Le pli qu'il a au coin des lèvres

John Fante - Bandini

Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais j’ai laissé tomber John Fante, je l’ai oublié dans un coin, je me suis empêtré dans la lecture de Bandini, pourtant passionnante et haute en couleur, telle que peut l’être La route de Los Angeles ou Demande à la poussière, je l’avais posé sur une étagère et lui m’attendait. Il me restait que 70 pages à lire.
Je l’ai repris, j’ai feuilleté et je me suis lancé à nouveau. Je suis vautré dans la poire, mon fils me parle et me demande pourquoi je passe tout mon temps à lire et à écrire. Je lui réponds que ce n’est pas vrai, que je fais d’autres choses, à quoi il ajoute, que “ce n’est pas un métier ça“, alors je lui rétorque que “si, c’est un métier, mais c’est également un loisir, quelque chose qu’on fait parce qu’on aime ça“.
Il est descendu de sa chaise et est venu me faire un câlin.

J’ai relu la superbe postface de Philippe Garnier et son mordant, sa verve et son éclairage. Son ton juste quand il parle de l’homme, de Fante, l’écrivain maudit et brillant.

Parce que toute sa vie, Fante a été en proie aux remords et à la répression, en bon rebelle catholique. S’il parvient à trouver en lui tant de violence et tant de méchanceté pour ses personnages, c’est que Fante était loin d’être un saint – en fait, au dire de certains de ses amis et connaissances, c’était un être particulièrement désagréable et teigneux, qui possédait un sens de l’humour très particulier, et à sens unique. Bezzerides raconte comment un jour à une réunion de la Writers Guild au Hilton il avait insulté ouvertement l’ami avec qui il était, qui se trouvait être homosexuel. « Salut, Al, comment ça marche avec ton pédé de copain ? » Et comment, dans un ascenseur, alors que Bezzerides portait un manteau qu’il aimait particulièrement, couleur fauve, Fante s’était pointé, lui demandant immédiatement « où il avait dégoté ce manteau couleur merde ?» […]

Il n’est que de noter le pli qu’il a au coin des lèvres sur à peu près toutes les photos connues de lui pour se persuader de la véracité de ces histoires. C’est aussi ce qui donne la force à ses bouquins.

John Fante - Bandini

Las Vegas, une courte histoire

Las Vegas history

Photo © Roadside’s pictures

Née du néant, sortie du désert du Nevada comme une succulente entre les rochers, Las Vegas est une ville dont l’histoire elle-même a quelque chose de chaotique. J’aime me perdre – je l’avoue sans honte – dans les décors facilement numéritechnicolorisés des épisodes de la série CSI, aux couleurs si particulières, dans cette ville perdue dans les plates plaines du désert, au milieu de nulle part.
On sait que Las Vegas a été fondée autour d’une activité principale, l’argent des casinos, mais en remontant un peu plus loin, on s’aperçoit que ce sont les Mormons qui ont posé les premières pierres de la ville champignon. On le sait moins, et on sait peu aussi que Las Vegas signifie “vallées fertiles”, ce qui peut paraître étonnant au vu de son emplacement, mais son sous-sol, et c’est ce qui lui a permis son développement, est parcouru de rivières souterraines et d’immenses nappes. En seulement trois ans, entre 1854 et 1857, la ville a commencé à prendre son essor avant d’être totalement abandonnée, puis investie par l’armée américaine.
En 1931, lorsque les jeux d’argent deviennent légaux, on y voit fleurir casinos, investisseurs, banques, hôtels et prostitution. La légende de Sin City (ville du péché) prend racine, a fortiori lorsque la mafia juive de la côte Est s’empare de la ville. Son plus grand représentant sera le fameux Bugsy Siegel (de son vrai nom Bairush HaLevi “Bar” Mordechai Dov HaLevi – pas facile à porter dans le désert). Depuis 1989, l’état du Nevada a tenté de faire prendre à Las Vegas une façade un peu plus familiale, mais les mythes ont la peau dure et la criminalité reste ancrée ici comme nulle part ailleurs, comme si c’en était un élément fondateur. Avec une température moyenne de 19.3°C et des pointes à 46°C, Las Vegas est une des villes dont l’essor démographique reste un des plus importants de tous les Etats-Unis, avec une croissance annuelle de 5%. Las Vegas est jumelée avec Phuket en Thaïlande.

