Un dernier jour avant l'après

C’était le jour d’avant l’après – un jour apparemment banal alors que le soleil brillait et dehors le vent balayait les pétales roses des pruniers – tapissant les rues, les trottoirs et les caniveaux de tâches roses – neige souillée de parfum de printemps – règne un parfum d’insouciance et personne ne semble se douter que demain, déjà, ce sera l’après – déjà ce sera une nouvelle ère, certainement sombre. J’essaie de ne pas y penser, j’aurais toute la journée de demain pour y penser – et je vais ressortir quelques vieux livres que j’avais l’intention de jeter pour en faire des lieux de conversion – écrire sur les mots, entre les lignes, peindre, rêver un peu – déposer des couleurs sur les mots des autres… Faire un rêve de couleurs – de pétales de sakura (桜) volant au vent léger – sur mon visage aux yeux fermés.

Photo © Christophe-

Avec vue sur l'amer

Il y avait un peu de monde dans les rues. Je n’ai plus rien écouté, je me suis fermé comme une huître et les autres parlaient – parlaient sans arrêt – rien ne passait – on a dû me parler d’un anniversaire, mais je n’ai pas écouté, je n’aime pas écouter les sinistres conversations qui s’épuisent dans les ténèbres – les mots qui ne s’inscrivent nulle part – qui flottent dans l’Ukiyo-e pour finalement ne jamais redescendre. Il faisait très chaud, certainement, je crois me souvenir, mais surtout il faisait nuit. A Paris – une rue perpendiculaire à la Seine et qui part de l’île Saint-Louis – des boutiques luxueuses mais éteintes à l’intérieur desquelles on a parfois l’impression de voir des ombres flottantes – signes de vies imaginaires où l’on voit tout en noir et blanc – résidus d’activités de journées bruyantes lorsque les vêtements collent sur la peau comme – comme je ne sais pas – des gens dont on aimerait bien partager la vie ne serait-ce que quelques instants – ou toute une vie…

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Café de l'AtelierCafé de l’Atelier, rue d’Orsel

J’étais assis à la terrasse d’un café. Il faisait vraiment très chaud – dans cette nuit parisienne et bruyante – des fanatiques quelconques devaient crier pour je ne sais quelle raison – je m’en fous – et… le temps s’étire comme dans ces moments où l’on est plongé dans un livre – tout à coup – plus rien n’existe autour et on est plongé dans une dimension sans dimension – le temps de l’horloge s’arrête et un autre prend sa place…

Théâtre de l'AtelierThéâtre de l’Atelier, rue d’Orsel

Je me sens bien – j’ai mal – je ne sais pas – où est-elle ? Qui… Combien de temps ? Impossible à dire – des années et des lumières – un poème en forme de grâce – les yeux grands fermés – des mots qui s’entrechoquent – je suis saoul ? Non pas encore – attends encore un peu – il faut que je bouge… Comment ça ? Oui il faut que je me remue, je ne peux pas rester là comme ça sans bouger mes jambes commencent à fourmiller mon corps s’emballe j’ai chaud je suis excité je bouge dans tous les sens je me sens agité et perclus de micro-douleurs enfantines bègues stridentes et surannées pour me soigner je pense à autre chose bon Dieu je suis excité c’est quoi comment ça tu ne le sais pas ? Si bien sur je sais ce que c’est… Grand impatient va ! – oui – et alors – je ne suis pas là – je ne suis plus là… tu ne m’as pas appelé – je ne t’ai pas entendu – tu ne m’as pas attendu – ta voix !! Où es-tu…

Tu as filé.

Et je suis là… un peu triste… mauvaise journée – non, c’est pas ça – mais c’est un tout – l’impression que rien ne changera – je ne sais pas – je suis fatigué là et je n’ai pas envie de penser.

Il y avait un peu de monde dans les rues. Il faisait vraiment chaud. J’étais assis à la terrasse d’un café.

