Brad Harris

Brad Harris est un jeune photographe indépendant travaillant pour de grandes marques. Son oeuvre est empreinte de poésie et utilise souvent des cadrages originaux. Les scènes sont parfois burlesques, parfois graves.
Fait intéressant, il faut lâcher sa souris et retourner aux bonnes vieilles flèches du clavier pour naviguer.

Brad Harris

Node™ n°1

Forcément, comme souvent en ce moment il pleut, il pleut beaucoup, tout le temps, fort, peu, averses ou pas du tout quelques instants et puis ça repart doucement ou pas, ou fort et beaucoup, ça s’enchaîne, alors ce matin, quand je me suis levé, la première chose que j’ai faite c’est de regarder s’il pleuvait et oui, il pleuvait, comme un peu tous les jours depuis que Sarkozy est président, ce n’est pas de sa faute, mais ça joue certainement, on pourrait presque y croire mais je ne me suis pas laissé démonter, j’ai piqué le parapluie de mon fils, mais je suis quand même arrivé à la gare les pieds trempés, le bas du pantalon, c’est du ramie ça sèche vite, un coup de vitamines avec le café, histoire d’émerger un peu plus vite que ça s’il vous plait merci j’ai un train à prendre et puis j’ai passé une partie de ma nuit à bouquiner jusqu’à temps que le sommeil m’emporte le bougre, même pas le temps d’éteindre la lumière, espèce de criminel de la lecture qui lit jusqu’à plus soif tous les jours de la semaine, même ceux qui n’existent pas, voire même plus, alors nécessairement, pour se réveiller, c’est pas du Pink Martini qu’il faut se fourrer dans les oreilles, mais plutôt David Guetta, Love don’t let me go, voilà tout, faut écouter ça parce qu’on a beau penser ce qu’on veut du blondinet électrique, sa musique, elle est construite et c’est pas du beat sans raison, il y a du travail là dedans et c’est bon, surtout pour se réveiller, surtout pour passer devant les contrôleurs du matin, on est le 3, faut contrôler, et j’ai mon ticket, c’est suffisamment rare pour être remarqué, alors je passe tête haute, bêcheur, y’a pas de raison, et puis merde hein, je n’ai dormi que trois heures, certainement moins, criminel va !

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juergen teller

Bon et puisqu’on est là, il est temps de parler un peu de Juergen Teller, un photographe hors norme et un peu branque, qui se plait à prendre en photo des célébrités dans des positions pas possibles – Björk s’est pliée à l’exercice, je ne vous dis que ça – , mais qui a aussi travaillé pour la publicité d'Yves Saint-Laurent mais qu’on croirait tout droit sorti d’une nouvelle de Bukowski, un travail désaxé autour de la lumière crue.

Dans la rue Anatole France, il y a un camion violet qui est là pour nettoyer la cuve à graisse du tabac d’en face, le nettoyage de la cuve à graisse, c’est quelque chose, il faut avoir vécu ça de près pour savoir à quel point ça schlingue la graisse, ça pue pire que la mort, la graisse, peut-être même pire que la merde, parce qu’au moins, la merde, on sait ce qu’il y a dedans, et là pour la coup, dans la rue humide, ça sent mille fois la graisse transvasée, c’est littéralement infâme, et comme aujourd’hui j’ai une grosse forme de type qui n’a dormi que trois heures, je vais m’attaquer aux bases de données, je suis à bloc là. (03 juillet)