De quoi continuer la visite dans le Las Vegas des années 60.

Fabienne et moi avons décidé de vous emmener dans un tour du monde virtuel. Vous pouvez suivre les étapes de ce voyage sur Google Maps.

Ace Hotel

Si toutefois l’envie vous prenait, en passant près de Portland dans l’Oregon, de crécher à l’hôtel, voici une adresse qui a l’air bien agréable, le Ace Hotel dont le site présente parfaitement l’aspect à la fois très vintage de la décoration et la modernité rangée de l’ambiance raffinée.
Et en plus, ils ont même des pots de confiture avec des vrais crayons de bois dedans. C’est pas chouette ça ?

Ace Hotel

Via Coudal.

Terry Evans

La photographie de Terry Evans ne se contente pas de montrer, elle referme une véritable vocation didactique et naturaliste. De superbes séries.

Terry Evans

Terry Evans

Terry Evans

Terry Evans est également à l’origine du projet Revealing Chicago, un vision thématique et très agréable de toute la région de Chicago se déroulant sous forme de carte interactive.

Vous aurez de mes nouvelles (Jean-Paul Dubois)

Portmeirion beach – Photo © Ken Douglas

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/01-Substructure%20-%20Firewire.mp3]

Le gardien me tendit un bol de café, j’en avalai une gorgée brûlante et, après avoir remercié le vieil homme, j’allais me recoucher. Tout allait peut-être se passer plus vite que je ne l’avais pensé. J’avais compté sans Adams. Grâce à lui, le temps qui me restait me paraîtrait moins long. Dans l’après-midi, alors que je marchais sur la plage, je remarquais que mes empreintes sur le sable étaient très légères. Cela n’avait rien à voir avec mon poids ou ma façon de marcher. Non, cela tenait à ma façon de vivre, d’effleurer l’existence. J’étais quelqu’un qui ne laissait pas de traces. Quelqu’un qui laissait les choses lisses.
” Prends soin de toi “

Autrefois séduit par l’Amérique m’inquiète et récemment par Vous plaisantez Monsieur Tanner, j’ai réitéré avec succès l’expérience Jean-Paul Dubois. Malgré un nom purement passe-partout, Dubois est un écrivain que j’affectionne particulièrement car beaucoup de choses dans son écriture ne sont pas typiquement de tradition française. Il est de ceux qui écrivent avec l’accent américain, comme d’autres parlent le français avec l’accent québécois. Ses nouvelles, pour la plupart, sont écrites avec du ketchup et de la sauce barbecue, en disent peu mais avec la justesse et la précision laconique des grands auteurs américains, jusqu’au décor, transposable n’importe où, de manière intemporelle, que ce soit sur une plage du Pacifique, dans le désert du Nevada ou bien dans une chambre de bonne parisienne. Un ton juste, des situations improbables, drôles à l’excès mais renfermant toujours une dimension dramatique, et comme dans Vous plaisantez Monsieur Tanner, sous la légèreté de ton, on y décèle une incroyable solitude, celles des hommes seuls qui ne se satisfont pas de leur sort. A lire de toute urgence.

Je crois que je rêvais de quelque chose d’agréable, quelque chose qui n’avait rien à voir avec ma vie. Et puis je me suis réveillé. En écartant les rideaux, je me demandais comment se passaient les choses dans l’immeuble d’en face. Si les types y arrivaient à chaque fois. Si leur femme éprouvaient vraiment du plaisir. Le téléphone a sonné, il était presque midi.
– Je voudrais prendre le reste de mes affaires.
Les Fourmis

