

La plateforme était envahie du bruit monotone et régulier des roues métalliques sur les rails à grande vitesse – seul – la tête posée contre la vitre qui tremblait – je regardais les tampons exercer leur travail sous la pression du wagon contre la motrice, l’attelage qui grinçait sous le coup de la vitesse – sur les côtés et sous moi le paysage et le ballast défilaient à vive allure me donnant le vertige et exerçant sur mon regard la fascination des instants que je ne peux partager avec personne – en ce moment, toute mon émotion passe par le regard et la vue seule me procure le trop-plein de sensations dont j’ai besoin.

Voyage

Je me mets à rêver des Voyages de Raymond Depardon (éditions Hazan), un livre de photos qui se lit comme un roman – même avec peu de textes – laconiques, jetés là comme pour faire bonne mesure.
L’Afrique au quotidien en tête de livre.
Mon regard vagabonde sur les éclairs laissées comme une route lumineuse par le pantographe sur le caténaire.

Voyage

Je saute quelques pages pour retrouver ces photos d’une femme qu’il a aimé, une femme aux cheveux courts, au visage lisse et fermé. Elle me rappelle quelqu’un – à moins que ce soit moi qui cherche absolument à trouver une ressemblance.

Voyage

Des photos au grain parfait, sensuel, des photos humaines où le cadrage parfait n’est parfois pas tout à fait droit – l’inclusion d’un peu d’humanité de l’autre côté de l’objectif.
Le train continue sa course en cahotant – mon regard reste fixé sur ces numéros peints en blanc sur la tôle rouge vif : 16019.

Du bon usage des notions de géométrie dans l'espace en milieu urbain

town02

Devant ma tasse de café bien noir bien chaud bien sucré j’écoute d’un œil distrait la radio qui blablate et me donne le cafard – je ne demande jamais à écouter les actualités qui me semblent d’un autre temps – remémoration des années 30 – et je tombe ou plutôt me tombe dessus un communiqué du Ministère du Travail dans lequel on entend un homme, apparemment très content de son sort qui dit haut et fort “Moi, ce mois-ci, j’ai travaillé 4 heures de plus par semaine parce que mon patron avait des commandes urgentes à honorer et grâce à cette aubaine tombé des cieux, j’ai touché 183 euros net en plus“. Rendez-vous sur le site blablabla.com pour en savoir plus blablabla.
Regard de bovin, mais c’est quoi cette histoire. J’entends en fait tout autre chose. Quelque chose dans le style “Moi, ce mois-ci, j’ai travaillé 4 heures de plus par semaine parce que mon patron avait des commandes urgentes à honorer et qu’il commençait à faire dans son caleçon parce que les pénalités de retard vont gréver son budget vacances et cette année encore il ne pourra pas partir en République Dominicaine comme il y a trois ans et qu’il doit faire réparer son 4×4 et grâce à cette aubaine tombé des cieux, j’ai touché 183 euros net en plus, mais je n’ai pas beaucoup vu mes enfants, je tombais de fatigue devant le journal de Claire Chazal et du coup j’ai même pas pu regarder la Méthode Cauet. En plus de ça, je n’ai toujours pas été augmenté et mon patron a dit à son client que c’était mon manager qui avait tout fait, mais à part ça je suis heureux parce que j’ai touché 183 euros net en plus ce mois-ci“. Travaillez plus pour gagner plus, le rêve de toute une génération devient enfin possible, moi qui pensais que l’avenir était plutôt à l’augmentation des salaires, je tombe de haut.
Les grèves sont terminées et tout semble se passer comme s’il ne s’était rien passé, j’entends une fanfaronne rire sur le fait qu’elle n’était plus habituée à prendre le train et que finalement ce n’était pas si mal de prendre la voiture – ben va-y cocotte personne ne t’oblige et je me dis que le type qui conduit ce train est peut-être aigri de n’avoir pas eu gain de cause et d’avoir perdu 183 euros net a minima et qu’il va peut-être mener son train directement dans la Seine par un malencontreux coup de volant, et je me vois mal finir ma vie de cette manière parce que moi bordel ! Je suis avec vous, les gars… !! Du coup, je ne peux m’empêcher de m’adresser à mon voisin qui lit un étrange petit livre bleu sur lequel est inscrit “Comment lire un bilan” et je me dis que ce type ne doit pas savoir lire un bilan, mais en même temps un bilan, ce ne sont que des chiffres non ? et je lui dis Pensez-vous ainsi que le disait Slavoj Žižek que le bouton qui accélère la fermeture des portes de l’ascenseur est un placebo destiné à donner l’illusion à celui qui appuie dessus qu’il participe du mouvement de l’appareil ? Nan parce que dans ce cas là, je me demande si vous et moi ne serions pas des placebo donnant l’impression à la société cette fourbe que nous sommes ces instruments participatifs ? Pas de réponse et beau regard d’ange de bovin (bis)
Je me console tout seul le nez replongé dans mon livre et en apprenant qu’avant de se jeter à corps perdu dans la philosophie et dans la géométrie, Pythagore avait raflé tous les prix de pugilat aux Jeux Olympiques – et dire que j’ai passé toutes ces années de collège à tenter de comprendre un théorème proféré par une brute de catcheur dont il ne reste que des carrés et des sommes de carré de côtés !!!
Enfin bref, comme disait Mr Nicolas au café de l’Etrier, le carré de l’hypoténuse que si l’on Sancerre !! Rire gras.