Depuis que j’ai écrit ces mots, il s’est passé beaucoup de choses, des choses pas gaies du tout, des renoncements, des hésitations, des fractures, des pas en avant, des pas en arrière, j’ai complètement lâché l’écriture, je me suis retiré du monde, j’ai tenté de sourire, je me suis dit qu’il fallait que j’arrête de bloguer au vu du nombre considérable de commentaires que je n’arrive plus à gérer, je me suis pris pour John Cage, j’ai eu envie de mourir, mais pas longtemps, j’ai eu une réunion de service, je me suis battu contre le département Communication pour exprimer mon point de vue (oui, je sais, on s’en fout), j’ai pris une photo de mon chat, j’ai enfin parlé à Laurent, je me suis surpris à rire avec des gens que je détestais, j’ai été dans une colère dingue, je me suis calmé, je me suis senti rejeté, alors j’ai rejeté, je me suis dit que j’allais effacer mon blog, j’ai dit merde à mon père, j’ai vu mon téléphone sonner et je n’ai pas pu répondre parce que j’étais déjà en ligne, j’ai enragé, j’ai fulminé, j’ai mal dormi, très mal dormi, je me suis senti à deux doigts de péter un câble, je me suis calmé, j’ai eu envie d’appeler une vieille amie, et mon amie m’a appelé parce que je l’avais appelée sans m’en rendre compte, une voix chaleureuse et tendre, j’ai fait de l’aérophagie, j’ai sauté un repas, je n’ai pas sniffé de colle parce que je ne me drogue pas (le café ça compte pas), j’ai été contacté par un extra-terrestre chinois, j’ai terminé de publier mes derniers moleskines, lesquels ont toujours autant de succès (suffisamment rare pour être signalé), j’ai mangé une pizza, j’ai vécu la guerre grève, les bagarres dans le RER, les flics qui déboulent, les tickets de métro qui ne passent pas dans les tourniquets, je me suis noyé dans un ruisseau, enfin je crois, je ne passerai pas à la télévision, je ne suis pas allé à Paris-Carnet, j’ai eu un cadeau, la saison 1 de Magnum en DVD, j’ai vu le Lauréat, j’ai fait une machine de couleur, j’ai passé l’aspirateur dans la chambre, je suis allé faire des courses, j’ai rendu mes livres à la bibliothèque, j’ai rêvé d’Adolfo Bioy Casares, je me suis rendu compte que j’étais pétri de ténèbres, j’ai beaucoup pensé, mais j’ai eu aussi beaucoup la tête complètement vide, je me suis demandé si je n’allais pas m’acheter un nouveau nom de domaine, laisser tomber mon blog, repartir de zéro, j’ai étrangement passé une très bonne semaine au boulot, et comme pour faire bonne mesure, j’ai essayé de chialer un bon coup comme pour faire sortir toutes les scories qui me polluent l’existence mais rien ne sort, complètement à sec, alors je me suis imaginé allongé dans un lit aux draps couleurs expresso et les yeux fermés, j’écoutais le bruit de l’océan.

Ryu Itadani

Ryu Itadani est un illustrateur qui n’hésite pas à utiliser la couleur pour mettre en valeur le quotidien de la vie japonaise. Lieux de passage, objets, tout est prétexte à colorier. Un travail de précision et d’harmonie que j’aime beaucoup.

Ryu Itadani via かまわない

São Paulo vu par Cendrars

Sao PauloPhoto © klausinho

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Foradaordem-LoMejordeCaetanoVeloso-CD1%5b2002%5d.MP3]

J’adore cette ville
Saint-Paul est selon mon cœur
Ici nulle tradition
Aucun préjugé
Ni ancien ni moderne
Seuls comptent cet appétit furieux cette confiance absolue cet optimisme cette audace ce travail ce labeur cette spéculation qui font construire dix maisons par heure de tous styles ridicules grotesques beaux grands petits nord sud égyptien yankee cubiste
(…)
Tous les pays
Tous les peuples
J’aime ça

Blaise Cendrars

Premier billet d’une série sur Cendrars en Amérique.

L’étrange philosophie du poulet dans le carton à chapeau et autres rêves mystiques

Ce onze juin, il flottait dans l’air un parfum de dilettantisme, un je ne sais quoi de purement foutraque et déjanté. Il est question que je parte en train sur Amiens, je dois y être à neuf heures du matin. A moitié endormi après un week-end au soleil, je me vois refuser l’accès au quai de la gare parce qu’une affreuse bonne femme a décidé de composer son programme télé de la semaine devant le tourniquet. Je commence à maugréer alors que j’ai encore les yeux collés de sommeil et ça ne fait que commencer, parce qu’elle me poursuit jusque dans le train pour Gare du Nord en s’asseyant en face de moi, jambes écartées, toujours son télé Z collé aux lunettes. Ses genoux frôlent les miens et ça a le don de m’agacer, je déteste les contacts physiques, même involontaires, avec des personnes que je ne connais pas. Contrairement aux gens que je côtoie dans le RER, j’ai l’impression de me retrouver ici en compagnie du rebut de l’humanité, une vraie cour des miracles roulante. Les gens sont particulièrement laids et terrassés par la fatigue. J’arrive à Gare du Nord, et il me semble que l’espace d’un instant, j’avais dû oublié que je m’étais réveillé dans une France bleue, une France qui me fait peur et que je n’ai pas choisi. Il fait moche depuis les élections, le temps est atrocement gris et plombé. C’est donc ça que veulent mes compatriotes ? Mon pays me fait peur. Qu’est-il devenu ? Un pays d’individualistes haineux?