Couleur vent du désert

Il fait bon ce matin. En me levant, derrière les rideaux, je croyais qu’il pleuvait; ce n’était certainement que mon imagination. J’ai beaucoup d’imagination. J’en ai tellement que sous des apparences banales, je suis capable de m’inventer une vie en rêve, et tandis que j’ai – a priori – passé un week-end tout ce qu’il y a de plus normal, simple, banal, il s’est en réalité passé plein de choses. J’ai passé mon temps à rêver, arborant un léger sourire empreint de bonheur. Tout simplement transporté, transcendé, absolument ensorcelé. Aujourd’hui, à peine reposé et des douleurs un peu partout, je me réveille dans un état second, comme si j’avais passé mon temps à faire l’amour… Plus que jamais je me répète des mots qui semblent être taillés pour moi.

Photo © Elisham

Je me souviens d’un texte que j’avais écrit il y a quelques temps dans lequel je faisais part de mes déceptions quant à ce que mon pays devenait. Si je fais le bilan aujourd’hui, je me rends compte qu’en fait, je m’en contrefous. Je m’en contrefous parce que je n’y suis plus. La France est devenu un pays merdeux, quelque chose qui n’a plus rien à voir avec ce qu’il était dans mon enfance, pas plus qu’il ne ressemble à l’image qu’il pourrait avoir. Je repensais à cela ce matin dans le train. Et puis je me suis souvenu d’un texte que j’avais écrit dans mon adolescence dans lequel je disais que je savais d’emblée comment je mourrais, ou plutôt comment j’aimerais mourir. Parce qu’en fait, je m’imagine très bien ne pas mourir ici, je me vois dans quelques années traînant mes guêtres dans les rues sales de Calcutta ou dans un bordel de Singapour, dans les faubourgs désertiques de Windhoek ou sur le Mont Sinaï et à la relecture de Rashômon, je me dis que je n’ai jamais envisagé le monde autrement que sous ses aspects les plus inabordables. Aussi, la France ne signifie t-elle plus rien à mes yeux. Mon pays de naissance ? Oui et alors ? Je n’ai même plus de carte d’identité… Ces contours-là s’effacent et je ne m’en porte pas plus mal. Citoyen du monde ? Je m’en fous… C’est le genre de mots bons pour les people en mal de sensations. Qu’importe si je meurs ici ou ailleurs, qu’importe où seront dispersées mes cendres. Je finirai peut-être vieillard rachitique et barbu, nu comme un sādhu Nanga à la recherche du Nirvana, les yeux ravagés par la déesse Ganja, l’esprit aussi rationnel qu’un bol de compote…

نعيم

J’ai enfilé mon pantalon couleur vent du désert en ortie de Chine et un pull en lin marron, presque prêt à courir le monde. Sur ma figure se dessine la félicité, des traits comme dessinés par les récits qui donnent un beau visage.

Aujourd’hui est un nouveau jour, et tous ceux qui suivront le seront également, peu importe ce qui arrive. Mektoub…

Aux Antiquités

Le temps s’est réchauffé, le soleil était au rendez-vous…
Après avoir côtoyé les haleines fétides, les cheveux gras et les survêtements à la boulangerie, nous sommes partis pour la Capitale flamboyante, les rues scintillantes et calmes du 1er arrondissement, le Louvre et son département des Antiquités Egyptiennes, puis le quartier japonais. Une belle journée pour ne pas penser. Des photos que je pense avoir bien réussi.

Scribe
Horus en bronze
Sarcophage en bois enduit
Armée des serviteurs
Vase Canope
Sarcophage en bois peint

Les autres photos de cette journée:

  1. Papyrus représentant la création du monde, Geb et Nout.
  2. Détail du sarcophage de Ramsès III.
  3. Haut-relief d’Abydos.
  4. Sphinx de Tanis.
  5. Pyramide du Louvre.
  6. Rue de Rivoli.
  7. Ministère de la Culture.
  8. Galerie Vivienne.

Un 21 mars

En sortant du boulot, je passe devant le café d’en face. Il y fait sombre. Seules quelques lumières sont allumées, des appliques en verre dépoli fichées aux murs. Sur les tables, de jolis petits photophores ouvragés diffusent une lumière fantômatique sur les visages de deux filles attablées, devisant avec passion autour d’un verre haut rempli d’un liquide transparent, une rondelle de citron vert comme posée en équilibre sur le rebord. Il fait froid, le vent souffle fort et me fait pleurer. Je me sens envahi par une vague de tristesse en les regardant, sans vraiment savoir pourquoi.