Je ne sais pas si vous êtes comme moi les copines, mais j'adore me maquiller les yeux

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Ce dimanche, je me suis acheté un livre rose, un livre qui, comme ça, vu de l’extérieur n’est rien d’autre qu’un livre dans une pochette rose recouverte d’une sorte de velours comme on en trouve sur ces vieilles brosses à vêtements enfin je dis vieilles pas tant que ça c’est surtout le genre de choses qu’on trouvait dans les années 70, enfin que je trouvais dans les placards de ma mère quand je n’étais encore qu’un petit morveux – c’est pas vrai d’abord je n’ai jamais eu de chandelles qui descendaient des narines – je suis tombé sur ce livre avant d’avoir hésité longuement à prendre une édition brochée des Particules Elémentaires de Michel Houellebecq qu’il faut certainement avoir lu mais lorsque j’ai eu entre les mains ce livre recouvert de moumoute rose, je me suis dit voilà le livre qu’il me faut, le vrai livre qui de l’extérieur ressemble à un livre de fille, je dirais même de pétasse et qui est en fait un des plus grands romans du XXè siècle paraît-il et que je n’ai toujours pas lu et pour le coup je me suis dit qu’en avoir une édition en moumoute rose était l’occasion de le lire. Non ? Ça ne tient pas ? C’est justement pour ça que c’est important.

lolita

Alors c’est quoi ? Ce sont les mémoires de Dom Juan ? Non. Ni plus ni moins que le chef d’œuvre de Nabokov, Lolita. Une telle couverture s’imposait-elle ? Certes, il ne pouvait en être autrement, et puis j’ai flâné longuement entre les tubes de peinture les pastels gras les pastels aquarellables, et autres pastels de toutes sortes et aussi les crayons les mines les stylos les feuilles et les carnets enfin bref tout ce qui sert à écrire et à dessiner et je n’ai qua-si-ment rien acheté… je dis bien qua-si-ment parce que je n’étais pas là pour moi mais pour mon fils le coquin qui a lui de son côté flâné longtemps entre les livres de coloriages de Noël les livres sur les dragons et les atlas de tout acabit et a réussi avec son sourire d’ange à se faire offrir plein de choses par les vendeurs, il est comme ça – il s’avance vers les gens en souriant et tout lui tombe entre les mains, d’ailleurs faudrait voir à ce que ça n’arrive pas trop souvent qu’il ne s’imagine pas que tout est toujours aussi simple – et puis j’ai vu énormément de livres intéressants comme ce tout petit livre très cher sur les photos de Anja Hyytiäinen qui s’appelle Distance Now avec de très beaux clichés très crus et très froids comme savent en faire les gens du Nord (le premier qui siffle la chanson d’Enrico Macias c’est deux gifles), mais aussi Sensationnal Billboard aux éditions Teclum sur les panneaux publicitaires, Do not disturb de Chas Ray Kinder, très porno chic ou porno tout court et aussi un livre dont je ne soupçonnais même pas l’existence, un livre de leçons de photo écrit par le très célèbre Stephen Shore.