Photo © trixrabbit20069

Sur le quai de la Gare, j’aperçois les filles. Florence me saute presque au coup et me fait la bise. Du coup, je fais aussi la bise à Delphine. Pas l’habitude d’embrasser mes collègues de travail, mais je m’y plie facilement. Ah et puis merde hein, on ne va tout de même cracher dans la soupe. En parlant de soupe, une fois la formation du matin terminée, nous sommes allés déjeuner au Carlton. Ouais, rien que ça. M’en fous, j’ai pas payé. L’après-midi s’est déroulée tranquillement, entre deux rots, un de digestion, et l’autre de contentement.

Un peu claqué, un peu naze, je sors de la boîte de jazz, je suis rentré dans la gare et mon attention s’est trouvée attirée par une dame chargée comme un bourricot (à moins que ce ne fût le contraire). Visiblement peu en confiance, elle a réussi à faire tomber sa valise dans les escaliers sur les quatre dernières marches. Un peu plus loin, arrivée devant la porte du train, elle a dû esquisser un freinage mal contrôlé ; sa valise est tombée à nouveau et emportée par le poids des deux sacs qu’elle portait en bandoulière, son corps a basculé en avant, l’emportant sans qu’elle n’ait eu le temps de se retenir. Elle a manqué de tomber entre le train et le quai, si seulement sa tête ne s’était pas écrasée contre la marche en métal du train. Pourtant, c’est écrit partout “Attention à la marche…” Boudiou que ça devait être douloureux, mais désolé, j’ai un train à prendre. Nous nous sommes regardés avec Florence, contenant un rire préhistorique dans nos poitrines, en tentant de ne pas esquisser le moindre sourire malgré nos zygomatiques tressaillants. Dans le train, nous nous sommes retrouvés à côté d’un monsieur ventripotent d’un certain âge qui n’arrêtait pas se marrer en regardant nos voisins jouer à la belote. Au bout d’un moment, arriva ce qui devait arriver ; la bouche grande ouverte, il se mit à ronfler bruyamment, interrompant notre discussion ô combien passionnante.

A Gare du Nord, c’est une fois de plus le boxon. Une grève surprise ? Les trains affichés auraient dû partir une heure plus tôt, alors j’avise le premier quai annonçant Pontoise et je m’engouffre dans un train noir de monde. Pas besoin de se tenir aux barres, nous sommes tellement collés qu’on ne risque pas de tomber. Le type qui se trouve dos à moi avait les omoplates en forme de chaudière et alors que je réussissais à ne pas avoir trop chaud, je pouvais le sentir dégager autant de chaleur qu’un réacteur de Tupolev. Finalement, exaspéré par la promiscuité, je me suis planqué dans les soufflets, vous savez, ces gros soufflets en caoutchouc qui séparent les rames. Je me suis mis là pour attendre que le gros du monde finisse par dégager le passage et finalement, je n’avais pas trop chaud, j’étais même bien, j’avais de l’air. J’essayais simplement de ne pas trop penser au fait que si les deux wagons se désolidarisaient, je risquais de fort de partir en roue libre sur les rails. Vue plongeante sur un cou superbe terminant sa course dans un décolleté discret, mais la fille avait le visage aussi luisant qu’un cornet de frite. Dans les escaliers, il y a un type avec un sac à dos, le genre naturaliste ou entomologiste, et dans son sac dépasse une pousse de plantain, une des pires saloperies du règne végétal, qui pousse n’importe où. Un type transpire comme un glaçon au soleil, il est tout maigre mais il a des mains avec des doigts affreux, gros comme des bites.