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J’imagine simplement qu’elles doivent être amies et qu’elles se racontent des choses qui ne passionnent qu’elles, mais c’est le principe de l’amitié non ? Etrangement, je ne peux pas regarder leur visage – leurs contours m’échappent – je ne les vois pas vraiment – elles sont comme transparentes – de simples ombres au coeur chaud qui s’animent au son de la discussion… Moi aussi j’aurais aimé m’assoir sur un de ces tabourets hauts plantés au pied du comptoir, avec un ami – une amie – discuter – boire un verre – ou sans rien dire – penser tout haut – sentir du regard et boire encore – sentir l’ivresse monter et se dire qu’on ne va pas rentrer tout de suite – non il fait froid dehors et puis je n’ai pas faim – l’alcool brûle l’estomac – non allez, viens, on ne rentre pas, je ne suis pas fatigué – S’il vous plaît, nous allons fermer – Non attendez, on finit notre verre… Juste une minute – Tu disais quoi ? – Bon allez viens, on va trouver un autre café – j’ai envie de boire un dernier verre – je ne t’ai pas dit ? Il faut que je te raconte ça – derrière les rideaux rouge – pour éviter les courants d’air – assieds-toi – un autre whisky – j’ai mal au crâne – je vais rentrer me coucher – déjà – il fait froid dehors. Il n’y a plus personne dans les rues – ils sont tous rentrés chez eux – et alors ? qu’est-ce que vous vous êtes dit ? – Rien on est rentrés chez nous sans un regard – Il fait froid non ? J’ai les mains douces, mais avec ce froid elles ont tendance à devenir sèches… Regarde – touche – elles sont douces n’est-ce pas ? Le temps passe vite quand on discute comme ça, tu ne trouves pas ? Je ne t’ai pas dit au fait ? – Nous allons fermer, merci – de rien – on y va ? Non attends je n’ai pas envie de rentrer – J’ai envie de boire encore, je ne vois plus mon verre – je ne me sens pas bien – tu peux m’appeler un taxi s’il te plait ? – Allez viens. Non merci. Il est encore tôt, je dois rentrer chez moi. Les lumières se sont tues, les flammèches sont mortes, il fait nuit noire.
Et vous avez parlé de quoi sinon ? De rien, je suis rentré directement, j’étais fatigué. Et puis je ne sais pas, je me sentais las, je n’avais pas envie de parler.
Tu as vu ? Je me suis rasé…

Cosmopolis, Don DeLillo

Taxi in NYCPhoto © Mdumlao98

Eric Michaël Packer est un goldenboy de la nouvelle école. Il sillonne les rues de New-York dans une grande limousine bardée d’écrans d’ordinateurs, surveille à distance les évolutions du Yen, a une totale confiance dans son garde du corps qui lui colle aux basques comme une seconde peau. Il vient de se marier à une riche héritière frigide et fragile, baise à même le macadam, garde un oeil constamment rivé aux analyses de risques concernant les menaces concernant sa personne et rend quotidiennement visite à son médecin pour un toucher rectal qui lui diagnostiquera une prostate asymétrique.

Il passa en revue les unités d’affichage visuel. Elles étaient déployées à des distances progressives du siège arrière, des écrans plats de taille assorties, certaines regroupées dans un cadre, d’autres projetées séparément depuis des cabines latérales. Le groupement était une oeuvre de sculpture vidéo, belle et aérée, à potentiel métamorphique, chaque unité conçue pour se détacher, se fermer, ou fonctionner indépendamment des autres.
Il aimait le volume très bas ou le son coupé.

Le monde de Packer est d’une froideur infinie, enveloppé par la technologie dont il est un des fervents défenseurs et circonscrit dans une ville monumentale et tournée vers elle-même. Mais Packer aime prendre des risques, il tente de faire fléchir la bourse et compte bien s’enrichir sans bouger en achetant tout le Yen qu’il peut. Dans les rues de New-York, assis dans son immense limousine, il regarde le monde défiler et ne le perçoit qu’à l’aune de sa vision des choses, froidement. Même lorsque l’Apocalypse semble être arrivée.

Elle avait un corps brun corail et des pommettes bien dessinées. Sur ses lèvres, un éclat de cire d’abeille. Elle aimait être regardée et conférait à l’acte de se dévêtir une dimension orgueilleusement publique de l’ordre du dévoilement transfrontalier, associé à un élément de défi un peu frime.