Lo

Photo © Monica Semergiu

Quelquefois… Allons Bert, combien de fois ? Pouvez-vous vous rappeler quatre ou cinq de ces occasions, davantage peut-être ? Ou bien aucun cœur humain n’aurait-il pu survivre à deux ou trois ? Quelquefois (je n’ai rien à dire en réponse à votre question), tandis que Lolita faisait ses devoirs à la va-vite en suçant un crayon, paresseusement assise en travers d’une chauffeuse les deux jambes par-dessus l’accoudoir, je me départais de toute ma retenue professorale, balayais toutes nos querelles, oubliais toute ma fierté masculine – et rampais littéralement sur les genoux jusqu’à ton fauteuil, ma chère Lolita ! Tu me jetais un drôle de regard – qui ressemblait à un point d’interrogation gris et velu : «Oh, non, encore» (incrédulité, exaspération) ; car tu ne daignais jamais admettre que je puisse, sans nourrir quelques desseins spécifiques, désirer enfouir mon visage dans ta jupe écossaise, ma doucette ! La fragilité de tes charmants bras nus – comme je brûlais de les enlacer, tels quatre membres adorables et limpides, ma pouliche ployée, et de prendre ta tête entre mes mains indignes, d’étirer la peau de tes temps en arrière des deux côtés, de baisers tes yeux bridés, et – «De grâââce, fiche-moi la paix». Je me relevais alors et tu me suivais du regard, tordant délibérément ton petit visage pour singer mon tic nerveux. Mais qu’importe, qu’importe, je ne suis qu’une brute, qu’importe, poursuivons mon misérable récit.

[audio:http://theswedishparrot.com/ftp/For_Clyde.mp3]

Lolita, de Vladimir Nabokov, est un roman phare, un de ces monuments de la littérature dont on connait l’existence, dont on pense connaitre les grandes lignes si on ne l’a pas lu et dont on ne ressort pas indemne après l’avoir lu – moment où l’on se rend compte que tout ce que pouvait penser ou imaginer sur cette histoire est éloigné de la réalité. Lolita, c’est une histoire qui se découpe sur des strates différentes, qui se lit sur plusieurs niveaux.

Le personnage de Humbert Humbert, incarné à l’écran dans le film de Stanley Kubrick par un James Mason magnifique, a cette faculté d’être montré à la fois comme un satyre pédonévrosé – comme il se décrit lui-même – et comme une victime d’une petite garce nommé Dolores Haze, jeune nymphette troublante et consentante qui lui mettra les nerfs à rude épreuve. Tout au long de l’histoire, on assiste à sa lente dégradation au contact de la provocante jeune fille (lorsqu’ils se rencontrent, elle n’a que douze ans), l’érosion d’un homme mûr et sûr de lui, hautain, pratiquant un français impeccable dont le texte est émaillé, jusqu’à sa fin, sa perte, son amour perdu, sa grande frustration, et le meurtre… Il faudra attendre de longues pages, au travers d’une incompréhensible errance américaine pour comprendre à quelle point celle qu’on imagine en victime est en fait un démon manipulateur. Lolita n’est pas un livre sur lequel on peut dire plus.

Abordant le thème de la pédophilie et de l’inceste, le livre a failli ne jamais être publié, et malgré ses efforts, Nabokov finit par trouver une aide précieuse dans la personne de Maurice Girodias qui prit le risque de publier le sulfureux ouvrage pour la première fois en France – et fut frappé de plein fouet par la censure dès sa sortie en 1955. Ce n’est qu’en 1958 qu’il sortira aux Etats-Unis, et atteindra 50 millions de ventes ; une curiosité.

La merveilleuse histoire du général Johann August Suter (L'Or, Blaise Cendrars)

Burnished GoldPhoto © Rexton

Je copie le chapitre suivant dans un gros cahier à couverture en parchemin qui porte des traces de feu. L’encre a pâli, le papier a jauni, l’orthographe est peu sûre, l’écriture, pleine de paragraphes et de queues compliquées, est difficile à déchiffrer, la langue est pleine d’idiotismes, de termes de dialecte bâlois, d’amerenglish. Si la main, d’une gaucherie attendrissante, a souvent hésité, le récit suit son cours, simplement, bêtement. L’homme qui la trace n’a pas une plainte. Il se borne à raconter les événements, à énumérer les faits tels qu’ils se sont passés. Il reste toujours en deçà de la réalité.