Les gens descendent, l’air raréfié commence à revenir, je reviens parmi les vivants et les transpirants. Je pensais qu’il faisait trop chaud dans ce train, mais finalement, il fait encore plus chaud dehors. Finalement, j’étais mieux à l’intérieur, dans mon soufflet.

Quoi qu’il en soit, le vide finit toujours par se faire autour de moi.

Un empire de poussière

Pas une seule fois je n’ai écrit le mot opium… Pas une seule fois. Pourtant, j’en ai eu plusieurs fois l’occasion et je pourrais encore le faire… si toutefois je ne venais de le faire. J’aime énormément ce mot qui m’entraîne immédiatement sur les routes de l’Inde, dans les fumeries crasseuses de Lahore ou dans les ruelles d’un Shangai antédiluvien. L’opium rêvé ou maudit, objet de convoitise ou de mépris, ce mot me fait toujours rêver car il retient en lui l’incroyable possibilité de générer de l’illusion, métaphorique ou non.

Entre le rêve et la réalité, entre l’âge adulte et l’adolescence, voire l’enfance, il n’y a qu’un pas que l’on peut franchir avec plus ou moins facilité ou de sincérité. Entre ce que je vis et ce que je ne vis pas, entre ce qui est et ce qui pourrait être, entre ce qui aurait pu ou aurait dû être, les frontières s’effacent, ma vision se brouille et lorsque je regarde autour de moi, j’éprouve parfois comme un léger vertige qui me fait me demander si je n’ai pas rêvé, ou alors si définitivement, je ne suis pas devenu un peu dingue. Lorsque cette histoire verra arriver son terme, nous en saurons certainement un peu plus.

Dingue, lui, il l’est devenu. Il portait un prénom de cavalier valeureux et vivait à l’ombre des autres, isolé, caché du reste du monde bruyant, dans une relative tranquillité pétrie de silences et d’ombres, et peut-être aussi d’illusions sauvages, de silhouettes qui se reflètent sur les murs, de grains de sable restés collés sous ses semelles lorsque du désert il s’extirpait. Son quotidien n’était pas autre chose que petites contrariétés, morne combat contre la morosité, absence totale de sentiments, aucune d’affection à son égard, personne pour l’aimer, la solitude froide et terne, le désir sans direction, un monde uniquement fait de la capacité qu’il avait à en sortir par le pouvoir de son imagination.

Il lisait beaucoup, les livres lui permettant de ne pas penser à ce qu’il était. C’est à dire pas grand chose. Il se sentait seul, mais ne le savait pas encore, parce qu’on ne sait ces choses là que lorsqu’on en sort, et qu’on y retourne. C’est à ce moment là que la solitude prend une dimension absurde. Il avait froid aussi. Son corps raidi. Son esprit devenu rigide. Son visage durci.

Le côté lumineux de son être, c’était la face découverte, son paraître. Il écrivait et des gens lisait ce qu’il écrivait. C’était sa seule ouverture sur le monde, sa seule joie de vivre et son unique objet de désir.

Seul, il l’était, et seul il vivait. Un soir, en rentrant du travail, il trouva dans sa boîte aux lettres une enveloppe suspecte. Ce n’était ni une facture, ni un tract publicitaire, mais une lettre qui lui était destinée, son nom et son adresse inscrits dessus avec une écriture ronde et douce ne laissait pas de place au doute. Pas de nom derrière. Juste un parfum boisé très discret qui en émanait. Il se passa la langue sur les lèvres en la décachetant fiévreusement, toujours sur le seuil devant le bataillon de boîtes aux lettres alignées.

La suite, un autre jour, une autre fois.

Damier

Note de bas de page: deux données sont à saisir dans ce texte ; l’imaginaire et la faculté de création. Morceau de vie réelle, texte fictif, autofiction ? Savoir si cette histoire est vraie ou non n’est pas la question car finalement, cela n’intéresse que les personnes qui me connaissent, ce qui constitue somme toute un bien maigre bataillon. Cela nous intéresse t-il réellement ? La vérité n’est qu’une donnée relative à l’existence particulière. Finalement, c’est bien peu de choses, et puis on verra ce que donne la suite.