Une very stylish fille

Et puis je suis allé à Paris, samedi, dans les grands magasins du boulevard Haussmann, je voulais aller sur le toit du Printemps mais il faisait déjà presque nuit quand je suis arrivé et puis de toute façon, je ne suis pas allé au Printemps mais aux Galeries Lafayette plus connues sous le nom de Galeries de la Fille ou Temple du Superflu et de la séduction clinquante ou encore Naos du petit cul qui se trémousse, c’est une question de point de vue et fichtre qu’il y avait du monde, dans les rues, sur les trottoirs et dans les allées, aux caisses et dans les rayons, jusqu’au plus haut de cet immense vrac de choses brillantes et de choses chères et plus chères qu’ailleurs, et puis toutes ces femmes, que des femmes – faut dire aussi que si on se contente de se promener au 4ème étage – pour celles (et ceux, mais bon) qui connaissent – ben c’est forcé qu’on soit noyé au milieu des femmes shoppingnantes parce qu’on est ici à l’étage Tendances de la femme, c’est un peu le Gotha du brillant de la marque du tendance et du c’est vraiment trop génial pour les femmes. J’adooooooooore…

Dehors les vitrines clignotaient miroitaient reflétaient cliquaient et tous ces gens horribles prêts à se monter dessus pour voir les vitrines animées et qui poussaient leurs enfants pour qu’ils soient les premiers et qu’ils puissent voir absolument en marchant sur les pieds et sur le visage de leurs congénères – leur inculquant dès le plus jeune âge les règles les plus élémentaires de la vie en société soit la traîtrise la couardise et le méchanceté, rien de moins que tout ce qu’on retrouve chez leurs chers parents et lorsque je vois de toutes petites filles vêtues de fourrure blanche, des vraies certainement et les pieds chaussés de souliers vernis de marque, je me dis que le monde n’est pas prêt de tourner rond, alors je change de trottoir, là où l’air est moins vicié et les gens moins puants et je dis à mon fils qu’on viendra un soir de semaine quand tous ces cons seront chez eux et je le laisse sucer son sucre d’orge en lui disant d’essayer absolument de se rappeler qu’on est encore en novembre et que Noël – ce n’est que dans un mois… On l’oublierait presque.

sucre d'orge

Raconteurs d'histoires et éléphants maladroits

Texas flood

[audio:http://theswedishparrot.com/xool/elephant.xol]

Je me suis dit que j’allais arrêter d’écrire quelques temps, histoire de reposer un peu mon esprit et de me défaire de toutes ces idées aliénantes qui m’obsèdent et qui ces derniers jours m’ont empêché de dormir, parce que je suis comme ça – un peu comme tout le monde – ce qui me mine ou me déplaît m’empêche de dormir et plus le sommeil irrattrapable s’accumule, plus la perte de performance s’accroît à tout point de vue, alors pour tenter de garder les yeux ouverts et simuler un semblant de lucidité, un entrain qui me permettrait de ne pas sombrer et de continuer à marcher, je fais des plans, j’imagine de petites constructions, j’organise ma vie sous forme de tableaux desquels — je respire un coup — desquels j’extrais d’emblée toute forme de souffrance – une ataraxie positiviste, et… je me surprends, je l’avoue, à rebondir de façon spectaculaire, alors, oui, je m’en rends compte, je perds de cette énergie qui me traversait parfois, autrefois, avant ce mois de juin fracassant, mais je commence à en gagner, d’une toute autre forme, par ailleurs. Donc, après avoir suivi des pistes qui se sont révélées être des chemins trop compliqués, pour ne pas dire que ce sont des fausses pistes, je me suis aperçu que je cherchais quelque chose là où il n’y avait rien. Toute cette périphrase n’est destinée, au bout du compte, qu’à dire que je vais me remettre sérieusement à écrire — dans un seul but que je me suis avoué tout seul.