Lire les classiques de la littérature n’a jamais été mon fort et même si plusieurs fois, j’ai vu passer sur des listes de lecture le nom très court de ce roman de Blaise Cendrars, L’Or, je n’avais jamais franchi le pas, reléguant le célèbre manchot aux rayons poussiéreux des bibliothèques, à tort. Continue reading “La merveilleuse histoire du général Johann August Suter (L'Or, Blaise Cendrars)”

Du bon usage des notions de géométrie dans l'espace en milieu urbain

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Devant ma tasse de café bien noir bien chaud bien sucré j’écoute d’un œil distrait la radio qui blablate et me donne le cafard – je ne demande jamais à écouter les actualités qui me semblent d’un autre temps – remémoration des années 30 – et je tombe ou plutôt me tombe dessus un communiqué du Ministère du Travail dans lequel on entend un homme, apparemment très content de son sort qui dit haut et fort “Moi, ce mois-ci, j’ai travaillé 4 heures de plus par semaine parce que mon patron avait des commandes urgentes à honorer et grâce à cette aubaine tombé des cieux, j’ai touché 183 euros net en plus“. Rendez-vous sur le site blablabla.com pour en savoir plus blablabla.
Regard de bovin, mais c’est quoi cette histoire. J’entends en fait tout autre chose. Quelque chose dans le style “Moi, ce mois-ci, j’ai travaillé 4 heures de plus par semaine parce que mon patron avait des commandes urgentes à honorer et qu’il commençait à faire dans son caleçon parce que les pénalités de retard vont gréver son budget vacances et cette année encore il ne pourra pas partir en République Dominicaine comme il y a trois ans et qu’il doit faire réparer son 4×4 et grâce à cette aubaine tombé des cieux, j’ai touché 183 euros net en plus, mais je n’ai pas beaucoup vu mes enfants, je tombais de fatigue devant le journal de Claire Chazal et du coup j’ai même pas pu regarder la Méthode Cauet. En plus de ça, je n’ai toujours pas été augmenté et mon patron a dit à son client que c’était mon manager qui avait tout fait, mais à part ça je suis heureux parce que j’ai touché 183 euros net en plus ce mois-ci“. Travaillez plus pour gagner plus, le rêve de toute une génération devient enfin possible, moi qui pensais que l’avenir était plutôt à l’augmentation des salaires, je tombe de haut.
Les grèves sont terminées et tout semble se passer comme s’il ne s’était rien passé, j’entends une fanfaronne rire sur le fait qu’elle n’était plus habituée à prendre le train et que finalement ce n’était pas si mal de prendre la voiture – ben va-y cocotte personne ne t’oblige et je me dis que le type qui conduit ce train est peut-être aigri de n’avoir pas eu gain de cause et d’avoir perdu 183 euros net a minima et qu’il va peut-être mener son train directement dans la Seine par un malencontreux coup de volant, et je me vois mal finir ma vie de cette manière parce que moi bordel ! Je suis avec vous, les gars… !! Du coup, je ne peux m’empêcher de m’adresser à mon voisin qui lit un étrange petit livre bleu sur lequel est inscrit “Comment lire un bilan” et je me dis que ce type ne doit pas savoir lire un bilan, mais en même temps un bilan, ce ne sont que des chiffres non ? et je lui dis Pensez-vous ainsi que le disait Slavoj Žižek que le bouton qui accélère la fermeture des portes de l’ascenseur est un placebo destiné à donner l’illusion à celui qui appuie dessus qu’il participe du mouvement de l’appareil ? Nan parce que dans ce cas là, je me demande si vous et moi ne serions pas des placebo donnant l’impression à la société cette fourbe que nous sommes ces instruments participatifs ? Pas de réponse et beau regard d’ange de bovin (bis)
Je me console tout seul le nez replongé dans mon livre et en apprenant qu’avant de se jeter à corps perdu dans la philosophie et dans la géométrie, Pythagore avait raflé tous les prix de pugilat aux Jeux Olympiques – et dire que j’ai passé toutes ces années de collège à tenter de comprendre un théorème proféré par une brute de catcheur dont il ne reste que des carrés et des sommes de carré de côtés !!!
Enfin bref, comme disait Mr Nicolas au café de l’Etrier, le carré de l’hypoténuse que si l’on Sancerre !! Rire gras.