Packer sera rattrapé par le temps qui défile selon ses règles à lui, cherchant finalement une fin inéluctable et ne cherchera même pas à s’en préserver. Il se débarrassera de ce à quoi il tient le plus et symbolise son univers, sa limousine, son argent, son garde du corps, pour achever l’histoire dans une fin qu’il pense avoir toujours désiré.

Wall StreetPhoto © Romu

Don DeLillo signe ici un chef-d’oeuvre de noirceur, un roman post-moderne effrayant, d’une écriture froide et métallique de laquelle un noir de titane aux reflets bleutés transpire nettement. Une grande réflexion sur l’existence et l’aliénation au monde moderne.

Bali Barret

La boutique parisienne Bali Barret, dans le premier arrondissement de Paris, s’est exportée au Japon. L’architecte Franklin Azzi explique comment il a réfléchi à l’image de la boutique à Tokyo dans à Shibuya et à Omotesando, sous forme d’une tente et d’un bunker, le tout dans un rouge flamboyant qui n’est pas sans apporter une touche de joie aux rues de Tokyo…

Bali Barret

Une nouvelle revue de détail sur Arkinetia. (23 février 2007)

Du balbutiement

Kurt Schwitters faisait partie de ce mouvement artistique européen connu sous le nom de Dada, à la fois absurde, humoristique, révolutionnaire, génial, scandaleux, bruyant, tapageur et enfantin. Ce pourquoi Dada est né, est lié à la guerre, cette violence arbitraire et absurde qu’on à aujourd’hui grand peine à imaginer nous autres occidentaux. Et la résistance inventé par Dada pour survivre à la guerre, tordre l’oppression, glisser comme un savon de sa poigne, c’est l’enfance.

C’est le plus petit dénominateur de l’identité, quelque chose que toute l’aliénation du monde ne peut écraser. C’est pourquoi les dadaïstes récupéraient des objets dans les rues pour les intégrer à leurs compositions plastiques, car l’enfant ne fait pas de distinction entre ce qui est sale et propre. Il fallait se débarrasser de toutes les conventions hiérarchiques des valeurs du monde des adultes. L’écriture se manifestait par des mots inventés sans significations, des babillages, des borborygmes semblables au langage des enfants lorsqu’il jouent seuls dans leur chambre, mais aussi semblable aux soldats traumatisés par l’effroi des premières lignes et qui perdaient temporairement la signification du langage, ne sachant plus articuler de façon correcte, les mots n’avaient plus de sens il ne restait que les sons.

Dada était loin d’être régressif pour autant. Dada repartait de l’enfance pour tout réinventer et c’est de loin le mouvement artistique le plus créatif du XXè siècle.

A la manière de Fabienne, je vais vous présenter 2 versions mp3 d’une même oeuvre sonore. Il s’agit d’un extrait des ursonates (trad. sonate primitive ou élémentaire) écrite par Kurt Schwitters durant la période d’entre deux guerres (1921-32).

1. Extrait de rondo, poésie interprétée par Kurt Schwitters

[audio:http://endemicproject.free.fr/extraitrondoschwitters.mp3]

2. Extrait de rondo, poésie interprétée par Eberhard Blum en 1991

[audio:http://endemicproject.free.fr/extraitrondoblum.mp3]

Nocturne Indien à Paris

Parti à la recherche d’un Paris en plein automne, en fin d’après-midi, je ne me doutais pas que j’allais vivre une expérience si riche. Tandis que sur les quais de Seine, en arrivant à proximité de l’hôpital Beaujon, le soleil doré illuminait une rangée de marronniers plantés le long de la route, nous roulons tranquillement vers le nord de Paris, rue Ordener, puis rue Custine, en passant du côté de l’escarpée rue du Mont-Cenis et ses escaliers qui ont fait la réputation de Paris au travers de certaines photos. Au coucher du jour, une lumière argentée illumine les rues qui s’éclairent. Rue André del Sarte, Ronsard et Charles Nodier autour du Marché Saint-Pierre, zouzou qui dort profondément à l’arrière, tandis que je regarde les passants qui ont l’air heureux dans ces rues grouillantes.

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