Je fais simplement une petite parenthèse à propos d’un livre sorti en octobre, écrit par Christian Salmon, Storytelling, un livre qui après la lecture de Servitude et Simulacre de Jordi Vidal, viendra brosser un tableau parfait que je livrerai en hommage à certaines personnes dignes du plus profond des mépris, un mépris dont il faut, comme le disait Chateaubriand, savoir être économe au vu du nombre de nécessiteux.

Primo Moleskine, la manufacture

Parfois, on me demande ce qu’il y a dans mes carnets, on s’interroge sur ce que je note dans ces petites choses à la couverture noire, on se demande ce que j’en fais ou à quoi ça peut bien servir, ou à l’inverse, on me demande comment je fais pour consigner tout ce que je vois et qui me sert à construire ce blog… En fait, je procède sans méthode et en dépit du bon sens, et doué d’une formidable capacité à m’intéresser passionnément et à oublier tout de suite après, l’intérêt de la prise de notes est pour moi plus qu’évident. Aussi, je tiens une sorte de journal achronique de tout ce qui me traverse à l’instant T. On se demande aussi pourquoi je porte des pantalons avec de grandes poches sur les cuisses. La réponse consiste généralement un soupir, un haussement d’épaules et trois, quatre mots qui signifient que c’est pour toujours avoir sur moi mes carnets. Je note tout, où que je sois, quoi que je fasse, ne me séparant de ces appendices vitaux et précieux que lorsque la nudité la plus totale affecte mon existence. Je note des références de livres, des noms qui me mènent sur des pistes de recherches, de simples termes qui renvoient à des notions que je veux explorer, des thématiques précises, des journées entières résumées, je note absolument tout.
Et ce que je fais aujourd’hui, c’est dévoiler une part de mon intimité qui consiste en ces pages bordéliques sur lesquelles j’écris les choses les plus importantes. Ceci est mon premier Moleskine, le plus précieux, celui qui ne me quitte jamais et sans lequel je me sentirais désoeuvré, celui par lequel tout a commencé. Morceaux choisis, et ce seront les seuls.

Primo Moleskine

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Voyage en Finlande


Voyage en Finlande

Originally uploaded by Lost in Anywhere

J’ai fait un rêve. Un rêve livresque, dans lequel tous les livres auraient des pages imprimées sur deux colonnes, comme si malgré l’épaisseur, nous avions entre les mains les lignes d’un journal. Je me suis pris à imaginer que tous les livres écrits sur une seule colonne étaient tout à coup rayés des listes et qu’on se prendrait à imprimer des livres de la sorte. Un rêve…

Dans le désert de Loti – le synamare

Loti le fantasque, Loti l’excentrique, Loti le fou, disaient certains, celui qui n’hésitait pas à se promener en ville ou sur le port de Paimpol affublé d’un fez et vêtu à la Turc ; Loti a traversé le désert en 1894 en partant d’Egypte pour rejoindre Jérusalem, en passant par les hauteurs du Mont Sinaï. Une équipée terrible s’engouffre entre les falaises de marbre rose et les étendues de sable gris sombre battues par le Khamsin (خمسين) et il en ressort un texte sobre, dépouillé, dans lequel pourtant il nous livre des pages sublimes sur l’un des lieux les plus secrets de la planète : le Monastère Sainte-Catherine – la demeure de la solitude -, siège des reliques de la sainte et du Buisson Ardent, le lieu même où Moïse reçut la parole divine. Continue reading “Dans le désert de Loti – le synamare”

Mise au point éditoriale

Je ne suis pas bégueule mais je tiens tout de même à faire une petite mise au point:

  1. Je n’ai pas le monopole de mes idées, encore moins des informations que je délivre.
  2. Je n’ai aucune exclusivité sur aucun des sujets que je traîte.
  3. Je cite toujours mes sources et j’appose toujours un copyright sur les photos que je publie.

Mais parallèlement à tout ça, je déteste constater que mes sujets sont repris en rafales sur d’autres sites, comme si mon blog était une mine qu’on exploite sans dire où elle se trouve, et je trouve ça profondément détestable, d’autant plus que ça ne coûte rien. Voilà, c’est dit.