Une tourte à l'hirondelle

– Monsieur !! Monsieur !!! Pardon de m’excuser mais je crois que vous avez des crottes dans les cheveux, je me trompe ?
– Oui, vous vous trompez, ce ne sont pas des crottes mais des locks…
– Oops pardon, il m’avait semblé.
– Il vous avait mal semblé.
– Et sinon, qu’est-ce que vous faîtes ?
– Je suis en train de ratisser, sarcler, biner…
– Et sinon, de temps en temps, vous utilisez des mots simples ?
– Non, rarement.
– Oh ! Regardez cette hirondelle qui vole avec une branche dans le bec, elle va faire son nid on dirait !
– Ce n’est pas une hirondelle mais une tourterelle.
– Une tourte à l’hirondelle ? Vous vous moquez, les tourtes ne volent pas.
– Pardon, mais j’ai du travail.
– Moi aussi, et si ça ne vous dérange pas, je vais y aller, j’ai autre chose à faire.

Laurent

Andrzej Dragan

Portraitiste talentueux dont le travail est reconnu aussi bien pour ses couvertures de magazine (notamment avec David Lynch) que pour ses publicités, Andrzej Dragan travaille avec l’obscurité et le grain, dans des ambiances sinistres révélant la dureté des traits. Un univers sombre mais fascinant, tout en contrastes, présenté dans un bel écrin en flash très vivant. [Via Constantine1st]

Andrzej Dragan

Il pleut moins sur le trottoir d'en face

Dix-huit heures et quelques, je sors du boulot, légèrement grisé par une onde étrange, pétrie de mots retenus et de propositions avantageuses. Le temps vire au gris ventre de souris, l’air se charge d’humidité champêtre, je file jusqu’à la bouche de métro où les files d’attente serpentent dans les couloirs en cette veille de renouvellement de carte orange (au fait, lisez bien les écrans, la carte orange va bientôt disparaître au profit de Navigo, chouette non?). J’ai le nez plongé dans mon bouquin et je continue de marcher sur le quai du RER jusqu’au pilier qui me retient tous les jours, un bon gros pilier en béton bien froid couvert d’une peinture couleur pisse délayée. Il me semble que c’est Mylène Farmer qui pousse sa complainte dans les hauts-parleurs de la station, mais à ce moment là, je suis partagé entre Chimo qui m’apprend comment se prémunir des jaguars dans la forêt amazonienne et un bilan partiel et exhaustif d’une journée de travail.

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/Tom%20Waits%20-%20Wrong%20Side%20Of%20The%20Road.mp3]

Dans le train, je m’assois là où il y a de la place, en l’occurrence, face à une quinquagénaire absorbée par la lecture passionnante de son programme de télévision et une femme charmante, a priori jeune, portant des jeans que ma soeur trouverait trop fleuris et un blouson de cuir rouge dont la forte odeur de tanin m’arrive en plein dans les narines. Les lunettes Dolce et Gabana sur la tête et son chemisier largement ouvert sur une poitrine rebondie et hâlée finissent de me convaincre qu’elle n’est finalement pas si jeune que ça. Il y a des signes qui trahissent l’état d’esprit et l’âge dans certaines catégories de population.

En sortant du train, la pluie tombe drue et malgré mes efforts pour passer entre les gouttes, je me retrouve trempé en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. C’est alors que je tente un subterfuge à l’attention de l’eau du ciel. Je regarde la direction du vent et je m’aperçois que si je prends le trottoir de droite, je peux être protégé par les murs des propriétés qui longent la rue Chanzy, mais la rue Chanzy a une fin et je dois encore faire la moitié du trajet exposé en plein vent, pleine pluie. Je ne porte qu’un ticheurte et un pull et très vite, je sens que je vais être imbibé de tous les côtés, la face nord et le pic d’Aneto. L’eau ruisselle sur ma tête, faisant fi des cheveux coupés courts, s’immisçant avec perversité sur mon crâne comme une toile d’araignée et finit par goutter jusque sur mon nez, comme si un rhume sournois était en train de me narguer. Je tente de changer de trottoir, mais sur celui de gauche, il pleut beaucoup plus fort, c’est certain, alors je reste sur celui de droite, protégé du vent. C’est certain, il pleut moins sur ce trottoir.

trottoirPhoto © g@rota